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Une nouvelle étude révèle que la CIA a utilisé des Noirs américains comme cobayes pour des expériences sur les drogues

Une nouvelle étude révèle que
la CIA a utilisé
des Noirs américains
comme cobayes
pour des expériences sur les drogues

Par Kit Klarenberg

Une publication MintPress News

Article

Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui connaissent le projet MK-Ultra. Pendant des décennies, la CIA a mené des expériences très peu éthiques sur des êtres humains afin de perfectionner les techniques de lavage de cerveau, de contrôle de l’esprit et de torture.

L’aspect le plus connu du programme est sans doute l’administration de fortes doses de substances psychoactives aux sujets, en particulier du LSD. Ces substances ont été portées à l’attention de Langley1 en 1948 par Richard Kuhn, l’un des 1 600 scientifiques nazis transférés clandestinement aux États-Unis dans le cadre de l’opération Paperclip après la Seconde Guerre mondiale. Lorsque MK-Ultra a été officiellement créé cinq ans plus tard, certains individus ont été consultés directement sur le projet.

L’administration à leur insu de LSD à des citoyens des États-Unis est tristement célèbre ; parmi les personnes intoxiquées se trouvaient même des agents de la CIA. Le fait que l’Agence ait exploité des malades mentaux, des prisonniers et des toxicomanes à cette fin — « des gens qui ne pouvaient pas se défendre », selon les termes d’un de ses agents anonymes — est moins connu.

Une étude réalisée par des chercheurs du Culture and Mental Health Disparities Lab (Laboratoire sur la culture et les disparités en matière de santé mentale) de l’Université d’Ottawa jette un éclairage nouveau et significatif sur cette composante sous-explorée de MK-Ultra et met en lumière une dimension jusqu’ici totalement inconnue du programme : les personnes de couleur, en grande majorité des Noirs américains, ont été ciblées de manière disproportionnée par la CIA dans le cadre de son service.

Considérés comme des animaux et traités comme tels

En 1973, craignant que les actions secrètes de la CIA ne fassent l’objet d’un audit officiel à la suite du scandale du Watergate, le chef de l’Agence de l’époque, Richard Helms, a ordonné la destruction de tous les documents relatifs à MK-Ultra.

Des dizaines de milliers de documents ont, d’une manière ou d’une autre, survécu à cette purge. En effet, plus de 80 universités, prisons et hôpitaux privés et publics ont mené, sciemment ou non, des expériences sur les drogues psychédéliques pour le compte de la CIA. Si le LSD était la substance la plus intéressante, les effets du DMT, de la mescaline, de la psilocybine et du THC ont également fait l’objet d’études approfondies.

Au total, l’équipe de l’Université d’Ottawa a analysé 49 de ces articles, publiés entre les années 1950 et 1970. Quarante pour cent d’entre eux concernaient des expériences menées à l’Addiction Research Center (Centre de recherche sur les dépendances) du Kentucky, directement géré par la CIA.

Le site comprenait une prison pour les personnes accusées d’avoir enfreint les lois sur les stupéfiants, un « quartier spécial » pour la recherche sur les drogues et une prison peuplée de prétendus « toxicomanes ». Les chercheurs qui y travaillaient préféraient manifestement effectuer des tests sur d’anciens ou d’actuels consommateurs de drogues, car ils étaient considérés comme « expérimentés » en ce qui concerne les effets des substances illicites et donc mieux à même de donner un consentement éclairé que les autres. Dans la pratique, les cobayes de la CIA n’avaient souvent aucune idée de ce qui leur était administré.

En analysant la littérature disponible, les universitaires ont examiné la race et l’ethnicité déclarées des participants, les stratégies de recrutement, la méthodologie et les dangers potentiels pour les participants. Toutes les études ont utilisé des sujets capturés et incarcérés, des incitations coercitives à la participation, des niveaux de dosage dangereux, tout cela pour une valeur scientifique discutable.

Dans près de 90 % des cas, au moins une violation de l’éthique a été identifiée, plus des trois quarts ont utilisé un schéma de dosage à haut risque qui serait inacceptable selon les recommandations modernes, et 15 % ont fait appel à des participants souffrant de troubles psychotiques. Environ 30 % ont exploité des personnes de couleur.

Alors que dans de nombreuses études, la race ou l’appartenance ethnique des sujets n’était pas consignée, une enquête plus approfondie menée par les universitaires d’Ottawa a révélé que les Noirs américains étaient largement surreprésentés dans les sites de recrutement des sujets. Il est inévitable que le nombre réel d’études MK-Ultra ayant abusé de personnes de couleur soit beaucoup plus important. Par exemple, alors que les personnes de couleur ne représentaient que 7 % de la population du Kentucky à l’époque des expériences menées à l’Addiction Research Center, les Américains noirs et mexicains constituaient 66 % de la population carcérale du site.

Composition ethnoraciale moyenne des sites de recrutement sur la période 1950-1070 [Source: Culture and Mental Health Disparities Lab, Université d’Ottawa]

Quoi qu’il en soit, le fait que les personnes de couleur aient souffert entre les mains de la CIA bien plus que les sujets blancs est clairement établi dans les détails à glacer le sang des expériences. Par exemple, une étude de 1957 montre comment de nombreux individus vulnérables ont été torturés psychologiquement et physiquement, en particulier un participant noir décrit par les chercheurs comme s’il était un animal et traité comme tel.

Sous l’effet du LSD, il a affiché un « regard sauvage et effrayé » et a demandé des « médicaments pour soulager sa peur ». Les chercheurs l’ont alors attaché et lui ont administré un nouveau cocktail de médicaments à des doses beaucoup plus élevées que pour les autres participants — dont la race n’a pas été enregistrée — et ont continué à le faire contre sa volonté.

De même, l’année précédente, une expérience a été menée au cours de laquelle des participants noirs ont reçu 180 microgrammes de LSD par jour pendant 85 jours, tandis que des participants blancs ont reçu 75 microgrammes par jour pendant huit jours seulement. L’un des sujets noirs a eu une réaction « très grave » à la dose administrée et a demandé à quitter l’étude une fois qu’il serait rétabli. Après une « considérable persuasion », toutefois, ils ont accepté de poursuivre l’étude.

L’abus d’influence est un thème récurrent identifié par les universitaires dans tous les documents analysés. Diverses techniques coercitives ont été fréquemment employées pour solliciter et maintenir la participation à des examens brutaux et, parfois, mettant la vie en danger.

Par exemple, les détenus de l’Addiction Research Center se voyaient offrir le choix entre des réductions de peine ou des drogues telles que l’héroïne, en échange de leur volontariat. Ces drogues pouvaient être consommées à la fin d’une étude ou conservées sur un « compte bancaire » en vue de « retraits » ultérieurs. Les sujets ont presque toujours choisi de nourrir leur dépendance plutôt que de sortir plus tôt de prison.

« Dr X, c’est sérieux »

Les conditions dans lesquelles les participants ont été soumis à l’expérience varient également considérablement en fonction de la race, même dans le cadre d’une même étude. L’une d’entre elles, réalisée en 1960, a observé côte à côte les effets du LSD sur un groupe d’hommes « nègres » condamnés pour trafic de stupéfiants, qui ont reçu leur dose dans un service de recherche d’une prison, et sur un autre groupe composé d’Américains blancs professionnels, qui se sont portés volontaires et ont reçu leur dose dans le cadre confortable de la maison du chercheur principal, « dans des conditions sociales conçues pour réduire l’anxiété ».

Ces cas donnent l’impression d’avoir été expressément menés pour évaluer les réactions potentiellement différentes aux drogues psychédéliques chez les participants noirs et blancs, ce qui soulève la question évidente de savoir si la CIA avait un intérêt spécifique — ou même plus large — pour l’effet de certaines drogues sur les personnes de couleur, plutôt que sur la population en général.

Un volontaire participe à un projet de recherche sur le LSD dans un camp d’honneur2 à Viejas, en Californie, le 6 septembre 1966. [Source: The Associated Press]

Dana Strauss, qui a dirigé l’enquête de l’université d’Ottawa, affirme que la représentation disproportionnée des Noirs américains dans les expériences MK-Ultra, bien qu’intensément chargée de racisme, reflétait simplement la composition ethnique des institutions ciblées par la CIA — même si elle est certaine que si les chercheurs de l’Agence n’avaient pas eu à leur disposition une population carcérale facilement disponible, ils auraient quand même choisi de cibler des personnes de couleur, à la manière de l’étude de Tuskegee sur la syphilis.

Comme l’a expliqué Strauss à MintPress :

« Les prisons étaient déjà remplies de corps noirs. Ils auraient pu faire des expériences sur des personnes libres, mais ils n’auraient pas pu s’en tirer avec ce genre d’expériences. À cette époque, il n’existait aucune protection pour les populations vulnérables telles que les participants aux recherches qui étaient incarcérés, de sorte que les chercheurs pouvaient globalement faire ce qu’ils voulaient […] Ces personnes étaient ciblées pour ces études dangereuses spécifiquement parce qu’elles étaient noires et prisonnières, et donc moins estimées. »

Tout comme les environnements fermés des camps de concentration nazis permettaient à des monstres comme Josef Mengele de mener des expériences cruelles et horribles sur des êtres humains sans se soucier de leur santé ou de leur sécurité, les personnes de couleur incarcérées et/ou placées en institution permettaient à la CIA de disposer d’une réserve inépuisable de sujets de test « qui ne pouvaient pas se défendre » et qui pouvaient être exploités et abusés/dégradés physiquement ou émotionnellement comme Langley1 le souhaitait, sans contrôle et sans aucun compte à rendre.

Selon Strauss, les chercheurs ont ainsi testé les réactions humaines aux drogues psychédéliques jusqu’à leur limite absolue. Si les chercheurs de MK-Ultra n’ont pas tout à fait égalé le mal et la barbarie qui se sont déchaînés à Auschwitz, du moins pour autant que nous le sachions, un mépris comparable pour les sujets de test est évident dans plusieurs études. Ce manque de considération peut expliquer le caractère gratuit et excessif de certaines expériences qui n’avaient pas de but précis et dont la valeur scientifique était loin d’être évidente.

En 1955, une équipe de chercheurs a mené une étude sur quatre patients schizophrènes à l’hôpital d’État de Spring Grove, à Baltimore, dans le Maryland, une ville aujourd’hui majoritairement noire. Les sujets ont reçu d’énormes quantités de LSD sur une longue période : 100 microgrammes par jour pendant deux semaines, puis 100 microgrammes supplémentaires par jour pour lutter contre l’augmentation des niveaux de tolérance. À titre de comparaison, les directives actuelles en matière de recherche sur les psychédéliques imposent une dose maximale absolue de 200 microgrammes de LSD par jour et mettent en garde contre les périodes d’administration prolongées.

Pendant tout ce temps, les chercheurs ont surveillé les participants sans aucune compassion, en leur manquant de respect et en les déshumanisant. Le langage objectif utilisé dans leur rapport reflète cette vision moralement corrompue. Leur voyeurisme pervers s’est étendu à l’observation des « habitudes de toilette » et de l’« érotisme », et à la fréquence à laquelle les quatre patients se sont « souillés » et ont « étalé des excréments ». Les chercheurs ont également noté la fréquence à laquelle ils « se masturbaient ou parlaient de sexe », et ont même consigné la façon dont un patient a protesté désespérément contre les mauvais traitements qui lui étaient infligés : « Dr X, c’est sérieux […] nous sommes des gens misérables […] ne jouez pas avec nous. »

Des « injustices flagrantes en matière de recherche »

Pour Strauss, le fait que la composante raciale de MK-Ultra soit restée si longtemps méconnue et cachée à la vue de tous « montre bien où nous en sommes en tant que société ».

Tout comme les chercheurs de la CIA ont dévalorisé la vie des Noirs américains et des détenus, les universitaires en font de même depuis, même si c’est de manière inconsciente. Aujourd’hui, note Strauss, les experts continuent de se désintéresser de la manière dont les personnes non blanches réagissent aux traitements de santé mentale. Elle cite une étude récente selon laquelle plus de 80 % des participants aux études psychédéliques modernes sont des Blancs non hispaniques.

« La recherche psychédélique, la psychologie et le monde académique dans son ensemble sont encore des domaines dominés par les Blancs. En 2015, plus de 85 % des psychologues aux États-Unis étaient blancs, et moins de 5 % étaient noirs. Une psychologue noire, la Dr Monnica Williams, a été la première à enquêter sur les abus en matière de recherche et les violations de l’éthique dans le cadre de MK-Ultra », explique Strauss à MintPress. « Je pense que la vraie question est de savoir pourquoi personne d’autre n’a enquêté sur ces injustices flagrantes en matière de recherche. »

Plus choquant encore, alors que la moralité des scientifiques et des professionnels de la santé qui utilisent des recherches nazies inhumaines et illégales continue de faire l’objet de vifs débats, aucune préoccupation de ce type n’est apparue en ce qui concerne les recherches de MK-Ultra examinées par Strauss et son équipe, études hautement contraires à l’éthique et fondamentalement racistes ; celles-ci continuent aujourd’hui d’être citées comme des travaux universitaires légitimes.

Le chimiste Cecil Hider montre un échantillon de LSD lors d’un témoignage en mars 1966 sur le contrôle des drogues hallucinogènes. [Source: Walter Zeboski, The Associated Press]

Strauss espère que son article déclenchera un débat plus large sur la manière dont les abus en matière de recherche ont eu et continuent d’avoir un impact sur les personnes de couleur et sur la manière dont la recherche en santé mentale peut devenir plus socialement responsable et culturellement compétente.

De manière plus générale, il existe un besoin urgent de créer une commission officielle pour la vérité et la réconciliation sur MK-Ultra. Aucun fonctionnaire de la CIA ni aucun chercheur participant au projet n’a jamais été tenu pour responsable ou puni de quelque manière que ce soit pour les innombrables crimes contre l’humanité commis sous ses auspices, et l’étendue totale du programme reste opaque et mystérieuse. Cependant, malgré la dissimulation permanente, nous en apprenons toujours plus sur ce sinistre projet secret, y compris sur sa composante à l’étranger, MK-Delta.

En décembre 2021, il a été révélé que pendant des décennies, la CIA avait mené des expériences invasives sur des enfants danois, souvent orphelins, sans leur consentement éclairé. Lorsque l’une des victimes a tenté d’accéder à des documents locaux sur cette macabre connivence, les autorités ont commencé à détruire les dossiers. De nombreuses questions se posent quant aux autres endroits en Europe où l’Agence a pu mener des activités similaires.

De toute évidence, la dissimulation se poursuit : la suppression n’est certainement pas motivée seulement par un désir réflexe de dissimuler des crimes historiques, mais aussi par le fait que ces documents pourraient bien être pertinents par rapport aux activités de la CIA à l’heure actuelle.

Comme l’a révélé MintPress en avril, de nombreuses techniques de torture et de manipulation mentale mises au point par l’Agence au cours de l’existence officielle de MK-Ultra ont été employées avec un effet dévastateur sur les détenus de Guantanamo Bay. Il n’y a aucune raison de croire qu’elles ne sont pas encore utilisées ailleurs aujourd’hui ou qu’elles ne le seront pas à l’avenir.

Les craintes de Richard Helms de voir le Congrès enquêter sur MK-Ultra se sont finalement concrétisées en 1977. Parmi les personnes qui ont témoigné, Edward M. Flowers était le seul prisonnier survivant à avoir été localisé et ayant pris part à des expériences de la CIA sur le contrôle de l’esprit. Il a participé à des tests psychédéliques à l’Addiction Research Center dans les années 1950, alors qu’il était incarcéré. Bien que les auditions lui aient permis de mieux comprendre ce qu’on lui avait fait subir au nom de la science, rien n’en est ressorti.

« J’ai vraiment eu un aperçu direct de certaines choses lors des auditions […] J’ai compris que la CIA était derrière tout ça […] Ils se sont servis de mon cul et ont profité de moi », se souvenait-il de nombreuses années plus tard. « Je suis retourné sur The Hill [La Colline] une deuxième fois. Je me suis assis avec quelques personnes et ils ont parlé de certaines choses en rapport avec des indemnités […] et c’est la dernière fois que j’en ai entendu parler ».

En revanche, en novembre 1996, alors que les allégations allaient crescendo concernant le fait que la CIA avait facilité la vente de crack en Californie afin de financer des opérations secrètes au Nicaragua, le chef de l’Agence de l’époque, John Deutch, a été contraint de répondre aux questions difficiles des habitants de Los Angeles au sujet de la conspiration signalée, lors d’une réunion en face à face sans précédent.

Il n’y a aucune raison pour que le tollé suscité par les conclusions de l’étude de l’université d’Ottawa ne pousse pas à nouveau les représentants de Langley à s’expliquer en public. Et il y a toutes les raisons pour qu’il en soit ainsi.

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  1. Le site de Langley, qui héberge entre autres le siège de la CIA, est souvent utilisé comme métonyme de l’Agence. (NdT) 

  2. « honor camp » : camp de travail composé de prisonniers de confiance et fonctionnant selon un système d’honneur (NdT) 

 

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