Tentative de « coup d’État » de l’extrême droite allemande : des soupçons d’une machination orchestrée par la sûreté de l’État

Tentative de « coup d’État »
de l’extrême droite allemande :
des soupçons d’une machination
orchestrée par la sûreté de l’État

Par Kit Klarenberg

Une publication The Grayzone


Extrême droite Fascisme Terrorisme Propagande Médias
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Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Une vaste opération de police a permis de déjouer les plans des extrémistes visant à renverser le gouvernement allemand. Mais, le moment choisi pour le complot et son absurdité ont soulevé des questions sur le rôle de la sûreté de l’État dans la mise en place de ce projet — un phénomène souvent observé dans le passé en Allemagne.

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Le matin du 7 décembre 2022, les services de sécurité allemands ont effectué la plus grande descente de police de leur histoire. 3 000 agents ont pris d’assaut 130 propriétés réparties dans presque tout le pays, ainsi qu’en Autriche et en Italie.

À la fin de la descente de police, 25 personnes ont été arrêtées pour avoir comploté en vue de renverser le gouvernement allemand. Ils étaient accusés de préparer l’assaut du parlement, l’arrestation des législateurs et la restauration par la force de la monarchie du pays, dirigée par l’aristocrate Heinrich XIII Reuss.

Toutefois, un examen plus approfondi de l’action menée par la police et de son calendrier soulève de sérieuses questions quant à la prétendue tentative de coup d’État et quant au rôle joué par la sûreté de l’État allemand dans son déclenchement. Si c’est le cas, cela s’inscrirait dans la tendance historique de l’infiltration des mouvements extrémistes par le gouvernement depuis l’après-guerre. En 2003, un tribunal allemand a été contraint d’abandonner les poursuites contre un groupe néonazi notoire lorsqu’il a déterminé que cette organisation était au moins partiellement, voire totalement, gerée avec des actifs de l’État.

Les suspects accusés de comploter pour renverser le gouvernement allemand font partie d’un mouvement connu sous le nom de Reichsbürger (Citoyens du Reich). Ce groupe rejette la légitimité de la République fédérale d’Allemagne et affirme que le pays n’est pas un État souverain, mais une société créée par les États-Unis et la Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale.

D.N.S. : « La police allemande [#German] fait une descente dans un groupe terroriste d’extrême droite dirigé par le #PrinceHeinrich XIII “qui prévoyait d’attaquer le Parlement et de renverser le gouvernement par un coup d’État meurtrier”.
dailymail.co.uk/news/article-1…
Le 4e Reich, ayez peur, ayez très peur ! »

Ce n’est là qu’un des aspects frappants d’un événement tellement truffé d’éléments farfelus et de gros titres à sensation qu’il semble avoir été conçu sur mesure pour susciter la frénésie des médias. Un célèbre chef gastronomique recruté pour « prendre en charge les cantines du nouveau Reich allemand » figure parmi les personnes arrêtées, tout comme un ancien député du parti de droite Alternative für Deutschland (AfD). Il en va de même pour une citoyenne russe, la petite amie de Reuss, qui aurait contacté l’ambassade de Moscou en Allemagne pour discuter d’un nouvel ordre mondial post-coup d’État.

Les autorités avaient clairement prévu de susciter un vif intérêt pour l’information, en invitant des groupes de journalistes à documenter les descentes de police en temps réel, ce qui a permis aux médias du monde entier de diffuser presque instantanément des photos des comploteurs escortés et menottés. Au total, 125 agents ont été déployés pour chaque suspect emmené pour interrogatoire — un ratio évidemment extraordinaire, excessif.

Étant donné la rapidité avec laquelle les principaux organes de presse allemands, tels que Der Spiegel, ont publié des rapports longs et détaillés, on a même suggéré que certains articles avaient été préparés avant l’opération de police et que les journalistes et les rédacteurs attendaient ce jour depuis un certain temps. Curieusement, dans un tweet supprimé le 6 décembre, le journaliste d’ARD, Georg Heil, a prédit fortuitement : « Je soupçonne qu’il y aura beaucoup de nouvelles “exclusives” demain. »

De nombreux représentants du gouvernement ont insisté sur le fait que les comploteurs « ne sont pas des fous inoffensifs » et les médias ont traité le putsch avec le plus grand sérieux. Cependant, le média d’État allemand Deutsche Welle a admis que les Reichsbürger n’avaient même pas une chance un tant soit peu réaliste de renverser le gouvernement. Plus généralement, DW a reconnu qu’un coup d’État pouvait « difficilement réussir en Allemagne », car « l’ordre public et la constitution sont trop solides ».

Bien qu’une poignée d’armes seulement aient été saisies lors des descentes de police, la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser a déclaré que les lois allemandes sur les armes, déjà très strictes, seraient encore renforcées en réponse à l’insurrection prétendument déjouée. Il est presque certain que les services de sécurité et de renseignement de Berlin se verront accorder des capacités accrues pour surveiller et harceler les citoyens, et réprimer l’agitation également, étant donné qu’ils sont très opportunistes dans la criminalisation de la dissidence à des moments politiquement opportuns.

En avril 2021, alors que le gouvernement allemand s’apprêtait à imposer des restrictions plus sévères en cas de pandémie, face à l’opposition farouche du public et d’une pluralité de partis à travers le spectre politique, le service de sécurité intérieure de Berlin, connu sous le nom de l’Office fédéral de protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz / BfV), a créé une nouvelle catégorie de surveillance dédiée aux opposants au confinement.

L’agence a fait valoir que l’opposition aux ordres de confinement représentait une menace subversive pour l’État, mais qu’elle ne relevait pas des catégories de préoccupation préexistantes telles que l’extrême droite, l’extrême gauche ou le terrorisme islamique.

Cette mesure a effectivement rendu illégale toute agitation contre le confinement en Allemagne, tout en qualifiant d’extrémiste toute personne arrêtée pour ce type d’activité (il y en a eu des milliers à l’époque, malgré la décision de la Cour constitutionnelle allemande un an plus tôt et selon laquelle les restrictions Covid-19 ne s’étendaient pas aux manifestations).

Elle a également garanti des pouvoirs étendus et des ressources bureaucratiques au BfV, qui les a bien affichés en décembre dernier lorsqu’il a démantelé le prétendu complot insurrectionnel des Reichsbürger.

Le gouvernement allemand infiltre l’extrême-droite

L’attention prépondérante accordée par les médias allemands à la prétendue nature d’« extrême droite » des comploteurs des Reichsbürger est frappante, car le BfV calcule que sur les 21 000 adhérents estimés en Allemagne, environ cinq pour cent seulement sont des « extrémistes de droite ».

Ces chiffres peuvent sembler exceptionnellement précis, mais le BfV est bien placé pour les connaître avec un haut degré de certitude. En effet, la surveillance et l’infiltration de l’extrême droite allemande par l’agence sont si étendues que le mouvement a été au moins partiellement dirigé et même financé par l’État.

Cette réalité troublante a été mise à nu en janvier 2001, lorsque toutes les branches du gouvernement allemand ont demandé à la Cour constitutionnelle fédérale de Berlin d’enquêter sur le Parti national-démocrate d’Allemagne (Nationaldemokratische Partei Deutschlands / NPD) ultranationaliste et de déterminer s’il était inconstitutionnel. Leur intention était d’interdire purement et simplement ce parti.

L’enquête qui en a résulté s’est effondrée en 2003 après que la Cour constitutionnelle a déterminé que de nombreux membres et grands dignitaires du NPD — dont au moins 30 de ses personnalités les plus en vue — étaient des agents sous couverture ou des informateurs du BfV. En outre, une grande partie des arguments du gouvernement contre le NPD reposait sur des déclarations et des ouvrages publiés par des personnes rémunérées par l’agence. Un pamphlet antisémite du NPD qui figurait en bonne place dans les preuves fournies à la Cour était, par exemple, rédigé par un agent infiltré.

En conséquence, la Cour a jugé qu’il était impossible de déterminer quelles déclarations, publications et actions attribuées au parti avaient été influencées par le BfV. Les enquêteurs ont émis l’hypothèse que les activités de l’agence ont pu être délibérément et activement menées pour justifier l’interdiction du parti.

Cette explication est très peu plausible étant donné que de nouveaux appels à l’interdiction du NPD en 2011 ont été rejetés par le BfV au motif que cela nécessiterait de désactiver son réseau de 130 informateurs au sein du parti — dont la moitié sont des néonazis — qui fournissent des renseignements précieux sur un certain nombre de mouvements d’extrême droite secrets.

Il est donc tout aussi invraisemblable que, comme l’affirme le discours établi sur le « coup d’État », les comploteurs n’aient attiré l’attention du BfV pour la première fois qu’en avril de cette année, après l’arrestation de quatre membres des Patriotes unis, un sous-groupe des Reichsbürger. Ceux-ci auraient comploté pour détruire des centrales électriques afin de provoquer un black-out national et pour kidnapper le ministre de la Santé, Karl Lauterbach.

Les Reichsbürger étaient dans le collimateur du BfV depuis des années. En mars 2020, après une fusillade à Hanau qui a fait neuf morts parmi les migrants, le gouvernement central de l’Allemagne a interdit le groupe, et plusieurs de ses membres ont été arrêtés.

Cette formation extrémiste figurait en bonne place dans le rapport annuel 2021 du BfV, tout comme le mouvement sceptique Covid-19 appelé Querdenken, auquel les comploteurs étaient également liés. Querdenken a été spécifiquement cité par le BfV pour justifier officiellement la création d’une nouvelle catégorie de surveillance pour les opposants au confinement.

En tant que tels, les conspirateurs du « coup d’État » étaient incontestablement liés à une série de groupes dont il a été officiellement confirmé qu’ils faisaient l’objet d’une surveillance intensive de la part du BfV. Ces groupes auraient donc été fortement infiltrés par des agents et des informateurs qui suivaient les moindres faits et gestes de leurs membres. Dans le cas du parti AfD, sa désignation en tant que groupe extrémiste présumé signifie que les communications privées de toute personne liée à ce parti sont rigoureusement enregistrées et stockées.

Le leader aristocratique des Reichsbürger, Reuss, et ses confédérés sont censés être devenus des sujets d’intérêt pour le BfV après les arrestations des membres de son sous-groupe des Patriotes unis. « Très tôt », selon le président de l’agence Thomas Haldenwang, le BfV « avait une vue d’ensemble très claire de leurs plans ».

Dès lors, les autorités ont surveillé de près leurs communications et leurs contacts, recueillant des renseignements sur le réseau plus large dans lequel ils opéraient et montant des dossiers contre eux. Si la menace était réellement sérieuse et immédiate pour l’ordre constitutionnel allemand, ou si les plans à cet effet étaient bien élaborés et sur le point d’aboutir, des mesures auraient certainement pu être prises bien plus tôt.

Haldenwang affirme que le BfV a observé en temps réel que le complot « devenait de plus en plus concret et que des armes étaient fournies ». La question de savoir si des provocateurs du BfV ont encouragé et/ou aidé l’un des conspirateurs à faire avancer ses fantasmes insurrectionnels au cours de cette période reste ouverte et évidente.

Après tout, les huit mois au cours desquels le complot s’est développé ont laissé amplement le temps d’introduire des agents dans un groupe, ou d’en recruter.

Après un buzz médiatique frénétique, le « coup d’État » disparaît de l’actualité

L’un des aspects les plus remarquables du « coup d’État » est la rapidité avec laquelle il a disparu des gros titres après la série initiale de descentes de police. Après un déferlement de reportages minute par minute, un événement prétendument sismique et historique — déclaré par Andreas Kluth, chroniqueur à Bloomberg, comme représentant la mise en échec par Berlin de l’établissement d’un « quatrième Reich » — a cessé de susciter l’intérêt des journalistes grand public, y compris en Allemagne même.

Après un événement aussi terrifiant, au cours duquel l’Allemagne a soi-disant été sauvée de la seconde venue d’Hitler, il semblait raisonnable de s’attendre à des détails plus croustillants sur le grand dessein des conspirateurs. À tout le moins, certaines des arrestations promises d’autres membres de la cellule extrémiste auraient dû se concrétiser à ce jour.

Mais à l’exception d’une série de séances à huis clos au Bundestag le 12 décembre, au cours desquelles il a été affirmé que les comploteurs avaient rêvé de créer 280 unités paramilitaires chargées « d’arrêter et d’exécuter » les gens après le renversement du gouvernement, les autorités sont restées très discrètes depuis le 7 décembre. Comme c’est leur nature, les médias traditionnels ont suivi l’exemple de l’État, en laissant le « coup d’État » disparaître presque totalement de leurs radars.

Le désintérêt soudain des médias pour le complot des Reichsbürger rappelle une autre supposée tentative de coup d’État d’extrême droite en Allemagne. En avril 2017, le pays a été inondé d’informations à propos d’un soldat de 28 ans appartenant à la Bundeswehr (Force de Défense fédérale) et connu sous le nom de « Franco A », qui avait été arrêté pour avoir planifié des attaques violentes contre des politiciens, des militants et des journalistes allemands.

Présenté comme un membre important du groupe terroriste d’extrême droite Nordkreuz (Croix du Nord), Franco A s’est soi-disant enregistré comme réfugié syrien auprès des autorités allemandes en décembre 2015. Son intention supposée était de laisser délibérément ses empreintes digitales sur les scènes de crimes graves dans l’espoir qu’elles soient imputées à son personnage syrien et qu’elles déclenchent ainsi une réaction violente contre les immigrants dans tout le pays.

Les autorités ont déclaré par la suite que l’enquête sur Franco A avait révélé qu’il n’était qu’un élément d’un complot beaucoup plus vaste au sein de l’Unité des forces spéciales (Kommando Spezialkräfte / KSK) visant à réaliser le « Jour X », à l’issue duquel divers hommes politiques allemands seraient enlevés et exécutés.

L’affaire a suscité un tollé international et un vaste débat public sur le degré de propagation d’un dangereux sentiment d’extrême droite révolutionnaire dans la Bundeswehr. Cependant, l’enquête officielle n’a finalement abouti à rien.

En novembre 2017, six mois après son arrestation, Franco A a été remis en liberté, la Cour fédérale de Berlin ayant jugé que « les résultats obtenus jusqu’à présent par l’enquête n’étayent pas la forte suspicion qu’un acte grave menaçant l’État était en préparation ».

Une descente de police effectuée trois mois plus tôt au siège de la KSK n’a pas non plus permis de trouver le moindre indice d’intentions ou d’activités subversives parmi ses agents. Concluant que l’absence de preuve n’était pas une preuve d’absence, la police a supposé que le commandement avait été informé à l’avance et a rapidement inculpé un soldat connu sous le nom de Peter W — qu’elle a accusé de diriger secrètement le groupe d’extrême droite Hannibal — pour avoir aidé les suspects à couvrir leurs traces.

Peter W a été dûment acquitté en mars 2019, et, à ce jour, il continue apparemment à servir dans les forces armées allemandes. Il a fait valoir avec succès devant le tribunal que les partisans du Parti social-démocrate au sein du ministère allemand de la Justice ont grossièrement exagéré et déformé son cas afin d’embarrasser le gouvernement dirigé par la CDU1 pour des raisons d’opportunisme électoral.

Entre-temps, le chef et fondateur présumé de Nordkreuz, un ancien tireur d’élite de la police et instructeur de tir connu sous le nom de « Marko G », a été condamné à 21 mois de prison avec sursis en décembre de la même année. Bien que des armes et des munitions aient été trouvées à son domicile, l’arsenal a été jugé largement légal, et plusieurs commentaires « anticonstitutionnels » qu’il a faits dans un groupe de discussion privé n’ont pas laissé entendre qu’il avait l’intention de renverser le gouvernement ou de mener des attaques terroristes.

Franco A a finalement été condamné à cinq ans et demi de prison pour possession d’armes illégales et fraude en juillet 2022. De sa part, aucune preuve concrète d’un effort concerté, et encore moins d’un désir, de renverser le gouvernement allemand ne s’est jamais matérialisée. Pendant ce temps, la KSK a été réorganisée et partiellement dissoute en raison du niveau présumé d’extrémisme de droite dans ses rangs, bien qu’aucune autre arrestation n’ait été effectuée.

Le retour de la « stratégie de la tension » en Europe ?

Les autorités, les politiciens et les journalistes allemands s’empressent depuis longtemps d’évoquer le spectre d’un réseau fasciste secret prêt à prendre le pouvoir à Berlin par la violence. S’il ne fait aucun doute que l’Allemagne moderne abrite un nombre démesuré de néonazis et de fascistes, dont certains au moins sont violents et dangereux, ils n’ont que peu ou pas du tout de chances de menacer l’ordre constitutionnel du pays.

Il est également vrai que ces forces extrémistes sont bien représentées dans l’armée et les services de sécurité. En novembre 2018, le chef du BfV, Hans Georg Maasen, a été licencié pour avoir diffusé des théories conspirationnistes racistes. À l’époque, on a émis l’hypothèse que ses opinions politiques avaient pu conduire l’agence à fermer les yeux sur les activités de l’extrême droite du pays pendant son mandat de six ans.

Le prédécesseur de Maasen, Heinz Fromm, est également parti en disgrâce, après qu’il a été révélé que le BfV avait détruit des dossiers liés au Parti national-socialiste souterrain (Nationalsozialistischer Untergrund / NSU), un groupe terroriste néonazi qui a commis des meurtres, des braquages de banques et des attentats à la bombe dans toute l’Allemagne et en toute impunité pendant une décennie.

On se demande encore aujourd’hui si le NSU a été activement protégé des enquêtes et de la détention par les services de sécurité étatiques du BfV. On ne sait pas non plus pourquoi l’un des membres de l’agence, surnommé « Petit Adolf » par ses camarades barbouzes en raison de ses opinions d’extrême droite, était présent sur les lieux de l’un des meurtres commis par le groupe. Ce qui a été confirmé, c’est que le NSU était en contact direct et régulier avec de nombreux informateurs du BfV et recevait indirectement des fonds de l’agence par l’intermédiaire de l’organisation de sécurité étatique allemande.

Ce n’est pas la première fois en Europe que des terroristes d’extrême droite parviennent à s’en tirer avec rien de moins qu’un meurtre pur et simple. Tout au long de la guerre froide, les espions britanniques et américains, en collaboration avec l’OTAN, ont géré un réseau d’armées fascistes secrètes qui ont commis d’innombrables actes violents et criminels dans le cadre d’une « stratégie de la tension » destinée à discréditer la gauche et à justifier des mesures de sécurité toujours plus coercitives. En Italie, cette connivence est connue sous le nom d’opération Gladio.

De nombreux attentats terroristes perpétrés durant cette période restent officiellement non élucidés, ou leurs auteurs probables n’ont jamais été traduits en justice. Vincenzo Vinciguerra, membre de l’opération Gladio, emprisonné à vie pour un attentat à la voiture piégée qui a tué trois policiers et en a blessé deux autres, a expliqué plus tard les raisons et a exposé la « stratégie de la tension » dans ses moindres détails :

« Vous étiez censé attaquer des civils, des femmes, des enfants, des innocents en dehors de l’arène politique. La raison était simple : forcer le public à se tourner vers l’État et à demander une plus grande sécurité […] Les gens étaient prêts à échanger leur liberté contre la sécurité de pouvoir marcher dans les rues, prendre le train ou entrer dans une banque. Telle est la logique politique qui sous-tend les attentats à la bombe. Ils restent impunis parce que l’État ne peut pas se condamner lui-même. »

Après l’attentat meurtrier de décembre 1969 sur la Piazza Fontana à Milan. Attribué à un anarchiste, l’attentat a été perpétré par les services de renseignement de l’État de droite dans le cadre de la « stratégie de la tension ».

Les mots de Vinciguerra résonnent fortement dans le contexte de la récente tentative de « coup d’État » des Reichsbürger, car le prétendu complot n’aurait pas pu arriver à un moment plus opportun pour le gouvernement allemand. Tout au long de l’année 2022, les responsables de Berlin se sont ouvertement inquiétés de la perspective d’un bouleversement de masse dû à la montée en flèche du coût de la vie et de l’énergie. Bien que peu relayées par les médias grand public, les manifestations de grande ampleur ont gagné en taille et en fréquence. Le chancelier allemand Olaf Scholz a qualifié la situation de « poudrière pour la société ».

Il n’est pas improbable que le pays tombe dans une profonde récession dans un avenir proche ; certains analystes ont prédit sa désindustrialisation à terme. Le soutien de l’opinion publique à l’égard de l’administration Scholz est déjà sensiblement en baisse. À l’inverse, l’AfD — qui s’oppose à l’armement de l’Ukraine et aux sanctions contre la Russie — a atteint des niveaux quasi record dans les sondages, et est en passe d’arriver en tête de plusieurs élections régionales en 2024.

Les gouvernements occidentaux n’étant plus en mesure d’exploiter la pandémie de Covid-19 pour écraser la dissidence, rallier les citoyens derrière des administrations impopulaires et étendre les systèmes de surveillance et de contrôle social, les services de renseignement de toute l’Europe et de l’Amérique du Nord attisent à nouveau les craintes de terrorisme pour terrifier leurs populations et les soumettre… cette fois, sous la forme d’éléments d’extrême droite nationaux.

Si les espions allemands avaient souhaité concocter un complot terroriste sous fausse bannière ayant un impact visuel et politique maximal, sans aucun risque pour la sécurité nationale, le « coup d’État » qu’ils ont si héroïquement déjoué le 7 décembre n’aurait pas pu être mieux conçu.

Sources :


Source de la photographie d’en-tête : Clemens Bilan (EPA)


  1. Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (Christlich Demokratische Union Deutschlands / CDU) (NdT) 

 

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