Comment les fascistes ukrainiens d’avant la Seconde Guerre mondiale ont été les précurseurs des techniques brutales de la terreur — plus tard améliorées par la CIA, aujourd’hui ironiquement enseignées aux descendants

Comment les fascistes ukrainiens
d’avant la Seconde Guerre mondiale
ont été les précurseurs
des techniques brutales de la terreur
— plus tard améliorées par la CIA,
aujourd’hui ironiquement enseignées aux descendants

Le fascisme ukrainien et les États‑Unis
Partie 1

Par Evan Reif

Une publication CovertAction Magazine


Fascisme Extrême droite Propagande Ingérence Guerre Histoire
Ukraine Allemagne URSS Pologne États-Unis Royaume-Uni Occident
Article

Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


« La terreur ne sera pas seulement un moyen d’autodéfense, mais également une forme d’agitation, qui touchera amis et ennemis, qu’ils le désirent ou non. » (UVO, Organisation militaire ukrainienne fasciste, brochure de 1929)

Voici les élèves vedettes de la CIA dans l’art de terroriser les populations : les partisans de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (Organization of Ukrainian Nationalist / OUN) recrutés par la CIA pour lutter contre les Soviétiques.
[Source: Ukrainian Institute of National Memory]

Première partie d’une série de trois sur le fascisme ukrainien et les États-Unis

L’histoire de l’Ukraine est longue et riche. Pendant des millénaires, les régions fertiles de l’Ukraine, avec leur terre noire et leurs mers riches, ont été très disputées. Des Scythes de l’Antiquité aux Varangiens, qui deviendront les Rurukides et les premiers tsars, en passant par les Mongols, l’Hetmanate et la RSS d’Ukraine, il est impossible de comprendre la situation actuelle du pays sans un certain recul historique.

Parmi tous ceux qui ont vécu, combattu et sont morts en Ukraine, un groupe se distingue par son importance pour les événements d’aujourd’hui. Il s’agit des terroristes fascistes, des bandits et des collaborateurs connus sous le nom d’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN).

Je n’ai pas l’intention de présenter ici une histoire complète de l’OUN. Je veux plutôt tirer un fil qui relie directement les terroristes du passé à ceux d’aujourd’hui. Pour cela, la présentation d’un certain contexte est nécessaire.

Le commencement : Konovalets et l’UVO

Logo de l’OUN
[Source: seeklogo.com]

« La terreur ne sera pas seulement un moyen d’autodéfense, mais également une forme d’agitation, qui touchera amis et ennemis, qu’ils le désirent ou non. »

UVO, brochure de 1929

Yevhen Konovalets, ancien lieutenant de l’armée austro-hongroise, a fondé l’OUN en 1929 à Vienne, en Autriche, sur les cendres de son organisation précédente, l’Organisation militaire ukrainienne (UVO). L’UVO est née en 1920 de groupes d’anciens combattants austro-hongrois de droite de la Première Guerre mondiale qui avaient combattu pour la courte République populaire d’Ukraine dans l’entre-deux-guerres. L’UVO opérait principalement en Ukraine occidentale, à l’époque occupée par la Pologne, et menait une vaste campagne terroriste contre les Polonais et les Soviétiques.

Yevhen Konovalets
[Source: Wikimedia Commons]

Ici, par souci d’équité, il convient de mentionner que le régime polonais de l’époque était un gouvernement d’extrême droite qui avait mis en œuvre une série impopulaire de réformes foncières et de lois linguistiques. Cela dit, la réponse génocidaire de l’UVO ne peut être justifiée. L’UVO a attaqué et tué bien plus de civils polonais innocents que de soldats ou de policiers. Le groupe a commis de nombreux attentats à la bombe, des assassinats (réussis ou non) et a même envahi la RSS d’Ukraine en 1921, dans un « raid de libération » qui a finalement échoué.

La même année, Konovalets a entamé une collaboration officielle avec les services secrets allemands, en rencontrant le commandant des services secrets militaires de Weimar, Friedrich Gempp. De 1921 à 1928, l’UVO a reçu plusieurs millions de marks d’aide de l’Allemagne de Weimar. La pression exercée par les gouvernements polonais et soviétique a entraîné le transfert des dirigeants de l’UVO à Berlin, où les services de renseignements de Weimar ont commencé à les former. Après l’arrivée au pouvoir des nazis, rien n’a changé ; Konovalets et l’Abwehr ont poursuivi leur collaboration.

Friedrich Gempp
[Source: Gentleman’s Military Interest Club]

L’UVO considérait le terrorisme comme une partie intégrante de sa lutte, à tel point qu’elle tuait même des nationalistes modérés tels qu’Ivan Babij parce qu’ils n’étaient pas assez extrêmes. Ses membres opéraient principalement comme des bandits, une tactique qu’ils n’abandonneront jamais. Par exemple, en 1922, l’UVO a lancé environ 2 300 attaques contre des fermes polonaises, et seulement 17 contre des militaires et des policiers polonais. L’UVO faisait des raids dans les fermes pour s’approvisionner, tuait les propriétaires et les ouvriers s’ils étaient présents, et brûlait les récoltes lorsqu’elles étaient terminées. Plus tard, des brigades volantes ont été créées pour « exproprier » les propriétés polonaises, se tournant souvent vers le vol de banque pour financer l’organisation.

L’UVO a continué sur la même voie pendant des années, menant des attaques terroristes et des raids de bandits avec plus ou moins de succès (ils ont été presque anéantis par la police polonaise à plusieurs reprises) jusqu’à ce que, en 1929, une fusion de cinq groupes nationalistes ukrainiens conduise à la fondation de l’OUN.

Stepan Bandera prend les choses en main : comment l’OUN a obtenu son B

« L’OUN attache de l’importance à la vie de ses membres, elle y attache une grande importance ; mais, notre idée, dans notre conception, est si grande que lorsque nous parlons de sa réalisation, ce ne sont pas des individus isolés, ni des centaines, mais des millions de victimes qui doivent être sacrifiées pour la réaliser. »

Stepan Bandera

Bandera dans son uniforme Plast
[Source: Wikimedia Commons]

Après la fusion, Konovalets allait céder la place ; des membres plus jeunes et plus radicaux allaient prendre les rênes de l’OUN. L’UVO a continué techniquement d’exister, mais son rôle a été considérablement réduit dans la nouvelle organisation. L’un de ces jeunes leaders était Stepan Bandera. Fils d’un prêtre catholique de Lviv, Bandera était un fasciste de longue date, ayant commencé comme garçon dans le mouvement Plast (un groupe de scouts fascistes) avant de passer à l’OUN.

Il a rapidement gravi les échelons et est devenu chef de la propagande en 1931, avant d’être nommé à la tête de l’exécutif national en 1933.

Il était un fasciste dévoué, mais psychotique, qui se torturait depuis son plus jeune âge pour renforcer sa résistance. C’était un antisémite violent et enragé, un anticommuniste, un anti-hongrois et un anti-polonais. C’était également un revanchard, qui cherchait à récupérer les terres que les Ukrainiens n’avaient pas occupées depuis des siècles, et à les purger de tous les non-Ukrainiens. Bandera a rapidement radicalisé l’OUN et son aptitude a permis à cette organisation de devenir plus importante et plus efficace. Cela est devenu évident en 1934, lorsque l’OUN-B a mené son attaque la plus audacieuse à ce jour, en assassinant le ministre polonais des Affaires étrangères, Bronisław Pieracki, à bout portant avec un pistolet.

Pieracki exposé en chapelle ardente
[Source: Archives nationales polonaises]

Les autorités polonaises ont fini par capturer Bandera et l’ont condamné à mort avec d’autres dirigeants de l’OUN. Cette peine a été commuée en prison à vie, et Bandera est resté incarcéré jusqu’à sa libération en 1939, lorsque les nazis ont envahi la Pologne. On ne sait pas exactement qui l’a libéré, les nazis eux-mêmes ou ses camarades après que ses geôliers ont fui les occupants. Je ne pense pas que la distinction soit importante : sa libération est due à la venue des nazis, même si elle n’est pas directement le fait de ces derniers.

Après sa libération, les nazis ont commencé à préparer l’opération Barbarossa, l’invasion de l’URSS dans laquelle Bandera et l’OUN devaient jouer un rôle majeur.

Sur les instructions des hauts responsables nazis — dont Hitler, le chef de l’Abwehr Wilhelm Canaris et les généraux Wilhelm Keitel et Alfred Jodl —, l’Abwehr a activement employé Bandera et l’OUN à partir de 1940. Le but de cette collaboration n’était pas seulement d’attaquer les Soviétiques, mais aussi de disposer d’une force brutale et efficace pour exercer des représailles et commettre des atrocités contre les civils.

Chars allemands avançant vers un village soviétique pendant l’opération Barbarossa
[Source: Coffee or Die Magazine]

Voici le témoignage du général Erwin von Lahousen au procès de Nuremberg :

COL. AMEN : Pour que le dossier soit parfaitement clair, quelles sont exactement les mesures qui, selon Keitel, avaient déjà été convenues ?

LAHOUSEN : Selon le chef de l’OKW, le bombardement de Varsovie et la fusillade des catégories de personnes que j’ai mentionnées auparavant avaient déjà été convenus.

COL. AMEN : Et quelles étaient-elles ?

LAHOUSEN : Principalement l’intelligentsia polonaise, la noblesse, le clergé et, bien sûr, les Juifs.

COL. AMEN : Qu’est-ce qui a été dit, le cas échéant, sur une éventuelle coopération avec un groupe ukrainien ?

LAHOUSEN : Canaris a reçu l’ordre du chef de l’OKW, qui a déclaré qu’il transmettait une directive qu’il avait apparemment reçue de Ribbentrop, puisqu’il en a parlé à propos des plans politiques du ministre des Affaires étrangères, pour fomenter en Ukraine galicienne un soulèvement visant à l’extermination des Juifs et des Polonais.

COL. AMEN : À quel moment Hitler et Jodl ont-ils participé à cette réunion ?

LAHOUSEN : Hitler et Jodl sont entrés soit après les discussions que je viens de décrire, soit vers la fin de toute la discussion sur ce sujet, lorsque Canaris avait déjà commencé son rapport sur la situation à l’Ouest, c’est-à-dire sur les nouvelles qui étaient arrivées entre-temps et relatives à la réaction de l’armée française au Mur de l’Ouest.

COL. AMEN : Et quelles autres discussions ont eu lieu ensuite ?

LAHOUSEN : Après cette discussion dans la voiture privée du chef de l’OKW, Canaris est descendu et a eu un autre bref entretien avec Ribbentrop, qui, revenant sur le sujet de l’Ukraine, lui a dit une fois de plus que le soulèvement devrait être mis en scène de telle sorte que toutes les fermes et les habitations des Polonais soient incendiées et que tous les Juifs soient tués.

COL. AMEN : Qui a dit ça ?

LAHOUSEN : Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Ribbentrop, a dit cela à Canaris. J’étais à côté de lui.

COL. AMEN : Y a-t-il le moindre doute dans votre esprit à ce sujet ?

LAHOUSEN : Non, je n’ai pas le moindre doute à ce sujet. Je me souviens avec une clarté toute particulière de la formulation quelque peu nouvelle selon laquelle « toutes les fermes et les habitations devraient être incendiées ». Auparavant, il n’avait été question que de « liquidation » et d’« élimination ».

Le colonel Erwin Stolz de l’Abwehr a précisé de qui Lahousen parlait :

« Dans le cadre de l’exécution des instructions susmentionnées de Keitel et Jodl, j’ai contacté des nationaux-socialistes ukrainiens qui faisaient partie du service de renseignement allemand et d’autres membres des groupes fascistes nationalistes, que j’ai enrôlés pour exécuter les tâches telles que décrites précédemment.

En particulier, des instructions ont été données par moi personnellement aux chefs des nationalistes ukrainiens, Melnik (nom de code “Consul I”) et Bandera, pour qu’ils s’organisent dès l’attaque de l’Allemagne contre l’Union soviétique et provoquent des manifestations en Ukraine afin de perturber l’arrière immédiat des armées soviétiques, et aussi pour convaincre l’opinion publique internationale de la prétendue désintégration de l’arrière soviétique.

Nous avons également préparé des groupes spéciaux de diversion par Abwehr II pour des activités subversives dans les républiques baltes de l’Union soviétique. »

Andriy Melnyk
[Source: Wikipedia]

Si la collaboration avec les nazis n’a soulevé aucune objection, l’OUN était profondément divisée sur ce qu’il fallait faire après. Le leader de l’organisation à cette époque, Andriy Melnyk, privilégiait une position plus modérée, en restant plus soumis aux nazis.

Bandera n’était pas d’accord, préférant une position révolutionnaire et une déclaration d’indépendance de l’Ukraine. Le désaccord s’est transformé en un schisme violent, Bandera emmenant les membres les plus radicaux pour former l’OUN-B. Le groupe de Melnyk, diminué par les scissions et désormais attaqué par Bandera, a été rapidement dépassé. L’OUN-M a survécu à la guerre, mais à partir de ce moment, Bandera contrôlait le mouvement fasciste ukrainien en faisant face à peu de dissidence.

Roman Shukhevych
[Source: Wikimedia Commons]

Bientôt, la collaboration avec l’Abwehr allait commencer à porter ses terribles fruits. Sous l’égide du bataillon commando « Brandenburg » de l’Abwehr, mais sous le commandement de l’OUN, deux unités de l’OUN ont été formées, « Roland » et « Nightingale » (« Rossignol »). La seconde était commandée par l’infâme Roman Shukhevych, un meurtrier de masse qui planifiera plus tard certaines des pires atrocités de l’OUN. D’autres forces de l’organisation étaient attachées à des unités de la Wehrmacht et de la Gestapo, servant principalement d’interprètes et de guides. Nightingale et Roland, ainsi que les forces nazies, ont été envoyés à Lviv pour accomplir leur sanglante mission en 1941.

Le rossignol sanglant

« Nous sommes tous des soldats de l’UPA et en particulier tous des combattants clandestins, et je suis conscient que, tôt ou tard, nous devrons mourir dans la lutte contre la force brutale. Mais je vous assure que nous n’aurons pas peur de mourir, car lorsque nous mourrons, nous serons conscients que nous deviendrons un engrais pour la terre ukrainienne. C’est notre terre natale qui a besoin de beaucoup d’engrais pour qu’à l’avenir une nouvelle génération ukrainienne y grandisse, qui achèvera ce que nous n’étions pas destinés à achever. »

Roman Shukhevych

Roman Shukhevych sur un timbre-poste ukrainien
[Source: Wikimedia Commons]

En 1943, Lviv était sous contrôle polonais ou autrichien depuis les années 1300. C’était une ville d’environ 500 000 habitants, dont plus de la moitié étaient des catholiques polonais avec une minorité juive non négligeable de 100 à 160 000 personnes, dont des dizaines de milliers de réfugiés de l’Europe occupée par les nazis. La population ukrainienne représentait environ 20 %. L’OUN n’a pas perdu de temps pour changer cette situation.

Les forces de l’organisation fasciste sont entrées dans la ville avec l’ordre précis d’exterminer les populations juives, polonaises et russes, tâche dont elles s’acquitteront avec aplomb. Le premier sang aura été versé par les interprètes dans les dernières heures du 30 juin. Ils ont eu l’honneur douteux de commettre le premier massacre après la chute de Lviv, à savoir, l’enlèvement, la torture et le meurtre de professeurs polonais soupçonnés d’être antinazis.

À partir de listes établies par l’OUN et mentionnant les personnes à abattre, les forces nazies et ukrainiennes ont arrêté les professeurs et leurs familles, les détenant dans les dortoirs sous la torture pendant des heures. Tous sauf un ont été exécutés, et après leur mort, leurs appartements ont été pillés et occupés par des officiers SS et OUN.

Pour ne pas se laisser distancer, Nightingale s’est mis au travail peu après. Ce qui s’est passé à Lviv à partir du 30 juin 1941 ne doit pas être compris comme un seul massacre, mais plutôt comme une série de massacres qui ont duré plus d’un mois. Nightingale était l’une des deux premières unités à entrer dans Lviv. Accompagné de troupes d’élite nazies de montagne, Nightingale s’est emparé du château situé au sommet de la colline, a établi un quartier général et a commencé à rassembler les Juifs de la région, les obligeant dans un premier temps à débarrasser les rues des corps et des dégâts causés par les bombes. Des meurtres et des pillages aléatoires de maisons et de biens juifs ont accompagné ce travail, la première nuit.

Au matin, les infiltrés, transfuges et sympathisants de l’OUN se sont mobilisés et ont commencé, aux côtés des nazis, la violence systématique contre les Juifs. Dans les jours précédant l’attaque, des tracts de propagande de l’OUN avaient été largement diffusés à Lviv, disant aux habitants :

« Ne jetez pas encore vos armes. Prenez-les. Détruisez l’ennemi. […] Moscou, les Hongrois, les Juifs : ce sont eux vos ennemis. Détruisez-les ! »

Les résidents juifs de Lviv tentent d’échapper au pogrom nazi.
[Source: Wikimedia Commons]

Il semblerait que beaucoup d’entre eux ont pris ce conseil à cœur. Lors du pogrom qui s’en est suivi, les nationalistes ukrainiens ont brutalisé des milliers de Juifs en plein jour dans toute la ville.

Ils ont forcé de nombreuses femmes à descendre dans la rue, où ils les déshabillaient, les violaient et les assassinaient. Les hommes s’en sortaient à peine mieux ; beaucoup étaient sauvagement battus dans les rues à coups de matraques et de poings, tandis que la foule les raillait et leur jetait des ordures. Les reporters nazis ont filmé et photographié la plupart de ces violences au moment où elles se produisaient.

Une société de propagande de la Wehrmacht a, par exemple, pris cette photographie d’un homme de la région en train de battre un Juif dans la rue. Cette image a été utilisée dans les journaux et les films diffusés dans toute l’Allemagne comme preuve que les nazis pouvaient et allaient mettre en œuvre leurs plans d’extermination bien connus et planifiés de longue date. Ce jour-là, entre 2 000 et 5 000 Juifs ont été sauvagement massacrés, pratiquement tous par l’OUN et les forces affiliées.

Juif battu dans les rues
[Source: Wikimedia Commons]

Les Einsatzgruppen1 sont arrivés peu après. C’étaient les tueurs professionnels, l’équipe d’élite des bourreaux fascistes qui ont déjà « nettoyé » d’innombrables villes et villages en Pologne et en URSS.

Allant de porte en porte, les Einsatzgruppen chassaient et trouvaient leurs cibles prioritaires. De manière assez ordonnée, les hommes des Einsatzgruppen les conduisaient vers des fosses creusées au préalable, les forçaient à s’agenouiller et les exécutaient par balle. Ils répétaient ce processus pendant des heures jusqu’à ce qu’environ 3 000 Juifs soient morts. Nightingale, les milices de l’OUN et divers autres collaborateurs fascistes étaient impliqués dans tous les aspects de ce massacre. Faisant office de police, ils aidaient à charger les Juifs dans des camions et les conduisaient jusqu’aux stades où ils étaient exécutés en masse à la mitrailleuse.

Ces opérations d’extermination se poursuivaient pendant des jours, parallèlement au pillage systématique de tout ce qui avait de la valeur dans la population juive. Les comptables nazis de Berlin exigeaient que les personnes asservies soient exploitées économiquement au maximum, allant jusqu’à extraire les plombages de leurs dents, une grande partie de l’argent allant directement aux industriels allemands qui profitaient énormément des programmes nazis de travail et d’extermination.

Tout au long de ce processus, plus de 4 000 personnes ont été tuées, dont beaucoup ont été battues à mort à coups de matraque. La valeur de tout ce qui a été volé aux victimes de ce massacre et de nombreux autres comme celui-ci ne sera jamais connue.

Malheureusement, Nightingale et compagnie n’en ont pas encore terminé.

Les victimes de Nightingale pendant le pogrom de Lviv
[Source: Vintage Everyday]

Le 25 juillet, les forces ukrainiennes ont déclenché un autre pogrom qui a duré environ trois jours. Pendant ces journées Pelitura, appelées ainsi du nom d’un dirigeant ukrainien assassiné, les nationalistes ukrainiens de la campagne ont marché sur Lviv sous le commandement de l’OUN. S’appuyant sur des listes fournies par la police auxiliaire ukrainienne, les forces nationalistes ont traqué ce qui restait de Juifs, de Polonais, de communistes et d’autres « indésirables ».

En trois jours de bain de sang, environ 2 000 personnes ont été assassinées, la plupart découpées à l’aide d’outils agricoles. Ce genre de brutalité demeurera la carte de visite de Shukhevych, et de l’OUN pendant toute son existence.

Lorsque l’Armée rouge a libéré Lviv en 1944, il ne restait plus que 150 000 personnes, dont seulement 800 Juifs. L’OUN, les auxiliaires ukrainiens et les nazis avaient tué les autres ou les avaient arrêtés et déportés au camp de concentration de Belzec. Là, les nazis les avaient tous assassinés dans le cadre de l’« opération Reinhard ». Belzec avait été si efficace que moins d’une douzaine de survivants ont été identifiés.

Du haut du château, les dirigeants de l’OUN n’étaient pas inactifs. Alors que le massacre se poursuivait à Lviv, Yaroslav Stetsko, le commandant en second de l’OUN, originaire de Lviv et fasciste militant, déclarait un gouvernement ukrainien indépendant, aligné sur les nazis. Cela a jeté les bases d’un chapitre plus complexe de l’histoire de l’OUN.

La question de la collaboration

Yaroslav Stetsko
[Source: Internet Encyclopedia of Ukraine, Canadian Institute of Ukrainian Studies]

« Le nouvel État ukrainien collaborera étroitement avec la Grande Allemagne national-socialiste, sous la direction de son leader Adolf Hitler qui forme un nouvel ordre en Europe et dans le monde et aide le peuple ukrainien à se libérer de l’occupation moscovite.

L’armée révolutionnaire du peuple ukrainien, qui a été formée sur les terres ukrainiennes, continuera à se battre avec l’armée allemande alliée contre l’occupation moscovite pour un État souverain et uni et un nouvel ordre dans le monde entier.

Vive l’Ukraine souveraine et unie ! Vive l’Organisation des nationalistes ukrainiens ! Vive le leader de l’Organisation des nationalistes ukrainiens et du peuple ukrainien, STEPAN BANDERA. GLOIRE À L’UKRAINE ! »

Yaroslav Stetsko, extrait de l’« Acte de restauration de l’État ukrainien »

Avec cela, les nationalistes vont rétorquer : Bandera a été arrêté ! Il est allé dans les camps ! Il n’était pas un fasciste ni un nazi ! L’OUN a combattu les nazis !

Heil Hitler ! Heil Bandera !
Sur la porte centrale d’une ville à l’extérieur de Lviv
[Source: Wikimedia Commons]

Je ne trouve pas ces arguments convaincants pour un certain nombre de raisons. Premièrement, Bandera et l’OUN peuvent être considérés comme des fascistes à part entière. Ils étaient violemment et militairement antisémites, anti-polonais, anticommunistes et ethnonationalistes. Même s’ils n’avaient pas été des collaborateurs des nazis, leurs terribles atrocités auraient quand même laissé une marque noire permanente sur leur réputation.

La plus choquante de ces raisons est sans doute celle de Volyna, une campagne de nettoyage ethnique menée au cours de deux années de combats entre les forces polonaises et celles de l’OUN, qui a atteint son paroxysme avec le « dimanche sanglant ». Le 11 juillet 1943, une attaque a été lancée par Roman Shukhevych sur une centaine de colonies polonaises simultanément. L’UPA a assassiné ce jour-là quelque 8 000 civils polonais, dont beaucoup ont été abattus ou brûlés vifs à l’intérieur de leurs églises alors qu’ils assistaient à la messe. L’UPA s’est ensuite déployée dans les campagnes pour traquer et tuer — à coups de hache, de marteau et de couteau — tous ceux qui s’étaient échappés. L’OUN a continué à massacrer la population locale pendant plus de deux ans, faisant environ 100 000 morts, pour la plupart des femmes et des enfants.

Restes exhumés de victimes de l’OUN, Pologne, années 1990
[Source: Kresy.pl]

Moshe Maltz
[Source: Geni.com]

Ce type de brutalité était très caractéristique de l’OUN. Moshe Maltz, un Juif ukrainien qui se cachait des bandéristes, l’a noté dans son journal, publié plus tard dans ses mémoires :

« Les hommes de Bandera […] ne font pas de discrimination quant aux personnes qu’ils tuent ; ils abattent les populations de villages entiers. […] Comme il ne reste pratiquement plus de Juifs à tuer, les gangs de Bandera se sont tournés vers les Polonais. Ils découpent littéralement les Polonais en morceaux. Tous les jours […] on peut voir des corps de Polonais, avec des fils autour du cou, flottant sur la rivière Bug. »

L’OUN n’a donc pas besoin d’Hitler pour se faire mal voir. En second lieu, ils étaient des collaborateurs nazis.

Plusieurs mois après la déclaration d’indépendance, que les nazis n’ont pas acceptée, les tensions sont montées à un tel point que les nazis ont arrêté Bandera, Stetsko et d’autres dirigeants. Après une période d’assignation à résidence, ils ont été transférés au camp de concentration de Sachsenhausen, en 1943.

Le séjour de Bandera n’était cependant pas typique de ce genre de situation. Bandera disposait d’une suite de deux pièces avec des tableaux et des tapis, était autorisé à avoir des visites conjugales avec sa femme, n’effectuait aucun travail forcé, ne portait pas d’uniforme, était dispensé de l’appel, mangeait avec les gardes et on ne verrouillait pas la porte de sa cellule la nuit.

Les nazis ont libéré Bandera en 1944 après une rencontre avec Otto Skorzeny, le plus important commando d’Hitler, afin de mener une campagne de terrorisme contre l’avancée de l’Armée rouge. Les nazis auraient pu tuer Bandera et Stetsko à tout moment dans l’intervalle, mais ils ne l’ont pas fait. Au contraire, ils ont déployé des efforts considérables et fructueux pour les recruter.

Si l’OUN a pris des mesures contre les nazis, elle ne l’a fait que brièvement et sans conviction. En 1942, il n’y avait pratiquement aucun combat.

Au début de l’année 1943, la situation a changé et des affrontements ont eu lieu en Ukraine occidentale. Fidèles à leur réputation de bandits, les membres de l’OUN attaquaient principalement des fermes et des petits villages, brûlant et tuant sur leur passage. La plupart de ces attaques, menées avec la brutalité typique de cette organisation fasciste, ont fait plus de victimes civiles que militaires.

Au cours de l’année, l’OUN a tué environ 12 000 « Allemands ». Seuls 700 à 1 000 d’entre eux appartenaient à la Wehrmacht ; les autres étaient des civils, soit dans l’administration nazie, soit simplement des fermiers et des paysans dans le territoire sous contrôle nazi. En effet, selon les rapports des partisans soviétiques de l’époque, l’OUN ne s’engageait avec les soldats nazis qu’en cas de nécessité : « Les nationalistes ne s’engagent pas dans des activités de sabotage ; ils ne s’engagent dans la bataille contre les Allemands que lorsque les Allemands se moquent de la population ukrainienne ou lorsque les Allemands les attaquent. »

Les nazis, qui prévoyaient d’exterminer les deux groupes à terme, allaient tirer parti de la situation en transférant des unités de collaborateurs polonais dans la région. Celles-ci, ainsi que les auxiliaires hongrois, ont mené l’essentiel des combats contre l’OUN.

Cependant, la victoire soviétique à Stalingrad effrayait à la fois les nazis et l’OUN, ce qui a obligé à négocier et à faire baisser la tension. Lors de leur troisième conseil, fin 1943, les dirigeants de l’OUN ont réaffirmé que les Soviétiques étaient leur principal ennemi et ont mis fin aux efforts actifs contre les nazis. Quelques escarmouches entre les nazis et l’OUN allaient se poursuivre jusqu’en 1944, mais il ne s’agissait plus de combats importants.

Citons l’historien Russ Bellant :

« En 1943, sous le parrainage de l’Allemagne, l’Organisation des nationalistes ukrainiens a constitué une force multinationale pour combattre au nom de l’armée allemande en retraite. Après la bataille de Stalingrad en 1943, les Allemands ont ressenti un besoin accru d’obtenir davantage d’alliés, et c’est ainsi que la Garde de fer roumaine, le Parti des Croix fléchées hongrois, l’Organisation des nationalistes ukrainiens et d’autres groupes ayant des formations militaires en place pour les aider se sont réunis et ont formé un front uni appelé Comité des nations subjuguées et ont à nouveau travaillé pour le compte de l’armée allemande. En 1946, ils l’ont rebaptisé Bloc des nations anti-bolcheviques (Anti-Bolshevik Bloc of Nations / ABN). Stetsko en a été le chef jusqu’à sa mort en 1986. »

Police auxiliaire ukrainienne exécutant une mère et son enfant à Miropol, URSS, en 1941
[Source: Security Services Archive, Prague]

Il est tentant de penser que l’OUN n’était constituée que de ses dirigeants, mais la réalité est que cette organisation a toujours été composée de milliers de combattants de base, pour la plupart anonymes. Nombre d’entre eux passaient des milices nationalistes aux nazis, et vice-versa.

Ce sont ces unités de « police » qui ont accompli la plupart des tâches difficiles de ce que les nazis appelaient la « guerre de sécurité ». Ce n’était guère plus qu’un euphémisme pour désigner la terreur et le meurtre de masse de tous ceux qui s’opposaient au régime nazi. Les unités de commando de l’Abwehr offraient également un autre moyen de collaboration aux combattants de l’OUN et étaient presque entièrement utilisées pour pacifier les mouvements de résistance.

La tristement célèbre division SS Galicia a également été formée en 1943, et les chevauchements entre cette division et l’OUN étaient nombreux. Malgré les multiples tentatives de blanchiment de sa réputation, Galicia était aussi criminelle que l’on pouvait s’y attendre de la part de SS. Les marches et les monuments en l’honneur de cette unité SS sont courants aujourd’hui en Ukraine occidentale.

Fascistes ukrainiens défilant sous le logo de la division SS Galicia, en 2018
[Source: РИА Новости / Павел ПаламарчукПерейти в фотобанк]

« L’Ukraine russe ne peut être comparée à la Galicie autrichienne […] Les ruthéniens autrichiens-galiciens sont étroitement liés à l’État autrichien. Par conséquent, en Galicie, il est possible de permettre aux SS de former une division à partir de la population locale. »

Adolf Hitler, 1942

Leonid Kravchuk
[Source: Wikimedia Commons]

La plupart de ces débats sont toutefois inutiles, car les Ukrainiens eux-mêmes ont réglé cette question de manière décisive en 1993. Sous la direction du gouvernement ukrainien, dirigé par le président de l’époque Leonid Kravchuk, le SBU (la sécurité d’État ukrainienne) a reçu l’ordre d’enquêter sur l’étendue de la collaboration de l’OUN avec les nazis. Kravchuk avait l’intention d’entamer la réhabilitation de l’OUN et souhaitait obtenir une justification historique pour le faire.

Il ne l’obtiendra pas.

Les conclusions sont les suivantes :

« Les archives contiennent des matériaux, des documents trophées de l’OUN-UPA et des services spéciaux allemands, qui ne témoignent que d’escarmouches mineures entre les unités de l’UPA et les Allemands en 1943. Aucune opération offensive ou défensive significative, aucune bataille à grande échelle n’ont été enregistrées dans ces documents. La tactique de la lutte des unités de l’UPA avec les Allemands à cette période se réduisait à des attaques de postes, de petites unités militaires, à la défense de leurs bases, à des embuscades sur la route. »

Le service de Sécurité de l’Ukraine, « Sur les activités de l’OUN-UPA », 7/03/1993

Comme je l’ai souligné précédemment, il n’y a eu aucun combat en 1942 ; et, en 1944, l’OUN a officiellement mis fin à la lutte armée contre les nazis. Par conséquent, puisque l’OUN n’a pratiquement pas combattu les nazis en 1943, cela signifie qu’elle n’a pratiquement pas combattu les nazis du tout.

À la lumière de ces éléments, l’ancien humoriste Zelensky a peut-être besoin de meilleures blagues.

Le trident et le glaive

« L’ABN était le meilleur service de tueurs à gages dont vous ayez jamais entendu parler. »

L. Fletcher Prouty, chef des opérations spéciales pour les chefs d’état-major sous Kennedy

Bandera et l’OUN sont restés les serviteurs des nazis jusqu’à la fin de la guerre. La preuve la plus évidente en est que Yaroslav Stetsko se trouvait dans un convoi nazi que les forces américaines ont mitraillé en 1945, ce qui a failli lui coûter la vie.

L’OUN a continué à mener des attaques terroristes dans l’ouest de l’Ukraine jusque dans les années 1950, sous une forme ou une autre ; cependant, selon le KGB, l’OUN était incapable de compenser les pertes. Entre cela et les mesures actives prises à son encontre, l’OUN a été brisée en tant qu’organisation de combat vers 1954.

La mort de Roman Shukhevych lors d’un raid des forces soviétiques en 1950 a représenté un coup dur pour l’UPA, dont elle n’a pu se remettre.

L’OUN avait désespérément besoin de nouveaux mécènes, et elle n’a pas tardé à en trouver. En 1944, l’OUN et d’autres groupes nationalistes ont formé le Conseil suprême de libération de l’Ukraine (UHVR). Ses membres étaient les suspects habituels des organisations affiliées à l’OUN. Le président était Ivan Hrinioch, un ancien aumônier de Nightingale.

Le ministre des Affaires étrangères était Mykola Lebed, chef de la tristement célèbre police secrète de l’OUN et un homme que l’armée des États-Unis a qualifié de « sadique bien connu et collaborateur des Allemands » (il deviendra plus tard un collaborateur de la CIA).

Mykola Lebed, connu de la CIA sous les noms de code
« Uncle Louie » (« Oncle Louie ») et « Devil » (« Diable » ou « Démon »)
[Source: Internet Encyclopedia of Ukraine, Canadian Institute of Ukrainian Studies]

Ces deux-là, ainsi que l’agent de liaison de l’UPA, Yuri Lopatinski, se sont rendus en mission au Vatican la même année, afin d’obtenir le soutien des gouvernements occidentaux. On ne sait pas exactement ce qui est ressorti de cette rencontre, mais il est prouvé que les Britanniques ont commencé à soutenir le groupe à peu près à cette époque.

Comme il l’avait fait avec l’OUN auparavant, Bandera allait rapidement provoquer un violent schisme au sein de l’UHVR. Cela a eu lieu en 1947, sur la question de l’Ukraine orientale, entre Bandera/Stetsko d’un côté et Lebed/Hrinioch de l’autre. L’Ukraine orientale est majoritairement russe, et elle a toujours été un point faible majeur pour l’OUN violemment anti-russe.

Bandera insistait non seulement sur une dictature à parti unique (qu’il dirigerait), mais aussi sur un État ethnique ukrainien pur, purgé de toute influence russe. Lebed et Hrinioch, de leur côté, pensaient que pour que le mouvement réussisse, il était nécessaire d’inclure les Ukrainiens de l’Est.

Pour cette raison, Bandera les a expulsés en 1948. Cela a finalement entraîné la chute de Bandera, dans la mesure où cela a conduit la CIA à considérer qu’il était beaucoup trop extrémiste et trop peu disposé à faire des compromis pour être un agent utile.

Bandera jouissait d’un grand prestige dans la clandestinité fasciste, mais ses années d’attaques violentes contre ses rivaux ont fait que beaucoup n’allaient plus jamais travailler avec lui. La CIA souhaitait un front uni et comprenait que cela ne pouvait pas se faire avec Bandera aux commandes.

Il existe encore quelques lacunes dans la chronologie du début de l’après-guerre. Cependant, les récentes déclassifications de documents ont permis de mieux comprendre le rôle de Bandera et de l’OUN en tant qu’agents de la CIA et de l’Occident.

Plaque commémorative de l’ancien domicile de Yaroslav Stetsko à Munich
[Source: Wikimedia Commons]

Ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est ceci.

Très vite après la guerre, le contre-espionnage de l’armée des États-Unis a trouvé Bandera se cachant des Soviétiques dans la zone d’occupation américaine. Nous le savons grâce à des documents déclassifiés du KGB détaillant une opération spéciale ratée pour kidnapper Bandera en 1946. Cette opération n’a été tentée qu’après une année de négociations infructueuses pour obtenir l’extradition de Bandera pour ses crimes.

Bandera vivait, depuis au moins 1946, à Munich. Il y travaillait sous la protection de — et en étroite collaboration avec — Reinhard Gehlen, le chef de réseau d’espionnage nazi devenu agent de la CIA et futur chef des services secrets ouest-allemands.

Gehlen était un nazi totalement impénitent ; il exploitait secrètement les tristement célèbres « ratlines » qui aidaient d’innombrables nazis à échapper à la justice des pays alliés des États-Unis. Il le faisait avec le soutien total de la CIA, qui cherchait à utiliser ces hommes comme des atouts. Pour la seule année 1946, Gehlen a été payé environ 3,5 millions de dollars et a employé 50 personnes, dont 40 anciens SS. Parmi les personnes que Gehlen a aidées à s’échapper, figuraient Adolf Eichmann et Otto Skorzeny.

Au début, Bandera et l’OUN (en fait, le SB, la police secrète formée par Lebed) travaillaient comme assassins pour le MI6 à l’intérieur des camps de personnes déplacées. Le SB ciblait les communistes, les fascistes rivaux et tous ceux qui en savaient trop sur le passé sanglant de l’OUN. Des milliers de réfugiés ont trouvé la mort aux mains de l’OUN dans ce que l’Occident a appelé l’« opération Ohio ». Les membres du SB ont acquis une réputation de tueurs à gages redoutablement efficaces, et c’est là que Lebed a gagné son nom de code « Devil ».

En 1946, Bandera et Stetsko ont fondé à Munich le Bloc des nations antibolcheviques (ABN). Sorte d’internationale fasciste, celui-ci réunit des groupes terroristes anticommunistes d’extrême droite du monde entier en un seul front bien financé. Yaroslav Stetsko en était le chef ; cependant, son amitié étroite avec Bandera signifiait qu’il n’était pas acceptable pour la CIA à cette époque.

Gehlen et son équipe visitent un camp de prisonniers de guerre russes à la recherche de recrues pour la prétendue Armée de libération russe.
[Source: Ullstein Bild]

Bandera a eu quelques contacts initiaux avec l’OSS (Office of Strategic Services / Bureau des services stratégiques), le précurseur de la CIA ; mais, les responsables du bureau en sont rapidement venus à considérer le personnage comme beaucoup trop extrême, dangereux sur le plan opérationnel (il refusait souvent d’utiliser des communications cryptées) et récalcitrant. Par conséquent, Bandera travaillait principalement avec le MI6, tandis que la CIA soutenait Lebed. La situation entre les deux est devenue si tendue que la CIA est intervenue pour forcer le MI6 à abandonner Bandera en tant qu’agent en 1954.

Il a été écarté de la direction de l’organisation lors de la conférence de l’OUN de cette année-là, pour être remplacé par des « réformistes ». Cela dit, la CIA et les Allemands ont également protégé Bandera contre plusieurs tentatives d’assassinat. À plusieurs reprises, il a été gardé soit par des Américains du CIC de l’armée, soit par les voyous SS de Gehlen. À une occasion au moins, la CIA a transmis par radio des informations confidentielles à la police ouest-allemande afin de protéger Bandera. Si elle n’était plus disposée à soutenir Bandera de tout son poids, elle ne voulait pas non plus qu’il devienne un martyr.

L’objectif de la CIA ne sera pas atteint. À partir de 1954, la stratégie semble avoir été simplement d’affamer la bête. Les Américains voulaient que Bandera parte, l’idée étant qu’il soit écarté de la direction et coupé de tout financement ; la carrière de Bandera s’étiolerait et mourrait tout simplement. D’une manière ou d’une autre, Bandera continuera à travailler pour Gehlen jusqu’à la fin de sa vie, mais son rôle et son profil ont été intentionnellement diminués. Pendant tout ce temps, le KGB n’a jamais abandonné. Depuis la fin de la guerre, il a demandé de manière répétée aux Américains d’extrader Bandera en tant que criminel de guerre, mais s’est heurté à un refus catégorique. Par conséquent, le KGB a attenté à la vie de Bandera à plusieurs reprises. Nous savons que ces tentatives ont échoué en 1947, 1948, 1952 et 1959.

Bohdan Stashynsky
[Source: Wikipedia]

Une seconde tentative en 1959 a finalement réussi. Le 15 octobre, l’agent du KGB Bohdan Stashynsky a pénétré subrepticement dans le domicile de Bandera à Munich et lui a tiré au visage à l’aide d’un pistolet à poison spécialement conçu.

Bandera s’est effondré, saignant de la bouche, et s’est fracturé la base du crâne dans des escaliers. Dans un premier temps, la cause de la mort a été attribuée à un accident vasculaire cérébral, résultant d’une chute. Une enquête plus approfondie a révélé des traces de cyanure de potassium dans l’organisme ; cependant, jusqu’à la défection et l’arrestation de Stashynsky en 1961, on ne savait pas qui avait empoisonné Bandera. L’un des principaux suspects était Theodor Oberländer, un politicien ouest-allemand et ancien nazi qui avait servi de responsable politique pour Nightingale en 1941.

Bandera étant marginalisé puis mort, les restrictions de la CIA à l’encontre de l’ABN ont été levées, et Yaroslav Stetsko jouait un rôle actif beaucoup plus important en tant que collaborateur de l’Agence. Il excellera dans ce domaine jusqu’à la fin de sa vie.

 

25e célébration de la Semaine des nations captives et 40e anniversaire de l’ABN
Le vice-président George H. W. Bush et Yaroslav Stetsko, ancien Premier ministre de l’Ukraine, Washington, DC, 1983
[Source: Bandera Lobby Blog]

« À l’Honorable Yaroslav Stetsko, avec Toutes mes amitiés, George Bush »
[Source: Bandera Lobby Blog]
*

Dans de futurs articles, je développerai l’histoire entre Stetsko et la CIA, au moins jusqu’aux événements du coup d’État de Maïdan, où un lien est clairement établi.

Le fascisme ukrainien et les États-Unis
par Evan Reif

  1. Comment les fascistes ukrainiens d’avant la Seconde Guerre mondiale ont été les précurseurs des techniques brutales de la terreur — plus tard améliorées par la CIA, aujourd’hui ironiquement enseignées aux descendants
  2. Comment les monstres qui ont massacré des Juifs en 1944 sont devenus les « combattants de la liberté » préférés de l’Amérique en 1945 — avec un petit coup de pouce de leurs amis à la CIA
  3. Ce que le gouvernement des États-Unis et le New York Times ont discrètement convenu de ne pas vous dire à propos de l’Ukraine

Sources :


Sources des photographies et illustrations dans le texte :
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  1. Les Einsatzgruppen (pluriel de Einsatzgruppe, littéralement « groupes d’intervention ») étaient les unités mobiles d’extermination du IIIe Reich allemand. (NdT) 

 

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