Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Des fuites révèlent que la société d’espionnage Anomaly Six fournit des renseignements à l’armée britannique par le biais d’un personnage impliqué dans l’attentat à la bombe du pont de Kertch et dans d’autres actes de sabotage dangereux du conflit ukrainien.
Le 6 décembre, The Grayzone a révélé comment l’armée et les agences de renseignement britanniques déployaient une technologie créée par l’obscure société de renseignement privée Anomaly Six pour espionner illégalement les citoyens du monde entier.
La technologie de l’entreprise transforme effectivement chaque individu sur Terre en une cible potentielle pour la surveillance et/ou le recrutement d’actifs en suivant les mouvements de son smartphone. Anomaly Six intègre un logiciel de tracking dans des applications populaires, puis passe au crible des couches de données théoriquement anonymes pour découvrir une multitude d’informations sensibles sur le propriétaire d’un appareil.
Les services d’Anomaly Six sont offerts aux soldats et aux espions britanniques par l’intermédiaire de Prevail Partners, une société militaire privée dont The Grayzone a révélé qu’elle était le bras armé de Whitehall pour la poursuite de sa guerre par procuration en Ukraine. Cette société a mis sur pied une armée secrète de terroristes partisans pour le compte de Kiev et a participé à l’organisation de l’attentat à la bombe contre le pont de Kertch par les services ukrainiens.
Aujourd’hui, The Grayzone peut révéler que Prevail exploite Anomaly Six pour fournir « des renseignements permettant de prendre des décisions concernant l’architecture de défense et de sécurité du Royaume-Uni ».
Des fichiers divulgués anonymement à notre média révèlent que la Defence Intelligence Agency (DIA) britannique a utilisé la technologie d’Anomaly Six pour surveiller et suivre les mouvements du personnel militaire et de renseignement russe en temps réel, à la fois sur une base collective et individuelle. Grâce à une collecte de données intensive, la technologie a permis de planifier des offensives militaires et des attaques d’artillerie, des assassinats, le recrutement d’actifs et d’autres mesures.
Les fichiers divulgués soulèvent de sérieuses questions quant à savoir si la technologie d’Anomaly Six a été utilisée tout au long du conflit ukrainien dans une série d’opérations ciblées contre des personnes et des infrastructures spécifiques. Si tel est le cas, la Grande-Bretagne porte la responsabilité ultime du résultat de ces actions inquiétantes, qui dans certains cas s’apparentent à des crimes contre l’humanité.
Comme l’a déjà démontré The Grayzone, Anomaly Six présente sa technologie comme étant d’une précision irréprochable, alors qu’elle s’empare de quantités massives de données privées et cible des personnes innocentes, les présentant faussement comme des risques pour la sécurité nationale. L’approche maladroite de la société soulève le risque évident que des citoyens russes et ukrainiens soient mal identifiés par l’appareil de renseignement militaire britannique, avec des conséquences dangereuses, voire mortelles.
Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, Anomaly Six fournissait déjà ses services de surveillance au ministère de l’Intérieur britannique par le biais de Prevail. Au cours de plusieurs mois, la firme a accumulé une facture de plusieurs millions de dollars.
Anomaly Six a vendu sa technologie à la Grande-Bretagne comme un moyen innovant de suivre les mouvements des réfugiés nouvellement arrivés dans le pays. À leur insu et sans leur consentement, les migrants étaient dirigés vers des « portes de collecte de données passives » dès leur enregistrement dans les centres d’immigration. Leurs téléphones ont ensuite été marqués pour être surveillés dans l’espoir qu’ils puissent mener les autorités à des gangs criminels et à des trafiquants d’êtres humains.
Cette connivence était probablement totalement illégale au regard des lois sur la protection des données et de la Convention européenne des droits de l’homme.
Dès que Moscou a lancé son opération militaire, le gouvernement britannique a renforcé son implication avec Anomaly Six. La Defence Intelligence Agency de Londres a lancé ce qu’elle a appelé le « projet MATTERHORN », un essai de six semaines au cours duquel Prevail a fourni à Anomaly Six des « données télémétriques commerciales localisées » en Biélorussie, en Russie et en Ukraine.
Six semaines plus tard, Prevail a écrit à la DIA pour lui résumer quels seraient les coûts pour des prolongations de trois et six mois. L’Agence a apparemment accepté la deuxième offre ; deux jours après avoir reçu le pitch d’Anomaly Six, Prevail disposait d’une proposition détaillée et d’un contrat.
Pour 708 750 dollars sur une période de six mois, Anomaly Six s’est engagé à fournir « un flux de données spécifiques à un pays, contenant des données télémétriques commerciales de première partie1 et transmises à une infrastructure basée sur un cloud2 et gérée par le client ». Si la DIA en exprimait le besoin, « des pays, régions ou requêtes supplémentaires » pouvaient être ajoutés à tout moment pendant le contrat.
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les services d’Anomaly Six étaient considérés comme si précieux par la DIA. Les dossiers examinés par The Grayzone comprennent des études de cas montrant comment la technologie de la société a été utilisée avant et après l’invasion russe « pour comprendre en temps réel/quasi réel la disposition » des « troupes, équipements et matériaux létaux » russes.
Par exemple, Anomaly Six a suivi le renforcement militaire de Moscou avant l’invasion, à partir d’avril 2021. En récoltant les signaux de données de smartphones générés dans une zone d’entraînement de l’armée russe au sud de Voronezh, la société a identifié plus de 100 appareils qui avaient été utilisés sur le site, et a pu déterminer un « modèle de vie » clair, y compris les adresses des domiciles (ou « lieux de couchage »), les zones et les sites fréquemment visités et les lieux de travail de chaque utilisateur.
Selon Anomaly Six, ces informations pourraient être utilisées pour « observer les mouvements de troupes dans une zone de conflit potentiel », et bien plus encore : « La combinaison de ces données avec d’autres ensembles de données classifiées ou open source permet au client d’assurer le succès de la mission. »
Le spyware3 d’Anomaly Six a également été déployé pour « corroborer » les rapports sur les « Syriens formés par les Russes » dans le conflit, en croisant les données pour trouver des smartphones actifs en Syrie en 2021 qui auraient été détectés en Ukraine en mars 2022. Certains ont été suivis jusqu’au centre d’entraînement de Voronezh, qui, selon l’entreprise, « pourrait être une étape pour intégrer les Syriens dans les forces russes sur l’axe de Kharkiv ».
« Il s’agit principalement de dispositifs individuels, mais il est très probable que ceux-ci soient révélateurs de groupes plus importants. Il est très probable que d’autres Syriens se trouvent à ces endroits », a supposé Anomaly Six.
Cependant, la société n’a pas envisagé la possibilité qu’elle ait en fait suivi les appareils des conseillers militaires russes en poste à Damas avant de se rendre en Ukraine. Même les think tanks4 occidentaux dominants ont rejeté l’idée que les combattants syriens aient été actifs sur le théâtre ukrainien. Ce n’est que dans les derniers mois de cette année que la Russie a officiellement déployé de telles forces.
Dans d’autres cas, Anomaly Six prétend avoir atteint une capacité d’identification des cibles très précise. Par exemple, la société a suivi l’appareil d’un « combattant de la milice tchétchène » solitaire et a localisé « un dispositif matériel associé au centre de géo-intelligence et d’aérospatiale du GRU ».
« Avant l’invasion russe, le dispositif a visité un site du GRU à Rostov-sur-le-Don, le Kremlin à Moscou et un site non identifié à Unecha », affirme une présentation d’Anomaly Six. « Le dispositif était ensuite actif à Donetsk, en Ukraine, après avoir traversé la frontière à une date et une heure inconnues. »
Cette personne semblait parfaitement consciente du risque d’être suivie à partir de son téléphone portable. Anomaly Six a eu du mal à identifier correctement son « mode de vie », qui pourrait signifier « une certaine connaissance des techniques ou de la sécurité des communications ». Néanmoins, les données qui ont pu être récoltées ont mis en évidence un endroit à Donetsk qui avait été visité « plus que tout autre », ce qui a conduit la société à supposer que la personne était « liée à l’activité russe du GRU ou de l’Advanced Force ».
Anomaly Six a eu plus de chance dans la traque d’un autre individu dont l’appareil indiquait un « mode de vie » correspondant à une personne « menant une activité liée à l’invasion ». Ses déplacements indiquaient qu’il vivait et travaillait à Moscou, ce qui rendait ses voyages en Ukraine « intéressants par rapport aux déplacements habituels des forces armées » aux yeux des analystes de l’entreprise. Anomaly Six a identifié une zone de Donetsk qui avait été visitée et qui était « probablement utilisée pour le commandement et le contrôle, la liaison et la gouvernance », en spéculant que l’appareil en question était « lié à la diplomatie ou au renseignement ».
Bien que ce niveau de détail semble impressionnant, Anomaly Six pourrait bien avoir mal identifié au moins certaines de ses cibles, et même les lieux qu’elles ont apparemment visités. Une étude de cas d’Anomaly Six divulguée par The Grayzone prétend documenter l’identification par l’entreprise du smartphone d’un expert en physique nucléaire basé aux États-Unis qui a effectué « plusieurs voyages en Corée du Nord » entre mars et août 2019.
L’entreprise a expliqué comment elle a découvert le nom, l’adresse, l’état civil, l’employeur et les photos des enfants de l’universitaire, ainsi que les écoles et les universités qu’il a fréquentées, en reliant son smartphone aux sites qu’il a visités aux États-Unis. Anomaly Six pensait que les voyages supposés de l’universitaire à Pyongyang en faisaient soit un risque majeur pour le contre-espionnage, soit un atout prêt à être recruté pour le renseignement.
Cependant, lorsque The Grayzone a contacté l’universitaire, celui-ci a nié catégoriquement être allé en Corée du Nord, lui ou son smartphone. Il se peut que la société ait été sincère — les données de géolocalisation des smartphones peuvent être très imprécises. Il n’en reste pas moins que l’universitaire et sa famille ont été placés dans le collimateur des clients d’Anomaly Six sur la base d’une analyse mal faite. Dans une zone de guerre active, une telle erreur est susceptible de coûter la vie à des innocents.
Le 20 août, le Service de sécurité ukrainien (SBU), formé par la CIA, a assassiné Daria Douguine, la fille du philosophe russe nationaliste Alexandre Douguine, en utilisant une voiture piégée alors qu’elle circulait dans la banlieue de Moscou. Ce meurtre ciblé se voulait un message au président russe Vladimir Poutine, que les médias occidentaux ont faussement présenté comme un élève assidu de Douguine, alors qu’il ne l’avait jamais rencontré.
Compte tenu de ce que l’on sait de l’opération visant à assassiner Alexandre et Daria Douguine, de la nature du spyware d’Anomaly Six et des relations de Prevail avec le SBU, la question de savoir si la technologie de l’entreprise a été utilisée pour suivre le couple ne peut être éludée.
Il faut également se demander si Anomaly Six a informé la branche du SBU à Odessa du moment où il fallait déclencher l’attentat au camion piégé sur le pont de Kertch. La tentative d’assassinat des dirigeants de Roscosmos, Dmitri Rogozine et Artyom Melnikov, alors qu’ils dînaient dans un restaurant de Donetsk, semble s’être appuyée sur une technologie de localisation semblable à celle d’Anomaly Six.
Il y a aussi les escadrons de la mort du bataillon néonazi Azov qui font une chasse effrénée aux « collaborateurs » dans les anciens territoires occupés par la Russie. Ont-ils eux aussi été autorisés à utiliser le spyware d’Anomaly Six ?
Ce ne sont là que quelques-uns des innombrables scénarios dans lesquels la technologie d’Anomaly Six aurait pu être appliquée. Et la DIA de Londres n’est pas la seule à pouvoir exploiter les produits de la société, grâce à Prevail. Il en va de même pour le Permanent Joint Headquarters britannique, les diverses unités d’espionnage militaire d’élite, les forces spéciales telles que les SAS et les SBS, le GCHQ, le MI5 et le MI6.
L’implication de Prevail dans le complot d’attentat à la bombe du pont de Kertch démontre amplement le manque total de scrupules de la société à l’égard des victimes civiles et son intérêt évident pour les actes terroristes. À l’origine, Prevail proposait d’aller plus loin que ce qui s’est réellement passé, en faisant exploser sous la structure un navire rempli de nitrate d’ammonium. La société a cité, en termes approbateurs, comme un exemple à imiter, le carnage causé par l’explosion de Beyrouth en 2020, qui a fait des centaines de morts, des milliers de blessés et des milliards de dégâts.
En tant que tel, il semble inconcevable que les vétérans des forces spéciales britanniques qui dirigent Prevail ne soient pas enthousiastes à l’idée de guider les actions les plus violentes de Kiev, ou n’hésitent pas à commettre eux-mêmes de tels actes.
Le partage de renseignements entre Washington et l’Ukraine est bien connu et s’est avéré essentiel à l’exécution d’une série d’opérations et de contre-offensives réussies. Cependant, la Maison-Blanche affirme observer des limites strictes sur ce qu’elle divulgue et quand, afin d’éviter une guerre plus large avec Moscou. Elle a notamment interdit de fournir des renseignements sur le ciblage de précision pour de hauts responsables russes nommément désignés.
Aucune réserve ou restriction de ce type ne semble exister dans le cas de Londres. En fait, la position d’une grande partie du gouvernement, des services de renseignement et de l’armée britanniques semble être que la guerre par procuration doit être intensifiée autant et aussi souvent que possible. Dans les cercles du renseignement militaire de Londres, tout exercice de prudence de la part de l’administration Biden est considéré comme le reflet de la lâcheté.
Le 16 décembre, le Premier ministre Rishi Sunak a exigé un audit sur l’évolution de la guerre en Ukraine à ce jour. Cette révélation a suscité de vives craintes au sein de Whitehall, qui redoutait que le nouveau Premier ministre n’imite et n’exacerbe la « prudence » de l’administration Biden. Une source anonyme a révélé à la BBC, à l’époque, que Londres avait « renforcé la détermination des États-Unis à tous les niveaux », par des « pressions ».
« Nous ne voulons pas que Rishi renforce la prudence de Biden. Nous voulons qu’il [continue à] faire pression comme Boris l’a fait », ont-ils expliqué.
Chris Donnelly, vétéran du renseignement militaire britannique, s’est fait l’écho de ce point de vue dans un courriel glaçant envoyé au brigadier Julian Buczacki de la 1re brigade d’élite de renseignement, de surveillance et de reconnaissance de l’armée britannique quelques heures après l’assaut du pont de Kertch. Donnelly a été l’une des forces motrices de cette attaque, demandant à ses subordonnés d’en établir les plans. Il est également le cerveau de l’armée secrète terroriste ukrainienne de Prevail.
Invité à servir en tant que conseiller de haut niveau « expert » en « escalade » auprès du chef d’état-major de Londres, Donnelly a condamné l’approche soi-disant prudente de Biden à l’égard du conflit, qualifiant les remarques du président de « si peu judicieuses qu’elles dépassent l’entendement » et de « mot opposé à “dissuasion” ».
Avec les dirigeants politiques de Londres subissant des pressions incessantes pour qu’ils acceptent la vision radicale de Donnelly sur le conflit, il semble presque certain que le Royaume-Uni cherchera de nouveaux moyens, avec toujours moins de scrupule, de provoquer la Russie en vue d’une escalade. Les forces rassemblées autour de Prevail sont déterminées à faire fi de la prudence, même si cela signifie tenter le diable avec un hiver nucléaire.
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