Les dossiers de la CIA confirment les racines MK-Ultra du programme de torture de Guantanamo Bay

Les dossiers de la CIA confirment
les racines MK‑Ultra
du programme de torture de Guantanamo Bay

Par Kit Klarenberg

Une publication MintPress News


Torture Terrorisme Impérialisme Droits de l’homme
États-Unis Moyen-Orient
Article

Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Kit Klarenberg enquête sur les liens troublants entre le programme de torture clandestin de la CIA à Guantanamo Bay et les expériences de contrôle de l’esprit de l’époque MK-Ultra.

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GUANTANAMO BAY, CUBA — En mars, la CIA a déclassifié un rapport de l’inspecteur général de la CIA datant de 2008 sur le traitement réservé par l’Agence au suspect du 11 septembre 2001, Ammar Al-Baluchi, dans des « sites noirs » [prisons secrètes (NdT)] à l’étranger et à Guantanamo Bay. Le rapport a été rendu public à la suite d’une demande d’avis juridique et son contenu choquant offre un aperçu sans précédent de la brutalité des tourments physiques et psychologiques auxquels Ammar Al-Baluchi et des centaines d’autres personnes ont été soumis par l’Agence pendant de nombreuses années, dans le cadre de son programme mondial de torture.

Neveu du cerveau présumé du 11 septembre 2001, Khalid Sheikh Mohammed, Baluchi a été arrêté au Pakistan en avril 2003. Il était accusé d’être un « lieutenant clé » d’Al-Qaïda et son principal « collecteur de fonds », ayant fourni un soutien financier et logistique essentiel aux pirates de l’air du 11 septembre. Les autorités des États-Unis ont déclaré que sa capture permettrait d’obtenir des informations cruciales sur le complot, de prévenir de futures attaques du groupe terroriste et peut-être même d’appréhender Oussama Ben Laden. Malgré des années d’incarcération, d’interrogatoire et de torture, rien de tout cela ne s’est avéré exact.

Citant des câbles de notre époque, le rapport de l’inspecteur général retrace en détail l’intégration de Baluchi au « Salt Pit » [« Fosse à sel » (NdT)], un site noir de la CIA en Afghanistan. Les nouveaux arrivants étaient examinés physiquement, leur barbe et leur tête étaient rasées, puis ils étaient soumis à une évaluation psychologique « non renforcée » pour déterminer leur « volonté de coopérer sans techniques renforcées […,] déplacer leurs attentes et commencer le conditionnement des sujets ».

L’auteur anonyme du câble a déclaré qu’en fonction de son « niveau de résistance », le personnel n’avait pas l’intention d’utiliser des techniques renforcées contre Baluchi « à moins que le quartier général ne l’ordonne ».

La distinction entre les méthodes d’interrogatoire renforcées et non renforcées était manifestement quelque chose de mal nommé. S’il ne coopérait pas au départ, Baluchi était « immédiatement » placé dans la « position debout de privation de sommeil » pendant 12 heures maximum ; cette technique angoissante était considérée comme « non renforcée » si elle était appliquée pendant moins de trois jours.

En réponse au câble, le QG de la CIA à Langley a approuvé une multitude de techniques renforcées à utiliser sur Baluchi, notamment « la prise d’attention faciale », des gifles faciales et abdominales, de nombreuses positions de stress atroces, un « confinement étroit », une privation de sommeil pouvant durer jusqu’à 180 heures, l’aspersion d’eau glacée, la privation de nourriture, de la « musique forte ou du bruit blanc » 24 heures sur 24, l’interdiction d’accéder à des documents de lecture et le « walling » (la « maçonnerie »), c’est-à-dire cogner la tête contre une surface plane.

Sur la base de son évaluation psychologique initiale, il a été décidé qu’aucune de ces horreurs indicibles n’infligerait de « dommage psychologique ou émotionnel permanent » à Baluchi. C’était l’approche universelle de l’utilisation des « techniques renforcées », fondée sur l’hypothèse que leur utilisation dans le cadre de l’entraînement SERE (Survival, Evasion, Resistance and Escape / Survie, Evasion, Résistance et Fuite) de l’armée des États-Unis ne causait pas de dommages durables. Mais, alors que dans ce dernier cadre, le sujet n’est généralement enfermé que quelques jours et sait qu’il s’agit d’un entraînement et qu’il sera bientôt libéré, les prisonniers des sites noirs devaient endurer des mois ou des années de traitement brutal, avec peu ou pas de perspectives d’évasion.

« Des lésions cérébrales graves »

L’inspecteur général note que les supérieurs de la CIA n’ont offert que peu ou pas de clarté sur « le nombre de fois ou la durée pendant laquelle les interrogateurs pouvaient effectuer une mesure particulière ou une combinaison de mesures ». Cela pourrait bien expliquer pourquoi les interrogateurs de Salt Pit « ont appliqué certaines des mesures de manière exubérante ».

Leur « exubérance » a sans doute aussi été influencée par la réaction contrariante de Baluchi aux techniques de torture. Un agent de la CIA présent sur le site a noté comment la « présentation » du détenu avait « suscité les réactions les plus vives de la part des interrogateurs ». Son attitude a été jugée « dédaigneuse, condescendante et arrogante », caractérisée par « des réponses évasives, la minimisation et le déni » qui ont servi à « frustrer » ses ravisseurs « et à rendre une tâche difficile encore plus difficile ».

Pourtant, certains interrogateurs semblaient sympathiser avec Baluchi. L’un d’eux, avec qui il a passé « beaucoup de temps », l’a décrit comme « l’un des détenus les plus intelligents ou les plus “livresques” ». Un autre regrettait les méthodes monstrueuses auxquelles ils avaient soumis Baluchi, déclarant « J’aurais souhaité qu’on ne me demande jamais » de faire cela, et « ne les referais pas ».

De même, lorsque Baluchi a été immergé dans un bain d’eau glacée « excessivement froide », au moins une fois un interrogateur était « si mal à l’aise avec la technique qu’il s’est assis à l’extérieur de la salle d’immersion » pour éviter d’en être le témoin direct. Un autre a admis à l’inspecteur général que cette pratique était « probablement […] en dehors des limites de ce que nous étions censés faire ». Une stratégie similaire a tué le détenu de Salt Pit, Gul Rahman, en novembre 2002.

En revanche, les tortionnaires de la CIA n’avaient aucune réserve quant à l’utilisation de Baluchi comme « accessoire d’entraînement ». Plusieurs nouveaux interrogateurs du site, « qui n’avaient suivi que deux semaines de cours théoriques », avaient besoin d’une « pratique sur le terrain pour obtenir leur certification » : Baluchi représentait « une occasion de démontrer leur connaissance des techniques », en particulier le « walling ».

Après l’avoir déshabillé, les interrogateurs « s’alignaient » pour frapper, chacun à leur tour et au cours de séances qui pouvaient durer jusqu’à deux heures, la tête de Baluchi contre des murs en contreplaqué — et parfois en béton — encore et encore, jusqu’à ce qu’ils soient « fatigués », après quoi un autre prenait la place. Un agent de la CIA interrogé par l’inspecteur général a affirmé que cette méthode était « plus destinée à procurer des “sensations” qu’à blesser le détenu » et qu’elle « faisait simplement un grand bruit ».

Documents non classifiés dans lesquels Al-Baluchi raconte les tortures qu’il a subies

Mais, le récit des sévices subis par Baluchi dépeint une réalité plutôt différente. Après avoir subi une IRM en 2018 qui a révélé « des anomalies indiquant des lésions cérébrales modérées à graves […] compatibles avec une lésion cérébrale traumatique », il a décrit comment, chaque fois que sa tête heurtait le mur, « je voyais des étincelles de lumières dans mes yeux ». Il a en outre attesté que :

« L’intensité des étincelles augmentait en raison des coups répétés. Soudainement, j’ai ressenti une forte secousse électrique dans la tête ; puis je ne voyais plus rien, tout est devenu noir et je me suis évanoui. Je n’étais pas seulement suspendu au plafond, j’étais nu, affamé, déshydraté, froid, encapuchonné, menacé verbalement, souffrant des coups et de la noyade dans l’eau, tandis que ma tête était écrasée contre le mur des dizaines et des dizaines de fois. »

Dès la publication du rapport de l’inspecteur général, l’avocate de Baluchi, Alka Pradhan, a comparé son traitement à une « expérimentation humaine ». Cette catégorisation était encore plus juste que prévu. Une vérité sinistre, rarement reconnue, est que les prisonniers de la CIA, tout au long de la guerre contre le terrorisme, ont servi de cobayes dans le prolongement d’une grande expérience macabre de l’Agence qui a débuté des décennies plus tôt, sous le nom de MK-Ultra.

Au cours de ce processus, ces sujets d’essai involontaires et réticents ont fourni des démonstrations vivantes de l’efficacité des techniques secrètes de torture et de lavage de cerveau brevetées de longue date par Langley, tout en offrant à la CIA une mine de nouvelles idées sur la meilleure façon de déchirer les esprits humains et de les reconstituer sous les formes de son choix.

« Ni force ni coercition »

MK-Ultra représentait en soi une continuation des expériences humaines à glacer le sang et entreprises dans les camps de concentration nazis et par la tristement célèbre Unité 731 du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Sous ses auspices, la CIA a cherché à développer « des matériaux chimiques, biologiques et radiologiques pouvant être utilisés dans des opérations clandestines pour contrôler le comportement humain » et « accroître l’efficacité des interrogatoires de sujets hostiles ».

La privation sensorielle était une tactique clé — et un objectif — de ces efforts. Son efficacité en tant que méthode de torture psychologique a été amplement démontrée par le précurseur de MK-Ultra, le projet ARTICHOKE. En 1951, la CIA a secrètement parrainé une expérience au cours de laquelle 22 étudiants volontaires de l’Université McGill ont été placés dans des cubicules tout en portant des lunettes noircies, des casques antibruit diffusant un bruit blanc constant, des mitaines et des tubes de carton sur les avant-bras.

Il n’a fallu que 48 heures pour que les participants éprouvent des hallucinations intenses comparables aux effets de la mescaline, une drogue psychédélique, et présentent une psychose. Un étudiant a souffert d’une dépression mentale complète et durable. L’universitaire qui a mené l’étude a fait remarquer plus tard que les résultats « nous ont fichu une sacrée trouille ».

En revanche, la CIA était ravie : le médecin de l’Agence, Lawrence Hinkle, de l’université Cornell, a déclaré que cette technique était « le moyen idéal de “briser” un prisonnier [… ;] elle semble créer précisément l’état souhaité par l’interrogateur : malléabilité et désir de parler, avec l’avantage supplémentaire que l’on peut se faire l’illusion que l’on n’utilise ni force ni coercition ».

En 2002, la rumeur selon laquelle la CIA torturait des personnes soupçonnées de terrorisme a commencé à se répandre parmi les journalistes occidentaux et les ONG en Afghanistan, grâce à des enquêteurs de la Croix-Rouge qui ont visité des sites d’interrogatoire à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

À l’époque, les grands médias n’en ont fait aucune mention, notamment en raison de la difficulté de corroborer cette accusation incendiaire — alors que des preuves irréfutables se tenaient à la vue de tous, placardées à la une des journaux du monde entier.

En effet, des photos largement diffusées des premiers détenus de Guantanamo Bay, prises en janvier de cette année-là par un photographe interne de l’US Navy, les montraient bâillonnés, équipés de lunettes noires, de protections auditives et de gants épais, exactement comme les étudiants de McGill.

Ces mesures étaient appliquées aux détenus chaque fois qu’ils étaient amenés à sortir de leur cellule pour quelque raison que ce soit — même pour des visites chez le dentiste. Le rapport de l’inspecteur général de 2008 mentionne que Baluchi avait les yeux bandés, les mains et les pieds enchaînés, la bouche couverte « pour l’empêcher de communiquer » et des dispositifs antibruit placés sur ses oreilles « pour l’empêcher d’entendre les sons ambiants », ce qui constitue une « procédure de remise standard ».

Le compte rendu note également qu’à au moins une occasion, Baluchi a été forcé de boire un médicament sans nom — il est ensuite « devenu fou ». Cela met en évidence une autre synergie fondamentale entre MK-Ultra et le programme de torture de la CIA : le dopage généralisé des cibles avec des drogues psychédéliques, sans leur consentement.

Des dizaines de prisonniers actuels et anciens de la CIA ont témoigné qu’on leur donnait des pilules ou qu’on leur injectait des substances, sans que l’on sache exactement ce qu’elles contenaient. Si un détenu refusait, la fameuse « Immediate Reaction Force » (IRF / « Force de réaction immédiate ») de Guantanamo, chargée de pacifier les détenus combatifs, était appelée à administrer le médicament par une coercition brutale.

Ces médicaments avaient souvent des conséquences absolument ravageuses pour d’autres sujets également. Des doses excessives et inutiles de méfloquine, un antipaludéen, — cinq fois la dose recommandée — ont eu pour résultat de faire gonfler les détenus comme des ballons, avec « des têtes et des mains gonflées ». Les effets secondaires connus sont l’anxiété, la paranoïa, la dépression, les hallucinations et les comportements psychotiques ; et son utilisation par des soldats étatsuniens a été reliée à des suicides et des meurtres.

Adnan Latif, qui est mort à Guantamo Bay en 2012 — prétendument par suicide —, a déclaré à ses avocats qu’il était soumis à des injections dans son sommeil et qu’on lui donnait fréquemment des pilules, ce qui le faisait se sentir comme « un zombie ». L’autopsie a révélé la présence dans son organisme d’un cocktail bizarre et extrêmement dangereux de médicaments soumis à prescription et de morphine.

Un examen interne du Pentagone réalisé en 2009 n’a pas permis de déterminer de manière concluante si des drogues altérant l’esprit étaient utilisées pour rendre les prisonniers plus coopératifs ; pourtant, un mémo du département de la Justice datant de 2003, déclassifié l’année précédente, a montré qu’une interdiction vieille de plusieurs décennies concernant l’utilisation de telles substances lors des interrogatoires a été bafouée pour les besoins du programme de torture de la CIA.

Quoi qu’il en soit, étant donné l’ampleur de la torture physique et psychologique à laquelle les prisonniers étaient soumis, il est impossible de quantifier le rôle que les substances psychotropes ont pu jouer pour faire parler les détenus — mais ils ont presque tous fini par parler.

« Je disais n’importe quoi »

L’enquête de la commission sénatoriale du renseignement sur le programme de torture a conclu que les techniques renforcées n’ont pas permis d’obtenir la moindre information utile et unique qui n’ait pas déjà été recueillie par d’autres sources et méthodes.

Au lieu de cela, les prisonniers de la CIA ont presque tous dit à leurs interrogateurs ce qu’ils pensaient que l’Agence voulait entendre, ont fourni de faux aveux et ont reconnu des crimes impossibles, afin d’abréger leurs souffrances. Le rapport de l’inspecteur général souligne en outre que la CIA elle-même en était parfaitement consciente, puisqu’elle a constaté que Baluchi n’avait fourni aucun renseignement valable et qu’il avait « fabriqué les informations qu’il avait fournies » pendant qu’il était torturé.

Les conclusions de la commission ont été largement présentées dans les médias comme un témoignage de l’échec du programme, mais une telle analyse néglige la question évidente de savoir si l’Agence a délibérément cherché à obtenir de faux témoignages afin d’obtenir des résultats préétablis. Essayait-elle de soutirer des informations aux prisonniers, ou seulement de leur en faire avouer pour étayer et justifier ce qu’elle disait et faisait ?

Après le 11 septembre, le gouvernement des États-Unis avait un besoin urgent de renseignements exploitables pour justifier des interventions impériales prévues de longue date au Moyen-Orient et des mesures de surveillance draconiennes et attentatoires aux libertés civiles dans le pays. Il était donc nécessaire d’identifier — voire de concocter — une menace terroriste mondiale à combattre, aussi rapidement que possible.

L’un des principaux fondements de la guerre en Irak — l’affirmation souvent citée selon laquelle Bagdad aurait enseigné à Al-Qaïda l’utilisation d’armes chimiques et biologiques — reposait sur le témoignage d’un agent présumé de l’organisation islamiste dont la CIA savait qu’il était « probablement en train d’induire intentionnellement en erreur » ses interrogateurs en Égypte, un pays bien connu pour son usage généralisé de la torture.

Tout au long du processus, d’innombrables personnes ont été accusées à tort d’être des agents d’Al-Qaïda par d’autres détenus, sous la contrainte de la CIA. En conséquence, sur les 800 hommes emprisonnés à Guantanamo depuis 2002, la plupart ont été libérés sans inculpation, dans de nombreux cas des années après que la CIA ait déterminé qu’ils étaient innocents. Les cicatrices psychologiques permanentes de cette expérience sont courantes.

Baluchi est peut-être lui-même un exemple de personne innocente incarcérée sur la base d’accusations sans fondement. Il affirme qu’il n’avait aucune idée que les personnes qu’il aidait étaient des terroristes et qu’en tant que coursier, il apportait fréquemment son soutien à des musulmans à l’étranger pour le compte de riches bienfaiteurs afin d’augmenter ses revenus. Le rapport de l’inspecteur général n’a pu identifier aucun motif raisonnable justifiant son emprisonnement, jugeant que le raisonnement de la CIA était « flou et circulaire ».

Au début, les interrogateurs se sont contentés de « supposer » qu’il dissimulait des informations sur des « menaces imminentes » pour les États-Unis, en se fondant sur ce qu’il « aurait pu savoir » et sur les déclarations d’autres détenus, elles-mêmes obtenues sous la torture.

Au fur et à mesure que la brutalité augmentait, Baluchi est devenu « docile » afin « d’essayer de mettre fin aux techniques » et par crainte d’être tué s’il ne coopérait pas, offrant des « bribes » à ses interrogateurs, qui ont ensuite servi à justifier la poursuite de son emprisonnement et des mauvais traitements. Selon ses propres termes, « je disais n’importe quoi quand on me torturait ».

« Il avait peur de dire un mensonge et avait peur de dire la vérité, car il ne savait pas comment l’un ou l’autre serait reçu », note le rapport.

La conduite psychique

L’une des expériences les plus tristement célèbres de MK-Ultra était connue sous le nom de « conduite psychique », pour laquelle le psychiatre Donald Ewen Cameron administrait à ses patients des cocktails de médicaments incapacitants et des décharges électriques pendant qu’ils écoutaient des heures de messages audio enregistrés, afin de faire de leur esprit une « ardoise blanche » sur laquelle de nouveaux comportements, pensées, souvenirs et personnalités pouvaient être implantés.

Tout comme le programme de torture de la CIA, le bon sens a voulu que cet effort se traduise en un échec. S’il est vrai qu’il a créé des « ardoises vierges », en ce sens que les sujets des tests ont subi des pertes de mémoire importantes, Cameron n’a pas été en mesure de les « reprogrammer » efficacement par la suite.

Il n’en reste pas moins qu’il considérait que les « valeurs primaires » de la conduite psychique étaient « la pénétration des défenses [et] l’obtention de matériel jusqu’alors inaccessible » — et, étant donné les similitudes entre ses techniques et ce qui a été pratiqué sur les prisonniers de la CIA, il est clair que l’Agence les considère encore aujourd’hui comme valables.

En détruisant psychologiquement les détenus, Langley aurait pu les transformer en qui et en quoi il voulait, et il avait besoin qu’ils le soient à tout moment. Et en déformant leurs esprits, l’Agence a corrompu leurs perceptions globales.

Qui plus est, il y a tout lieu de penser que les stratégies affinées par la CIA au cours du programme sont toujours d’actualité. Le chercheur Jeff Kaye, qui a mené un travail de pionnier sur la torture et la guerre biologique aux États-Unis, explique à MintPress que « l’entreprise de torture » de Langley a également été codifiée dans le manuel de terrain de l’armée (Army Field Manual / AFM) de 2006 sur les interrogatoires ; c’est ce programme « que les démocrates ont poussé comme une alternative au propre programme de torture de la CIA ».

Il s’agissait en fait de MK-Ultra « réduit à l’essentiel, reposant sur l’isolement, la privation sensorielle et la privation de sommeil, ainsi que sur des techniques dites légales telles que la “montée de la peur”, la “réduction de l’ego émotionnel” et la “futilité émotionnelle” pour briser les individus en créant en eux des sentiments de dégradation, de dépendance et de peur », explique Kaye.

De même, dans le manuel de l’armée, que la législation du Congrès de 2016 a consacré comme la manière approuvée d’interroger les prisonniers détenus par la CIA et l’armée, la technique de la « futilité » est utilisée pour engendrer « un sentiment de désespoir et d’impuissance chez les prisonniers ». Kaye conclut de manière effrayante :

« La méthode de l’“Interrogatoire efficace sur le terrain” (“Field Expedient Interrogation”) du manuel (que l’on trouve dans l’annexe M de l’AFM) comprend la pose de cache-oreilles et de lunettes de protection ou de bandeaux sur les prisonniers, afin de “prolonger le choc de la capture” et de “favoriser un sentiment de futilité”. Le poison du programme MK-Ultra s’est répandu pour infecter l’ensemble de l’armée des États-Unis et la CIA, qui peuvent désormais “légalement” torturer, tandis que l’establishment politique refuse de poursuivre toute personne accusée de torture. »

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