Un témoignage révèle le complot de la police secrète de Zelensky pour « liquider » la figure de l’opposition Anatoly Shariy

Un témoignage révèle le complot
de la police secrète de Zelensky
pour « liquider »
la figure de l’opposition
Anatoly Shariy

Par Dan Cohen

Une publication MintPress News


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Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Des témoignages recueillis à propos de la prison de torture du SBU ukrainien révèlent le complot de Zelensky visant à assassiner Anatoly Shariy, figure de l’opposition en exil et journaliste de premier plan.

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KIEV, UKRAINE — Le 7 mars, Anatoly Shariy, figure de l’opposition ukrainienne et l’un des journalistes les plus populaires du pays, a reçu un email d’Igor, une vieille connaissance avec laquelle il n’avait pas communiqué depuis des années (Igor est un pseudonyme utilisé pour protéger son identité).

« S’il vous plaît, aidez-moi à trouver un endroit pour vivre, suggérez un appartement ou un agent. Je suis prêt à faire n’importe quel travail pour vous, ce que vous voulez », pouvait-on lire dans l’email.

« J’ai compris qu’il était entre les mains du SBU », m’a dit Shariy, en utilisant l’acronyme de l’agence ukrainienne de renseignement intérieur, connue pour sa persécution de toute personne accusée de sympathie pour la Russie. « J’ai compris à qui je parlais et je n’ai rien répondu de particulier. »

Shariy soupçonnait que le SBU voulait qu’Igor le surveille en vue d’une tentative d’assassinat.

Quatre jours plus tard, Shariy a reçu un email d’une adresse différente. Il s’agissait d’Igor, confirmant cette fois les soupçons de Shariy selon lesquels le premier email avait été écrit par un agent du SBU. Igor explique qu’il a été interrogé et torturé en raison de ses liens avec la Russie.

« J’ai compris que les agents du SBU préparaient une tentative d’assassinat contre Anatoly et j’ai décidé d’accepter de le prévenir que sa vie était en danger », m’a-t-il dit lors d’un appel téléphonique.

Shariy vit en exil depuis 2012, ayant fui pendant la présidence de Viktor Ianoukovytch et obtenu l’asile politique dans l’UE. Son opposition au coup d’État de Maïdan en 2014 a alourdi son profil et fait de lui une cible de Petro Porochenko, qui est arrivé au pouvoir dans la foulée. Les mouvements néonazis qu’il avait dénoncés les années précédentes ont acquis un pouvoir politique sérieux et ont intensifié leur agressivité à son égard. En 2015 en Lituanie, les médias ont qualifié Shariy d’« ami préféré de Poutine », et le gouvernement du pays a rapidement révoqué son asile. Shariy, entretemps, avait cherché une protection ailleurs et s’était réinstallé en Espagne, où il a continué à devenir l’un des critiques les plus populaires du président Volodymyr Zelensky.

Cependant, sa situation difficile ne s’est guère améliorée. En 2019, Alexander Zoloytkhin, un ancien soldat du bataillon néonazi Azov, a publié l’adresse et les photos de la maison où vivent Shariy, sa femme Olga Shariy et son jeune enfant, ainsi que des photos de la voiture d’Olga. Des néonazis ukrainiens ont manifesté devant sa maison et il a reçu de nombreuses menaces de mort.

Aujourd’hui, il est une cible privilégiée du gouvernement de Kiev, des paramilitaires néonazis et du SBU.

« Je l’ai aidé à devenir président »

Shariy a commencé sa carrière dans le journalisme en 2005, écrivant d’abord pour des magazines féminins, puis menant des enquêtes sur les oligarques ukrainiens, le crime organisé et les réseaux néonazis.

Il est devenu un critique bien connu du coup d’État de Maïdan de 2014 orchestré par les États-Unis, utilisant son blog vidéo sur sa chaîne YouTube pour rassembler une énorme audience en ligne. Aujourd’hui, il compte près de 3 millions d’abonnés sur YouTube, 340 000 sur Facebook et 268 000 sur Twitter, devenant l’un des journalistes les plus populaires du pays bien qu’il a vécu hors de ses frontières pendant une décennie.

En 2019, quelques mois avant l’élection présidentielle, Shariy a fondé un parti politique libertaire de centre droit, qu’il a baptisé de son nom : Le Parti de Shariy. S’adressant aux jeunes professionnels et aux patrons des petites et moyennes entreprises, la popularité en ligne de Shariy l’a transformé en un acteur important dans la constitution d’une coalition, obtenant régulièrement entre trois et six pour cent des voix.

Shariy a soutenu activement Zelensky pendant la campagne, attaquant le président sortant Porochenko. « Je pensais que [Zelensky] était déterminé à donner suite à ses promesses électorales. Je l’ai aidé à devenir président. C’est vrai que moi et mon équipe avons fait tout ce qu’il fallait pour qu’il obtienne le poste », m’a raconté Shariy par email.

Les militants de Shariy ont été efficaces pour perturber les événements de la campagne de Porochenko.

« Nous suivions Porochenko partout où il se rendait durant sa tournée préélectorale. Il y avait tellement de gens dans chaque ville et village qui s’organisaient en groupes et allaient lui poser des questions difficiles », se souvient Shariy.

Lors d’un événement en juillet 2019, les partisans de Shariy ont détourné le slogan de campagne de Porochenko — « Armée-OUI, Langue-OUI, Foi-OUI » — en répliquant « Shariy » au lieu de « OUI ».

Mais l’image soigneusement construite par Zelensky pour sa campagne, celle d’un outsider politique voué à éradiquer la corruption rampante — copiée de sa série télévisée à succès, « Serviteur du peuple » — s’est avérée être une farce.

Zelensky a conclu des accords avec des oligarques et a constitué son cabinet avec les mêmes personnalités qu’il a passé sa campagne à critiquer. Il a évité les efforts pour former une coalition, caractéristique de la démocratie parlementaire multipartite de l’Ukraine, préférant conclure des accords secrets pour obtenir des voix. Il s’est même rangé du côté du propre parti de son ancien rival acharné Porochenko lors des élections municipales de 2020 à Odessa, malgré sa célèbre citation lors des débats préélectoraux, lorsqu’il a dit à Porochenko : « JE SUIS VOTRE VERDICT » — « Я - ваш приговор ».

« Lorsque j’ai réalisé qu’il n’avait pas l’intention de changer quoi que ce soit, que la corruption était la même, voire pire, nous avons changé d’avis », a déclaré Shariy.

Après sa victoire, Zelensky a supprimé le financement public des partis ayant obtenu moins de 5 % des voix aux élections. Le parti de Shariy, qui n’a obtenu que 2,23 % des voix, a donc fait partie de cette liste.

Écarté par le nouveau président qu’il avait contribué à faire élire, Shariy a publiquement dénoncé Zelensky, en faisant remarquer qu’il devrait « réduire son financement public et se le fourrer dans le cul ».

Zelensky a trahi ses promesses électorales de réforme et de progrès significatifs concernant l’impasse du Donbass, ce qui a entraîné un déclin rapide du soutien populaire. Cela a laissé une niche ouverte qui a été rapidement occupée par le Parti de Shariy. Alors que les électeurs plus âgés soutenaient traditionnellement la « Plateforme de l’opposition — Pour la vie » de Viktor Medvedchouk, la présence en ligne et le style de Shariy ont séduit les jeunes générations.

Sur le terrain, les militants du Parti de Shariy ont commencé à protester contre Zelensky avec les mêmes tactiques qu’ils avaient utilisées en sa faveur contre Porochenko, en apparaissant à ses événements et en demandant sa démission.

Alors que Shariy gagnait du capital politique et était même considéré comme un candidat possible à la présidence lors d’une future élection, la guerre des mots entre lui et Zelensky s’est transformée en une rivalité amère.

Zelensky s’en est pris à Shariy, l’accusant de « tenter d’augmenter sa cote au détriment de ma cote, la cote du président ».

Yuri Tkachev, un journaliste ukrainien récemment arrêté par le SBU, a estimé que le parti de Shariy est beaucoup plus fort que ce qu’indiquent les sondages. « Il est étrange de penser que le gouvernement dépenserait autant d’énergie sur un parti d’opposition insignifiant. Tout cela nous fait penser que leur cote de popularité est plus élevée que ce qu’ils essaient de nous montrer », a-t-il fait remarquer.

La chasse aux dissidents lors d’un « safari » politique

Tout au long de l’élection, les frasques anti-Porochenko du Parti de Shariy ont été accueillies avec une violence extrême par la base du président, qui comprenait des ultranationalistes et des néofascistes. Certains qui ont osé poser des questions difficiles à Porochenko ont été battus. À Zaporojié, la voiture d’un homme a été incendiée et une femme a été agressée par Porochenko lui-même.

Ces violences se sont poursuivies après la victoire de ce dernier aux élections, et sa rivalité avec Zelensky s’est intensifiée.

Lors d’une manifestation organisée en juin 2020, au cours de laquelle des membres du Parti de Shariy ont demandé une enquête sur les attaques à motivation politique dont leurs membres ont été victimes, des groupes néonazis ont attaqué à l’aide de bombes fumigènes et de gaz lacrymogènes, puis des bagarres ont éclaté à l’intérieur du métro. Par la suite, ces groupes ont annoncé un « safari » politique, offrant des récompenses pour les attaques contre les membres du Parti de Shariy. Ces événements ont marqué l’escalade de la violence à l’encontre de l’opposition politique, en particulier à l’encontre du Parti de Shariy et de ses partisans.

Lors d’un incident, des hommes masqués ont battu un jeune homme à Kharkiv, le laissant grièvement blessé et hospitalisé. À Vinnytsia, des hommes du groupe néofasciste Edelweiss ont battu un membre du parti en plein jour, lui cassant les côtes et lui perforant un poumon. Lors d’un autre incident, un membre du bataillon néonazi Azov, le régiment militaire entraîné par les États-Unis, a attaqué un adhérent à l’intérieur du bureau de son parti.

Alors que les membres de son parti sont battus dans les rues et dans leurs bureaux, Shariy est menacé. Le 8 juillet 2020, il a accusé Zelensky d’avoir ordonné son assassinat, publiant une confession donnée à la police catalane par Zoloytkhin, l’homme qui avait publié son adresse l’année précédente. Zoloytkhin était recherché en Ukraine pour de nombreux crimes graves, notamment pour avoir participé à l’enlèvement et au passage à tabac du journaliste Vladislav Bovtruk en 2016. Zoloytkhin a avoué à la police que des personnalités du gouvernement Zelensky lui avaient donné l’ordre d’assassiner Shariy, et ce dernier a publié la confession vidéo de Zoloytkhin.

En février 2021, le SBU a incriminé Shariy de trahison, l’accusant de « diffuser de la propagande russe », et l’a convoqué pour un interrogatoire. Après avoir refusé de se présenter, il a été placé sur la liste nationale des personnes recherchées.

Shariy est inscrit sur la liste noire de Myrotvorets (Pacificateur), une base de données en ligne de ce que son propriétaire a déclaré être des « ennemis de l’État », contenant des informations personnelles et des adresses. Cette liste noire est liée au gouvernement ukrainien et au SBU et a été créée par Anton Herashchenko, aujourd’hui conseiller au ministère ukrainien des Affaires intérieures. Le site accuse Shariy de violer la souveraineté de l’Ukraine et de financer des terroristes.

Une capture d’écran montre Shariy sur un site Web lié au gouvernement qui publie les données personnelles des ennemis de l’État.

De multiples personnalités ont été tuées peu après l’ajout de leur nom à la liste. Le 15 avril 2015, Oleh Kalashnikov, un homme politique du Parti des régions pro-russe, le parti du président déchu Victor Ianoukovytch, a été abattu à Kiev. Le lendemain, Oles Buzina, journaliste et auteur célèbre qui prônait l’unité entre l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie, et militait pour l’interdiction des organisations néonazies, a été abattu près de son appartement. Les coupables se sont avérés être Andrey Medvedko et Denis Polishchuk, des néonazis qui avaient occupé des postes au gouvernement et dans l’armée — leurs aveux ont été publiés par Shariy. Pourtant, non seulement les meurtriers de Buzina sont en liberté, mais ils ont reçu des fonds du gouvernement.

Zelensky a ouvert de nombreuses affaires pénales contre Shariy. Il a personnellement promulgué des sanctions contre lui, sa femme Olga Shariy, et la mère de sa femme, Alla Bondarenko. Le parti politique de Shariy a été interdit dans le décret radical de Zelensky du 20 mars qui a criminalisé tous les partis d’opposition, les accusant de liens avec la Russie.

« Une personne ordinaire avoue au moins le meurtre de John F. Kennedy »

Avant l’offensive russe, Shariy apparaissait souvent à la télévision russe, se positionnant comme une alternative neutre à Zelensky et à son régime de néolibéraux et de néofascistes pro-UE. Lorsque les chars russes ont franchi la frontière ukrainienne, il a immédiatement dénoncé l’invasion, qualifiant le Kremlin d’insensé pour avoir envahi un pays qui, selon lui, s’effondrerait de lui-même. Néanmoins, les menaces à son encontre se sont intensifiées et Zelensky a cherché à éliminer Shariy de la vie politique et à le tuer purement et simplement.

Le 2 mars, des agents des services de renseignement ukrainiens se sont présentés au domicile d’Igor à Kiev. Voici le récit qu’il a fait à MintPress par téléphone le 7 avril. 

Ils l’ont mis en garde à vue, lui ont passé les menottes et placé un sac sur la tête, puis l’ont emmené dans un complexe sportif transformé en prison temporaire, relié au siège principal du SBU, situé dans le centre de Kiev entre les rues Vladimirskaya, Irininsky, Patorzhinsky et Malopodvalna. Construit à l’origine comme un palais des syndicats après la révolution russe, ce bâtiment est devenu le siège bolchevique de l’Ukraine. Depuis 1938, il a servi de siège à la Gestapo pendant l’occupation nazie, au NKVD de l’URSS et, aujourd’hui, de centre de torture pour les prisonniers de guerre russes et les Ukrainiens accusés d’avoir des liens avec la Russie.

Dans les étroites salles souterraines transformées en un vaste complexe de sécurité d’État, les agents du SBU supervisent les membres de la « Défense territoriale » — des civils ultranationalistes et des éléments criminels auxquels le gouvernement a donné des armes dans les rues dès les premiers jours de l’offensive russe — pendant qu’ils battent, torturent et même tuent leurs prisonniers.

De nombreuses personnalités ont été enlevées et torturées par la Défense territoriale et le SBU. Parmi elles figurent : le combattant de MMA (mixed martial arts) Maxim Rindkovsky, qui a été battu, enregistré sur vidéo, et qui aurait été tué ; Denis Kireev, le négociateur ukrainien qui a été assassiné après avoir été accusé de trahison ; et Volodymyr Struk, le maire de Kreminna, qui a été assassiné après avoir été accusé de soutenir la Russie. Même Dmitry Demyanenko, ancien chef du SBU de la région de Kiev, a été abattu dans sa voiture le 10 mars, accusé de sympathie pour la Russie.

Clint Ehrlich : « Le combattant russe de MMA, Maxim Ryndovsky, a été capturé par les forces ukrainiennes.
Il y a une vidéo horrifiante de lui en train d’être torturé. Je ne la publierai pas, mais c’est en train de devenir une grande histoire en Russie.
Les authentiques crimes de guerre ukrainiens sont maintenant utilisés pour justifier l’escalade de la guerre. »

En réalité, le SBU est un projet de la CIA. Après le coup d’État de 2014, le service de sécurité était dirigé par Valentin Nalyvaichenko, qui a été recruté par la CIA lorsqu’il était consul général d’Ukraine aux États-Unis. La CIA disposerait d’un étage entier dans le siège du SBU.

En novembre 2021, Zelensky a nommé Oleksandr Poklad à la tête du contre-espionnage du SBU. Ancien avocat et flic lié au crime organisé, Poklad est surnommé « L’Étrangleur », en référence à sa méthode favorite pour obtenir le témoignage de ses victimes. Un article décrit une autre méthode de torture connue sous le nom de « L’Éléphant ».

« Un masque à gaz est mis sur la victime de la torture, et du gaz lacrymogène poivré provenant d’une bombe aérosol ou un aérosol toxique tel que le dichlorvos est lancé dans le tuyau du masque à gaz. Après une telle torture, une personne ordinaire avoue au moins le meurtre de John F. Kennedy. »

Dan Cohen : « Anatoly Shariy, dont le parti politique nommé “Parti de Shariy” vient d’être interdit par Zelensky, explique que les services secrets ukrainiens du SBU — dirigés par “l’Étrangleur” — font disparaître, torturent et assassinent tous ceux qui ont prononcé un seul mot critiquant le régime. Suite ci-dessous. »
Dan Cohen : « Selon Shariy, les services de renseignement du SBU de Zelensky — qu’il compare aux SS d’Hitler — utilisent l’offensive russe comme prétexte pour commettre des crimes.
“Personne ne peut aider ces gens maintenant.” »

Les Nations unies et Amnesty International ont toutes deux documenté les prisons de torture du SBU.

Le SBU collabore également étroitement avec des groupes néonazis, notamment Secteur droit, Azov et C14, ce dernier ayant été engagé par le gouvernement ukrainien pour effectuer des patrouilles de rue.

« Un petit Guantanamo »

À l’intérieur du complexe sportif transformé en prison de torture temporaire, Igor raconte que le sac sur sa tête a été remplacé par un bandeau, de sorte qu’il ne pouvait voir que ses jambes.

En tant qu’homme d’affaires ukrainien qui a longtemps travaillé dans la logistique du transport, comprenant des passages par Moscou — une histoire typique de nombreux Ukrainiens —, Igor avait maintenu, depuis son retour à Kiev, des liens commerciaux avec Moscou et la Crimée qui a rejoint la Fédération de Russie après le référendum positif de 2014.

Plusieurs membres de sa famille, dont sa mère, vivent en Russie, et il leur rendait régulièrement visite jusqu’à ce que les relations entre les deux pays atteignent un point critique en 2021. « Avec le conflit entre la Russie et l’Ukraine, et les événements du 24 février, ma mère a commencé à m’appeler très souvent parce qu’elle avait très peur de mon statut », m’a-t-il confié.

La Défense territoriale a commencé à rafler toute personne soupçonnée de sympathiser avec la Russie, ainsi que les Ukrainiens ayant des liens transfrontaliers, qu’ils soient familiaux ou professionnels.

À l’intérieur de la prison de fortune, Igor dit avoir identifié 25 à 30 voix distinctes d’hommes emprisonnés, et avoir vu 10 à 12 hommes en uniformes militaires russes, qu’il pense être des prisonniers de guerre. Deux des Russes ont été sévèrement battus afin de motiver les autres à témoigner devant les caméras de leur haine de Poutine et de leur opposition à la guerre.

D’autres détenus étaient des religieux connus pour se rassembler devant les installations militaires afin de prier pour la paix ainsi que des sans-abri qui n’avaient aucun moyen de respecter le couvre-feu du soir et qui étaient victimes des rafles des patrouilles nocturnes.

Si beaucoup de ceux qui se trouvaient dans le complexe ont été gardés quelques heures puis relâchés, d’autres ont été sévèrement battus. « C’était comme un petit Guantanamo », se souvient Igor.

Igor dit avoir été interrogé à trois reprises, chaque séance durant entre 15 et 30 minutes. Les coups ont été portés par des volontaires de la Défense territoriale pendant que des officiers du SBU leur donnaient des instructions sur la façon de torturer et lui posaient des questions.

« Ils ont utilisé un briquet pour chauffer une aiguille, puis me l’ont mise sous les ongles », m’a-t-il raconté. « Le pire, c’est quand ils m’ont mis un sac en plastique sur la tête et m’ont étouffé et quand ils ont tenu le canon d’un fusil Kalachnikov sur ma tête et m’ont forcé à répondre à leurs questions. »

Mais il affirme que les souffrances qu’il a endurées étaient mineures en comparaison des tortures infligées aux prisonniers de guerre russes, qui étaient battus avec des tuyaux métalliques pendant que l’hymne national ukrainien était joué en boucle en arrière-plan. « Je pouvais l’entendre, car toutes les tortures se déroulaient dans une pièce voisine. C’était psychologiquement très dur. Cela se passait la nuit, les bruits des coups étaient constants. Il était difficile de dormir. »

En écoutant les conversations des autres prisonniers, Igor a compris que deux prisonniers de Biélorussie avaient été battus à mort, identifiant l’un d’eux comme un homme nommé Sergey.

« Comme un juif dans l’Allemagne nazie »

L’existence de la prison de torture a été corroborée par un récit que j’ai reçu d’Andrey, un homme ayant la nationalité russe et celle d’un pays d’Europe occidentale (Andrey est également un pseudonyme pour protéger l’identité de la source).

Andrey se souvient que, lorsqu’il a été amené à la prison pour la première fois, il a vu des policiers battre ce qu’ils disaient être un saboteur russe.

« C’est comme la justice populaire, vous savez ? Vous trouvez quelqu’un qui correspond à peu près à la description et vous vous en prenez à lui », a-t-il déclaré.

La police a frappé l’homme, attaché à une chaise, à plusieurs reprises au torse, au visage et à l’arrière de la tête, alors que le sang coulait de sa bouche.

« La police ne s’intéressait même pas à ce qu’il avait à dire. Ils posaient une question, il commençait à parler lentement et ils le frappaient à la tête », a-t-il ajouté. « Ils se défoulaient de leur agressivité et de leur peur sur lui comme sur un punching-ball. »

Andrey raconte que la police l’a menacé de la même manière, mais qu’il a été épargné parce qu’il possédait la nationalité d’un pays d’Europe occidentale. « On m’a dit que si ce n’était pas pour mon deuxième passeport, on me tuerait. Je ne sais pas si c’était pour m’influencer et me faire peur ou si c’était réel », a-t-il précisé.

Au cours d’un interrogatoire, il dit avoir eu les yeux bandés, les mains attachées dans le dos et avoir été conduit dans un lieu inconnu. Après avoir été amené dans un bâtiment et avoir monté et descendu des escaliers, il a été jeté au sol et frappé à la tête.

Andrey se souvient avoir entendu de la musique ukrainienne ultranationaliste dans la prison. « Hard bass, électro, rock, rap — c’était soit pour nous priver de sommeil, soit pour masquer ce qui se passait derrière la musique. »

À l’intérieur de la prison, Andrey a rencontré Igor, qui dormait sur une natte adjacente. Il se souvient qu’il ne savait pas si c’était un véritable prisonnier ou s’il s’agissait d’un informateur qui tenterait de lui soutirer des informations. Au cours de leurs brefs échanges, Andrey a mémorisé un numéro de téléphone qu’Igor lui a donné et l’a contacté après sa libération.

Depuis sa libération, Andrey demeure à l’intérieur des frontières ukrainiennes, inquiet que l’hystérie anti-russe qui s’empare de l’Ukraine puisse le blesser, ou pire. « Je suis comme un juif dans l’Allemagne nazie », m’a-t-il dit.

« Ils étaient très intéressés par sa vie quotidienne »

Pendant l’interrogatoire d’Igor, les agents du SBU ont trouvé les coordonnées de son oncle, un ancien officier de l’armée soviétique. Croyant que celui-ci avait de l’influence dans l’armée russe, les agents du SBU l’ont appelé pour lui demander de faciliter l’échange d’Igor contre des prisonniers de l’incident de l’île des Serpents.

Lorsque les agents du SBU ont trouvé des vidéos de Shariy sur le téléphone d’Igor, ils ont fait appel à des officiers d’un autre service. Dès lors, ils ont commencé à mieux le traiter, lui retirant les menottes et lui donnant de plus grandes quantités de nourriture.

Les liens d’Igor avec Shariy étaient minimes, se limitant à des contacts occasionnels par SMS. En 2015, Shariy avait publié une vidéo sur un incident au cours duquel la cargaison du camion d’Igor avait été retenue contre rançon par des militants du bataillon Aïdar, à un poste-frontière entre la Crimée et l’Ukraine.

Igor avait ensuite filmé des interviews et des événements pour Shariy, bien qu’ils ne se fussent jamais rencontrés en face à face. Néanmoins, les agents du SBU ont apparemment vu en Igor l’occasion de recueillir des informations sensibles sur les habitudes de Shariy.

Quelques heures plus tard, l’officier en chef est venu l’interroger sur les documents et les interviews sur lesquels il avait travaillé pour Shariy. On lui a ensuite donné une couverture et on l’a laissé dormir pendant deux jours.

Après un autre interrogatoire, ils lui ont ordonné de se rendre en Espagne, où s’est réfugié Shariy. « Leur principale intention était que je reste aux côtés de Shariy, que je l’aide à préparer des documents et que je fasse un rapport aux officiers sur ce qu’il fait, son statut, ce que fait sa famille, ce qu’il mange et où il fait ses courses. Ils étaient très intéressés par sa routine quotidienne, ses déplacements et les personnes qui lui sont proches. Ils voulaient que je sois le plus proche possible de lui et à ses côtés le plus souvent possible. »

C’est alors qu’Igor a compris que la vie de Shariy était en danger.

« D’après ce que j’ai compris, sur la base des informations que j’ai dû transmettre, la liquidation d’Anatoly Shariy était en préparation, car il représente un danger pour le gouvernement ukrainien et critique les actions du SBU, du gouvernement et du président Zelensky », m’a-t-il dit.

Le SBU lui a indiqué qu’un agent en poste en Espagne le contacterait après son arrivée et lui donnerait de nouvelles instructions.

Un autre département du SBU a informé son frère de son arrestation, exigeant un pot-de-vin de 1 000 dollars pour sa libération. « Pour le SBU, c’est juste un moyen de gagner de l’argent. Ils détenaient des personnes et demandaient de l’argent en échange », a-t-il déclaré. Son frère a payé le pot-de-vin le 10 mars, libérant Igor, bien que la voiture de ce dernier ait été confisquée comme un préjudice collatéral. « Il y a beaucoup de cas comme celui-ci. Ils prennent des voitures civiles pour les besoins du SBU et de l’armée ukrainienne. »

Les agents du SBU avaient assuré à Igor qu’il pourrait passer les frontières ukrainiennes et entrer dans l’Union européenne, une tâche presque impossible pour les hommes ukrainiens âgés de 18 à 60 ans qui sont soumis à la conscription obligatoire.

Après sa libération, Igor dit être resté à Kiev pendant dix jours, pour se reposer et se refaire une santé. Il s’est ensuite rendu en Transcarpathie, une région de l’ouest de l’Ukraine. Au lieu de suivre les ordres du SBU, Igor est allé dans un autre pays d’Europe occidentale. Le 2 avril, il a contacté Anatoly Shariy par email, l’informant qu’il pensait qu’il était menacé.

« J’ai prévenu Anatoliy Shariy qu’il pourrait y avoir une tentative de meurtre contre lui en Espagne. » Shariy a compris que l’appel d’Igor représentait une menace extraordinaire. « J’étais très tendu avec des questions sur le fait qu’on pourrait me l’envoyer pour qu’il puisse découvrir les endroits que je visite, jusqu’à ceux où je mange. L’orientation de ces questions indique clairement qu’ils ont l’idée de mon élimination physique », m’a confié Shariy par email.

Actuellement dans un pays de l’UE, Igor est confronté à un avenir incertain et ne peut pas retourner en Ukraine. « J’ai peur, non seulement pour ma propre vie, mais aussi pour mes proches et mes amis », dit-il.

Dan Cohen : « Sur les chaînes Telegram, beaucoup spéculent que le SBU a détenu Medvedchouk dans le sous-sol d’une prison pendant des semaines, et qu’il a publié les photos maintenant pour détourner l’attention des pertes de l’Ukraine sur le champ de bataille. Impossible de le savoir, mais on ne peut pas l’exclure. »
Dan Cohen : « Le visage de Medvedchouk est clairement meurtri, apparemment à la suite de coups portés par les hommes de main du SBU de Zelensky. Ne vous attendez pas à ce que des questions sur cette image apparaissent dans les pages du NYT ou dans le cirque médiatique 24 h / 24 de CNN. On ne peut pas laisser quoi que ce soit saper le récit pro-guerre. »

Avec le leader de l’opposition Viktor Medvedchouk, meurtri et apparemment battu, sous la garde du SBU, le risque pour Shariy est clair. Il continue de recevoir des menaces de mort contre lui et sa famille, parfois 100 par jour, dit-il.

A gauche : « Regarde, c’est ton avenir. »
À droite : « J’espère qu’ils te trouveront bientôt. »
Captures d’écran fournies par Anatoly Shariy

 

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