Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Le Procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé lundi qu’il demandait des mandats d’arrêt contre deux hauts dirigeants israéliens pour des crimes commis dans la bande de Gaza.
Karim Khan a déclaré qu’il avait « de bonnes raisons de penser que la responsabilité pénale » du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et du ministre de la Défense Yoav Gallant « est engagée » pour un certain nombre de crimes internationaux commis depuis le 8 octobre, notamment la famine comme arme de guerre, l’homicide intentionnel, les attaques intentionnelles contre des civils, l’extermination, la persécution et d’autres crimes contre l’humanité.
Cette décision, qui n’a que trop tardé, est aussi contrariante que capitale.
S’il est vrai que le bouclier d’immunité et d’impunité d’Israël est enfin brisé, Khan a également accusé plusieurs dirigeants du Hamas, le mouvement de résistance palestinien, de divers crimes.
Il affirme que le chef du Politburo du Hamas, Ismaël Haniyeh, son chef à Gaza, Yahya Sinwar, et le chef de sa branche militaire, Mohammed Deïf, sont responsables de crimes tels que l’extermination, le meurtre, la prise d’otages, la torture et le viol.
La nature politique des accusations portées contre les dirigeants du Hamas ressort clairement du fait que Khan a inculpé plus de Palestiniens que d’Israéliens.
Un point de vue cynique pourrait être qu’il n’a inculpé que les deux dirigeants israéliens que Washington veut voir disparaître, tout en laissant d’innombrables autres responsables politiques et militaires israéliens s’en tirer — du moins pour l’instant.
De plus, Khan a inclus les accusations de viol et de violence sexuelle, donnant ainsi du crédit à la propagande sur les atrocités qui a été complètement débunkée et pour laquelle Israël n’a présenté aucune preuve crédible.
Il est remarquable de constater qu’alors que le Procureur de la CPI a explicitement accusé les dirigeants palestiniens de « torture », ce mot n’apparaît même pas dans les accusations portées contre Netanyahou et Gallant. Pourtant, il existe de nombreux rapports crédibles de torture systématique contre les Palestiniens à une échelle effroyable, y compris dans des camps de détention fermés.
Plus flagrant encore, Khan n’a pas inculpé Netanyahou et Gallant en vertu de l’article 6 du Statut de Rome (document qui est à l’origine de la création de la CPI) — la section qui traite du génocide.
Il ne les a inculpés qu’en vertu des articles 7 et 8 qui traitent des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre — les mêmes articles qu’il a utilisés contre les dirigeants du Hamas.
Il aurait également pu porter des accusations concernant les crimes israéliens commis ailleurs en Palestine, comme la construction par Israël de colonies illégales dans toute la Cisjordanie occupée, un crime qui dure depuis des décennies.
En ne le faisant pas, il alimente la fausse impression que l’histoire a commencé le 7 octobre 2023.
Bien que Khan puisse tenter de présenter tout cela comme la démonstration d’une justice équitable, il n’en est rien : il s’agit d’une scandaleuse et fausse équivalence. Il ne pourrait pas conserver une once de crédibilité s’il ne faisait rien contre les dirigeants israéliens ; alors il a fait le minimum qu’il pensait pouvoir faire.
Mais, cela ne surprendra personne, et surtout pas les dirigeants du Hamas qui s’attendaient à être inculpés, le prix à payer pour obtenir un tant soit peu de justice internationale pour leur peuple.
En janvier, par exemple, Moussa Abou Marzouk, un haut dirigeant du groupe de résistance, a écrit : « Depuis 2015, le Hamas a exprimé à plusieurs reprises son intérêt à comparaître devant la CPI et à être jugé par elle, non pas sur la base d’allégations non fondées et de vociférations, mais sur la base de preuves et de faits. Israël n’a pas [exprimé un tel intérêt]. »
Abou Marzouk a ajouté : « Le Hamas est prêt à comparaître devant la CPI avec des témoins et des dépositions en direct et à supporter le fardeau de toute conclusion judiciaire à son encontre ou à l’encontre de ses membres à l’issue d’un procès complet et équitable : avec des règles de preuve, avec des interrogatoires et des contre-interrogatoires sur ce que nous avons fait ou n’avons pas fait au cours des nombreuses années de notre leadership en tant que mouvement de libération nationale. Israël est-il [prêt à comparaître selon ces modalités] ? »
Comme le souligne Joseph Massad, professeur à l’université de Columbia, l’Occident a toujours considéré les luttes anticoloniales comme criminelles, alors que sa propre barbarie coloniale est toujours décrite comme « défensive ».
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’effort politique flagrant de Khan pour minimiser les crimes d’Israël.
Les mandats d’arrêt — qui n’ont pas encore été officiellement délivrés par les juges de la Cour — n’auront pas d’impact immédiat sur Sinwar et Deïf. En tant que chefs de la résistance clandestine, on ignore où ils se trouvent. Une arrestation par la CPI est la moindre de leurs préoccupations.
Quant au chef du Politburo du Hamas, Ismaël Haniyeh, il vit au Qatar, l’un des rares pays à ne pas être membre de la CPI et donc à ne pas être légalement dans l’obligation de l’arrêter et de le livrer.
Le Hamas est déjà hors-la-loi et est soumis à des sanctions de la part des États-Unis et de toute l’Europe. Ce n’est donc pas comme si les dirigeants du mouvement auraient pu se déplacer librement, de toute façon.
Néanmoins, si la minimisation des atrocités commises par Israël vise à apaiser Tel-Aviv ou ses sponsors, elle échouera à coup sûr.
Il est certain qu’il y aura de la colère, que cela déclenchera un tollé et d’autres menaces de la part de Washington et de Tel-Aviv, du genre de celles que Khan a récemment repoussées.
Et même si Khan a retenu ses coups, les mandats d’arrêt auront un impact énorme sur Israël et ses dirigeants, lesquels se retrouvent désormais ostracisés et soumis à des contraintes sans précédent.
Netanyahou et Gallant ne pourront pas se rendre dans des dizaines de pays, ce qui inclut la plupart des pays européens, sans craindre d’être arrêtés. Les pays européens, en particulier, qui prétendent faire respecter le droit international, devront soit les détenir et les remettre au tribunal, soit défier ouvertement leurs obligations légales.
C’est notamment le cas de l’Allemagne, qui fournit des armes pour le génocide israélien tout en prétendant être un champion du droit international.
L’atteinte encore plus grande à la réputation d’Israël et la déchéance en tant qu’État paria sont inévitables, malgré tous les efforts déployés par Khan pour en atténuer les effets.
Les États-Unis — principal fournisseur d’armes d’Israël et complice du génocide — ne sont pas non plus membres de la CPI et ne coopéreront pas pour ce qui est des mandats d’arrêt.
Mais, même pour un gouvernement aussi peu soucieux du droit international que Washington, l’inculpation par la CPI des dirigeants de son plus proche allié augmente le coût politique, tant national qu’international, d’un soutien inconditionnel à Israël.
Rappelons que le président Joe Biden s’est réjoui lorsque Khan a demandé un mandat d’arrêt de la CPI contre le président russe Vladimir Poutine, l’année dernière, dans le contexte de l’opération militaire de Moscou en Ukraine.
Entre l’annonce faite aujourd’hui par le Procureur et la délivrance effective des mandats d’arrêt par les juges, il pourrait s’écouler jusqu’à deux mois.
Peut-être que la seule question importante à se poser est : dans l’intervalle, l’annonce de ce lundi dissuadera-t-elle Israël de poursuivre sa campagne d’extermination à Gaza ?
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