La collaboration troublante d’Amnesty International avec les services de renseignement du Royaume-Uni et des États-Unis

La collaboration troublante
d’Amnesty International
avec les services de renseignement
du Royaume‑Uni et des États‑Unis

Par Alexander Rubinstein

Une publication MintPress News


Droits de l’homme Corruption Politique Ingérence Propagande
Royaume-uni États-Unis Occident
Article

Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Certaines connexions troublantes contredisent l’image d’Amnesty en tant que défenseur bienveillant des droits de l’homme et révèlent que les figures majeures de l’organisation durant ses premières années étaient moins préoccupées par la dignité humaine que par celle de l’image des États-Unis et du Royaume-Uni dans le monde.

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LONDRES — Amnesty International, célèbre organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme, est largement connue pour ses activités de sensibilisation dans ce domaine. Elle produit des rapports critiquant l’occupation israélienne en Palestine et la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen. Mais elle publie également un flux constant d’actes d’accusation contre les pays qui ne jouent pas le jeu de Washington — des pays comme l’Iran, la Chine, le Venezuela, le Nicaragua, la Corée du Nord, etc. Ces rapports renforcent la pression en faveur d’une intervention « humanitaire » dans ces pays.

La prestigieuse image d’Amnesty en tant que défenseur mondial des droits de l’homme va à l’encontre de celle de ses débuts, lorsque le ministère britannique des Affaires étrangères censurait les rapports critiquant l’Empire britannique. Peter Benenson, le cofondateur d’Amnesty, avait des liens étroits avec le Foreign Office (ministère des Affaires étrangères) et le Colonial Office (ministère des Colonies), tandis qu’un autre cofondateur, Luis Kutner, a informé le FBI de l’existence d’une cache d’armes au domicile du leader des Black Panthers, Fred Hampton, quelques semaines avant que celui-ci ne soit tué par le Bureau lors d’une descente de police.

Ces liens troublants contredisent l’image d’Amnesty en tant que défenseur bienveillant des droits de l’homme et révèlent que les figures majeures de l’organisation durant ses premières années étaient moins préoccupées par la dignité humaine que par celle de l’image des États-Unis et du Royaume-Uni dans le monde.

Des débuts conflictuels

Benenson d’Amnesty, un anticommuniste déclaré, est issu du renseignement militaire. Il s’engage à ce qu’Amnesty soit indépendante de toute influence gouvernementale et représente les prisonniers à l’Est, à l’Ouest et dans le Sud.

Mais dans les années 1960, le Royaume-Uni se retire de ses colonies, et le Foreign Office et le Colonial Office sont avides d’informations provenant de militants des droits de l’homme sur la situation sur le terrain. En 1963, le Foreign Office demande à ses fonctionnaires à l’étranger de fournir un « soutien discret » aux campagnes d’Amnesty.

Cette même année, Benenson écrit au ministre du Colonial Office, lord Lansdowne, pour lui proposer de mettre en place un « conseiller pour les réfugiés » à la frontière entre l’actuel Botswana et l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce conseiller devait assister uniquement les réfugiés, et éviter explicitement d’aider les militants antiapartheid. « Il ne faut pas laisser l’influence communiste s’étendre dans cette partie de l’Afrique et, dans la situation délicate actuelle, Amnesty International souhaite soutenir le gouvernement de Sa Majesté dans cette politique », écrit Benenson. L’année suivante, Amnesty a cessé de soutenir l’icône de la lutte contre l’apartheid et le premier président d’une Afrique du Sud libre, Nelson Mandela.

L’année qui suit, en 1964, Benenson demande l’aide du Foreign Office pour obtenir un visa pour Haïti. Le Foreign Office obtient le visa et écrit à son représentant en Haïti, Alan Elgar, qu’il « soutient les objectifs d’Amnesty International ». Sur place, Benenson se fait passer pour un peintre, le ministre d’État Walter Padley lui ayant dit avant son départ : « Nous devrons faire un peu attention à ne pas donner aux Haïtiens l’impression que votre visite est en fait parrainée par le gouvernement de Sa Majesté. »

Le New York Times a révélé la ruse, ce qui a conduit certains responsables à clamer leur ignorance ; Elgar, par exemple, s’est dit « choqué par les frasques de Benenson ». Benenson s’est excusé auprès du ministre Padley, déclarant : « Je ne sais vraiment pas pourquoi le New York Times, qui est généralement un journal responsable, fait ce genre de choses à propos d’Haïti. »

Dan Cohen : « La nouvelle vidéo d’Amnesty International “Le changement [de régime] est possible” appelle à la solidarité avec l’insurrection de droite au Venezuela. »

Laisser la politique s’immiscer dans la mission

En 1966, un rapport d’Amnesty sur la colonie britannique d’Aden, ville portuaire de l’actuel Yémen, décrit en détail les tortures infligées par le gouvernement britannique aux détenus du centre d’interrogatoire de Ras Morbut. Les prisonniers y étaient déshabillés pendant les interrogatoires, forcés de s’asseoir sur des poteaux qui pénétraient dans leur anus, leurs organes génitaux étaient tordus, des cigarettes leur brûlaient le visage et ils étaient maintenus dans des cellules où des excréments et de l’urine recouvraient le sol.

Le rapport n’a toutefois jamais été publié. Benenson a affirmé que Robert Swann, secrétaire général d’Amnesty, l’avait censuré pour plaire au Foreign Office, mais Eric Baker, cofondateur d’Amnesty, a déclaré que Benenson et Swann avaient rencontré le Foreign Office et avaient accepté de garder le rapport secret en échange de réformes. À l’époque, le Lord Chancelier Gerald Gardiner écrit au Premier ministre Harold Wilson qu’« Amnesty a gardé le [rapport] aussi longtemps qu’elle a pu, simplement parce que Peter Benenson ne voulait rien faire qui puisse nuire à un gouvernement travailliste ».

Puis quelque chose a changé. Benenson s’est rendu à Aden et a été horrifié par ce qu’il a trouvé, écrivant : « Je n’ai jamais vu une image plus laide que celle qui s’est présentée à mes yeux à Aden », malgré ses « nombreuses années passées à enquêter personnellement sur la répression ».

Une toile emmêlée

Au moment où tout cela se déroulait, un scandale de financement similaire s’est développé et allait ébranler Amnesty dans ses fondements. Polly Toynbee, une bénévole d’Amnesty âgée de 20 ans, se trouvait au Nigeria et en Rhodésie du Sud, la colonie britannique du Zimbabwe, qui était à l’époque dirigée par la minorité des colons blancs. Là-bas, Toynbee a remis des fonds aux familles de prisonniers qui disposaient d’une réserve d’argent liquide apparemment inépuisable. Toynbee a déclaré que Benenson l’avait rencontrée là-bas et avait admis que l’argent provenait du gouvernement britannique.

Toynbee et d’autres personnes ont été contraintes de quitter la Rhodésie en mars 1966. En partant, elle s’est emparée de documents dans un coffre-fort abandonné, notamment des lettres adressées par Benenson à de hauts responsables d’Amnesty travaillant dans le pays, qui détaillaient la demande d’argent adressée par Benenson au Premier ministre Wilson, laquelle avait été reçue plusieurs mois auparavant.

En 1967, il a été révélé que la CIA avait créé et finançait secrètement une autre organisation de défense des droits de l’homme fondée au début des années 1960, l’International Commission of Jurists (ICJ), par le biais d’une filiale américaine, l’American Fund for Free Jurists Inc.

Benenson avait fondé, aux côtés d’Amnesty, la branche britannique de l’ICJ, appelée Justice. Responsable du secrétariat d’Amnesty International, Sean MacBride était également le secrétaire général de l’ICJ.

Puis, les « lettres d’Harry » sont publiées dans la presse. Officiellement, Amnesty International nie avoir eu connaissance des paiements effectués par le gouvernement de Wilson. Mais Benenson admet que son travail en Rhodésie a été financé par le gouvernement, et il rembourse les fonds de sa propre poche. Il écrit au Lord Chancelier Gardiner qu’il l’a fait pour ne pas « compromettre la réputation politique » des personnes impliquées. Benenson a ensuite rendu les fonds non dépensés de ses deux autres organisations de défense des droits de l’homme, Justice (la branche britannique de I'ICJ fondée par la CIA) et le Human Rights Advisory Service.

Le comportement de Benenson à la suite des révélations sur les « lettres de Harry » a rendu furieux ses collègues d’Amnesty. Certains d’entre eux ont même affirmé qu’il souffrait de troubles mentaux. Un membre du personnel a écrit :

« Peter Benenson a lancé des accusations qui ne peuvent avoir pour résultat que de discréditer l’organisation qu’il a fondée et à laquelle il s’est consacré. […] Tout cela a commencé peu après son retour d’Aden, et il semble probable que le choc nerveux qu’il a ressenti face à la brutalité dont ont fait preuve certains éléments de l’armée britannique là-bas ait eu un effet déséquilibrant sur son jugement. »

Alex Rubinstein : « Il a ensuite admis qu’Amnesty recevait de l’argent du gouvernement (Amnesty a nié être au courant). Il a démissionné de son poste de président, affirmant qu’il était infiltré par les services secrets.
Source : https://law.cuhk.edu.hk/userfiles/peop… »
Alex Rubinstein : « Benenson a complètement quitté le groupe après que le responsable du secrétariat d’Amnesty International, Sean Macbride — qui était également le secrétaire général de l’International Commission of Jurists (dont la branche britannique a été créée par Benenson) — ait tenté de l’évincer. Benenson a déclaré que l’ICJ était financée par la CIA (c’était le cas). »

Plus tard dans l’année, Benenson a démissionné de son poste de président d’Amnesty International pour protester contre la surveillance et l’infiltration de son bureau de Londres par les services secrets britanniques — du moins, selon lui. Plus tard dans le mois, Sean MacBride, fonctionnaire d’Amnesty et collaborateur de l’ICJ, a présenté un rapport à une conférence d’Amnesty qui dénonçait les « actions erratiques » de Benenson. Benenson a boycotté la conférence, choisissant de soumettre une résolution exigeant la démission de MacBride au sujet du financement de l’ICJ par la CIA.

Amnesty et le gouvernement britannique ont alors suspendu leurs relations. Le groupe de défense des droits a ensuite promis « non seulement d’être indépendant et impartial, mais de ne pas être mis dans une position où l’on pourrait même alléguer quoi que ce soit d’autre » concernant sa collusion avec les gouvernements en 1967.

Le rôle d’Amnesty dans la mort du Black Panther Fred Hampton

Mais deux ans plus tard, de hauts responsables d’Amnesty se sont engagés dans une coordination bien plus troublante avec les agences de renseignement occidentales.

Des documents du FBI, rendus publics par le Bureau au printemps 2018 dans le cadre d’une série de divulgations de documents relatifs à l’assassinat du président John Kennedy, détaillent le rôle d’Amnesty International dans l’assassinat du vice-président du Black Panther Party (BPP), Fred Hampton, alors âgé de 21 ans et icône montante de la lutte pour la libération des Noirs — un meurtre qui était largement considéré comme un assassinat, mais qui a été jugé officiellement comme un homicide justifiable.

Luis Kutner, cofondateur d’Amnesty International, a assisté à un discours prononcé par Fred Hampton à l’université de l’Illinois le 23 novembre 1969.

Au cours de ce discours, Hampton a décrit le BPP « comme un parti révolutionnaire » et « a indiqué que le parti avait des armes à feu à utiliser pour la paix et l’autodéfense, et que ces armes se trouvaient à la résidence de Hampton ainsi qu’au siège du BPP », selon le document du FBI.

« Kutner en est arrivé au point où il aimerait engager une action en justice pour faire taire le BPP », écrit le FBI. « Kutner a conclu en déclarant qu’il pensait que les orateurs comme Hampton étaient psychotiques, et que ce n’est que lorsqu’ils sont confrontés à une action en justice qu’ils cessent leurs “divagations et délires”. »

Le rapport interne du FBI sur le témoignage de Kutner cité ci-dessus a été publié le 1er décembre 1969. Deux jours plus tard, le FBI, aux côtés de la police de Chicago, a effectué une descente armée au domicile de Hampton. Lorsque Hampton est rentré chez lui pour la journée, William O’Neal, un informateur du FBI, a glissé un somnifère barbiturique dans son verre avant de partir.

À 4 heures du matin, le 4 décembre, la police et le FBI ont fait irruption dans l’appartement, abattant instantanément un garde du BPP. En raison de convulsions réflexes liées à la mort, le garde a appuyé sur la gâchette d’un fusil de chasse qu’il portait — la seule fois où un membre des Black Panthers a tiré avec une arme à feu pendant le raid. Les autorités ont alors ouvert le feu sur Hampton, qui était au lit et dormait avec sa fiancée enceinte de neuf mois. Hampton aurait survécu jusqu’à ce que deux balles soient tirées à bout portant en direction de sa tête.

Our Hidden History : « Ce qui n’est pas inhabituel pour quelqu’un lié au fascisme international, au gouvernement des États-Unis et à la mafia, c’est que Kutner a également une relation indirecte avec le meurtre de Kennedy. Il serait intervenu en faveur de Jack Ruby dans une enquête du Congrès.
Tiré du magazine Ramparts : https://archive.org/stream/nsia-Ra… »
Our Hidden History : « Kutner était également très impliqué dans le Mouvement pour l’indépendance de Taïwan, qui a tenté d’assassiner le fils de Chiang Kai-shek en 1970.
Un objectif louable ou non, je ne sais pas, mais juste en regardant Wikipedia, il semble que la CIA était à l’œuvre là aussi.
https://en.wikipedia.org/wiki/Taiwan_in… »

Kutner a ensuite créé le groupe « Friends of the FBI » (« Les amis du FBI »), une organisation « formée pour combattre les critiques à l’encontre du Federal Bureau of Investigations », selon le New York Times, après que sa campagne secrète visant à perturber les mouvements de gauche — COINTELPRO — a été révélée. Il a également opéré dans un certain nombre de théâtres ayant bénéficié d’une forte implication de la CIA — notamment le travail effectué par Kutner pour saper le Premier ministre congolais et fervent anti-impérialiste Patrice Lumumba — et a représenté le Dalaï-Lama, qui recevait 1,7 million de dollars par an de la CIA dans les années 1960.

Si les opérations troubles d’Amnesty International dans les années 1960 peuvent sembler être de l’histoire ancienne, elles rappellent néanmoins le rôle que jouent souvent les organisations non gouvernementales dans la poursuite des objectifs des gouvernements des pays où elles sont basées.

Sources :


Source de la photographie d’en-tête : Upplandsmuseet
Nordiska Afrikainstitutet - flyktingseminarium, Peter Benenson och Georg Ivan Smith, Uppsala, april 1966 by Uppsala-Bild - Upplands Museum, Sweden
https://www.europeana.eu/en/item/91617/upmu_photo_UB027980_02
[ Creative Commons — CC BY-NC-ND 4.0 ]

 

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