Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Dans des centaines de films et d’émissions de télévision, le moindre mot et la moindre image ont été examinés de près et approuvés par de hauts responsables militaires, dans le but de convaincre les spectateurs de soutenir des campagnes meurtrières et grossièrement immorales dans le monde entier.
HOLLYWOOD, CALIFORNIE — L’occupation (officielle) de l’Afghanistan par les États-Unis depuis 20 ans a pris fin, avec la retraite précipitée et ignominieuse de l’armée. Le gouvernement afghan fantoche mis en place par l’OTAN a duré moins de deux semaines, le président Ashraf Ghani s’étant enfui aux Émirats arabes unis avec, semble-t-il, quelque 169 millions de dollars en liquide.
Si l’occupation était si impopulaire et fragile, comment a-t-elle pu durer aussi longtemps ? Les « Afghanistan Papers », un ensemble de documents militaires divulgués au Washington Post, ont montré que les hauts responsables du gouvernement savaient que la guerre était impossible à gagner, mais qu’ils mentaient ouvertement au public sur son déroulement, tandis que les ONG et les entrepreneurs militaires gagnaient des milliards.
Mais les documents obtenus par le journaliste Tom Secker dans le cadre de la loi sur la liberté d’information et partagés avec MintPress montrent également que Hollywood a joué un rôle important, collaborant sciemment avec le Pentagone pour produire une propagande proguerre sur l’Afghanistan, contribuant finalement à alimenter artificiellement l’opinion publique sur cette campagne ingagnable. Cette collaboration consistait généralement à donner au Pentagone un contrôle éditorial direct sur les scénarios et même à supprimer tout contenu antiguerre ou toute scène qui montrerait l’armée sous un jour négatif. En échange, l’armée offrait ses ressources humaines, ses bases comme lieux de tournage et sa large gamme de véhicules de haute technologie à utiliser dans les films. Ce compromis a effectivement transformé une grande partie d’Hollywood, et plus généralement l’industrie du divertissement, en pom-pom girls de l’impérialisme.
En lisant les documents, ce qui devient clair, c’est l’ampleur de l’implication de l’armée dans le grand écran, et dans la culture pop plus généralement. Par exemple, entre 2015 et 2017, l’Office of the Chief of Public Affairs West (OCPA-W) de l’armée des États-Unis — basé juste à côté de Hollywood, en Californie — travaillait généralement sur 40 à 70 projets de médias de divertissement à la fois. L’OCPA-W est l’un des trois bureaux régionaux de l’armée, les autres se trouvant à Chicago et à New York. La marine, l’armée de l’air, les garde-côtes, la CIA et d’autres organisations gouvernementales disposent tous d’agences et de programmes similaires visant à manipuler leur image dans les médias de masse.
Le résumé hebdomadaire des affaires de l’OCPA-W pour la semaine du 22 décembre 2016, par exemple, indique qu’il est impliqué dans 63 projets en cours ; 15 en préproduction, 26 en production et 22 en postproduction. D’après les recherches menées par Secker et Matthew Alford pour leur ouvrage de 2017 intitulé « National Security Cinema », le ministère de la Défense a soutenu au moins 814 films et 1 133 émissions de télévision distinctes, la majorité d’entre eux au cours des années récentes.
L’Afghanistan est généralement loin des esprits américains. C’est à dessein : peu de personnes au sommet de la société américaine souhaitent que le public examine de près les actions des États-Unis là-bas. Lorsque le pays est dépeint sur les écrans américains, les militaires travaillent extrêmement dur pour présenter la guerre de la manière la plus favorable à leurs intérêts. Hollywood a collaboré volontiers à cet effort. Vous trouverez ci-dessous une sélection d’études de cas de films traitant de la guerre en Afghanistan ou la mettant en scène, ainsi qu’une discussion sur la manière dont l’armée des États-Unis a aseptisé ces films avant même qu’ils ne soient présentés au public.
« 12 Strong » est un film d’action chauvin basé sur une histoire vraie concernant une petite unité de 12 membres des forces spéciales étatsuniennes qui ont envahi l’Afghanistan immédiatement après les attentats du 11 septembre, constituant ainsi les premières bottes américaines à fouler le terrain d’une campagne de deux décennies qui a coûté la vie à un nombre estimé à 176 000 Afghans, et en a déplacé près de 6 millions d’autres.
Le film met en scène le groupe d’élite qui tente de s’emparer de la ville de Mazar-i-Sharif avant l’arrivée des forces de l’OTAN. L’équipe, dit-on, est dépassée par « 50 000 talibans et membres d’Al-Qaïda », comme si ces deux groupes étaient de proches alliés. Et ce, en dépit du fait que les talibans ont immédiatement condamné les attentats du 11 septembre et que, selon les estimations occidentales, les forces mondiales d’Al-Qaïda comptaient à l’époque moins de 100 membres. « Si nous ne prenons pas cette ville, le World Trade Center n’est qu’un début », déclare l’un des héros du film, dont le slogan est « douze soldats nous ont donné une raison d’espérer ».
Des documents montrent que l’armée était désireuse d’aider à la réalisation d’un film aussi nationaliste et a répondu à ce qu’elle a appelé la liste « époustouflante » de demandes de la société de production, notamment l’accès à un certain nombre de bases militaires au Nouveau-Mexique pour le tournage, des uniformes de l’armée pour les acteurs, des véhicules « cibles » qu’ils pourraient faire exploser, la location d’un certain nombre d’avions, dont des hélicoptères Chinook et Seahawk, et des chars soviétiques appropriés que l’ennemi pourrait utiliser. Ils ont également aidé la société à trouver des figurants militaires pour les petits rôles.
Malgré le message fortement proguerre du film, l’OCPA-W, l’armée de l’air et d’autres organisations militaires ont insisté pour passer le scénario au peigne fin, supprimant même les petits détails qui ne leur plaisaient pas. Ils ont notamment exigé que les scénaristes modifient leurs plans de présenter les 12 soldats comme des hommes robustes, portant la barbe et des tatouages. Un e-mail de l’OCPA se lit comme suit :
Mon autre préoccupation est que lors des séquences de chargement à Fort Campbell qui ont eu lieu peu après le 11 septembre, nos soldats n’avaient pas de barbe longue ni de tatouage dans le cou. C’est venu plus tard. J’espère que les gars de [EXPURGÉ] vont se raser pour ces séquences.
Quelques semaines plus tard, ce point apparemment mineur n’avait pas été résolu. Pour montrer à quel point l’armée avait le contrôle de la direction créative, l’OCPA a menacé de se retirer du film, rappelant à la société de production l’accord qu’elle avait signé :
La société de production accepte d’engager des acteurs, des figurants, des doublures et des cascadeurs représentant des hommes et des femmes de l’armée qui se conforment aux règlements de chaque service militaire concernant l’âge, la taille / le poids, l’uniforme, la tenue, l’apparence et les règles de conduite. Le ministère de la Défense se réserve le droit de suspendre le soutien dans le cas où un désaccord concernant les aspects militaires de leur représentation ne peut être résolu par négociation entre la société de production et le ministère de la Défense dans le délai de soixante-douze heures. Le responsable de projet du DoD1 fournira des directives écrites spécifiques à chaque service militaire représenté.
1. Armée des États-Unis.
(1) La représentation des soldats sur le territoire continental des États-Unis avant les attaques terroristes du 11 septembre 2001 doit être conforme au règlement 670-1 de l’armée américaine, intitulé Port et Apparence des Uniformes et Insignes de l’Armée de Terre. Les soldats doivent répondre aux normes de taille et de poids, être rasés de près, avoir une coupe de cheveux soignée et porter l’Uniforme de Combat (BDU2). L’équipement de charge doit être de couleur olive terne ou du modèle du BDU.
(2) La représentation des soldats déployés après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 serait conforme à la situation tactique. Les soldats doivent toujours répondre aux exigences en matière de taille et de poids (apparence physiquement apte) avec des normes de toilettage plus souples pour les opérations prolongées. Les soldats déployés porteraient l’Uniforme de Combat du Désert (DCU3) avec des équipements de charge de type olive terne ou BDU.
Le département de la défense est bien conscient que le type d’assistance qu’il offre (équipement gratuit, lieux de tournage, etc.) serait extrêmement coûteux, voire impossible, à obtenir autrement. Par conséquent, il exploite son influence considérable pour contrôler tous les aspects d’un film ou d’une émission de télévision sur lequel il travaille. Cela signifie souvent qu’ils doivent se débarrasser de la réalité au profit d’un message proguerre implacable.
Des courriels montrent que l’OCPA a demandé à la société de production de modifier l’histoire criminelle mineure de l’un des 12 soldats, alors qu’elle était parfaitement réelle. Comme l’a écrit un responsable de l’OCPA :
Je lui ai dit que nos deux plus gros problèmes étaient que le passé du Cpt [EXPURGÉ]
qui était n’importe quel FNG [« Fucking New Guy »4, un terme militaire péjoratif pour les recrues] quand il était en fait chef d’équipe depuis deux ans, et le commentaire sur le sergent [EXPURGÉ] qui avait le choix entre la prison et l’armée.
Selon le livre, l’incident de la bagarre dans un bar a bien eu lieu, l’avocat de [EXPURGÉ] a pu négocier un plaidoyer en faveur de la réduction de la peine.
a réussi à faire passer l’affaire pour un délit mineur avec une période de probation. Il
a perdu son emploi de professeur d’école et il a commencé à travailler dans la construction. Je [sic]
peu de temps après, il a décidé de s’engager dans l’armée des États-Unis.
La production a rapidement accepté les changements, et quelques semaines plus tard, elle a envoyé un nouveau script pour l’approbation de l’OCPA et de l’Air Force. « Voici une version révisée de Horse Soldiers », ont-ils répondu. « Nous avons modifié l’histoire de [EXPURGÉ] selon votre suggestion. Veuillez me faire savoir si cela vous convient. [NOM DE LA PERSONNE EXPURGÉ], pourriez-vous envoyer ce projet au personnel approprié de l’armée de l’air et me faire savoir avec qui je dois faire un suivi ? » (En croisant les documents avec le livre de Luttrell, il est clair que le sergent en question est Sam Diller, l’un des personnages principaux du livre et du film.)
Aucune des exigences de l’armée ne semble avoir suscité une grande résistance de la part de la compagnie. En effet, vers la fin du tournage, un membre senior de l’équipe a même envoyé un e-mail à l’OCPA et au Bureau du Secrétaire à la Défense pour leur exprimer sa profonde gratitude pour leurs services :
[L’]armée et toute l’équipe ont été absolument fantastiques et nous ont aidés à réaliser un incroyable tournage air-air ce soir. C’est une équipe extrêmement professionnelle et hautement entraînée. Nous savons que si vous n’aviez pas fait de gros efforts pour rendre ce film génial, nous n’aurions jamais eu une telle équipe. Nous promettons de rendre l’armée fière, alors MERCI !!!!!
« Lone Survivor » est l’histoire en grande partie vraie d’une équipe de Navy SEAL qui a été découverte et attaquée par les talibans alors qu’elle menait une opération spéciale visant à assassiner le commandant de l’organisation, Ahmad Shah. Les SEAL ont subi des pertes dévastatrices, ne laissant qu’un seul homme — Marcus Luttrell — pour raconter l’histoire.
L’intrigue du film tourne autour de la découverte de l’escouade par des éleveurs de chèvres locaux et de la décision, supposée déchirante, de tuer ces bergers pour brouiller les pistes ou de les laisser partir, en partant du principe que le vieil homme et les deux enfants en question alerteraient immédiatement les talibans. Le groupe a décidé de laisser partir ses captifs, ce qui s’est avéré être presque immédiatement une erreur fatale.
L’histoire est basée sur le livre de Luttrell, qui est aujourd’hui un présentateur de médias amoureux de Trump sur la chaîne de télévision conservatrice « TheBlaze » de Glenn Beck. Par moments, le livre de Luttrell se lit comme le manifeste d’un tireur de masse nationaliste blanc, et il est parsemé de sa haine bouillonnante des libéraux. Luttrell regrette beaucoup d’avoir pris la décision de laisser partir les Afghans et de ne pas avoir suivi son intuition en insistant pour qu’ils tuent un vieil homme et deux enfants (tous désarmés). « C’était la décision la plus stupide, la plus sudiste5 et la plus écervelée que j’aie jamais prise dans ma vie », a-t-il écrit. « Je m’étais transformé en un putain de libéral, un imbécile sans logique, tout en cœur, sans cerveau ». En guise d’explication, il a déclaré que c’est sa certitude que les médias libéraux trahiraient les troupes et se rangeraient du côté des talibans qui l’a poussé à les libérer, en le disant à ses camarades SEAL de l’époque :
Pour que vous tous compreniez, leurs corps seront retrouvés, les talibans s’en serviront au maximum. Ils en parleront dans les journaux, et les médias libéraux étatsuniens nous attaqueront sans pitié. Nous serons presque certainement accusés de meurtre.
Nous nous excuserons de ne pas avoir exécuté ce qui équivaut à un crime de guerre, écrit-il :
Cette situation pourrait sembler simple à Washington, où les droits de l’homme des terroristes sont souvent considérés comme une priorité. Et je suis certain que les politiciens libéraux défendraient leur position jusqu’à la mort. Car tout le monde sait que les libéraux n’ont jamais eu tort sur rien. Vous pouvez leur demander. À tout moment.
Le livre est une glorification de la violence prétendument juste contre un adversaire sous-humain. Ainsi qu’il l’explique :
Dans la guerre mondiale contre le terrorisme, nous avons des règles, et nos adversaires les utilisent contre nous. Nous essayons d’être raisonnables ; ils ne reculent devant rien. Ils s’abaisseront à n’importe quelle forme de guerre de base : torture, décapitation, mutilation. Des attaques contre des civils innocents, des femmes et des enfants, des voitures piégées, des kamikazes, tout ce qui leur passe par la tête. Ils sont au même niveau que les monstres de l’histoire.
Le scénario original est resté proche de l’interprétation des événements par Luttrell. Inutile de dire, cependant, que les militaires ont exigé des réécritures majeures. Dans la version finale, le commandant des Navy SEAL décide simplement de laisser partir les éleveurs de chèvres, sans discuter de l’opportunité de les tuer et de cacher leurs corps, et certainement pas de longs soliloques sur la traîtrise des médias libéraux, comme c’est le cas dans le livre.
Les militaires prétendent souvent qu’ils aident l’industrie cinématographique simplement pour s’assurer que les représentations d’eux-mêmes sont plus exactes. Pourtant, à la lecture de 131 pages de courriels déclassifiés entre eux et la société de production Film 44, il est clair que ce n’est pas le cas. En effet, Philip Strub, le chef de liaison du département de la Défense à Hollywood, l’a explicité, en écrivant dans un e-mail maintenant déclassifié :
Bien que notre mandat soit de maximiser l’authenticité historique, nous partageons la responsabilité de la réputation des quatre SEAL et des souvenirs qu’en gardent leurs familles.
Ce qui apparaît également à la lecture des documents, c’est le degré d’intimité entre l’industrie du cinéma et l’armée, et l’attention fastidieuse que cette dernière porte aux détails, passant en revue chaque mot du dialogue pour s’assurer que chaque image est aussi favorable à la guerre que possible. Strub et ses associés ont même insisté pour que des détails mineurs, comme des tatouages visibles sur les SEAL, soient retirés du scénario. Ils ont également exigé la suppression d’une scène dans laquelle Luttrell et un autre SEAL ont une conversation sur les barres énergétiques, se moquant l’un de l’autre, Luttrell criant “suce-moi, pédé”, puis pétant bruyamment. Il s’agissait probablement de s’assurer que les membres des Navy SEALs n’apparaissaient pas aussi grossiers que Luttrell le fait dans son propre livre.
“Le Film 44 (Sarah et Braden) vient de m’apprendre qu’ils sont prêts à nous soumettre la dernière réécriture de Pete. Ils disent qu’ils ont utilisé nos notes comme une sorte de check-list, et ont répondu à toutes nos préoccupations. Vous recevrez le script en filigrane par e-mail très prochainement”, a écrit Strub dans un e-mail qui suggère que chaque projet de script devait répondre aux normes exigeantes de l’armée. Strub est l’un des hommes les plus puissants de l’industrie du divertissement. La liste des films et des émissions de télévision pour lesquels il est (publiquement) crédité est stupéfiante, sûrement plus impressionnante que celle de pratiquement tout autre réalisateur ou producteur à Hollywood. Pourtant, son nom est quasiment inconnu du public.
Selon les documents, les militaires ont catégorisé leur rôle dans le film en quatre parties : “examen et validation du scénario”, » expertise du département de production », « formation des talents » et « accompagnement sur le plateau ». En échange de ce qui équivaut à un contrôle total du contenu, l’armée a fourni aux producteurs de « Lone Survivor » l’utilisation de la base aérienne de Kirtland, dans une région rocheuse et sablonneuse du Nouveau-Mexique qui pourrait facilement passer pour l’Afghanistan, l’utilisation d’une multitude d’avions coûteux, notamment des hélicoptères Black Hawk et Apache, ainsi que des parachutistes et d’autres personnels militaires.
L’une des raisons de cette implication continue est évidente, et explicite dans les courriels. « L’un des critères pour que le DoD soutienne le film est le recrutement », a écrit un officier du Commandement des Opérations spéciales des États-Unis.
Ce qui est particulièrement remarquable dans ce film, c’est que l’ensemble de son postulat — à savoir que si les SEAL choisissaient de ne pas tuer les éleveurs de chèvres, ils seraient découverts — est manifestement faux. Les entretiens avec les habitants (y compris l’homme qui a caché et protégé Luttrell, s’assurant qu’il était le seul survivant) établissent que tout le monde dans la région savait que les SEALs étaient là, grâce à la propre incompétence de l’unité d’élite en matière de furtivité. L’atterrissage d’un énorme hélicoptère américain dans une région reculée de l’Afghanistan rural était suffisant pour éveiller les soupçons des habitants. Et comme si cela ne suffisait pas, l’équipe SEAL n’a pas réussi à se débarrasser des preuves de son atterrissage.
Comme il fallait s’y attendre, Strub et ses collègues ont insisté pour que cette scène, qui menaçait d’introduire une lecture alternative potentielle du film — dans laquelle des Américains maladroits se font attraper, dépasser, puis massacrer —, soit modifiée. Cela a permis de s’assurer que le film était aussi implacablement promilitaire que possible, malgré le fait qu’il racontait l’histoire de l’une des bavures militaires des États-Unis les plus meurtrières de toute la guerre.
« Charlie Wilson’s War » raconte l’histoire de l’homme politique texan éponyme, célèbre pour avoir été la force motrice de l’opération Cyclone — le financement et l’entraînement des moudjahidines afghans par la CIA (une action qui a également fait du pays le plus grand producteur d’héroïne au monde).
Le scénario original ne donnait pas une image particulièrement sympathique de Wilson ou de ses activités, soulignant explicitement qu’il soutenait des extrémistes comme Al-Qaïda d’Oussama Ben Laden. L’un de ces ultra-radicaux était Gulbuddin Hekmatyar, un chef de guerre brutal généralement accusé d’avoir lancé la tendance à jeter de l’acide au visage des femmes. Tout au long du scénario original, le 11 septembre est présenté comme une conséquence prévisible de la décision des États-Unis de donner du pouvoir à ces fanatiques violents. En effet, la scène finale originale se déroule au Pentagone le 11 septembre 2001, Wilson entendant le cri assourdissant d’un avion de ligne percutant le bâtiment.
Cependant, tout cela — Al-Qaïda, Hekmatyar et la scène du 11 septembre — a été coupé du scénario après que la CIA l’ait revu. À la place, le film achevé se termine par la remise à Wilson d’une médaille pour ses services en faveur de la liberté en Afghanistan. Également supprimée, une scène évoquant les massacres de Sabra et Shatilla, où les forces soutenues par Israël ont massacré des centaines, voire des milliers, de réfugiés palestiniens.
Les versions antérieures du scénario décrivaient également les Soviétiques avec une certaine sympathie, un personnage notant que les atrocités soviétiques en Afghanistan consistaient notamment à « les [les Afghans] forc[er] à apprendre à lire et à écrire ». Ce point a également été coupé au profit de la représentation des soldats soviétiques comme des monstres brutaux et irréfléchis massacrant la population locale.
La comédie dramatique — qui met en scène Tina Fey, Margot Robbie et Martin Freeman dans le rôle de journalistes occidentaux couvrant la guerre en Afghanistan — a fait un flop au box-office. Pourtant, le film a réussi à réduire considérablement ses pertes en tournant sur la base aérienne de Kirtland, au Nouveau-Mexique (tout comme « Lone Survivor ») et en utilisant de vrais Marines des États-Unis comme figurants. En échange, les producteurs ont cédé un contrôle éditorial important de l’histoire à l’armée, qui a insisté pour modifier une scène où un camion militaire étatsunien percutait une foule de civils. Dans le film final, il n’y a aucune image de cette scène, et l’incident n’est mentionné que dans un segment d’information de 20 secondes qui le décrit simplement comme « un accident de circulation mortel impliquant un camion de la coalition ».
Il s’agit d’un incident réel. En 2006, le camion a foncé dans Kaboul à l’heure de pointe, tuant au moins trois civils et en blessant de nombreux autres. « Whiskey Tango Foxtrot » est basé sur les mémoires de la journaliste américaine Kim Barker, « The Taliban Shuffle ». L’incident joue un rôle majeur dans son livre, car c’est à ce moment-là qu’elle a enfin compris à quel point la guerre était inutile et impossible à gagner, qu’il n’y avait aucune exigence de responsabilité pour les riches et les puissants et aucune justice pour les « défavorisés ». Elle a décrit cet événement et les émeutes anti-US qui l’ont suivi comme « un point de rupture majeur en Afghanistan, le moment où nous avons vu pour la première fois combien certains Afghans étaient en colère, combien le pays était mûr pour un retour des talibans, combien l’Afghanistan était vraiment sans leader ». Pourtant, dans le film, l’accident n’est mentionné qu’en passant, ce qui fait apparaître les Afghans en révolte comme irrationnellement furieux et violents, un stéréotype typique des films de guerre sur l’Afghanistan.
Le scénario original d’« Iron Man » était résolument pacifiste, le protagoniste Tony Stark tentant d’utiliser son énorme empire industriel pour lutter contre les profiteurs de guerre et le complexe militaro-industriel. Cependant, après l’implication du Pentagone, Philip Strub faisant à nouveau office de liaison militaire, le ton du film a été radicalement modifié. La plupart des combats du film se déroulent dans l’Afghanistan moderne, l’armée des États-Unis jouant le rôle des gentils. En ce sens, la position du film sur la guerre a été inversée.
En échange, l’accord de production prévoit que l’armée autorise le tournage du film sur la base aérienne d’Edwards, au nord de Los Angeles, qu’elle fournit « environ 150 figurants à la base aérienne d’Edwards pour jouer le rôle de militaires de différents services et de ressortissants afghans », qu’elle aide à produire une centaine d’uniformes et qu’elle offre la possibilité d’utiliser une série d’avions coûteux.
Tom Secker, à qui MintPress a demandé d’évaluer le rôle de l’industrie cinématographique des États-Unis dans la prolongation de la guerre en Afghanistan, a répondu :
La couverture par Hollywood de la guerre de l’OTAN en Afghanistan a été remarquable par son absence, son silence et son utilisation de microcosmes sans contexte qui représentent la guerre, plutôt que de l’explorer ou de l’expliquer. « Iron Man » et « Lone Survivor » — deux superproductions soutenues par le Pentagone — se déroulent tous deux pendant l’occupation étatsunienne, mais l’ampleur de cette occupation et le désordre qu’elle a créé dans le pays sont ignorés par les deux récits, au profit de synecdoques cinématographiques étroitement focalisées qui évitent commodément la souffrance de toutes les personnes impliquées.
Secker a conclu :
En ce sens, Hollywood a bien sûr joué un rôle crucial dans la perpétuation de la guerre. Soit ils ont omis de rappeler aux gens que la guerre était toujours en cours, soit ils l’ont dépeinte sous des couleurs héroïques et décontextualisées qui la font passer pour une aventure bienveillante à l’autre bout du monde, plutôt que pour le merdier6 géopolitique écrasant et destructeur qu’elle est vraiment.
Le Pentagone ne travaille pas seulement sur des films hollywoodiens à gros budget. Pratiquement tous les médias sont utilisés pour diffuser un message proguerre. Des documents déclassifiés montrent que l’armée a envoyé Arnold Schwarzenegger en Afghanistan pour la série télévisée documentaire sur le réchauffement climatique « Years of Living Dangerously ». Il s’agissait, de façon risible, de présenter l’armée des États-Unis — le plus grand pollueur du monde — comme une force du bien en matière de changement climatique, en montrant à l’ancien bodybuilder ses prétendus efforts pour mettre en place des systèmes d’énergie renouvelable au Moyen-Orient.
De même, la culture pop est pleine de messages proguerre stratégiquement insérés. Par exemple, des documents déclassifiés montrent que l’OCPA-W a soigneusement placé des militaires en uniforme à des endroits opportuns dans le public du jeu télévisé « The Price is Right ». L’armée verse des millions de dollars à la Ligue nationale de Football pour que des troupes soient présentes sur le terrain ou que des avions survolent le stade avant les grands matchs de football, transformant ainsi l’événement en une campagne de recrutement. Elle dispose également d’une équipe de jeux vidéo appelée « U.S. Army Esports »7, qui contribue à associer l’armée à un divertissement dans l’esprit des enfants qui la regardent. Ils ont également été accusés d’utiliser les mêmes techniques de conditionnement que les pédophiles, mais pour recruter des enfants afin qu’ils rejoignent la machine de guerre.
Parallèlement, le clip de la chanson « Part of Me » de la pop star Katy Perry a été tourné sur la base militaire de Camp Pendleton, en Californie, et montre la chanteuse en train de se remettre d’une rupture difficile en s’engageant dans les Marines. Le processus d’entraînement la montre en train de se retrouver et de grandir en tant qu’individu. Lorsque Fox News a demandé à l’équipe de Perry si elle avait été payée par l’armée pour la vidéo, elle a refusé de répondre. La vidéo compte actuellement 887 millions de vues sur YouTube.
« Toute la vidéographie […] sort tout droit de Leni Riefenstahl [cinéaste nazie] : les mêmes plans inclinés, héroïques, vers le haut, la même fétichisation de la puissance physique, des armements étincelants, et de la rigueur et du mécanisme des êtres humains qui s’assemblent en unités militarisées vivantes », a écrit la critique féministe Naomi Wolf, qui a qualifié la chanson de « propagande de guerre ».
Les journaux télévisés sont également remplis d’anciens hauts gradés de l’armée qui jouent le rôle d’experts neutres tout en s’en tenant, comme un laser, à des points de discussion favorables à la guerre, ce qui contribue à donner à la couverture du conflit par les chaînes câblées un caractère résolument chauvin.
Ce que ces documents soulignent en fin de compte, ce sont les liens profonds qui unissent Hollywood et l’État de sécurité nationale8. Peu d’Américains vivent la guerre de près. Ils sont encore moins nombreux à réaliser que les représentations du conflit sont fortement médiatisées par l’armée. Dans des centaines de films et d’émissions de télévision, le moindre mot et la moindre image ont été examinés de près et approuvés par de hauts responsables militaires, tout cela dans le but de convaincre les spectateurs de soutenir des campagnes meurtrières et grossièrement immorales dans le monde entier. Il y a longtemps, les militaires ont compris le pouvoir d’Hollywood. Il est grand temps que les Américains réalisent que, lorsqu’ils regardent des films et des émissions de télévision sur la guerre, trop souvent, ils ne voient pas des œuvres d’art neutres, mais des pièces soigneusement construites de propagande de la sécurité nationale.
Sources :
Illustration d’en-tête réalisée à partir des documents suivants :
« Department of Defense » : département de la Défense (NdT) ↩
« Battle Dress Uniform » (NdT) ↩
« Desert Combat Dress Uniform » (NdT) ↩
« Putain de nouveau mec », « Putain de nouveau gars », « Putain de nouveau venu » (NdT) ↩
« southern-fried » (dans le texte original en anglais) : ayant les traits ou les caractéristiques indicatifs de ou appartenant au Sud des États-Unis (NdT) ↩
« ratfuck », expression argotique utilisée dans le texte original en anglais (NdT) ↩
« United States Army eSports Team », « Esports de l’armée des États-Unis », « Esports » pour « eSports » (NdT) ↩
« National Security State » (NdT) ↩
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