L’AUKUS existe pour gérer les risques engendrés par son existence

L’AUKUS existe pour gérer
les risques engendrés
par son existence

Par Caitlin Johnstone


Impérialisme Guerre Propagande Médias
Australie États-Unis Chine Taïwan Occident
Article

Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


« L’OTAN1 existe pour gérer les risques engendrés par son existence », a écrit un jour le professeur Richard Sakwa pour tenter d’expliquer l’absurdité de la nature provocatrice de l’alliance militaire sur la scène mondiale. Il faudra bien que les Australiens se rendent compte que c’est également le cas de l’AUKUS2 : on nous dit que l’alliance militaire existe pour nous protéger, mais son existence même nous met plus en danger.

Comme l’a récemment fait remarquer l’ancien Premier ministre Paul Keating dans l’Australian Financial Review, le gouvernement actuel a justifié, de diverses manières, l’alliance de l’AUKUS et l’accord d’un coût exorbitant qui l’accompagne sur les sous-marins nucléaires : il a d’abord prétendu qu’il s’agissait de protéger nos propres côtes d’une attaque chinoise, puis il a affirmé qu’il s’agissait de protéger les voies maritimes contre un blocage par la Chine, après que Keating a démoli la première affirmation au National Press Club il y a deux semaines.

Canberra s’est efforcé d’expliquer pourquoi exactement la Chine lancerait une attaque non provoquée contre l’Australie ou une autre contre ses routes maritimes ; la première ne pourrait apporter aucun avantage qui compenserait l’immense coût même si elle réussissait, et la seconde est absurde parce que l’ouverture des routes commerciales est ce qui fait de la Chine une superpuissance économique en premier lieu.

Par chance pour nous, les faucons de salon3 du Pentagone, cités dans le récent blitz de propagande des médias australiens pour promouvoir la guerre avec la Chine, expliquent avec précision l’argument de Canberra. Ils affirment que l’Australie risquerait d’être attaquée par la Chine parce que les États-Unis veulent utiliser l’Australie pour attaquer la Chine.

Greg Barns SC : « Deuxième jour de la campagne de peur de @age @smh. Prédictions d’un groupe d’experts, la plupart ayant des liens avec l’industrie de la défense financée par @ASPI_org »
Article : « Les 72 premières heures : comment une attaque contre Taïwan pourrait rapidement atteindre l’Australie »

Dans la deuxième partie de la tristement célèbre série de propagande de guerre « Alerte rouge », publiée conjointement par The Sydney Morning Herald et The Age, les doreurs d’image impériaux, Peter Hartcher et Matthew Knott, ont écrit ce qui suit :

Mais, pourquoi la Chine utiliserait-elle ses ressources limitées pour attaquer l’Australie au lieu de se concentrer uniquement sur la prise de Taïwan ? En raison du rôle stratégique crucial que l’Australie est censée jouer pour les États-Unis dans le conflit.

« Notre géographie fait de nous une base méridionale pour les Américains en vue de la suite des événements », explique Ryan. « C’est ainsi qu’ils nous voient. Ils veulent notre géographie. Ils veulent que nous construisions des bases pour plusieurs centaines de milliers d’Américains en temps voulu, comme lors de la Seconde Guerre mondiale. »

Jennings affirme que les Américains défendraient Taïwan en combattant à partir de bases situées en Australie.

« L’Amérique a une stratégie appelée dispersion, qui signifie que lorsqu’il y a un soupçon de crise, l’armée de l’air quitte Guam, les marines quittent Okinawa. Pourquoi ? Parce qu’ils savent qu’ils risquent fort d’être anéantis. Où vont-ils ? Ils viennent ici. Un risque qui préoccupe beaucoup notre gouvernement, c’est que le téléphone sonne et que ce soit le président des États-Unis qui demande que 150 000 Américains soient présents dans le Territoire du Nord d’ici mardi prochain. »

Selon Ryan, jusqu’à 200 000 soldats américains pourraient débarquer dans le nord de l’Australie.

Il est intéressant de noter que l’article contient également une rare reconnaissance dans la presse mainstream du fait que la présence de la base de surveillance américaine de Pine Gap fait de l’Australie une cible légitime pour les missiles balistiques intercontinentaux :

« La distance ne signifie plus la sécurité de notre point de vue stratégique », déclare-t-il. Dans les trois premiers jours d’une guerre, Pékin serait tenté de cibler les bases militaires australiennes par une attaque de missiles balistiques intercontinentaux à longue portée afin de réduire au minimum notre utilité dans le conflit.

« Si la Chine veut sérieusement s’en prendre à Taïwan sur le plan militaire, la seule façon pour elle d’envisager un succès rapide est d’attaquer de manière préventive les installations qui pourraient constituer une menace pour elle. Cela signifie que Pine Gap disparaît », explique-t-il, en référence à la base ultrasecrète américano-australienne située dans le Territoire du Nord et que les États-Unis utilisent pour détecter les lancements de missiles nucléaires.

Dans leur empressement à plaider en faveur d’un militarisme accru et d’une politique de la corde raide, ces propagandistes de la guerre admettent ce qui est depuis longtemps évident pour toute personne attentive à la situation : la seule chose qui mette l’Australie en danger face à la Chine, ce sont ses alliances et ses accords avec les États-Unis. La différence entre eux et les êtres humains normaux, c’est qu’ils ne voient aucun problème à ça.

Foreign Policy : « L’évaluation cinglante d’AUKUS par l’ancien Premier ministre australien Paul Keating a amené d’autres poids lourds du parti travailliste à remettre en question le pacte de défense. »
Article : « L’AUKUS met mal à l’aise l’Australie »

D’autres laquais de l’empire ont fait des aveux similaires. Dans un article récent de Foreign Policy, Sam Roggeveen, think tanker du Lowy Institute, est cité pour avoir déclaré que l’accord sur les sous-marins nucléaires de l’AUKUS rendra « presque impossible » pour l’Australie d’éviter d’être empêtrée dans une guerre entre les États-Unis et la Chine :

« Lorsque vous construisez un système d’armes presque spécifiquement conçu pour opérer à des milliers de kilomètres de notre nord et parfaitement adapté à une campagne militaire contre la Chine », a-t-il déclaré, « alors, au dernier moment, quand l’appel viendra de la Maison-Blanche — “Participez-vous ou non à cette guerre ?” —, il sera très difficile, presque impossible, pour l’Australie de dire non ».

La seule façon pour la Chine d’attaquer l’Australie est que le rôle de l’Australie en tant qu’atout militaire des États-Unis fasse de nous une cible lorsque les États-Unis attaquent la Chine, peut-être à propos de Taïwan ou d’une autre question interne qui ne regarde personne d’autre que les Chinois. On nous dit que nous sommes alliés aux États-Unis pour notre protection, mais cette « protection » me rappelle une vieille blague de Willie Barcena :

« Mon ami Tito essayait toujours de me faire entrer dans un groupe. Tito, avec ses deux yeux noirs, son bras en écharpe et ses béquilles, disait : “Hé, Willie, pourquoi ne rejoins-tu pas le groupe ? Tu seras protégé !” »

Cette évidence est mise à l’envers par ceux qui cherchent désespérément à faire accepter le militarisme et l’empire, comme nous l’avons vu dans un récent épisode de l’émission « Q+A » sur ABC, où le Premier ministre d’Australie-Méridionale, Peter Malinauskas, a traité le sénateur vert Jordon Steele-John d’« isolationniste » (mon Dieu que je déteste ce mot) pour avoir remis en question l’AUKUS et a déclaré que si nous sommes attaqués, c’est parce que nous n’avons pas avancé assez vite sur cette trajectoire autodestructrice.

« Craignez-vous qu’à cause de l’accord de l’AUKUS, à cause du rôle de l’Australie-Méridionale dans cette affaire, l’Australie-Méridionale devienne une cible ? », a demandé l’animateur Stan Grant à Malinauskas.

« Non », a répondu Malinauskas. « Car, si l’Australie devient une cible, cela montre que nous n’avons pas pris les décisions que nous aurions dû prendre il y a longtemps pour nous assurer que nous ne devenions pas une cible, et la meilleure façon de le faire est d’améliorer notre position de défense. »

Bien sûr, c’est de la foutaise. L’AUKUS n’a rien à voir avec la « défense ». On n’a pas besoin de sous-marins à longue portée pour défendre les côtes australiennes facilement défendables ; on a besoin de sous-marins à longue portée pour attaquer la Chine. La « position de défense » de l’Australie est une position d’attaque.

Keating a développé ce point lors de son intervention au National Press Club, en suggérant que le véritable objectif de ces sous-marins nucléaires est d’éliminer ceux des Chinois afin d’affaiblir leur « capacité de seconde frappe », c’est-à-dire de permettre aux États-Unis de remporter une guerre nucléaire contre la Chine. Après avoir soutenu que de nombreux sous-marins à courte portée constituaient un bien meilleur moyen de défendre les côtes australiennes que quelques sous-marins nucléaires à longue portée beaucoup plus coûteux, Keating a fait le commentaire suivant :

« C’est la meilleure politique de défense pour l’Australie plutôt que de se joindre aux Américains dans les eaux peu profondes de la côte chinoise, en essayant de mettre K.O. — écoutez regardez, vous le savez, Phil, ou vous le savez peut-être — les Chinois, dans le plan de bataille air-mer qu’ils avaient il y a huit ou dix ans, se demandaient si on pouvait mettre K.O. toutes les armes nucléaires chinoises en une seule frappe. Et les gens doutent que cela puisse arriver, vous savez, vous pouvez trouver les sites et les détruire.

Ce que font les grands États, c’est qu’ils ont des sous-marins en eaux profondes qui transportent les mêmes armes nucléaires, mais qui ne sont pas susceptibles d’être frappés — c’est ce qu’on appelle une capacité de seconde frappe. Ce que les Américains essaient de faire, c’est de priver les Chinois d’une capacité de seconde frappe, et nous serions les bonnes poires qui les aideraient. Nous serions là à dire : oh non, nous allons mettre nos navires en danger dans les eaux peu profondes de la Chine. »

Alors, arrêtons de dire que l’AUKUS a quelque chose à voir avec la défense de l’Australie ou de ses voies maritimes, ou avec la défense de quoi que ce soit d’autre que les derniers espoirs désespérés de l’empire US de conserver son hégémonie planétaire unipolaire.

L’AUKUS n’est pas un partenariat de défense parce qu’il n’a rien à voir avec la défense, et ce n’est pas non plus un partenariat de défense parce que ce n’est pas un « partenariat ». C’est l’empire US qui mène l’Australie à sa perte, au bénéfice de personne d’autre que l’empire US.

L’AUKUS existe pour gérer les risques engendrés par son existence, et il en va de même pour l’ANZUS4 et toutes les autres façons dont notre nation a été intégrée dans les rouages de la machine de guerre des États-Unis. Si l’on nous dit que nos liens avec la machine de guerre des États-Unis feront qu’il nous sera presque impossible d’éviter d’entrer dans une guerre horrible qui détruira notre pays, alors la conclusion évidente est que nous devons nous en défaire immédiatement.

Le problème n’est pas que les médias australiens corrompus affirment que notre pays devra suivre les États-Unis dans la guerre contre la Chine ; le problème est qu’ils ont presque certainement raison. Les médias australiens ne sont pas criminels en nous disant que les États-Unis vont nous entraîner dans une guerre d’une horreur inimaginable ; c’est simplement dire la vérité. Non, les médias australiens sont criminels parce qu’ils nous disent que nous devons simplement l’accepter et nous faire à l’idée.

Non. Absolument pas. Cette guerre ne peut pas avoir lieu. Elle ne doit pas avoir lieu. Nous ne pouvons pas entrer en guerre avec un pays doté de l’arme nucléaire qui, en outre, soutient notre économie en tant que premier partenaire commercial. Nous devons briser toutes les alliances qui doivent l’être, mettre en colère toutes les puissances que nous devons mettre en colère, expulser les troupes US de ce pays, nous sortir du Commonwealth pendant qu’on y est, ramener Assange à la maison, là où il doit être, et devenir une véritable nation.

Sources :


  1. Organisation du traité de l’Atlantique Nord (North Atlantic Treaty Organization / NATO) (NdT) 

  2. Accord de coopération militaire : Australia + United Kingdom + United States (NdT) 

  3. Dans le texte original en anglais, l’auteure utilise le mot « pet » (animal domestique généralement gardé et soigné à la maison). (NdT) 

  4. Pacte militaire : Australia + New Zealand + United States (NdT) 

 

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