Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
L’Atlantic Council, soutenu par l’OTAN, a proposé l’apartheid israélien comme modèle pour une Ukraine hypermilitarisée. Le document a été rédigé par l’ancien ambassadeur d’Obama à Tel-Aviv, aujourd’hui consultant israélien en technologie d’espionnage.
Quarante jours seulement après le début de la campagne militaire russe en Ukraine, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré aux journalistes qu’à l’avenir, son pays serait comme un « Grand Israël ». Le lendemain, l’un des principaux promoteurs d’Israël au sein du parti démocrate a publié une tribune dans le think tank (groupe de réflexion) officiel de l’OTAN explorant la manière dont cela pourrait être réalisé.
Zelensky a fait cette prédiction lors d’un entretien avec des journalistes le 5 avril, rejetant l’idée que Kiev resterait neutre dans les futurs conflits entre l’OTAN, l’Union européenne et la Russie. Selon le président ukrainien, son pays ne sera jamais comme la Suisse (qui — coïncidence — a abandonné sa tradition de non-alignement, datant de l’ère napoléonienne, en sanctionnant la Russie en réponse à l’invasion de février).
« Nous ne pouvons pas parler de la “Suisse du futur” », a déclaré le président ukrainien aux journalistes. « Mais nous allons certainement devenir un “Grand Israël” avec son propre visage. »
Pour ceux qui se demandent à quoi ressemblerait réellement un « Grand Israël », Zelensky a rapidement développé son inquiétante prophétie.
« Nous ne serons pas surpris d’avoir des représentants des forces armées ou de la Garde nationale dans toutes les institutions, les supermarchés, les cinémas — il y aura des gens avec des armes », a-t-il déclaré, prédisant ainsi une existence sombre pour ses citoyens. « Je suis sûr que notre problème de sécurité sera le numéro un dans les dix prochaines années. »
Bien que la publication sur Internet soit basée sur les commentaires de Zelensky aux journalistes, le bureau du président a mystérieusement supprimé de ses remarques une section dans laquelle il déclarait qu’une future Ukraine ne serait pas « absolument libérale, européenne ». Au lieu de cela, avec sa vision d’une Ukraine fortement militarisée, le message soulignait que Zelensky était prêt à rejoindre l’OTAN « dès demain ».
Pour les personnes influentes de l’OTAN, cependant, la volonté implicite de Zelensky de rejoindre l’alliance militaire était peut-être l’aspect le moins remarquable de sa déclaration. À la place, dans les 48 heures qui ont suivi ses commentaires, l’Atlantic Council — le think tank semi-officiel de l’OTAN à Washington — a publié une « feuille de route » explorant comment transformer l’Ukraine en un « Grand Israël ».
Rédigé par Daniel B. Shapiro, ancien ambassadeur des États-Unis en Israël sous la présidence de Barack Obama, le document affirme que « les deux pays en guerre partagent plus de choses qu’on ne le pense ».
Tout comme l’ancien secrétaire d’État des États-Unis, Alexander Haig, a présenté Israël comme « le plus grand porte-avions américain au monde qui ne peut être coulé », Shapiro a proposé une vision de l’Ukraine comme un bastion hypermilitarisé de l’OTAN dont l’identité nationale serait définie par sa capacité à projeter la puissance étatsunienne contre la Russie.
Malgré sa réticence à se joindre à la campagne de sanctions occidentales contre la Russie, Israël a aidé l’Ukraine sur le plan militaire, en envoyant deux importantes cargaisons d’équipements défensifs depuis le mois de février, cette année. Par le passé, cependant, le soutien d’Israël à l’Ukraine dans sa lutte contre la Russie a été plus que défensif.
En 2018, plus de 40 militants des droits de l’homme ont demandé à la Haute Cour de justice israélienne de cesser d’armer l’Ukraine après que des membres du bataillon néonazi Azov ont été surpris en train de brandir des armes de fabrication israélienne. Comme le notait à l’époque le journal israélien Haaretz, « les emblèmes de la milice [Azov] sont des symboles nationaux-socialistes bien connus. Ses membres font le salut nazi et portent des croix gammées et des insignes SS […] Un membre de la milice a déclaré dans une interview qu’il combattait la Russie parce que Poutine était juif ».
Zelensky, un juif ukrainien, n’a apparemment pas été perturbé par l’armement présumé par Israël d’éléments nazis dans son pays. Un an après son élection en 2019, il a fait un pèlerinage à Jérusalem pour lancer ce qu’il a appelé une « prière pour la paix » et pour assister à un événement intitulé « Se souvenir de l’Holocauste pour combattre l’antisémitisme ». Avant le voyage, il a fait l’éloge de la société israélienne en faisant remarquer dans une interview que « les Juifs ont réussi à construire un pays, à l’élever, sans rien d’autre que des gens et des cerveaux », et que les Israéliens sont un « peuple uni, fort et puissant. Et bien qu’ils soient sous la menace de la guerre, ils s’amusent chaque jour. Je l’ai vu ».
« Il y a beaucoup de pays dans le monde qui peuvent se protéger, mais Israël, un si petit pays, peut non seulement se protéger, mais face aux menaces extérieures, peut répondre », a déclaré Zelensky, ajoutant qu’il avait visité le pays « de nombreuses fois ».
Dans un message d’anniversaire adressé plus tard cette année-là au Premier ministre israélien de l’époque, Benyamin Netanyahou, le président ukrainien a déclaré que « les vieux amis fidèles sont plus précieux que jamais. L’Ukraine et Israël ont une amitié telle que celle-ci ».
Depuis l’escalade des combats entre Kiev et Moscou en février de cette année, des dizaines d’Israéliens se sont rendus en Ukraine pour rejoindre la Légion étrangère du pays.
En août, le Kyiv Independent, financé par le gouvernement canadien, a publié une enquête accusant la Légion étrangère ukrainienne de voler des armes et des biens, ainsi que de se livrer à du harcèlement sexuel et à d’autres formes d’abus.
Entre-temps, Zelensky n’a cessé de faire l’éloge de Tel-Aviv, notamment après la décision de la Cour suprême israélienne de lever les restrictions imposées aux citoyens qui se rendent en Ukraine.
« L’État de droit et le respect des droits de l’homme sont exactement ce qui distingue une véritable démocratie développée ! », a tweeté le président ukrainien après le jugement de juillet.
En avril 2022, l’admiration de Zelensky pour l’État israélien a apparemment atteint de nouveaux sommets. Immédiatement après sa déclaration selon laquelle l’Ukraine allait bientôt devenir un « Grand Israël », l’ancien ambassadeur de Washington à Tel-Aviv, Daniel B. Shapiro, a publié, à l’Atlantic Council basé à Washington DC et parrainé par l’OTAN, un plan détaillé permettant à Zelensky de réaliser ce rêve.
« En adaptant l’état d’esprit de leur pays pour refléter certains aspects de l’approche d’Israël face aux défis chroniques en matière de sécurité, les responsables ukrainiens peuvent relever avec confiance les défis cruciaux en matière de sécurité nationale et construire un État aussi résilient », a écrit Shapiro, « membre éminent » de l’Atlantic Council.
Le document de près de 900 mots contient huit points détaillant comment l’Ukraine peut devenir plus proche d’Israël, un pays récemment décrit par Amnesty International comme un « État d’apartheid ». Ces points comprenaient des conseils tels que « la sécurité avant tout », le maintien de la « domination des services de renseignement » et l’importance de la « technologie ».
Selon Shapiro, un élément central de la stratégie de sécurité d’Israël est que « toute la population joue un rôle ».
« Les civils reconnaissent leur responsabilité dans le respect des protocoles de sécurité et contribuent à la cause », a écrit Shapiro à propos de la population israélienne. « Certains s’arment même (bien que sous une stricte supervision) pour le faire. La mobilisation généralisée de la société ukrainienne dans la défense collective suggère que le pays a ce potentiel. » Ces commentaires s’alignent directement sur la prédiction de Zelensky selon laquelle, dans une Ukraine future, les « personnes armées » seront présentes dans presque tous les aspects de la vie civile.
À l’instar de la propagande vantant le « succès » d’Israël en tant qu’État sécuritaire, le plan de Shapiro imagine les citoyens ukrainiens unis par un « objectif commun » avec l’aide des « innovations high-tech » de Tel-Aviv dans les secteurs de l’armée et du renseignement. Sa stratégie consiste à dépeindre les progrès d’Israël en matière de sécurité comme une réussite presque mythique due uniquement à l’esprit fougueux et novateur de ses citoyens, sans tenir compte du plus grand facteur matériel de son succès : des niveaux sans précédent d’assistance militaire étrangère, en particulier de la part des États-Unis. En effet, sans les contribuables des États-Unis qui subventionnent pour ainsi dire l’armée israélienne par le biais de programmes d’aide annuels s’élevant à des milliards de dollars, il est difficile d’imaginer comment un pays de la taille du New Jersey aurait pu atteindre le statut de première plateforme technologique de surveillance au monde.
Alors même que Shapiro exhortait Zelensky à maintenir des « partenariats de défense active », il a simultanément minimisé le rôle que l’aide étrangère a joué dans la préservation des impératifs coloniaux d’Israël, affirmant que le « principe unique » sur lequel repose la doctrine de sécurité de Tel-Aviv est qu’« Israël se défendra lui-même, sera défendu par lui-même — et ne comptera sur aucun autre pays pour mener ses batailles ».
Shapiro a dû oublier ce principe lorsqu’il a tweeté « Dieu merci, Israël a le Dôme de fer » — une référence au système de défense aérienne du pays que les contribuables des États-Unis ont financé à hauteur d’un milliard de dollars pour la seule année 2021, en plus des 3,8 milliards de dollars d’assistance militaire destinés à Tel-Aviv cette même année.
Dans ses conseils à Zelensky, Shapiro a également souligné que « l’Ukraine devra améliorer ses services de renseignement » de la même manière qu’Israël, qui « a beaucoup investi dans ses capacités de renseignement afin de s’assurer qu’il dispose des moyens de détecter et de dissuader ses ennemis et, si nécessaire, d’agir de manière proactive pour les frapper ».
Shapiro devait connaître une chose ou deux sur l’appareil de renseignement israélien. À la mi-2017, après avoir choisi de rester avec sa famille en Israël, plutôt que de retourner dans le pays qui l’avait employé en tant que diplomate, il a rejoint la société technologique israélienne de hacking, NSO, en tant que conseiller indépendant. Là, il a aidé à évaluer les clients potentiels pour le tristement célèbre logiciel d’espionnage numérique invasif de NSO, connu sous le nom de Pegasus. Parmi les nombreux clients gouvernementaux de l’entreprise figure la monarchie saoudienne, qui a utilisé son système Pegasus pour surveiller et persécuter des militants des droits de l’homme et des journalistes.
Shapiro a également entretenu des liens étroits avec les services de renseignement israéliens par l’intermédiaire d’un think tank, l’Institut d’études sur la sécurité nationale (Institute for National Security Studies / INSS) à Tel-Aviv. Pendant la majeure partie des quatre années où il a été « membre invité éminent » à l’institut, son directeur exécutif était Amos Yadlin, l’ancien chef du renseignement militaire des forces de défense israéliennes. Yadlin a aidé à concevoir la doctrine de la force disproportionnée employée par l’armée israélienne contre Gaza, dans laquelle le civil a été redéfini comme le « voisin des terroristes », et donc privé des protections prévues par les Conventions de Genève.
En 2018, l’INSS a payé Shapiro plus de 20 000 dollars pour témoigner devant le Congrès en son nom, bien qu’il ne se soit pas enregistré comme agent étranger. Comme NSO Group, l’INSS maintient un vernis d’indépendance vis-à-vis du gouvernement israélien, même si son fondateur, Aharon Yariv, a servi également à la tête du renseignement militaire israélien.
Aux États-Unis, Shapiro a fait un passage chez WestExec Advisors, un cabinet de conseil fondé en 2017 par le désormais secrétaire d’État Anthony Blinken et décrit par Politico comme « le cabinet en attente de Biden ». Avant l’élection de Joe Biden, Shapiro s’est couvert dans les médias après que la plateforme du Parti démocrate a supprimé le vocabulaire qui s’opposait à une nouvelle annexion de terres en Cisjordanie palestinienne occupée.
Ce n’est probablement pas une coïncidence si Shapiro a publié sa prescription pour convertir l’Ukraine en un État de sécurité de type israélien en sa qualité de « membre éminent » de l’Atlantic Council. Si l’Ukraine est un jour transformée en la forteresse militaire permanente que lui et Zelensky imaginent, les donateurs de l’industrie de l’armement du think tank de l’OTAN en tireront d’immenses bénéfices.
Lockheed Martin, Raytheon et Boeing figuraient tous parmi les principaux mécènes de l’Atlantic Council en 2021. Le président-directeur général de Raytheon, Gregory J. Hayes, fait également partie du conseil consultatif international du think tank. Comme l’a rapporté pour The Grayzone Max Blumenthal, l’Atlantic Council a également servi de blanchisseur de facto pour l’argent provenant d’intérêts ukrainiens comme Burisma aux membres du cercle intime de Biden.
Les trois entreprises d’armement susmentionnées, qui forment le cœur du complexe militaro-industriel de Washington, ont déjà récolté des bénéfices massifs de la guerre en Ukraine. Boeing, qui a été confronté à une crise de relations publiques après que des dysfonctionnements du système d’exploitation de son avion 737 Max ont provoqué deux crashs qui ont été largement médiatisés, pourrait être en passe de reconquérir son statut de premier avionneur mondial grâce au conflit.
Bien que Boeing ait subi deux pertes trimestrielles consécutives en 2022, l’entreprise a affirmé en juillet être en train de « créer une dynamique » pour une reprise. En juin, le géant de l’aérospatiale a obtenu un contrat pour fournir des hélicoptères de transport lourd au gouvernement allemand après que Berlin a créé un fonds de 107 milliards de dollars pour les investissements militaires en réponse directe à la guerre en Ukraine.
Parallèlement, Raytheon et Lockheed Martin fabriquent tous deux le système de missiles antichars Javelin, qualifié de « symbole de la résistance ukrainienne » sur le champ de bataille.
« Ils ont été si importants, il y a même une histoire de parents ukrainiens qui ont nommé leurs enfants — ce n’est pas une blague — leur nouveau-né, “Javelin” ou “Javelina” », s’est extasié le président des États-Unis Joe Biden lors d’une visite en mai d’une usine Lockheed Martin à Troy, en Alabama, soulignant par l’absurde le rôle vital de l’entreprise dans la guerre en Ukraine.
Selon le budget 2021 du Pentagone, les États-Unis ont envoyé plus de 8 500 systèmes antichars Javelin en Ukraine depuis février, pour un coût d’environ 178 000 dollars par unité. Désireuse de continuer à profiter de cette manne, l’entreprise Lockheed Martin cherche à doubler sa production pour fabriquer 4 000 systèmes Javelin par an. Ses stocks 2022 sont en hausse de plus de 20 % par rapport à l’année précédente, atteignant leur apogée deux semaines seulement après le début de l’opération militaire russe.
S’inspirant de la « feuille de route » de Shapiro, parrainée par l’OTAN, le fantasme de Zelensky d’une Sparte high-tech perpétuellement militarisée, soutenue par une population armée, nécessitera un investissement massif dans les armes et les technologies de surveillance de la part du gouvernement de Kiev. Si cette guerre est une indication, l’Ukraine se tournera probablement une fois de plus vers les donateurs de l’Atlantic Council pour tenter de réaliser le rêve de Zelensky d’établir un « Grand Israël » à la frontière de la Russie.
Sources :
Source de la photographie d’en-tête : Офіс Президента України (Bureau du Président de l'Ukraine)
President of Ukraine had a meeting with the Prime Minister of Israel (article publié le 24 janvier 2020)
Working visit to the State of Israel
https://www.president.gov.ua/en/news/prezident-ukrayini-zustrivsya-z-premyer-ministrom-izrayilyu-59441
[ Creative Commons — CC BY 4.0 ]
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