Une présentation du lobby israélien, qui a fait l’objet d’une fuite, exhorte les représentants des États-Unis à justifier la guerre contre Gaza par des allégations sur les « viols du Hamas »

Une présentation du lobby israélien,
qui a fait l’objet d’une fuite,
exhorte les représentants des États‑Unis
à justifier la guerre contre Gaza
par des allégations sur les « viols du Hamas »

Par Max Blumenthal

Une publication The Grayzone


Lobbying Propagande Terrorisme Droits de l’homme
Palestine Israël États-Unis
Article

Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


The Grayzone a obtenu les slides d’une présentation confidentielle du lobby israélien basée sur les données du sondeur d’opinion républicain, Frank Luntz. Les documents contiennent des sujets de discussion pour les politiciens et les personnalités publiques qui cherchent à justifier l’assaut d’Israël sur la bande de Gaza.

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Deux groupes de pression pro-israéliens importants organisent des séances d’information privées à New York pour apprendre aux élus et aux personnalités connues comment influencer l’opinion publique en faveur de la campagne militaire israélienne à Gaza, comme le révèle The Grayzone. Ces séances de relations publiques, organisées par l’UJA-Federation et le Jewish Community Relations Council, s’appuient sur des données recueillies par Frank Luntz, un sondeur d’opinion républicain chevronné.

Une source présente lors de plusieurs réunions a fourni les slides de Luntz à The Grayzone. Elle a précisé que les participants avaient été informés que les présentations et les données contenues dans les documents étaient strictement confidentielles.

« Ce n’est PAS utile », a déclaré Luntz en réponse à un courriel de The Grayzone lui demandant de commenter ces réunions privées.

Les présentations éprouvées par Luntz sur la guerre à Gaza exhortent les hommes politiques à ne pas claironner les valeurs démocratiques que l’Amérique est censée partager avec Israël, mais plutôt à se concentrer sur le « langage de la guerre avec le Hamas ». Selon ce cadrage, un langage incendiaire doit être déployé pour dépeindre le Hamas comme une « organisation de haine […] brutale et sauvage » qui a « violé des femmes », tout en insistant sur le fait qu’Israël est engagé dans « une guerre pour l’humanité ».

Sur son site web personnel, Luntz se présente comme « l’un des professionnels de la communication les plus honorés de l’Amérique d’aujourd’hui ». Il a gagné une petite fortune en élaborant des sujets de discussion pour des poids lourds du parti républicain et des entreprises clientes entachées de scandales, comme Enron, la société d’énergie qui s’est effondrée après avoir provoqué la crise énergétique en Californie. À la suite du krach financier de 2008-2009, Luntz a conseillé le Parti républicain sur la manière de protéger d’un examen minutieux ses donateurs des grandes entreprises. À peu près au même moment, il a fourni à l’Association républicaine des gouverneurs des conseils pour saper Occupy Wall Street, le mouvement qui demande des comptes sur les malversations du secteur bancaire.

Le célèbre sondeur d’opinion du Parti républicain a eu un second emploi en tant que consultant pour le lobby israélien, produisant un « Dictionnaire de la langue mondiale » pour l’ancien Projet Israël, à la suite de l’attaque brutale de 2008-2009 contre Gaza et connue sous le nom d’opération « Plomb durci ». Dans son manuel de propagande, Luntz conseille aux « leaders qui sont en première ligne pour mener la guerre médiatique en faveur d’Israël » d’éviter les débats liés à l’occupation illégale de la Palestine.

« Évitez de parler des frontières en termes d’avant ou d’après 1967 », a-t-il conseillé, « car cela ne fait que rappeler aux Américains l’histoire militaire d’Israël. En particulier à gauche, cela vous fait du tort ».

Frank Luntz : « #Thanksgiving avec les meilleurs d’Israël.
J’ai eu la chance d’être invité à me joindre à 60 des personnes les plus héroïques que j’ai jamais rencontrées.
Je leur ai offert un dîner… Et ils m’ont appris le sens du service désintéressé. »

La présentation de Luntz sur la guerre de Gaza remet ses tactiques éprouvées par les sondages entre les mains du lobby israélien, en exhortant les personnalités pro-israéliennes à rester sur l’attaque avec un langage incendiaire et des allégations choquantes à l’encontre de leurs ennemis.

Dans un groupe de discussion, Luntz a demandé aux participants d’indiquer quel acte prétendument commis par le Hamas le 7 octobre « vous dérange le plus ». Après avoir reçu une liste d’atrocités présumées, une majorité a déclaré qu’elle était plus bouleversée par l’affirmation selon laquelle le Hamas avait « violé des civils » — 19 % par rapport à ceux qui ont exprimé leur indignation quant au fait que le Hamas avait prétendument « exterminé des civils ».

De telles données ont apparemment influencé le gouvernement israélien à lancer une campagne obsessionnelle, mais toujours infructueuse, pour prouver que le Hamas avait commis des agressions sexuelles de manière systématique le 7 octobre. Lancée à la mission israélienne auprès des Nations unies en décembre 2023, avec des discours de l’oligarque néolibérale du secteur des technologies, Sheryl Sandberg, et de l’ancienne secrétaire d’État US, Hillary Clinton, qui a reçu des centaines de milliers de dollars en dons et en honoraires de la part d’organisations du lobby israélien, la campagne de propagande de Tel-Aviv n’a pas encore produit une seule victime d’agression sexuelle du Hamas qui se soit identifiée comme telle. Le rapport du 5 mars de la représentante spéciale des Nations unies pour les violences sexuelles, Pramila Patten, ne contient pas un seul témoignage direct d’agression sexuelle commise le 7 octobre. De plus, l’équipe de Patten a déclaré n’avoir trouvé « aucune preuve numérique décrivant spécifiquement des actes de violence sexuelle ».

Pour renforcer la diabolisation des Palestiniens, les slides réalisés par Luntz conseillent que « la meilleure réponse d’Israël est que les enfants du Hamas, qui ont subi un lavage de cerveau, crachent de la haine contre les Juifs (encore plus qu’ils ne condamnent les Israéliens) avec des mots dont ils ne connaissent pas le sens et qu’ils ne peuvent même pas prononcer ».

Le fait de dépeindre des jeunes de Gaza comme des outils ignorants et manipulés par le Hamas vise clairement à détourner l’attention du massacre industriel, perpétré par Israël, de quelque 15 000 enfants dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre ; cette représentation vise clairement à détourner l’attention des blessures et de la famine subies par d’innombrables autres personnes dans le territoire assiégé ; elle vise clairement à détourner l’attention des enfants rendus orphelins.

Pour que leurs arguments tiennent la route, Luntz recommande aux forces pro-israéliennes d’éviter le langage génocidaire privilégié par les responsables israéliens qui ont appelé, par exemple, à « effacer » (« erase ») la population de Gaza, et de préconiser plutôt « une approche efficace et effective » pour éliminer le Hamas.

Dans le même temps, le sondeur d’opinion expérimenté reconnaît que les électeurs républicains préfèrent les expressions qui impliquent une violence maximaliste, comme « éradiquer » (« eradicate ») et « anéantir » (« obliterate »), tandis que les termes plus aseptisés comme « neutraliser » (« neutralize ») plaisent davantage aux démocrates. Les candidats républicains à la présidence, Nikki Haley et Donald Trump, ont fait preuve d’une rhétorique similaire en appelant à « en finir avec eux » (« finish them ») et à « en finir avec le problème » (« finish the problem ») à Gaza.

Comme lors des précédents séminaires sur le lobby israélien, Luntz a exhorté les forces pro-israéliennes à se détourner des arguments sur l’occupation militaire du territoire palestinien par Israël, en déployant plutôt des slogans plus ordinaires tels que « les Israéliens ont le droit de se défendre ».

« Il s’agit des Israéliens », explique un slide, « pas du territoire ».

Selon l’étude du sondeur d’opinion, les politiciens pro-israéliens devraient éviter toute référence à « Israël » et parler plutôt des « Israéliens » lorsqu’ils « établissent le contexte » d’un débat sur la guerre à Gaza.

La modification recommandée fait allusion à la crise de relations publiques à laquelle les forces israéliennes de lobbying sont confrontées depuis que l’armée a assiégé et envahi Gaza, laissant la plupart des habitants sans abri, mettant l’ensemble du système de santé publique et d’assainissement hors service, et exterminant plus de 2 % de la population totale selon des estimations prudentes du nombre de morts.

Un slide montre que seule une petite partie des personnes interrogées par Luntz adhère au mantra du gouvernement israélien selon lequel « le Hamas, c’est ISIS ». Le même support visuel conseille aux responsables pro-israéliens d’éviter les expressions « précision fidèle » (« genuine accuracy ») et « preuves tangibles » (« hard evidence »), et de faire plutôt allusion de façon plus générale à « la vérité » (« the truth »), lorsqu’ils discutent des actions d’Israël.

Luntz reconnaît les problèmes croissants de relations publiques d’Israël dans un slide identifiant les tactiques les plus puissantes employées par ceux qui militent en faveur de la solidarité avec la Palestine. « Les Israéliens qui attaquent Israël sont la deuxième arme la plus puissante contre Israël », peut-on lire à côté d’une photo d’une manifestation de Jewish Voices for Peace, une organisation juive basée aux États-Unis dont l’objectif est de mettre fin à l’occupation de la Palestine par Israël.

Selon Luntz, « la tactique la plus puissante » pour mobiliser l’opposition à l’assaut d’Israël sur Gaza « est la destruction visible de Gaza et le bilan humain ». Le slide reconnaît par inadvertance la cruauté des bombardements israéliens sur Gaza, en montrant un immeuble de logements bombardé et, au premier plan, des femmes et des enfants manifestement angoissés qui s’enfuient.

Mais, Luntz assure à son auditoire que « cela “ressemble à un génocide” même si les dégâts n’ont rien à voir avec la définition ».

Selon cette logique, le public américain peut devenir plus tolérant à l’égard de crimes contre l’humanité abondamment documentés si on lui dit simplement de ne pas croire ses yeux qui lui mentent.

Opération « Déluge d’Al-Aqsa » (7 octobre 2023)

 

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