Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Le gouvernement ukrainien a mystérieusement fait disparaître les informations en ligne de son accord de collecte de fonds avec la crypto-escroquerie FTX quelques jours seulement avant que le scandale n’éclate. L’initiative prétend avoir récolté 60 millions de dollars pour l’Ukraine ; mais, où est passé l’argent ?
La disparition de FTX, cinquième place de marché de cryptomonnaies en volume d’échanges en 2022 et deuxième en ce qui concerne les participations, a provoqué une vague de chaos sur les marchés financiers mondiaux.
Alors que les turbulences s’amplifient, le gouvernement ukrainien mène actuellement une opération de nettoyage et de blanchiment afin de débarrasser le web de toute référence à un accord de haut niveau de collecte de fonds en cryptomonnaie conclu avec FTX. Curieusement, cette opération semble avoir commencé quelques jours seulement avant que le scandale n’éclate.
Les documents en ligne découverts par The Grayzone affirment que des dizaines de millions de dollars ont été collectés par FTX pour le gouvernement ukrainien, et utilisés à diverses fins belliqueuses. Mais, alors que l’entreprise apparaît désormais comme un village Potemkine dépourvu d’actifs sous-jacents, et que des points d’interrogation majeurs subsistent quant à la question de savoir si ses opérations ont été frauduleuses de bout en bout dès le premier jour, qu’en est-il du système de dons prétendument couronné de succès ? Ces sommes ont-elles vraiment été collectées, et si oui, à quelles fins ont-elles été réellement utilisées ?
La destruction de FTX a résulté d’une vente massive du jeton bitcoin natif de la société, le FTT, par la plateforme d’échange concurrente, Binance. Sa valeur s’est effondrée, provoquant un « run » de trois jours sur des milliards de dollars en cryptomonnaie, ce qui a créé — ou révélé — une « crise de liquidité » au sein de FTX, qui ne disposait pas des actifs nécessaires pour racheter les retraits de ses clients. FTX a déposé le bilan le 11 novembre.
Sam Bankman-Fried, le fondateur de FTX et grand donateur du Parti démocrate des États-Unis, fait maintenant l’objet d’une enquête criminelle aux Bahamas, où se trouvait le siège de la plateforme d’échange, et les appels à des enquêtes officielles sur le secteur largement non réglementé des cryptomonnaies se répercutent dans le monde entier.
La mort soudaine de FTX a été comparée à la désintégration de Lehman Brothers, en 2008, qui a précipité la crise financière.
Des avoirs massifs de clients ont apparemment disparu grâce à une « porte dérobée » secrète dans le système de comptabilité de FTX qui permettait à Bankman-Fried d’apporter des modifications aux données financières de l’entreprise sans avoir à rendre de comptes. Cette connivence a peut-être servi à dissimuler au moins 10 milliards de dollars de fonds de clients que Bankman-Fried a transférés de la plateforme d’échange à une autre société de trading d’actifs numériques qu’il a fondée, Alameda Research.
Alors que dans la médiasphère mainstream on s’est penchée sur les détails de la gargantuesque escroquerie cryptographique de Bankman-Fried, pas un seul grand média n’a enquêté ou même reconnu la relation de FTX avec le gouvernement ukrainien.
Les avoirs des clients ont-ils été détournés de manière inexplicable et illégale vers la guerre par procuration de l’Occident ? Ou bien l’aide supposée que FTX a envoyée à Kiev s’est-elle retrouvée dans les mains d’escrocs ukrainiens, de seigneurs de guerre corrompus ou d’acteurs illicites ?
L’incapacité des médias institutionnels à explorer ces questions semble d’autant plus perverse que Bankman-Fried a fait une promotion exubérante de sa relation financière intime avec le gouvernement du président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Le partenariat entre FTX et le gouvernement ukrainien a été rendu public pour la première fois le 14 mars, lorsque le principal site de cryptomonnaies CoinDesk a annoncé que Kiev avait lancé une page web dédiée aux dons en cryptomonnaies, baptisée « Aid for Ukraine » (« Aide à l’Ukraine »).
Sous ses auspices, FTX s’est engagé à « convertir les contributions en crypto à l’effort de guerre en Ukraine en monnaie fiduciaire pour les déposer » à la Banque nationale de Kiev, permettant au gouvernement assiégé de « transformer les bitcoins en balles, bandages et autres matériels de guerre ». CoinDesk a déclaré que l’initiative « approfondit un lien sans précédent entre les forces des secteurs public et privé dans le domaine de la crypto ».
Oleksandr Bornyakov, un responsable du ministère ukrainien de la Transformation numérique, a fait allusion à CoinDesk à propos de la vente aux enchères d’une « collection de NFT1 à venir » pour « donner le prochain coup de pouce au processus de levée de fonds en cryptomonnaie ».
(Le ministère de la Transformation numérique de Bornyakov a joué un rôle clé dans la campagne menée avec succès par Zelensky pour annuler la participation des journalistes de The Grayzone, Max Blumenthal et Aaron Maté, au Web Summit, un grand rassemblement international de l’industrie technologique à Lisbonne, au Portugal.)
Dans un communiqué de presse accompagnant l’annonce du partenariat de FTX avec l’Ukraine, Bankman-Fried expliquait que, « au début du conflit en Ukraine, FTX a ressenti le besoin d’apporter son aide par tous les moyens possibles ». Il a promis que l’accord fournirait « la capacité d’acheminer l’aide et les ressources aux personnes qui en ont le plus besoin ».
La page web Aid for Ukraine a maintenant été supprimée, mais elle est toujours accessible via Internet Archive. Jusqu’à très récemment, elle encourageait les visiteurs à « aider l’Ukraine avec de la crypto » et plaidait pour « ne pas nous laisser seuls face à l’ennemi ».
Le site présentait des citations promotionnelles d’un éventail de représentants du gouvernement ukrainien et de bitcoin bros2 — parmi eux, le fondateur de FTX.
Mykhailo Fedorov, vice-Premier ministre ukrainien et ministre ukrainien de la Transformation numérique, a remercié « la communauté crypto » d’avoir financé l’achat de casques, de gilets pare-balles et de dispositifs de vision nocturne. De son côté, Bankman-Fried s’est déclaré « incroyablement excité et humble » pour « soutenir les dons en crypto pour l’Ukraine ».
La dernière capture disponible sur Internet Archive de Aid for Ukraine date de l’après-midi du 26 octobre. Tout au long de l’existence de la page web, Internet Archive a capturé des instantanés chaque semaine. Cela indique clairement que cette page a été supprimée par Kiev fin octobre, plusieurs jours avant que la crise FTX n’éclate.
Après avoir supprimé la page, le gouvernement ukrainien a créé un site web autonome le 1er novembre pour promouvoir l’effort. La page était identique, et les citations de Bankman-Fried, ainsi que les références à la participation de FTX et à son logo, sont restées en place jusqu’au matin du 15 novembre.
L’abandon et l’effacement de la page web originale, et le passage à une interface totalement nouvelle, à ce moment-là, étaient-ils simplement une étrange coïncidence, ou les Ukrainiens étaient-ils avertis de ce qui allait se passer ? Que savait Kiev, et quand l’a-t-il su ?
Si certains ont accusé FTX de servir de moyen de blanchiment d’argent pour le Parti démocrate des États-Unis, les preuves concrètes à l’appui de cette affirmation ne se sont pas encore matérialisées. Mais, compte tenu des antécédents de Bankman-Fried, qui est l’un des donateurs les plus prolifiques des démocrates, et du rôle qu’il a joué en tant que lien entre les courtiers influents du parti et la sphère des cryptomonnaies, de telles allégations sont compréhensibles.
Bankman-Fried est le fils de Barbara Friedman, professeure de droit à Stanford et fondatrice d’un Super PAC3 obscur appelé Mind the Gap, qui a discrètement canalisé des millions de dollars vers les candidats du Parti démocrate, principalement en provenance d’investisseurs anonymes de la Silicon Valley.
L’organisation de la professeure Freidman n’a pas de site web ni de présence dans les réseaux sociaux, et ses fondateurs n’annoncent pas leur participation publiquement. Choisis par le biais d’une analyse complexe de données, les bénéficiaires du Super PAC n’ont souvent aucune idée de qui exactement fait des dons à leurs campagnes.
« La raison d’être est la discrétion », a déclaré à Vox, en 2020, une personne « ayant des liens avec l’organisation ».
La création de FTX par Bankman-Fried en avril 2019 — le même mois où Joe Biden a annoncé sa candidature à la présidentielle de 2020 — a ajouté à l’intrigue entourant le scandale. Une fois que de vastes sommes ont commencé à affluer dans et à travers la plateforme d’échange FTX, son fondateur a aiguillé les bénéfices vers les caisses de la campagne de Biden. Curieusement, Bankman-Fried n’avait aucun antécédent d’activité financière politique.
Tout au long de la campagne 2020, Bankman-Fried a fait don de plus de 5 millions de dollars à Biden et aux groupes qui le soutiennent. Cette somme aurait contribué à alimenter un « blitz de publicité télévisée à neuf chiffres et de dernière minute » potentiellement décisif, ciblant les États clés, et a fait du crypto bro le deuxième plus grand donateur du président, juste derrière Michael Bloomberg.
Bankman-Fried a affirmé que cette poussée de générosité était « moins motivée par des questions en particulier que par la “stabilité globale et le processus décisionnel” de l’équipe Biden ». Un tel manque apparent d’enthousiasme pour le président est en contradiction avec les sommes faramineuses qu’il a injectées dans les caisses du Parti démocrate depuis lors.
Rien qu’en 2022, Bankman-Fried a prodigué près de 40 millions de dollars aux candidats, aux campagnes et aux PAC démocrates. Cette frénésie de dons a fait de lui le deuxième plus grand donateur individuel aux causes démocrates, derrière le capital-risqueur libéral George Soros.
Plus récemment, Bankman-Fried s’est engagé à faire don d’un milliard de dollars entre cette année et 2024 pour assurer une victoire démocrate lors du prochain scrutin présidentiel. Le 14 octobre, cependant, il a complètement fait marche arrière, qualifiant cet investissement de « stupide ». Quelque chose de scandaleux se préparait dans les coulisses.
Une semaine plus tard, le Texas State Securities Board (la commission des valeurs mobilières de l’État du Texas) a annoncé qu’il enquêtait sur FTX, l’entreprise étant soupçonnée de vendre des titres non enregistrés. Ce rebondissement est passé largement inaperçu dans les médias. Dans la mesure où il a suscité un quelconque intérêt, il a été présenté seulement comme l’un des nombreux exemples d’autorités financières examinant des acteurs du monde de la cryptomonnaie.
Si FTX blanchissait effectivement des fonds pour la guerre par procuration en Ukraine, la moindre indication que les régulateurs enquêtaient sur ses opérations aurait déclenché des sonnettes d’alarme dans tout Washington — et par extension, à Kiev. C’est peut-être la raison pour laquelle le gouvernement ukrainien a remplacé la page web de Aid for Ukraine par un site dédié, et a entièrement supprimé l’original d’internet quelques jours seulement après l’annonce.
Il est également curieux que les captures effectuées par Internet Archive du site web Aid for Ukraine montrent que les informations sur les fonds censés être versés à Kiev via Bitcoin n’ont pas été mises à jour depuis juillet. À l’époque, la page web indiquait que plus de 60 millions de dollars avaient été collectés par la « communauté ». Ce chiffre est repris sur le site autonome, mis à jour, de collecte de fonds.
Une ventilation des dépenses sur le nouveau site web Aid for Ukraine indique que Kiev avait dépensé un total de 54 573 622 $ de dons en cryptomonnaie au 7 juillet pour une grande variété de matériels, de véhicules, de drones, d’« équipements létaux » et d’autres ressources. L’une des plus grosses dépenses était de 5 250 519 $ pour une « campagne médiatique antiguerre mondiale » dont les détails ne seraient « publiés qu’après notre victoire » pour des « raisons de sécurité ».
Les responsables du gouvernement ukrainien et les acteurs du secteur privé impliqués dans le fonctionnement de Aid for Ukraine se sont moqués des soupçons d’irrégularités concernant son utilisation.
Oleksandr Bornyakov, du ministère ukrainien de la Transformation numérique, a déclaré qu’Aid for Ukraine avait simplement utilisé FTX pour « convertir, en mars, les dons en monnaie fiduciaire ». Le PDG d’Everstake, la société de « validation » qui, en théorie, garantissait que les fonds en cryptomonnaie donnés par l’intermédiaire de Aid for Ukraine parvenaient au ministère de la Défense de Kiev, a également remercié « chaque détenteur de cryptomonnaie pour ses dons […] dans ces premiers jours [sic], lorsque chaque minute et chaque centime étaient déterminants ».
Pris en tandem, ces commentaires suggèrent que Aid for Ukraine a été mis en place uniquement pour recevoir des dons dans les premières phases de la guerre, et que le chiffre de 60 millions de dollars représente les sommes reçues et converties dans les semaines suivant immédiatement le lancement de l’initiative. Cette interprétation est renforcée par la présentation d’un membre du personnel d’Everstake lors d’une conférence sur les cryptomonnaies au Web Summit, le 1er novembre, à propos de la « collecte de [plus de] 60 millions de dollars en cryptomonnaies pour l’Ukraine ».
Mais, une capture du 1er avril de Aid for Ukraine disponible sur Internet Archive ajoute à la confusion, montrant que deux semaines et demie après le lancement de l’initiative, la page web a été mise à jour pour affirmer que « plus de 70 millions de dollars » avaient été collectés auprès de donateurs de cryptomonnaies. Ce chiffre a été ramené à « plus de 60 millions de dollars » cinq jours plus tard.
Plus étrangement, les archives de Aid for Ukraine montrent que depuis le lancement de l’initiative jusqu’au 14 avril, un total de 45 103 538 $ a été dépensé. Cela signifie que seulement 9 470 084 $ ont été dépensés entre le 14 avril et le 7 juillet, période au cours de laquelle la guerre s’est transformée en une « guerre d’usure sanglante » selon The Guardian.
Il y a donc un écart d’au moins 5,5 millions de dollars entre l’argent que Aid for Ukraine prétend avoir collecté au cours des premières semaines et les fonds qu’elle dit avoir distribués en Ukraine.
Cette disparité a été confirmée dans un tweet du compte officiel de Aid for Ukraine, posté dans la soirée du 15 novembre, qui indiquait que « sur les 60 millions de dollars reçus, 54 millions ont déjà été dépensés pour répondre aux besoins humanitaires et militaires de l’Ukraine ».
Cela implique qu’aucun autre fonds, quelle que soit sa valeur, n’a été reçu après le début du mois d’avril et que le total est resté stable depuis lors, bien que la ressource soit ouverte aux dons. Ce qui serait très inhabituel.
Le gouvernement de l’Ukraine, FTX et Everstake ont maintenant, tous, de sérieuses questions auxquelles ils doivent répondre. À savoir : pourquoi les fonds prétendument collectés semblent avoir diminué en l’espace de quelques jours ; pourquoi aucun don n’a été reçu depuis lors sur la page web Aid for Ukraine ou sur son nouveau site web ; combien ont été donnés depuis l’afflux initial présumé ; et où est passé le reste de l’argent ?
Les histoires d’irrégularités financières potentielles de la part de responsables ukrainiens et de l’armée du pays sont invariablement ignorées ou carrément enterrées par les médias occidentaux. Un article publié en août par le Kyiv Independent a mis en évidence des abus de grande ampleur commis par les dirigeants d’une branche de la Légion internationale, notamment des cas de harcèlement sexuel, de pillage, de menaces avec armes à feu à l’encontre de soldats et de leur envoi sans préparation dans des missions périlleuses et inconsidérées. Bien que le Kyiv Independent influence souvent la couverture du conflit ukrainien par les médias occidentaux, cette histoire a été complètement ignorée par le courant mainstream.
Le même mois, CBS a diffusé un reportage d’investigation révélant que seulement 30 % des livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine ont atteint la ligne de front. En raison d’une vive réaction du Pentagone et d’autres sources puissantes, CBS a temporairement retiré du web son propre documentaire ainsi que la bande-annonce et l’article promotionnel qui l’accompagnaient. Le reportage a depuis été « mis à jour » pour affirmer que « la situation s’est considérablement améliorée » depuis le tournage, et qu’« une quantité beaucoup plus importante arrive désormais là où elle est censée aller ».
En ce qui concerne l’Ukraine, les démocrates au plus haut niveau sont également immensément habiles à enterrer les histoires embarrassantes. En décembre 2015, Joe Biden a contraint Petro Porochenko, alors dirigeant de Kiev, à licencier le procureur général Viktor Shokin comme condition pour que les États-Unis souscrivent un prêt d’un milliard de dollars du FMI à l’Ukraine.
« Je vais partir d’ici dans six heures. Si [Shokin] n’est pas renvoyé, vous n’aurez pas l’argent », a menacé Biden.
Avec le licenciement de Shokin, l’enquête en cours de l’avocat expérimenté sur le géant de l’énergie Burisma a également pris fin. Ce qui signifie que le plus célèbre membre du conseil d’administration de Burisma, Hunter Biden, le fils du vice-président des États-Unis de l’époque, Joe Biden, a échappé à un examen officiel.
Aujourd’hui, un crypto-milliardaire politiquement connecté qui a utilisé une « porte dérobée » financière secrète pour escroquer à ses clients des sommes d’argent insensées est devenu le dernier personnage de la saga de l’aide douteuse des États-Unis à l’Ukraine. Et bien que l’effondrement de sa société FTX fasse la une des journaux, les médias mainstream évitent soigneusement l’angle de l’Ukraine.
Sources :
Sources de l’illustration d’en-tête :
NFT : non-fungible token (jeton non fongible)
Un crypto bro ou cryptobro (de l’anglais crypto brother, littéralement « frère crypto ») désigne un partisan enthousiaste de la cryptomonnaie, en particulier dogmatique et condescendant.
L’auteur utilise « bitcoin bros » pour cibler spécifiquement les acteurs du bitcoin. (NdT) ↩
« PAC » est l’abréviation de « Political Action Committee » (« Comité d’action politique ») qui désigne, aux États-Unis, un groupe de personnes collectant des fonds pour les candidats qui soutiennent leurs objectifs politiques et sociaux particuliers. (NdT) ↩
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