Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
L’annonce par Israël qu’il ne poursuivra pas l’enquête sur l’assassinat de la célèbre journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh n’est pas surprenante. Une chose est sûre : il est très improbable que le meurtre d’une journaliste comme Shireen Abu Akleh soit la décision d’un soldat isolé ou d’un commandant sur le terrain.
JENIN, PALESTINE OCCUPÉE — L’annonce par Israël qu’il ne poursuivra pas l’enquête sur l’assassinat de la célèbre journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh n’est pas surprenante. Les raisons spécifiques qu’il a données pour justifier sa décision ne font guère de différence. Cependant, une chose est sûre : il est très improbable que le meurtre d’une journaliste comme Shireen Abu Akleh soit la décision d’un soldat isolé ou d’un commandant sur le terrain.
Abu Akleh était bien connue et respectée. Elle était clairement identifiable comme une non-combattante et une journaliste qui ne représentait aucune menace pour les forces israéliennes. Elle s’était déjà trouvée dans des situations similaires et savait comment prendre les précautions nécessaires, notamment en portant un casque et un gilet pare-balles. Elle devait être abattue par un sniper bien entraîné, et son identité devait être connue des autorités israéliennes.
Il devait y avoir un ordre ou, au minimum, une approbation donnée par les plus hautes instances de l’appareil de défense israélien, jusqu’au ministre de la Défense ou même au Premier ministre, avant que le sniper puisse exécuter ce meurtre. Ensuite, dans une tentative évidente de couvrir l’assassinat, Israël a prétendu vouloir mener une enquête et a exigé de l’Autorité palestinienne, qui a mené l’autopsie, qu’elle lui remette la balle qui a tué Abu Akleh.
Citant un responsable militaire israélien, le Times of Israel a rapporté que « l’armée israélienne a identifié le fusil d’un soldat, c’est-à-dire, l’arme qui pourrait avoir tué la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh ». Toutefois, le journal continue d’affirmer qu’« il ne peut en être certain que si les Palestiniens remettent la balle pour analyse ». La tentative de tromperie est évidente dans cette déclaration. Puisque c’est un sniper qui a visé et tiré, il n’y a aucun doute sur l’identité du tireur.
Le journal britannique The Guardian a écrit récemment : « Abu Aqleh [sic] a été tué lors d’un raid d’arrestation mené par un commando israélien contre des militants palestiniens. » Des déclarations comme celle-ci démontrent plus largement le problème. Les raids commando israéliens n’ont aucune justification et sont responsables d’innombrables décès de civils palestiniens. En présentant les combattants palestiniens — défenseurs de leur camp, de leur ville et de leur peuple — comme des « militants » et les envahisseurs israéliens comme des « commandos », on rejette immédiatement la faute sur les Palestiniens et on justifie l’attaque israélienne, ce qui revient à légitimer chaque raid israélien.
Ce cadrage, typique des médias, permet au meurtre constant et sans fin de jeunes Palestiniens par Israël de se poursuivre sans interruption. Cela pose la question suivante : combien de Palestiniens devront mourir avant que les reportages ne soient honnêtes et qu’Israël ne soit contraint d’arrêter les tueries ?
De temps en temps, un événement amène les gens à lever la tête et à reconnaître qu’Israël est allé trop loin et qu’il faut peut-être faire quelque chose. Lorsque Shireen Abu Akleh a été assassinée, il y a eu un moment comme celui-là. Lorsque, quelques jours après le meurtre, son cortège funéraire a été brutalement attaqué par les forces israéliennes, ce fut un autre moment de ce genre. Mais ces moments sont rares et trop espacés.
Et, même lorsqu’ils se produisent, ils ne durent pas très longtemps et ne donnent aucun résultat réel. Parfois, une lettre est envoyée par un membre du Congrès des États-Unis ; parfois, quelques déclarations sont faites pour demander une enquête sur ce qui s’est passé. Puis les gens passent à autre chose et oublient, et le sang des Palestiniens — pour la plupart des hommes jeunes et prometteurs — continue de couler encore et encore.
La liste des noms des jeunes Palestiniens tués par Israël est trop longue à énumérer ; et d’ailleurs, au moment où vous essayez de l’écrire, d’autres victimes s’y rajoutent. Les âges varient, mais beaucoup ont moins de 21 ans. Les images de parents et de frères et sœurs en larmes — parfois d’une femme et d’un enfant, s’ils étaient en âge de se marier — continuent à affluer comme s’il s’agissait d’une malédiction inéluctable, inévitable.
Dans une interview ouverte et franche que j’ai réalisée récemment avec le journaliste israélien chevronné Gideon Levy, celui-ci parle de sa frustration à l’égard des médias israéliens et du public israélien qui les consomme. « Les médias ne veulent pas rapporter, et les consommateurs ne veulent pas savoir », s’exclame Levy sur une cause qui lui tient terriblement à cœur.
Lorsque la presse israélienne rend compte d’un meurtre, elle ne manque jamais de suivre la ligne du gouvernement, de sorte que le Palestinien est toujours un terroriste ou un participant à une émeute violente. Il faut s’occuper de lui ou d’elle, selon le cas, et les courageux combattants israéliens le font. De temps en temps, pour démontrer le professionnalisme des forces israéliennes, on les filme en action. Des images montrent ces forces entrant dans un camp de réfugiés, ce qu’elles font souvent ces derniers temps, en particulier dans le nord de la Cisjordanie.
Israël fait intervenir plusieurs bataillons de commandos, d’unités de la police secrète Shabak ou de forces antiterroristes, tous lourdement armés et portant les meilleurs équipements de communication et de protection au monde, et dotés de quantités illimitées de munitions. Les forces israéliennes disposent également des médecins les mieux formés, de meilleurs moyens en matière de premiers soins et d’hélicoptères prêts à transporter rapidement un soldat blessé. Une fois évacué, un soldat israélien blessé reçoit les meilleurs soins médicaux dans des installations modernes et bien équipées.
Tout cela pour faire face à quelques jeunes Palestiniens armés à peine de M-16. Les Palestiniens n’ont pas de casque, pas de gilet pare-balles, possèdent des quantités limitées de munitions, et risquent avec une très grande probabilité d’être blessés ou tués. Un Palestinien blessé au combat n’a pas accès au même niveau de soins médicaux d’urgence que les forces israéliennes. Loin de là ! Les ambulances palestiniennes, si elles parviennent à se rendre sur les lieux, sont mal équipées, et les installations médicales sont éloignées et rarement assez bien pourvues pour traiter les blessures graves.
Du côté israélien, la vie continue comme si rien d’important n’était arrivé. Regarder les informations rend la société israélienne insensible. Des affrontements, des Palestiniens tués, le gouvernement de coalition confronté à une nouvelle crise, Netanyahou proche ou non de retrouver le fauteuil de Premier ministre ; qui sait ? De temps en temps, un colon israélien ou un officier est tué, leur nom est mentionné dans les nouvelles, et les gens pleurent pendant quelques jours et oublient. Des colonies sont construites — des milliers dans le Naqab, des milliers d’autres à Jérusalem-Est — et les habitants de Msafer Yota, dans le sud des collines d’Hébron, sont chassés de leurs terres ; mais tout cela est normal, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Les Israéliens voyagent à l’étranger pour les vacances et sortent dans les cafés et les restaurants — de nouveaux ouvrent chaque jour. Il faut les essayer tous.
Sources :
Source de la photographie d’en-tête : Wikimedia Commons (שי קנדלר / Shai Kendler)
Protesters carring photos of Shireen Abu Akleh, Lod may 22 [13 May 2022, 13:40:55 — file version: 15 May 2022, 20:14]
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Protesters_carring_photos_of_Shireen_Abu_Akleh,_Lod_may_22.jpg
[ Creative Commons ]
Paramétrage
|
|||||
Aspect :
|