La police britannique détient le journaliste Kit Klarenberg et l’interroge à propos de The Grayzone

La police britannique détient
le journaliste Kit Klarenberg
et l’interroge
à propos de The Grayzone

Par Max Blumenthal

Une publication The Grayzone


Liberté d’expression Répression Terrorisme Propagande Médias
Royaume-Uni États-Unis Russie Ukraine
Article

Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


La police antiterroriste britannique a arrêté le journaliste Kit Klarenberg à son arrivée à l’aéroport de Luton, à Londres, et l’a soumis à un long interrogatoire sur ses opinions politiques et ses reportages pour The Grayzone.

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Dès que le journaliste Kit Klarenberg a atterri dans son pays d’origine, la Grande-Bretagne, le 17 mai 2023, six agents antiterroristes anonymes en civil l’ont arrêté. Ils l’ont rapidement escorté dans une arrière-salle, où ils l’ont interrogé pendant plus de cinq heures sur ses reportages pour The Grayzone. Ils l’ont également interrogé sur ses opinions, qu’il s’agisse des dirigeants politiques britanniques actuels ou de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

À un moment donné, les interrogateurs de Klarenberg ont demandé si The Grayzone avait conclu un accord spécial avec le Service fédéral de sécurité russe (FSB) pour publier des documents piratés.

Au cours de la détention de Klarenberg, la police a saisi les appareils électroniques et les cartes SD du journaliste, a relevé ses empreintes digitales, a effectué des prélèvements d’ADN et l’a photographié de manière intensive. Elle a menacé de l’arrêter s’il n’obtempérait pas.

L’interrogatoire de Klarenberg semble être le moyen pour Londres de se venger des reportages à succès du journaliste qui expose au grand jour les intrigues majeures des services de renseignement britanniques et étatsuniens. Au cours de la seule année écoulée, le journaliste a révélé comment une cabale de tories, partisan de la ligne dure en matière de sécurité nationale, a violé l’Official Secrets Act1 pour exploiter le Brexit et installer Boris Johnson au poste de Premier ministre. En octobre 2022, il a fait les gros titres de la presse internationale en révélant que les Britanniques avaient l’intention de bombarder le pont de Kertch qui relie la Crimée à la Fédération de Russie. Puis, en avril, il a publié un article sur le recrutement par la CIA de deux pirates de l’air du 11-Septembre, une information virale qui a suscité un vif intérêt dans les réseaux sociaux.

Parmi les révélations les plus importantes de Klarenberg figure son article de juin 2022, qui démasque le journaliste britannique Paul Mason comme un collaborateur de l’État de sécurité du Royaume-Uni déterminé à détruire The Grayzone et d’autres médias, universitaires et activistes qui critiquent le rôle de l’OTAN en Ukraine.

Comme le reportage de Klarenberg sur Mason s’appuyait largement sur des fuites de courriels, ce dernier l’a faussement accusé de « contribuer à une campagne de désinformation qui s’appuie sur le piratage et la fuite de données et qui est soutenue par l’État russe ». Mason a aussi signalé la fuite de ses courriels à la police britannique.

Emma Briant, une experte autoproclamée en désinformation qui a participé à la campagne de Mason visant à saboter toute critique de l’OTAN, a dépêché des avocats pour demander à Klarenberg de retirer d’Internet tous les articles qui la mentionnaient. Les lettres des avocats menaçaient également d’injonctions coûteuses visant à empêcher tout nouveau reportage et contestaient l’« authenticité » du contenu des courriels.

Les lettres de mise en demeure contenaient en outre des allégations fausses et diffamatoires à l’encontre de Klarenberg, notamment le fait que celui-ci aurait été personnellement impliqué dans le piratage des courriels et du compte Twitter de Briant.

Kit Klarenberg : « Il s’agit d’une censure absolument scandaleuse de mes amis et collègues et particulièrement sinistre étant donné que moi et @TheGrayzoneNews avons reçu des lettres de mise en demeure de la part de @Shoosmiths la semaine dernière, agissant au nom d’Emma Briant. »
Max Blumenthal : « YouTube a censuré notre discussion factuelle avec @aaronjmate sur la collusion secrète de Paul Mason avec l’État britannique visant à nous harceler, nous intimider et nous retirer, avec acharnement, de la plateforme.
Il l’a fait sur la base du “harcèlement et de l’intimidation”.
Nous supposons que les pressions proviennent des mêmes éléments qui cherchent à nous détruire. »

Les plaintes bidon et manifestement malveillantes de Paul Mason ou d’Emma Briant ont-elles incité la police britannique à arrêter Klarenberg et à enquêter sur lui ?

Les articles du journaliste ne contiennent ni mensonges ni rien qui s’apparente à de la « désinformation », et c’est précisément la raison pour laquelle des personnalités liées aux services de renseignement comme Mason sont si frustrées par leur publication. Malgré les allégations de Mason et de Briant, il n’existe même pas de preuves tangibles que des pirates informatiques russes sont à l’origine des fuites.

En rapportant des informations ayant fait l’objet d’une fuite, Klarenberg a eu recours à la même pratique journalistique que les plus grands et les plus anciens journaux du monde occidental, allant du New York Times au Washington Post ; eux-mêmes dépendent de cela pour sortir leurs nouvelles. En fait, Thomas Rid, expert en désinformation et professeur d’études stratégiques à l’université Johns Hopkins, a déclaré que les journalistes « ne devraient pas hésiter » à couvrir les fuites rapportées pour la première fois par Klarenberg.

Il apparaît donc que les autorités britanniques n’ont pas détenu Klarenberg pour des raisons juridiques, mais parce qu’il a rapporté des faits qui ont mis en évidence les violations du droit national et international commises par l’État de sécurité nationale lui-même, ainsi que les complots malveillants de ses laquais médiatiques.

Interrogé en vertu des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, cuisiné au sujet de liens russes inexistants

Le journaliste Kit Klarenberg est arrivé au Royaume-Uni le 17 mai en provenance de Belgrade, en Serbie, où il vit. Il avait l’intention de rendre visite à ses amis et à sa famille, mais il allait d’abord devoir se soumettre à une course d’obstacles que la police britannique lui avait imposée.

Dès l’atterrissage de son vol à l’aéroport de Luton, le pilote a annoncé que la police des frontières était « au coin de la rue » et a demandé à tous les passagers de préparer leurs passeports. La police attendait Klarenberg au bas de l’escalier menant les passagers de l’avion au tarmac. Elle l’a immédiatement conduit dans une arrière-salle et l’a informé qu’il était détenu en vertu de l’annexe 3, section 4, du Counter-Terrorism and Border Act de 2019.2

Six agents en civil ont entouré le journaliste et lui ont expliqué qu’il risquait d’être arrêté s’il ne consentait pas à répondre à leurs questions et à leur remettre ses appareils électroniques personnels. Ils ont refusé de lui donner leurs noms et lui ont fourni des indicatifs d’appel à la place.

« Je m’attendais à quelque chose de ce genre depuis qu’une requête pour un interrogatoire de police m’est parvenue l’été dernier », a déclaré Klarenberg à The Grayzone, en faisant référence à un communiqué qu’il a reçu d’un détective britannique de haut rang le 27 juillet 2022. Le courriel demandait au journaliste de se présenter à un poste de police pour être interrogé sur les allégations d’un plaignant anonyme concernant des « infractions qui tombent sous le coup du computer misuse act3 ».

Cependant, Klarenberg a été informé en septembre 2022 (voir ci-dessous) que l’enquête de police avait été close.

Revenons à la salle d’interrogatoire de Luton : Klarenberg s’est vu demander quels étaient les passeports en sa possession. « Ils ont semblé surpris que je n’aie qu’un passeport britannique sur moi », se souvient-il. La police lui a ensuite demandé s’il possédait des biens à l’étranger, quels pays il avait visités et pourquoi. Il a été contraint de donner son adresse à Belgrade, de révéler le montant de son loyer et, bizarrement, de préciser si ses dépenses énergétiques étaient incluses. Les officiers ont ensuite demandé pourquoi il vivait en Serbie.

À partir de là, les interrogateurs de la police se sont concentrés sur le travail de Klarenberg pour The Grayzone. « Ils m’ont demandé pour quelles publications j’écrivais, et je leur ai répondu que j’écrivais pour beaucoup d’entre elles », raconte le journaliste. « L’un d’eux a même fait remarquer qu’il n’avait jamais entendu parler de “MintPress Zone”. Ils s’intéressaient surtout, voire exclusivement, à The Grayzone. »

Les officiers ont interrogé Klarenberg sur des articles tels que son compte rendu sur le recrutement par la CIA de futurs pirates de l’air du 11-Septembre, ainsi que sur ses opinions sur les théories conspirationnistes du 11-Septembre.

Vint ensuite une avalanche de questions relatives à The Grayzone : combien Klarenberg a-t-il été payé par cette publication, à quelle fréquence et sur quel compte bancaire ? À qui appartenait le site ? Quels étaient ses contacts avec Max Blumenthal, l’auteur du présent article et rédacteur en chef de The Grayzone ? Avait-il rencontré Blumenthal en personne ?

Les agents chargés de la lutte contre le terrorisme ont ensuite posé une série de questions infondées concernant la Russie : The Grayzone a-t-il conclu un accord quelconque avec le Service fédéral de sécurité russe (FSB) pour publier des documents piratés ? Klarenberg a-t-il été sciemment en contact avec des agents du FSB ? Est-il en contact avec du personnel actuel ou ancien des médias d’État russes ? Qui est propriétaire de The Grayzone et est-il commandité par la Russie ?

(Comme cela a été dit publiquement à maintes reprises, The Grayzone est un média totalement indépendant fondé par moi, Max Blumenthal. Contrairement à nombre de nos adversaires, il n’accepte ni financement ni soutien d’aucun État, y compris la Russie.)

À ce moment-là, les agents ont sorti les cartes bancaires de Klarenberg de la pièce pendant une longue période. Ils ont également saisi les cartes mémoire et les cartes SIM de son appareil photo, en lui demandant de fournir les codes PIN pour y accéder. « Je ne sais pas ce qui a été fait de mes cartes bancaires », a déclaré le journaliste. « Il en va de même pour les cartes SD : ce qu’ils ont pu tirer de ces cartes anciennes et à peine utilisées n’est pas clair. »

Ensuite, les interrogateurs de Klarenberg lui ont demandé s’il avait des documents journalistiques à portée de main, le priant de les « avertir » de leur contenu et de l’endroit où ils se trouvaient afin qu’ils ne les ramassent pas « par accident ».

Klarenberg s’est demandé si cette question n’était pas une opération de relations publiques conçue en réponse au tollé médiatique provoqué en avril par la détention par la police antiterroriste britannique d’Ernest Moret, un éditeur français interrogé sur ses opinions concernant la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, largement décriée. Il y avait aussi la possibilité qu’ils veuillent qu’il les conduise à un contenu sensible qu’il avait couvert ou prévoyait de le faire. 

Les interrogateurs de Klarenberg se sont montrés très intéressés par son appartenance à des organisations de presse, par sa carte de presse et par ses qualifications professionnelles. Ils ont ensuite sondé son parcours professionnel, lui demandant comment il était entré dans le monde du journalisme politique et s’il y avait des « vides » dans son parcours professionnel.

Il a été interrogé à plusieurs reprises sur ce parcours, depuis la couverture des questions financières, il y a dix ans, jusqu’aux reportages sur la politique et la sécurité nationale. « La police s’est déclarée confuse par rapport à cette transition », bien que Klarenberg ait expliqué qu’il avait étudié la politique à l’université. « Les policiers sont revenus à plusieurs reprises sur ce point, estimant manifestement que cela n’avait pas de sens. Ils cherchaient à savoir si j’avais été “recruté” à un moment donné ou si j’avais toujours été un “agent dormant”. »

Tout au long de l’entretien, la police antiterroriste a interrogé Klarenberg de manière agressive sur ses affiliations et ses convictions politiques. Était-il impliqué dans des causes militantes à Belgrade ? Que pensait-il du gouvernement russe ? Avait-il une opinion sur l’arrestation par la Russie d’Evan Gerskovich du Wall Street Journal ? Que pensait-il de Rishi Sunak ? Un officier se plaignait sans cesse de l’« inutilité » de Keir Starmer, ce qui a amené Klarenberg à se demander si ces commentaires n’étaient pas une manœuvre destinée à le faire sortir de sa réserve.

Lorsque le journaliste a fait remarquer qu’il avait publiquement critiqué l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les policiers ont demandé si « quelqu’un » du gouvernement russe l’avait contacté pour se plaindre. « Vraisemblablement, ils voulaient savoir si mes critiques avaient énervé mes “contrôleurs”. Ce qui est un énoncé tout à fait ridicule. »

S’ensuit une longue discussion philosophique sur le journalisme et l’intérêt public. « Votre travail est peut-être intéressant pour le public », a dit un officier à Klarenberg, « mais il n’est pas dans l’intérêt public ». Il a insisté sur le fait qu’un journaliste pouvait servir les intérêts d’un acteur étatique hostile en faisant des reportages sur des questions de sécurité nationale.

« J’ai essayé d’expliquer que si le matériel peut être authentifié, alors le matériel est la source. Nous ne citons pas les affirmations d’une source humaine qui a fourni le matériel, nous rendons compte du matériel fourni de manière factuelle », a déclaré Klarenberg.

Au bout de cinq heures, la police antiterroriste semblait à court de questions. Ils avaient alors saisi tous les appareils électroniques du journaliste, l’avaient forcé à fournir les codes de déverrouillage de son téléphone et de sa tablette, avaient pris ses cartes SD et avaient passé au peigne fin des milliers de photos personnelles. « Dommage pour celui qui a tiré la courte paille et a dû regarder longuement les milliers de photos d’architecture brutaliste que j’ai prises au fil des ans dans le monde entier », a fait remarquer Klarenberg.

Les autorités ont également relevé les empreintes digitales du journaliste, l’ont soumis à des prélèvements d’ADN et l’ont photographié à plusieurs reprises. « Tant que vos empreintes ne sont pas retrouvées sur un engin explosif en Afghanistan, nous effaçons ces données dans six mois », a déclaré un policier à l’accent nord-irlandais.

Une semaine après avoir relâché Klarenberg, la police lui a rendu sa tablette, dont les caméras étaient recouvertes de ruban adhésif, ainsi que deux cartes mémoire. Elle a conservé une ancienne carte SD, contenant principalement de la musique, au motif qu’elle pourrait être « utile à la procédure pénale ».

Le journaliste Klarenberg fait toujours l’objet d’une enquête de la part de l’État britannique au moment de la publication de cet article.

Les articles de Kit Klarenberg


  1. Législation qui protège les secrets d’État et l’information officielle, principalement en matière de sécurité nationale (NdT) 

  2. Loi de 2019 relative aux frontières et à la lutte contre le terrorisme (NdT) 

  3. Computer Misuse Act 1990, loi relative à l’utilisation abusive de l’informatique (NdT) 

 

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