Les « bébés décapités » : la source de cette allégation douteuse est un leader de colons israéliens qui a incité à des émeutes pour « exterminer » tout un village palestinien

Les « bébés décapités » :
la source de cette allégation douteuse
est un leader de colons israéliens
qui a incité à des émeutes pour « exterminer »
tout un village palestinien

Par Max Blumenthal et Alexander Rubinstein

Une publication The Grayzone


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Palestine Israël États-Unis Occident
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Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Après qu’un soldat de réserve israélien nommé David Ben Zion a déclaré à un journaliste que des militants palestiniens « coupaient les têtes des bébés », Biden, Netanyahou et les médias internationaux ont amplifié cette affirmation douteuse.

The Grayzone a identifié Ben Zion comme étant un leader de colons fanatiques qui a provoqué des émeutes en demandant que tout un village palestinien soit « exterminé1 ».

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Un tollé international a éclaté lorsque le ministère israélien des Affaires étrangères a annoncé que des militants palestiniens de la bande de Gaza assiégée avaient tué 40 « bébés » et décapité plusieurs d’entre eux lors d’une incursion à Kfar Aza, un kibboutz situé à la frontière de Gaza. Le président Joseph Biden a répété cette affirmation incendiaire lors d’un discours prononcé le 10 octobre dans la roseraie de la Maison Blanche, tandis que les chaînes de télévision occidentales reprenaient l’histoire sans le moindre examen critique.

Selon le correspondant de CNN Nic Robertson, citant apparemment des sources militaires israéliennes, les militants palestiniens se livraient à des « exécutions à la manière d’ISIS », au cours desquelles ils « coupaient la tête des gens », y compris des bébés et des animaux domestiques.

The Grayzone a maintenant identifié une source clé de cette affirmation selon laquelle les militants palestiniens décapitaient des bébés israéliens. Il s’agit de David Ben Zion : commandant adjoint de l’unité 71 de l’armée israélienne et également leader de colons extrémistes, il a incité, au début de l’année, à de violentes émeutes contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée.

Lors d’une interview accordée le 10 octobre à la journaliste Nicole Zedek de la chaîne publique israélienne i24, Ben Zion a déclaré : « Nous avons marché de porte en porte, nous avons tué beaucoup de terroristes. Ils sont très mauvais. Ils coupent des têtes d’enfants, ils coupent des têtes de femmes. Mais, nous sommes plus forts qu’eux. »

Il a ajouté « Nous savons que ce sont des animaux », en référence aux Palestiniens, « mais nous avons découvert qu’ils n’ont pas de cœur ».

i24NEWS English : « “Ils ont coupé des têtes d’enfants et de femmes”, déclare David Ben Zion, commandant adjoint de l’unité 71 à notre @Nicole_Zedek, en reportage à Kfar Aza dans le sud d’Israël. »

Quelques heures après son entretien avec i24, toujours dans le village de Kfar Aza, on pouvait voir un Ben Zion en uniforme afficher plusieurs fois de larges sourires, jusqu’aux oreilles, dans une vidéo publiée sur son Facebook — une attitude bien étrange pour un témoin supposé d’une boucherie méthodique de bébés.

Plus tôt dans la journée, Zedek, de i24, avait déclaré lors d’un reportage en direct de Kfar Aza : « Environ 40 bébés ont été sortis sur des brancards […] Les berceaux ont été renversés, les poussettes abandonnées, les portes laissées grandes ouvertes. » Le reportage a été visionné des dizaines de millions de fois sur Twitter et promu par le ministère israélien des Affaires étrangères — lequel finance son réseau médiatique.

Quelques heures plus tard, Zedek a nuancé sa déclaration : « Les soldats m’ont dit qu’ils pensaient que 40 bébés/enfants avaient été tués. Le nombre exact de morts est encore inconnu, car l’armée continue à aller de maison en maison et à trouver d’autres victimes israéliennes. »

Pourtant, cette histoire non vérifiée a rapidement fait son chemin jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir, comme s’il s’agissait d’une volonté délibérée. Le porte-parole du Premier ministre Benyamin Netanyahou a déclaré sans équivoque que des bébés et des enfants en bas âge avaient été retrouvés « décapités », tandis que le président Joe Biden lui-même a vaguement fait allusion à des « rapports qui font froid dans le dos concernant des bébés tués ».

De même, les chaînes d’information du câble sont devenues frénétiques, rapportant l’histoire sans relâche, malgré le fait que l’armée israélienne soit revenue sur sa confirmation initiale.

Entre-temps, certains journalistes, qui avaient d’abord repris les allégations officielles israéliennes sur le sujet, ont commencé à émettre leurs propres réserves.

Oren Ziv, un reporter israélien qui a participé à la visite officielle de Kfar Aza par l’armée, a déclaré sur Twitter : « Je reçois beaucoup de questions sur les rapports concernant les “bébés décapités par le Hamas” qui ont été publiés après la visite des médias dans le village. Au cours de la visite, nous n’avons rien vu de tel, et le porte-parole de l’armée ou les commandants n’ont pas non plus mentionné de tels incidents. »

Quelle est donc la source à l’origine de cette affirmation explosive ?

David Ben Zion dans une vidéo d’un chantier de construction d’une colonie (à gauche), et quelques heures après avoir déclaré à i24 que l’armée israélienne avait trouvé des bébés décapités par le Hamas (à droite)

Appels à l’« extermination » des Palestiniens, « pas de place pour la pitié »

David Ben Zion, un dirigeant du Conseil régional de Samarie (Shomrôn / שומרון) qui regroupe 35 colonies illégales de Cisjordanie, a demandé cette année que tout le village palestinien de Huwara soit « exterminé ».

« Assez parlé de la construction et du renforcement des colonies », a-t-il déclaré dans un message sur Twitter, le 26 février 2023. « La dissuasion qui a été perdue doit revenir maintenant ; il n’y a pas de place pour la pitié. »

Peu après, Ben Zion a été cité dans les médias israéliens, proclamant que « Le village de Huwara devrait être exterminé ; cet endroit est un nid de terreur, et la punition devrait s’appliquer à tout le monde », un appel clair à la punition collective des Palestiniens.

Judah Ari Gross : « Adjoint au maire de la région de Samarie :
“Ici, à Hawara, le sang de nos enfants a été versé sur la route…
Hawara doit être éliminé aujourd’hui.
Assez parlé de la construction et du renforcement des colonies. La dissuasion qui a été perdue doit revenir maintenant ; il n’y a pas de place pour la pitié.” »
Judah Ari Gross : « Il n’est peut-être pas surprenant que cet appel explicite (et répondu) à la violence ait été “aimé” par @bezalelsm. »

Le tweet de Ben Zion a été « aimé » sur Twitter par Bezalel Smotrich, alors ministre israélien des Finances, ce qui a incité 22 juristes à demander au procureur général d’ouvrir une enquête sur le fonctionnaire pour « incitation à commettre des crimes de guerre ». Lorsque Smotrich s’est fait l’écho de Ben Zion en appelant à « exterminer » Huwara le mois suivant, le département d’État des États-Unis a condamné sa rhétorique en la qualifiant de « dangereuse ».

Le village de Huwara a été à l’époque la cible de violentes émeutes de la part de colons opérant sous le contrôle de Ben Zion. À la suite de l’assaut des colons sur la ville, qui s’est soldé par l’incendie d’un grand nombre de maisons et de véhicules, ainsi que par des blessés parmi la population locale, le Hamas a qualifié l’attaque de « déclaration de guerre ».

Mais, l’appel de Ben Zion à la punition collective à Huwara est loin d’être sa seule imprécation génocidaire contre les Palestiniens. En effet, il a utilisé ses comptes de réseaux sociaux pour appeler à plusieurs reprises à des crimes de guerre ainsi qu’à la « déportation des masses [palestiniennes] ».

« Le peuple palestinien […] est un ennemi », a-t-il écrit en 2016. « Nous ne pouvons pas changer leur ADN barbare. »

Lors de sa campagne ratée pour la Knesset en 2021 avec le parti pro-colons Foyer juif, Ben Zion a décrit sa mission comme suit : « Je suis engagé dans la tâche de restaurer le foyer politique du sionisme religieux. »

Membre dirigeant du mouvement apocalyptique Temple d’Israël

Ben Zion semble avoir été à la pointe de l’extrémisme des colons pendant des années. Il a été photographié en 2015 (ci-dessous) en train de tendre un micro à l’idéologue fanatique des colons, Noam Livnat, qui se décrit lui-même comme un « messianiste radical de droite ».

Selon le livre Murder in the Name of God: The Plot to Kill Yitzhak Rabin2 (Meurtre au nom de Dieu — Le complot pour tuer Yitzhak Rabin), l’assassin de Rabin, Yigal Amir, « admire particulièrement » Livnat. En 2005, Livnat a pris la tête d’une mutinerie de 10 000 soldats et réservistes de Tsahal qui ont juré de refuser l’ordre du Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon, de retirer les colonies illégales de Gaza.

Ben Zion semble partager les obsessions messianiques de Livnat. En 2018, il a emmené son neveu à la base de la mosquée Al-Aqsa, le troisième site le plus sacré de l’Islam et que les extrémistes juifs ont cherché à remplacer par un troisième temple. « Pourquoi les musulmans marchent-ils encore fièrement sur cette montagne ? », a-t-il écrit, ajoutant qu’« il y a beaucoup de travail qui nous attend ».

« Israël devrait construire une shul3 sur le mont du Temple, puis un troisième Temple. Nous n’avons besoin de la permission de personne », a écrit un utilisateur de Facebook en réponse à la photo que Ben Zion a aimée.

Dans un autre message publié depuis le lieu saint, Ben Zion a écrit que « le mont du Temple n’est pas seulement le passé du peuple juif, mais aussi son avenir ». Il a ensuite exhorté ses partisans à faire un don à Beyadenu, une organisation dont les membres ont tenté d’abattre des agneaux pour les offrir en sacrifice sur le mont du Temple.

Ben Zion, à la périphérie de Gaza, avant l’invasion israélienne de juillet 2014
דוידי בן ציון (David Ben Zion) : « Israël vit ! »
Commentaire utilisateur : « La nation d’Israël vit, respire et se bat grâce à vous, nos courageux soldats, la nation d’Israël est avec vous jusqu’à la fin (de Gaza) amen. Et ils rentreront en paix, sains et saufs, chacun dans son foyer et sa famille. »
[Traduit de l’hébreu (NdT)]

Ben Zion semble également partager l’obsession de Noam Livnat pour la destruction de Gaza. Quelques jours après le lancement par Israël de l’opération Bordure protectrice, le bombardement de 50 jours contre Gaza qui a fait près de 1 500 morts parmi les civils palestiniens, Ben Zion a publié sur Facebook une photo de lui et d’autres soldats de Tsahal posant devant des pièces d’artillerie positionnées de manière à reproduire en hébreu l’inscription « La nation d’Israël vit ». « […] [L]a nation d’Israël est avec vous jusqu’à la fin (de Gaza) amen », a répondu un utilisateur de Facebook.

Alors que Netanyahou déploie l’allégation douteuse de bébés décapités pour entraîner ses parrains des États-Unis plus loin dans sa guerre, les fantasmes apocalyptiques de Ben Zion se rapprochent de leur accomplissement.

Opération « Déluge d’Al-Aqsa » (7 octobre 2023)


  1. Dans le texte original en anglais : « wiped out » (« éliminer », « anéantir », « exterminer », « éradiquer »…) (NdT) 

  2. Ina Friedman et Michael Karpin, Metropolitan Books, 1998 (NdT) 

  3. « Shul » signifie « école » en yiddish (שול), un autre terme pour « synagogue ». (NdT) 

 

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