Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Depuis les années 1990, les accords d’Oslo ont tenté de reléguer la révolution palestinienne à la quête d’un statut d’État au milieu des miettes de la table d’Israël. Ce paradigme n’ayant abouti à aucune solution, un regain d’intérêt s’est manifesté pour le retour à la compréhension anticoloniale de la question palestinienne qui a été au cœur de la solidarité internationale pendant des décennies. Cela ne veut pas dire que ce camp a été inexistant depuis les années Oslo, mais plutôt que la mascarade du processus de paix a montré sans le moindre doute que les négociations et l’apaisement sont une stratégie vouée à l’échec. Naturellement, ce retour s’accompagne d’une inévitable et nécessaire rediscussion du sionisme, l’idéologie responsable de la création d’Israël et du nettoyage ethnique des Palestiniens.
Face aux critiques croissantes, les défenseurs du sionisme se sont adaptés aux sensibilités d’aujourd’hui et ont commencé à affirmer qu’il s’agirait juste de l’autodétermination juive, ni plus ni moins. Cela signifie simplement que le peuple juif mérite de prendre en main son propre destin par le biais d’un État. De plus, suggérer que le sionisme est un colonialisme est en soi antisémite, car cela nie le droit du peuple juif à l’autodétermination. En fait, certains vont jusqu’à affirmer que le sionisme est une décolonisation et qu’il s’agit d’un mouvement de défense des droits des autochtones.
La récente montée en puissance d’une compréhension déformée et superficielle de la politique identitaire aux États-Unis a été une aubaine pour ce type d’argument. Soudain, le sionisme est détaché de son histoire matérielle et présenté comme faisant partie intégrante d’une identité. C’est particulièrement populaire en Occident où les jeunes sionistes, qui ont été élevés dans la propagande et les mythes de cet « extraordinaire » projet sioniste, en viennent à le considérer comme inséparable d’eux-mêmes. Nous voyons ici la déformation cynique du langage de la justice sociale pour déclarer que seuls les sionistes peuvent définir ce qu’est le sionisme — comme s’il s’agissait d’un phénomène subjectif, sans réalité matérielle, sans fondateurs, sans histoire et sans effets — et que c’est une attaque contre le peuple juif que de le qualifier de colonial.
C’est assez drôle, car les premiers sionistes ont légitimé leur revendication de la Palestine précisément parce qu’ils étaient des colons et qu’ils étaient supérieurs aux indigènes. Bien que je comprenne qu’il puisse être difficile d’échapper à une vision du monde qui vous a été inculquée dès le plus jeune âge, il existe une montagne de ressources et de documents historiques facilement accessibles à toute personne un tant soit peu critique ou curieuse sur le plan intellectuel.
Lorsque nous parlons d’Israël comme d’une colonie de peuplement, nous faisons référence à un phénomène très spécifique. Le colonialisme de peuplement diffère du colonialisme classique en ce sens que le colonialisme de peuplement ne s’appuie initialement et temporairement que sur un empire pour exister. Dans de nombreuses situations, les colons ne sont même pas originaires de l’empire qui les soutient et finissent par combattre le sponsor même qui a assuré leur survie en premier lieu. Une autre différence est que les colons ne sont pas seulement intéressés par les ressources de ces nouvelles terres, mais aussi par les terres elles-mêmes, et qu’ils veulent s’y tailler une nouvelle patrie.
Le problème évident est que ces terres étaient déjà habitées par d’autres personnes avant leur arrivée.
C’est alors que la « logique d’élimination » de la part des colons entre en jeu. Selon l’expression du chercheur Patrick Wolfe, cela signifie que les colons devaient non seulement trouver des justifications morales à l’élimination des indigènes, mais aussi mettre en place des moyens pratiques pour assurer leur réussite. Ces moyens pouvaient prendre la forme d’un nettoyage ethnique, d’un génocide ou d’autres outils effroyables d’ethnocide.
Si vous connaissez un tant soit peu les discours sionistes, vous pouvez voir cette logique d’élimination à l’œuvre. « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre », « le Palestinien n’existe pas », « Israël a fait fleurir le désert » et bien d’autres points de vue illustrent parfaitement cette logique. Par exemple, vous pouvez immédiatement voir comment le fait de nier l’existence des Palestiniens ressemble à l’argument de la Terra nullius utilisé par les colons du monde entier. Tous ces arguments visent à justifier la dépossession des Palestiniens et à légitimer les revendications sionistes sur les terres qu’ils souhaitent coloniser. Quant aux moyens pratiques pour éliminer les indigènes, la Nakba demeure un témoignage de ces crimes.1
L’affirmation selon laquelle le sionisme n’est que l’autodétermination juive fait également l’amalgame entre le peuple juif et le sionisme, une idéologie qui trouve ses origines en Europe à la fin du XIXe siècle. À l’époque, le peuple juif se désintéressait largement du sionisme. En fait, de nombreux groupes juifs étaient farouchement antisionistes. La tentative de faire l’amalgame entre les deux vise à donner une légitimité aux colons autoproclamés d’Europe et à présenter toute critique du projet sioniste comme intrinsèquement antisémite.
Pourtant, dans les premiers temps, le mouvement sioniste était étonnamment honnête quant à son existence en tant que forme de colonialisme. Par exemple, Herzl, l’un des fondateurs du sionisme politique, a écrit en 1902 au tristement célèbre colonisateur Cecil Rhodes, arguant que la Grande-Bretagne reconnaissait l’importance de l’« expansion coloniale » :
« Vous êtes invités à contribuer à écrire l’histoire. […] cela ne concerne pas l’Afrique, mais une partie de l’Asie Mineure, non pas des Anglais, mais des Juifs. […] Comment puis-je alors me tourner vers vous, puisque c’est pour vous une question hors de propos ? En effet, comment ? Parce qu’il s’agit de quelque chose de colonial. »
Nordau, le bras droit de Herzl, a même qualifié à juste titre les implantations sionistes en Palestine de « colonies » :
« Le sionisme rejette par principe toute colonisation à petite échelle et l’idée de s’introduire “subrepticement” en Palestine. Les sionistes se sont donc consacrés avant tout à un plaidoyer zélé et infatigable en faveur de l’union des colonies juives déjà existantes en Palestine avec ceux qui, jusqu’à présent, leur ont apporté leur aide et qui, ces derniers temps, ont eu tendance à leur retirer leur soutien. »
Menachem Usishkin, président du Fonds national juif, était connu pour ses appels à débarrasser la Palestine de ses indigènes :
« Ce que nous pouvons exiger aujourd’hui, c’est que toute la Transjordanie soit incluse dans la Terre d’Israël […] à condition que la Transjordanie serve soit à la colonisation juive, soit au repeuplement de ces Arabes [palestiniens] auxquels nous achèterions les terres [en Palestine]. Contre cela, la personne la plus consciencieuse ne pourrait rien dire […] Pour les Arabes [palestiniens] de Galilée, la Transjordanie est une province […] ce sera pour la réinstallation des Arabes de Palestine. C’est la question de la terre […] Aujourd’hui, les Arabes [palestiniens] ne veulent pas de nous parce que nous voulons être les dirigeants. Je me battrai pour cela. Je ferai en sorte que nous soyons les propriétaires de cette terre […] parce que ce pays nous appartient à nous, pas à eux […] »
Le sioniste révisionniste Vladimir Jabotinsky, dans un essai intitulé The Iron Law (1925), a écrit ceci :
« Une réconciliation volontaire avec les Arabes est hors de question, que ce soit aujourd’hui ou à l’avenir. Si vous comptez coloniser une terre où des gens vivent déjà, vous devez établir une garnison sur cette terre, ou trouver un homme riche ou un mécène qui fournira une garnison en votre nom. Ou alors — ou alors, renoncez à votre colonisation, car sans une force armée qui rendra physiquement impossible toute tentative de détruire ou d’empêcher cette colonisation, la colonisation est impossible, non pas difficile, non pas dangereuse, mais IMPOSSIBLE ! […] Le sionisme est une aventure de colonisation et, par conséquent, il repose sur — ou est du ressort de — la question de la force armée. Il est important […] de parler hébreu, mais, malheureusement, il est encore plus important de savoir tirer — sinon j’en ai fini de jouer à la colonisation. »
Ces citations ne sont que la partie émergée de l’iceberg, mais de peur que vous ne pensiez que je sélectionne des passages hors contexte, je vous invite à lire leurs écrits originaux. Il n’y a pas beaucoup de gymnastiques intellectuelles possibles pour essayer de trouver un sens différent à : « le sionisme est une aventure de colonisation ». L’une d’elles consiste à affirmer que les sionistes ont adopté ce type de langage uniquement pour convaincre les grandes puissances impériales. Cela a dû être un acte assez convaincant, puisque cette pratique est toujours d’actualité après plus de 100 ans.
Il s’agit bien sûr d’un non-sens. Ce n’était pas une question de rhétorique, mais d’exécution. La première banque sioniste créée s’appelait le « Jewish Colonial Trust » et l’ensemble de l’entreprise était soutenu par la « Palestine Jewish Colonization Association » et le « Jewish Agency Colonization Department ». Une telle association n’était pas encore devenue impopulaire ou taboue comme elle l’est aujourd’hui.
L’affirmation selon laquelle le sionisme n’est que l’autodétermination juive pose un autre problème : il s’agit d’une affirmation intellectuellement malhonnête. Il s’agit d’une affirmation qui comporte tellement d’omissions critiques qu’elle ne peut qu’être qualifiée de mensongère lorsqu’on examine l’ensemble du contexte.
Essayons d’appliquer cet argument à un autre contexte colonial important : la colonisation de l’île de la Tortue.
Lorsque quelqu’un décrit aujourd’hui la « destinée manifeste » des Américains comme des colons à la recherche d’une vie meilleure, ou affirme que les États-Unis ont été fondés sur la liberté, l’égalité et la justice pour tous, vous savez immédiatement qu’il y a quelque chose qui cloche. Comment ont-ils pu omettre des détails tels que le génocide des nations autochtones ou l’esclavage ?
Lorsqu’ils parlent de liberté, d’égalité et de justice pour tous, vous vous demandez : liberté pour qui ? Égalité pour qui ? Justice pour qui ?
Dans le cas des États-Unis, la réponse était : les propriétaires terriens blancs de sexe masculin. L’oppression de tous les autres, à des degrés divers, a été nécessaire pour construire les privilèges et le pouvoir de cette classe. On ne peut absolument pas comprendre l’histoire américaine sans mentionner cette oppression fondamentale et permanente.
Ainsi, lorsque les sionistes affirment que le sionisme n’est que l’autodétermination juive, que laissent-ils de côté dans leur histoire ?
À quel prix Israël a-t-il été créé ?
Qu’est-il advenu de la société qui existait déjà à l’arrivée des premiers colons sionistes ?
Le nettoyage ethnique des Palestiniens et la colonisation de leurs terres ne méritent-ils pas d’être mentionnés dans ce contexte ?
En outre, est-il intellectuellement honnête de présenter l’objection à ces atrocités comme une objection à l’autodétermination juive en tant que concept ?
Une fois de plus, nous revenons à la logique de l’élimination où cette destruction est justifiée.
Pour ce qui est des Palestiniens, il n’a jamais été question d’une autodétermination juive abstraite. Chacun doit pouvoir déterminer son propre destin, mais pas au prix de l’oppression des autres. En fait, il existe de nombreuses preuves — consignées par les pionniers sionistes eux-mêmes — que la population palestinienne autochtone a accueilli favorablement les premiers colons sionistes. Ils ont travaillé côte à côte : malgré le fait que les sionistes faisaient preuve d’arrogance et considéraient les autochtones comme inférieurs, les Palestiniens leur ont appris à travailler la terre. Ce n’est que lorsqu’il est apparu clairement que les colons ne venaient pas simplement pour vivre en Palestine, mais pour en devenir les propriétaires, comme l’a dit Usishkin, que la résistance au sionisme a commencé.
La Palestine a toujours accueilli d’innombrables populations de réfugiés, et l’idée que le peuple juif fuyant les persécutions puisse trouver un foyer sûr en Palestine n’a jamais été le problème. Le problème est que ces idéaux de coexistence n’ont jamais été respectés par le mouvement sioniste, lequel a fait preuve de dédain à l’égard des Palestiniens dès le début et a cherché à s’emparer de la terre. Par exemple, ce mouvement a sanctionné les colons qui travaillaient avec des Palestiniens, allant jusqu’à qualifier le travail des Arabes de « maladie », et allant jusqu’à former un syndicat ségrégationniste qui interdisait l’adhésion de non-Juifs.
En 1928, les dirigeants palestiniens ont même voté en faveur d’une représentation égale des colons sionistes dans les futurs organes de l’État, alors qu’il s’agissait d’une minorité à peine arrivée. Et bien sûr, les dirigeants sionistes ont rejeté cette proposition. Même après cela, en 1947, les Palestiniens ont proposé la formation d’un État unitaire pour tous ceux qui vivaient entre le fleuve et la mer afin de remplacer le mandat, mais en vain. Il y a eu de nombreuses tentatives de coexistence, mais cela n’aurait tout simplement pas profité aux dirigeants sionistes qui n’ont jamais eu l’intention de venir en Palestine pour y vivre sur un pied d’égalité.
C’est en raison de cette longue histoire que le sionisme est confronté à une crise de légitimité. Cela n’a rien à voir avec le refus d’une autodétermination juive, mais tout à voir avec la tentative de réparer des erreurs historiques. On ne peut espérer trouver des solutions si l’on refuse même de réfléchir aux causes profondes.
Comment pourrait-il être juste de mettre fin à une diaspora en en créant une autre ?
Pour en savoir plus :
Sources :
Source de l’illustration d’en-tête : DecolonizePalestine
https://decolonizepalestine.com/myth/zionism-is-not-colonialism-just-jewish-self-determination/
Et (après la rédaction de cet article) l’épuration ethnique et le génocide accélérés et en direct de 2023, 2024… (NdT) ↩
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