Apartheid : Cuba a joué un rôle crucial dans sa disparition ; la CIA, à l’inverse, l’a soutenu pendant des décennies !

Apartheid :
Cuba a joué un rôle crucial
dans sa disparition ;
la CIA, à l’inverse, l’a soutenu
pendant des décennies !

Par Isaac Saney

Une publication CovertAction Magazine


Internationalisme Communisme Racisme Colonialisme Impérialisme Guerre Contre-histoire Histoire
Cuba Angola Namibie Afrique du Sud Portugal États-Unis Afrique
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Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Entre 1975 et 1991, Cuba s’est engagée dans une remarquable mission internationaliste connue sous le nom d’Operación Carlota. Celle-ci a été entreprise pour défendre l’indépendance toute nouvelle de l’Angola contre une invasion de l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid, et elle a joué un rôle central et plus large dans les luttes anticoloniales et de libération nationale en Afrique.

Des soldats cubains montrent une affiche de Fidel Castro, le 9 janvier 1989, lors d’une cérémonie organisée au camp d’entraînement cubain de Punda, près de Luanda, en Angola.
[Pascal Guyot / AFP]

Plus de 400 000 Cubains y ont participé à divers titres, notamment en tant que soldats, médecins, enseignants, ingénieurs et ouvriers du bâtiment, et plus de 2 000 d’entre eux y ont fait le sacrifice ultime.

Cependant, le rôle important et décisif de La Havane dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud a souvent été marginalisé dans les récits occidentaux, certains le traitant comme s’il n’avait jamais existé.

Pourtant, l’importance de la participation de Cuba ne peut être effacée. En effet, l’engagement de La Havane à défendre l’indépendance de l’Angola et le droit à l’autodétermination des peuples d’Afrique australe était inébranlable.

Soldats cubains qui ont combattu en Angola

Les enfants d’Afrique reviennent !

[Lexington Books]

Nommée d’après le nom d’un leader cubain de la révolte des esclaves de 1843, l’Operación Carlota a été lancée le 5 novembre 1975 en réponse à l’appel à l’aide urgent de l’Angola. Ce pays venait d’accéder à l’indépendance après une lutte anticoloniale épuisante, mais il était confronté à une grave menace de la part de l’Afrique du Sud qui cherchait à renverser le gouvernement noir.

L’Operación Carlota a non seulement stoppé l’avancée des Sud-Africains vers Luanda, la capitale de l’Angola, mais les a également repoussés hors du pays. Cette défaite a marqué un tournant majeur dans la lutte anticoloniale africaine.

The World, un journal sud-africain de l’époque, a souligné son importance en déclarant que « l’Afrique noire est sur la crête d’une vague générée par le succès cubain en Angola. L’Afrique noire goûte au vin capiteux de la possibilité de réaliser le rêve de la libération totale ».

La solidarité de Cuba avec l’Angola allait au-delà d’une simple assistance entre nations : elle représentait une partie de la diaspora africaine se portant à la défense de l’Afrique. Depuis la révolution cubaine de 1959, Cuba s’est activement impliquée dans le soutien aux luttes de libération de l’Afrique.

[HistoryNet]

Ce soutien a été très apprécié par les dirigeants africains. Amilcar Cabral (célèbre dirigeant de la lutte anticoloniale et de libération nationale en Guinée-Bissau et au Cap-Vert) a déclaré : « Je ne crois pas à la vie après la mort, mais, si elle existe, nous pouvons être sûrs que les âmes de nos ancêtres qui ont été emmenés en Amérique pour y être esclaves se réjouissent aujourd’hui de voir leurs enfants réunis et travaillant ensemble pour nous aider à être indépendants et libres. »

Amilcar Cabral avec Fidel Castro, lors de la conférence tricontinentale de 1966 promouvant la solidarité anticoloniale
[Casa Comun / Fundação Mário Soares]

L’engagement de la révolution cubaine en Angola a commencé dans les années 1960, lorsque des relations ont été établies avec le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA). Le MPLA était la principale organisation de la lutte pour la libération de l’Angola du colonialisme portugais. En 1975, les Portugais se sont retirés de l’Angola.

Jonas Savimbi
[Wikimedia Common / Ernmuhl]

Cependant, pour empêcher le MPLA de prendre le pouvoir, le gouvernement des États-Unis avait déjà financé divers groupes, en particulier l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (União Nacional para a Independência Total de Angola / UNITA) dirigée par le tristement célèbre Jonas Savimbi. En octobre 1975, l’Afrique du Sud, avec la complicité de Washington, a envahi l’Angola. Le 5 novembre 1975, la direction révolutionnaire cubaine s’est réunie pour discuter de la situation et de la demande d’aide militaire de l’Angola pour repousser la force d’invasion sud-africaine. La décision de déployer des troupes de combat a permis de contrecarrer l’objectif du gouvernement de l’apartheid de faire de l’Angola son État client.

Les dirigeants cubains ont justifié leur intervention militaire en la présentant comme la défense d’une nation indépendante contre une invasion étrangère et comme l’accomplissement d’une dette historique de Cuba envers l’Afrique. Mettant l’accent sur cette relation, Fidel Castro a fréquemment invoqué les liens historiques de Cuba avec l’Afrique. Lors du 15e anniversaire de la victoire cubaine à Playa Girón (petite plage dans la partie orientale de la baie des Cochons), il a proclamé que les Cubains constituaient un « peuple latino-africain ».

Les dirigeants révolutionnaires angolais rendent hommage à Fidel Castro, lors de sa visite.
[Joaquín Viñas]

Jorge Risquet, le diplomate en chef de La Havane en Afrique des années 1970 aux années 1990, expliquait sans équivoque l’engagement militaire de Cuba par ses responsabilités envers l’Afrique. Cette association a touché une corde sensible chez les Cubains noirs, leur permettant de renouer symboliquement avec leur héritage africain. Pour nombre d’entre eux, participer aux combats en Angola revenait à défendre Cuba une fois de plus, mais cette fois sur le sol africain. Ils étaient parfaitement conscients que l’Afrique revêtait une signification particulière en tant que patrie de leurs ancêtres.

Troupes cubaines combattant en Angola

Le révérend Abbuno González a souligné ce lien profond en déclarant : « Mon grand-père est venu d’Angola. Il est donc de mon devoir d’aller aider l’Angola. Je le dois à mes ancêtres. »

Le général Rafael Moracén s’est fait l’écho de ce sentiment et a invoqué les paroles d’Amilcar Cabral : « Lorsque nous sommes arrivés en Angola, j’ai entendu un Angolais dire que nos grands-parents, dont les enfants ont été emmenés d’Afrique pour devenir esclaves, seraient heureux de voir leurs petits-enfants retourner en Afrique pour aider à la libérer. Je me souviendrai toujours de ces mots. »

Le général Rafael Moracén
[Televisión Cubana]

L’implication cubaine en tant qu’activité de substitution pour l’Union soviétique en Afrique australe a été maintes fois rejetée. Cette idée fausse — en réalité, un mythe insidieux — a été catégoriquement démentie.

John Stockwell, qui a été directeur des opérations de la CIA en Angola pendant et immédiatement après l’invasion sud-africaine de 1975, a explicitement réfuté cette notion dans ses mémoires, In Search of Enemies: A CIA Story (À la recherche d’ennemis — Une histoire de la CIA). Il affirme : « Nous avons appris que Cuba n’avait pas été poussée à l’action par l’Union soviétique. Au contraire, les dirigeants cubains se sont sentis obligés d’intervenir en raison de leurs propres convictions idéologiques. »

[Norton]

John Stockwell

[The University of North Carolina Press]

Dans le livre largement acclamé Conflicting Missions: Havana, Washington, and Africa, 1959-1976 (Missions en conflit — La Havane, Washington et l’Afrique — 1959-1976), le professeur Piero Gleijeses a démontré que le gouvernement cubain, comme il l’a toujours affirmé, n’a pris la décision d’envoyer des troupes de combat en Angola qu’après que le gouvernement angolais a officiellement demandé l’aide militaire de Cuba pour repousser les forces sud-africaines.

Cela réfute l’affirmation de Washington selon laquelle son intervention sud-africaine en Angola s’est produite uniquement en réponse à l’arrivée des forces cubaines, et cela révèle en outre que l’Union soviétique n’a joué aucun rôle dans la décision de Cuba et qu’elle n’a même pas été informée avant le déploiement. Même le magazine The Economist, qui n’est pas connu pour son favoritisme à l’égard de Cuba, a reconnu dans un article de 2002 que le gouvernement cubain avait agi de sa « propre initiative ». En bref, Cuba fonctionnait de manière indépendante et n’agissait pas comme une marionnette de l’URSS.

L’idée que Cuba puisse exercer son propre pouvoir indépendamment des puissances mondiales dominantes n’était pas seulement profondément déstabilisante pour Washington, elle était aussi considérée comme inimaginable.

Pour Henry Kissinger, conseiller à la sécurité nationale devenu plus tard secrétaire d’État des États-Unis, il s’agissait d’un anathème. En 1969, il avait fait une déclaration lapidaire et sans équivoque : « Rien d’important ne peut venir du Sud. L’histoire n’a jamais été produite dans le Sud. L’axe de l’histoire part de Moscou, va à Bonn, traverse Washington, puis va à Tokyo. Ce qui se passe dans le Sud n’a aucune importance. »

Henry Kissinger a affirmé que « rien d’important ne peut venir du Sud ».
[Charles Harrity / Associated Press]

Le fait que Cuba, une nation du « tiers monde » économiquement pauvre et fortement liée à l’Afrique latine, puisse prendre des mesures indépendantes qui influencent les événements historiques a courroucé Kissinger.

En réponse à l’audace de Cuba de défier l’ordre impérial établi, avec sa hiérarchie mondiale basée sur la race, Kissinger a amorcé le développement de vastes plans militaires par le Pentagone en 1975 et 1976. Ceux-ci étaient spécifiquement conçus pour exercer des représailles contre l’île qui avait osé défier l’ordre établi.

Ils comprenaient un éventail d’options, allant d’un blocus naval à un bombardement aérien, en passant par une invasion pure et simple. Bien que ces plans n’aient finalement pas été mis en œuvre, ils ont fait l’objet de discussions et de délibérations sérieuses au plus haut niveau du gouvernement des États-Unis. Cela met en évidence les risques très réels auxquels Cuba a été confrontée, et qu’elle a volontairement acceptés, lors de sa défense internationaliste de l’Angola.

Il est important de souligner que Washington a été un rempart inébranlable protégeant le régime de l’apartheid, en particulier sous les présidences de Ronald Reagan et de George H. W. Bush. Chester Crocker, sous-secrétaire d’État aux affaires africaines de 1981 à 1989, a résumé cette position lors d’une discussion avec le correspondant du New York Times, Joseph Lelyveld, en affirmant que « les Blancs sont là pour de bon » et en faisant l’éloge de l’état-major des forces armées sud-africaines en tant que « patriotes modernisateurs ». Il a déclaré que la tâche première de Washington n’était pas « de choisir entre les Noirs et les Blancs, mais de défendre les intérêts occidentaux […] économiques, stratégiques, moraux et politiques ».

Chester Crocker avec le président Ronald Reagan, à la Maison-Blanche

Chester Crocker a ensuite souligné les profondes affinités idéologiques et les liens entre Washington et le régime de l’apartheid, déclarant que, « [h]istoriquement, l’Afrique du Sud fait par nature partie des États-Unis ». Le ministre sud-africain des Affaires étrangères, Roelof Frederik « Pik » Botha, a renforcé ce sentiment après sa visite à Washington en mai 1981, en déclarant qu’il n’y avait jamais eu de gouvernement étatsunien aussi bien disposé à l’égard de l’Afrique du Sud depuis la Seconde Guerre mondiale.

La guerre de terreur menée par l’Afrique du Sud

Pretoria a conclu, surtout après sa défaite de 1975-76 en Angola, que la survie de l’État raciste sud-africain dépendait de sa capacité à affirmer sa domination sur l’ensemble de l’Afrique australe. Cette conviction a été soulignée par le livre blanc sur la défense, rédigé en 1977 sous la direction du Premier ministre Pieter Willem Botha qui affirmait que l’enjeu fondamental était « le droit à l’autodétermination de la nation blanche ». Pour y parvenir, une approche globale était jugée nécessaire, une « stratégie totale » qui s’étendrait à toutes les facettes de la vie sociale et politique.

Cette « stratégie totale » a été définie comme « une action coordonnée et interdépendante dans tous les domaines : militaire, psychologique, économique, politique, sociologique, technologique, diplomatique, idéologique, culturel, etc. ».

Le ministre de la Défense, le général Magnus Malan, a déclaré que l’Afrique du Sud était « impliquée dans une guerre totale ». En conséquence, Pretoria a militarisé l’État sud-africain, le transformant en une arme pour défendre le système raciste et mener une guerre régionale de terreur.

P. W. Botha

Magnus Malan

Le résultat est que la lutte contre l’apartheid s’est déroulée à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Afrique du Sud. De 1975 à 1988, le régime de l’apartheid a cherché à consolider et à étendre sa domination régionale par une campagne brutale de déstabilisation. Les forces armées sud-africaines ont fait payer un lourd tribut en termes humains et financiers. Ces coûts englobent non seulement les dommages directs et les pertes en vies humaines, mais aussi les décès prématurés et le déclin économique anticipé résultant de la destruction des infrastructures, de l’agriculture et des réseaux électriques.

Bien qu’il soit difficile de quantifier avec précision les coûts et les dommages économiques, il ne fait aucun doute qu’ils ont été stupéfiants. Une étude a estimé qu’en 1988, le coût économique total pour les États de la ligne de front dépassait les 45 milliards de dollars. Par exemple, l’Angola a supporté un coût de 22 milliards de dollars, le Mozambique de 12 milliards, la Zambie de 7 milliards et le Zimbabwe de 3 milliards.

Troupes sud-africaines en Angola dans les années 1980

La souffrance humaine au cours de cette période a été stupéfiante. La Commission de la vérité et de la réconciliation en Afrique du Sud a souligné cette triste réalité en déclarant que « le nombre de personnes tuées à l’intérieur des frontières du pays au cours de la lutte de libération était considérablement inférieur à celui des personnes décédées à l’extérieur […] [L]a majorité des victimes des tentatives du gouvernement sud-africain pour se maintenir au pouvoir se trouvaient à l’extérieur de l’Afrique du Sud. Des dizaines de milliers de personnes dans la région sont mortes en conséquence directe ou indirecte des intentions agressives du gouvernement sud-africain à l’égard de ses voisins. La vie et les moyens de subsistance de centaines de milliers d’autres personnes ont été perturbés par le ciblage systématique des infrastructures dans certaines des nations les plus pauvres d’Afrique ».

[Benny Gool / Oryx Multimedia / Desmond Tutu Peace Centre / Britannica]

Entre 1981 et 1988, on estime que 1,5 million de personnes, dont 825 000 enfants, ont tragiquement perdu la vie, directement ou indirectement. Ces pertes sont principalement dues à des insurrections parrainées par Pretoria, notamment l’UNITA en Angola et la ReNaMo (Resistência Nacional Moçambicana) au Mozambique, ainsi qu’à des interventions militaires directes des forces armées sud-africaines.

L’Afrique du Sud a lancé de nombreux bombardements, incursions armées et assassinats dans les pays voisins. Un incident particulièrement connu a été le massacre du 4 mai 1978 dans un camp de réfugiés namibiens situé à Kassinga, dans le sud-ouest de l’Angola. Lors de cette horrible attaque, les forces aériennes et parachutistes sud-africaines ont tué des centaines de personnes et en ont fait prisonniers autant.

[International University Exchange Fund]

Cuito Cuanavale

Dans les années 1987-1988, une série de batailles cruciales se sont déroulées dans les environs de la ville de Cuito Cuanavale, dans le sud-est de l’Angola. À l’époque, cela représentait les plus grandes confrontations militaires en Afrique depuis les conflits nord-africains de la Seconde Guerre mondiale.

D’un côté, les forces armées combinées de Cuba, de l’Angola et de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (South West African People’s Organization / SWAPO). De l’autre, les forces de défense sud-africaines, les unités militaires de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) — qui agissait en tant qu’organisation mandataire de l’Afrique du Sud — et les forces territoriales sud-africaines de Namibie (pays qui était encore, à l’époque, sous l’occupation illégale de Pretoria).

Scène de la bataille de Cuito Cuanavale (représentation d’artiste)
[dasirishkaiser / DeviantArt]

On ne saurait trop insister sur l’importance de Cuito Cuanavale dans la lutte contre l’apartheid.

De novembre 1987 à mars 1988, les forces armées sud-africaines ont tenté à plusieurs reprises de s’emparer de Cuito Cuanavale, sans succès. En Afrique australe, ces batailles sont devenues légendaires. Elles sont souvent considérées comme le tournant de la lutte contre l’apartheid, une défaite décisive pour les forces armées sud-africaines qui a modifié l’équilibre des forces dans la région et préfiguré la fin du régime raciste en Afrique du Sud.

Cuito Cuanavale a efficacement contrecarré les ambitions de Pretoria d’établir une domination régionale, cette dernière constituant une stratégie cruciale pour le maintien et la préservation de l’apartheid. La bataille a directement conduit à l’indépendance de la Namibie et a accéléré le démantèlement de l’apartheid. Elle est souvent comparée à l’équivalent africain de la bataille de Stalingrad pendant la Seconde Guerre mondiale. Le rôle de Cuba dans ce moment charnière a été déterminant, car le pays a fourni des renforts, des ressources et une planification stratégique essentiels.

Représentation d’artiste, au Musée national de Namibie à Windhoek, commémorant la victoire des forces de libération noires soutenues par Cuba lors de la bataille de Cuito Cuanavale

En juillet 1987, les Forces armées populaires pour la libération de l’Angola (FAPLA) lancent une offensive contre l’UNITA, qui sert de substitut à l’État de l’apartheid. Les Cubains ont exprimé de fortes réserves à l’égard de cette opération militaire, estimant qu’elle pourrait donner lieu à une invasion sud-africaine, une crainte qui s’est malheureusement concrétisée. Les forces sud-africaines ont lancé une invasion, réussissant à arrêter et à repousser les troupes angolaises qui avançaient. Celles-ci, après avoir subi d’importantes pertes humaines et matérielles, ont été contraintes de battre rapidement en retraite en direction de Cuito Cuanavale, ville d’importance stratégique et bastion militaire.

Alors que le conflit se concentrait de plus en plus sur Cuito Cuanavale, les forces armées angolaises se sont retrouvées dans une situation extrêmement précaire, leurs unités d’élite étant confrontées à la menace imminente d’une défaite totale. L’existence même de l’Angola était en jeu. Si Cuito Cuanavale tombait aux mains de l’Afrique du Sud, le pays tout entier serait vulnérable aux envahisseurs. Le général angolais Antonio dos Santos a insisté sur l’importance primordiale de défendre la ville, soulignant que si les Sud-Africains l’emportaient à Cuito Cuanavale, « la route sera ouverte vers le nord de l’Angola ».

Déterminée à transformer son premier succès militaire en un coup décisif contre un Angola indépendant, Pretoria a engagé ses meilleures troupes et son équipement militaire le plus avancé dans la prise de Cuito Cuanavale. La situation des troupes angolaises assiégées devenant de plus en plus difficile, le gouvernement angolais a demandé l’aide de La Havane. Le 15 novembre 1987, Cuba a décidé de renforcer ses capacités en envoyant de nouveaux détachements, des armes et du matériel, notamment des chars, de l’artillerie, des armes antiaériennes et des avions. En fin de compte, la présence de troupes cubaines allait dépasser les 50 000 personnes. Il est essentiel de souligner que, pour un pays relativement petit comme Cuba, le déploiement de 50 000 soldats équivaut au déploiement de plus d’un million de soldats par les États-Unis ou de plus de cent mille par le Canada.

Le niveau d’engagement de Cuba n’était rien de moins que monumental. Fidel Castro a explicitement déclaré que la révolution cubaine avait « mis en jeu sa propre existence, risqué une énorme bataille contre l’une des puissances les plus fortes situées dans le tiers monde, contre l’une des puissances les plus riches, avec un développement industriel et technologique important, armée jusqu’aux dents, à une si grande distance de notre petit pays et avec nos propres ressources, nos propres armes. Nous avons même couru le risque d’affaiblir nos défenses, et nous l’avons fait. Nous avons utilisé nos navires et nous seuls, et nous avons utilisé nos équipements pour modifier le rapport de forces, ce qui a rendu possible le succès de cette bataille. Nous avons tout mis en jeu dans cette action […] ».

Des Sud-Africains et des Cubains célèbrent le 30e anniversaire de la bataille de Cuito Cuanavale, à Pretoria le 23 mars 2022.
[Cuba’s Representative Office Abroad]

Pour le gouvernement cubain, empêcher la chute de Cuito Cuanavale était une question de la plus haute importance. Avec une victoire sud-africaine, la ville aurait non seulement été prise et les unités militaires les plus redoutables du pays décimées, mais, selon toute vraisemblance, l’Angola en tant que nation indépendante aurait disparu.

Les dirigeants révolutionnaires cubains ont pris la décision importante d’étendre leurs efforts au-delà de la défense de Cuito Cuanavale. Ils ont choisi de déployer les forces nécessaires et d’exécuter un plan visant à mettre un terme définitif à l’agression sud-africaine contre l’Angola tout en portant un coup décisif au régime raciste.

La défense réussie de Cuito Cuanavale a servi de prélude à une stratégie globale et de grande envergure qui allait remodeler la dynamique du pouvoir régional.

Les tentatives de l’Afrique du Sud pour s’emparer de Cuito Cuanavale se sont heurtées à une formidable résistance de la part des Cubains et des Angolais. Alors que les forces sud-africaines étaient absorbées par leurs efforts à Cuito Cuanavale, les Cubains ont exécuté une brillante manœuvre stratégique. Les Sud-Africains étant bloqués à Cuito Cuanavale, La Havane a déployé à l’ouest, le long de la frontière entre l’Angola et la Namibie, une force importante de 40 000 soldats cubains, soutenus par 30 000 Angolais et 3 000 membres de la SWAPO. En se concentrant sur la prise de Cuito Cuanavale, Pretoria s’est involontairement rendue vulnérable à une importante contre-attaque militaire.

Timbre cubain commémorant la victoire de Cuito Cuanavale

Les Cubains, en collaboration avec les forces angolaises et celles de la SWAPO, ont commencé à avancer vers la Namibie. Cette progression a mis en évidence l’insécurité et la vulnérabilité des troupes sud-africaines stationnées dans le nord de la Namibie. La situation était si précaire qu’un officier sud-africain de haut rang a admis : « Si les Cubains avaient attaqué [la Namibie], ils auraient envahi l’endroit. Nous n’aurions pas pu les arrêter. »

Cette vulnérabilité a été exacerbée par les revers sud-africains de la fin juin 1988 à Calueque et Tchipia, où les forces sud-africaines ont subi des défaites substantielles, décrites par un journal sud-africain comme « une humiliation écrasante ». En outre, Cuba a pris le contrôle du ciel en gagnant la suprématie aérienne. Face à la formidable nouvelle force rassemblée dans le sud de l’Angola et à la perte de leur domination aérienne, les forces sud-africaines se sont retirées de l’Angola.

Paradoxalement, alors que Cuito Cuanavale reste largement négligée et ignorée dans le récit occidental dominant de la fin de l’apartheid, elle a fait l’objet, à l’époque des engagements militaires, d’une vaste couverture dans les journaux occidentaux.

Des articles importants ont été publiés dans ce que l’on appelle souvent les « journaux de référence », notamment le Wall Street Journal, le New York Times, le London Times, le Financial Times et le Washington Post. Ils décrivent la bataille comme un événement déterminant pour l’avenir de la région, la qualifiant de revers majeur pour l’Afrique du Sud qui a eu un impact profond et transformateur sur la dynamique du pouvoir dans la région.

La défaite subie sur le champ de bataille a, en effet, contraint l’Afrique du Sud à s’asseoir à la table des négociations, ce qui a finalement abouti à l’indépendance de la Namibie. En outre, elle a eu un impact profond sur le régime de l’apartheid, accélérant sa disparition en exacerbant les contradictions sociales, politiques et économiques existantes au sein de son État militarisé. Cet événement transformateur a fondamentalement modifié l’équilibre des pouvoirs dans la région.

Victoria Brittain, spécialiste respectée de l’Afrique, a noté que Cuito Cuanavale est devenue « un symbole sur tout le continent, envoyant le signal que l’apartheid et ses forces armées n’étaient plus invincibles ». Dans un important discours prononcé à La Havane en juillet 1991, Nelson Mandela a souligné le rôle central joué par Cuito Cuanavale et Cuba dans la lutte contre le régime de l’apartheid :

« Les internationalistes cubains ont apporté à l’indépendance, à la liberté et à la justice en Afrique une contribution sans précédent par son caractère désintéressé et fondé sur des principes […] Il est sans précédent dans l’histoire de l’Afrique qu’un autre peuple prenne la défense de l’un d’entre nous. La défaite de l’armée de l’apartheid a été une source d’inspiration pour le peuple en lutte en Afrique du Sud ! Sans la défaite de Cuito Cuanavale, nos organisations n’auraient pas été libérées ! La défaite de l’armée raciste à Cuito Cuanavale m’a permis d’être ici aujourd’hui ! »

Nelson Mandela avec Fidel Castro, en 1991
[Associated Press]

Cuito Cuanavale a joué un rôle essentiel dans la fin de l’apartheid. Aux côtés d’événements cruciaux tels que le massacre de Sharpeville, le procès de Rivonia et le soulèvement de Soweto, Cuito Cuanavale constitue l’un des jalons chronologiques les plus importants de la lutte contre l’apartheid.

La participation de Cuba à l’Operación Carlota et à la bataille de Cuito Cuanavale témoigne du pouvoir de la solidarité internationale et de la volonté d’une petite nation de défier les grandes puissances du monde au nom de la justice et de la liberté. C’est l’histoire d’un sacrifice, d’une détermination et de l’impact transformateur d’une action collective sur le cours de l’histoire.

Sources :


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