Il y a 50 ans, Charles de Gaulle décidait de retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN

Il y a 50 ans, Charles de Gaulle
décidait de retirer la France
du commandement militaire intégré de l’OTAN

Par François Asselineau

Citations de Charles de Gaulle

Une publication Union Populaire Républicaine (UPR)


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Article
• Langue originale : français


Il y a un demi-siècle jour pour jour — le 21 février 1966 —, lors d’une conférence de presse mémorable à Paris, Charles de Gaulle annonça au monde entier le retrait de la France du commandement militaire intégré de l’OTAN.

Conférence de presse du général de Gaulle (Paris, 21 février 1966)

Il le fit dans ces termes (la vidéo de ce passage peut être visionnée dans les archives de l’INA).

Conférence de presse du 21 février 1966

Extrait du verbatim de la conférence de presse [concernant cette transcription, cf. la note en fin d’article (NdEDB)] :

« Alors nous parlons de l’O.T.A.N.

Rien ne peut faire qu’une loi s’impose sans amendement quand elle n’est plus en accord avec les mœurs. Rien ne peut faire qu’un traité reste valable intégralement quand son objet s’est modifié. Rien ne peut faire qu’une alliance demeure telle quelle quand ont changé les conditions dans lesquelles on l’avait conclue. Il faut alors adapter aux données nouvelles la loi, le traité, l’alliance, sans quoi, les textes, vidés de leur substance, ne seront plus, le cas échéant, que de vains papiers d’archives, à moins que ne se produise une rupture brutale entre ces formes désuètes et les vivantes réalités.

Eh bien ! Si la France considère, qu’encore aujourd’hui, il est utile à sa sécurité et à celle de l’Occident qu’elle soit alliée à un certain nombre d’États, notamment à l’Amérique, pour leur défense et pour la sienne dans le cas d’une agression commise contre l’un d’eux, si la déclaration faite en commun à ce sujet, sous forme du Traité de l’Alliance Atlantique signé à Washington le 4 avril 1949, reste à ses yeux toujours valable, elle reconnaît, en même temps, que les mesures d’application qui ont été prises par la suite ne répondent plus à ce qu’elle juge satisfaisant, pour ce qui la concerne, dans les conditions nouvelles.

Je dis : les conditions nouvelles. Il est bien clair, en effet, qu’en raison de l’évolution intérieure et extérieure des pays de l’Est, le monde occidental n’est plus aujourd’hui menacé comme il l’était à l’époque où le protectorat américain fut organisé en Europe sous le couvert de l’O.T.A.N. Mais, en même temps que s’estompaient les alarmes, se réduisait aussi la garantie de sécurité, autant vaut dire absolue, que donnaient à l’Ancien Continent la possession par la seule Amérique de l’armement atomique et la certitude qu’elle l’emploierait sans restriction dans le cas d’une agression. Car, la Russie soviétique s’est, depuis lors, dotée d’une puissance nucléaire capable de frapper directement les États-Unis, ce qui a rendu, pour le moins, indéterminées les décisions des Américains quant à l’emploi éventuel de leurs bombes et a, du coup, privé de justification — je parle pour la France — non certes l’alliance, mais bien l’intégration.

D’autre part, tandis que se dissipent les perspectives d’une guerre mondiale éclatant à cause de l’Europe, voici que des conflits où l’Amérique s’engage dans d’autres parties du monde, comme avant-hier en Corée, hier à Cuba, aujourd’hui au Vietnam, risquent de prendre, en vertu de la fameuse escalade, une extension telle qu’il pourrait en sortir une conflagration générale. Dans ce cas, l’Europe, dont la stratégie est, dans l’O.T.A.N., celle de l’Amérique, serait automatiquement impliquée dans la lutte lors même qu’elle ne l’aurait pas voulu. Il en serait ainsi pour la France, si l’imbrication de son territoire, de ses communications, de certaines de ses forces, de plusieurs de ses bases aériennes, de tels ou tels de ses ports, dans le système militaire sous commandement américain devait subsister plus longtemps. Au surplus, notre pays, devenant de son côté et par ses propres moyens une puissance atomique, est amené à assumer lui-même les responsabilités politiques et stratégiques très étendues que comporte cette capacité et que leur nature et leurs dimensions rendent évidemment inaliénables. Enfin, la volonté qu’a la France de disposer d’elle-même, volonté sans laquelle elle cesserait bientôt de croire en son propre rôle et de pouvoir être utile aux autres, est incompatible avec une organisation de défense où elle se trouve subordonnée.

Par conséquent, sans revenir sur son adhésion à l’alliance atlantique, la France va d’ici au terme ultime prévu pour ses obligations et qui est le 4 avril 1969, continuer à modifier successivement les dispositions actuellement pratiquées, pour autant qu’elles la concernent. Ce qu’elle a fait hier à cet égard en plusieurs domaines, elle le fera demain dans d’autres, tout en prenant, bien entendu, les dispositions voulues pour que ces changements s’accomplissent progressivement et que ses alliés ne puissent en être soudain et de son fait incommodés. En outre, elle se tiendra prête à régler avec tels ou tels d’entre eux, et suivant la façon dont elle a déjà procédé sur certains points, les rapports pratiques de coopération qui paraîtront utiles de part et d’autre, soit dans l’immédiat, soit dans l’éventualité d’un conflit. Cela vaut naturellement pour la coopération alliée en Allemagne. Au total, il s’agit de rétablir une situation normale de souveraineté, dans laquelle ce qui est français, en fait de sol, de ciel, de mer et de forces, et tout élément étranger qui se trouverait en France, ne relèveront plus que des seules autorités françaises. C’est dire qu’il s’agit là, non point du tout d’une rupture, mais d’une nécessaire adaptation. »

(Charles de Gaulle, 21 février 1966)

[Source : Charles de Gaulle, Discours et messages — Vers le terme (Janvier 1966 - Avril 1969), Plon, 1970]

Comme on le voit, l’Homme du 18 juin appela un chat un chat en avançant 5 arguments pour justifier la sortie de la France du commandement militaire intégré de l’OTAN. Ces 5 arguments furent les suivants :

  1. L’OTAN est en fait « un protectorat américain sur l’Europe », que l’affaiblissement de la menace des pays du bloc de l’Est ne rend plus aussi utile qu’auparavant.
  2. L’arme nucléaire soviétique et la capacité de l’URSS de frapper le territoire américain constituent une situation nouvelle qui jette un doute sur la volonté réelle des États-Unis d’engager leur armement nucléaire pour protéger l’Europe de l’Ouest au risque de mettre en jeu leur propre survie.
  3. L’OTAN impose à l’Europe et à la France la « stratégie de l’Amérique », c’est-à-dire des guerres voulues par les États-Unis ; l’appartenance de la France au commandement militaire intégré de cette organisation risquerait donc d’entraîner la France dans des guerres, voire dans « une conflagration mondiale » que notre pays « n’aurait pas voulue ».
  4. La possession de l’arme nucléaire par la France lui permet d’assurer elle-même sa sécurité, ce qui est incompatible avec une position de « subordonnée » dans les structures intégrées de l’Alliance.
  5. L’appartenance au commandement intégré de l’Alliance est contradictoire avec la volonté française d’indépendance nationale, incompatible avec « une situation normale de souveraineté ».

Ce qui est fascinant lorsque l’on relit ces propos tenus il y a un demi-siècle, c’est qu’ils sont toujours d’une brûlante actualité :

  • plus que jamais, l’OTAN est « un protectorat américain sur l’Europe » ; et la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie aurait même dû conduire à sa dissolution (ce que de Gaulle avait prophétisé devant Alain Peyrefitte, preuve qu’il n’était pas infaillible et qu’il sous-estimait, malgré tout, la volonté de domination mondiale de Washington et la soumission des élites européennes),
  • plus que jamais, on peut douter de la volonté réelle des États-Unis de protéger l’Europe, notamment lorsque l’on voit les liens étroits entretenus par Washington avec l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, qui fournissent armes, logistique et financement aux terroristes salafistes,
  • plus que jamais, l’OTAN impose à l’Europe et à la France la « stratégie de l’Amérique », c’est-à-dire des guerres voulues par les États-Unis : Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Ukraine…
  • plus que jamais, l’appartenance de la France au commandement militaire intégré de l’OTAN risque d’entraîner la France dans des guerres, voire dans « une conflagration mondiale » avec la Russie, que le peuple français « n’aurait pas voulue »,
  • plus que jamais, la possession de l’arme nucléaire par la France lui permet d’assurer elle-même sa sécurité, ce qui est incompatible avec une position de « subordonnée » dans les structures intégrées de l’Alliance,
  • plus que jamais, l’appartenance au commandement intégré de l’Alliance est incompatible avec l’indépendance nationale et « une situation normale de souveraineté ».

Ce qui est non moins fascinant, c’est que le fondateur de la France Libre ne pourrait plus faire la même analyse publique de nos jours sans se faire immédiatement taxer « d’anti-américanisme primaire » par des Léa Salamé ou sans être accusé séance tenante de « complotisme » par des Rudy Reichstadt, Ornella Guyet et autres petits soldats de l’impérialisme américain.

L’UPR en sait quelque chose puisque les analyses que nous faisons, qui constituent souvent de simples reprises actualisées de celles de Charles de Gaulle, sont précisément celles qui nous valent ce genre de calomnies.

Une ambiguïté délibérée

La conférence de presse du 21 février 1966 de Charles de Gaulle comprenait une autre bombe, un peu plus discrète. C’était le moment où il précisait que, « sans revenir sur son adhésion à l’alliance atlantique, la France va d’ici au terme ultime prévu pour ses obligations et qui est le 4 avril 1969, continuer à modifier successivement les dispositions actuellement pratiquées, pour autant qu’elles la concernent. »

Les commentateurs retinrent de ce passage que le fondateur de la Ve République ne voulait pas sortir de l’Alliance atlantique. Mais est-ce si sûr ? Volontairement ambiguë, la formule retenue pouvait en réalité signifier deux choses :

  • soit que la France allait procéder à des modifications la concernant pendant le laps de temps courant jusqu’au 4 avril 1969 — c’est-à-dire sortir du commandement militaire intégré —, sans remettre en cause son appartenance à l’OTAN elle-même après cette date,
  • soit au contraire que la France ne « reviendrait pas sur son adhésion à l’Alliance atlantique » jusqu’au 4 avril 1969, allait sortir du commandement militaire intégré dans l’intervalle de 3 ans entre le 21 février 1966 et cette date, puis sortirait ensuite de l’Alliance atlantique elle-même après le 4 avril 1969.

Même si les deux lectures sont possibles, j’ai pour ma part tendance à privilégier la seconde, du fait que Charles de Gaulle mentionna le « terme fixé comme ultime aboutissement de ses obligations et qui est le 4 avril 1969 ».

Ce détail n’en est pas un. Car il fait clairement allusion à l’article 13 du traité de l’Atlantique Nord du 4 avril 1949, que mes lecteurs et mes auditeurs connaissent bien, car j’en parle souvent puisque c’est l’article qui prévoit la procédure de sortie de l’OTAN. Cet article est ainsi rédigé :

« Article 13

Après que le Traité aura été en vigueur pendant vingt ans, toute partie pourra mettre fin au Traité en ce qui la concerne un an après avoir avisé de sa dénonciation le gouvernement des États-Unis d’Amérique, qui informera les gouvernements des autres parties du dépôt de chaque instrument de dénonciation. »

Comme on le voit, cet article 13 signifie qu’il était interdit juridiquement à un pays de sortir de l’OTAN pendant vingt ans à partir de sa date d’entrée en vigueur (4 avril 1949), soit jusqu’au 4 avril 1969. Si de Gaulle parlait du « terme ultime prévu pour [les] obligations [de la France] qui est le 4 avril 1969 », c’était donc bien qu’il avait à l’esprit de faire sortir la France de l’organisation sitôt après cette date, lorsque cette sortie serait devenue juridiquement possible.

Avril 1969 : sortie de la France de l’OTAN, ou sortie de de Gaulle du pouvoir ?

Du reste, si de Gaulle n’avait pas envisagé de faire sortir la France de l’OTAN purement et simplement après le 4 avril 1969, pourquoi bigre aurait-il mentionné cette date ? S’il n’avait voulu que sortir du commandement militaire intégré, il lui aurait parfaitement suffi de dire : « sans revenir sur son adhésion à l’Alliance atlantique, la France va modifier successivement les dispositions actuellement pratiquées, pour autant qu’elles la concernent », sans mentionner la moindre date et sans faire référence au « terme ultime prévu pour les obligations » de la France.

Sans doute de Gaulle préféra-t-il user d’une formule sciemment ambiguë, afin de ne pas trop heurter Washington d’un seul coup d’une part, et afin de se conserver une marge de manœuvre, et la possibilité de changer d’avis le moment venu, d’autre part.

Mais il prévoyait certainement de conduire la démarche jusqu’à son terme : après avoir fait sortir la France du commandement militaire intégré dans un premier temps, il aurait fait sortir la France de l’OTAN dans un second temps, lorsque les Américains n’auraient plus eu de motif juridique de s’y opposer.

On notera que plusieurs confidences faites par de Gaulle à Alain Peyrefitte pendant les années 1963-1966 tendent à confirmer que telle était bien son intention.

Il n’est pas interdit enfin d’imaginer que cette date butoir d’avril 1969 a pu peser dans la décision de Charles de Gaulle d’organiser son référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation le même mois, référendum dont l’échec entraîna sa démission.

Peut-être l’objectif secret de de Gaulle était-il, s’il avait gagné le référendum, de profiter de cette nouvelle légitimité du suffrage universel pour mettre à bien son projet de sortir de l’OTAN dans la foulée, sans que Washington ne puisse alors décemment protester ?

Conclusion : en 2017, mobilisons-nous pour chasser ceux qui trahissent la France

Comme on le sait, hélas, le formidable héritage de souveraineté, de rayonnement et d’indépendance de la France que nous avait légué Charles de Gaulle a été dilapidé par ses successeurs, les uns après les autres, et tout spécialement par les deux derniers.

En 2007, Nicolas Sarkozy a décidé d’effacer la décision du 21 février 1966 en assurant le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Cette décision devint effective en avril 2009.

Le maître pose la main sur son domestique, qui sourit avec soumission et veulerie.

Et le 4 janvier 2016, le Conseil des ministres réuni sous la présidence de François Hollande a donné son accord sur un projet de loi « autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux, créés en vertu du Traité de l’Atlantique Nord ».1 Ce projet a été aussitôt déposé pour examen à la Présidence du Sénat.

Sans l’avoir jamais proposé dans son programme présidentiel de 2012, sans l’avoir jamais annoncé dans la moindre conférence de presse, sans avoir jamais demandé aux Français s’ils étaient d’accord, François Hollande a ainsi décidé — en catimini — que la France allait réintégrer l’ensemble des instances militaires de l’Alliance atlantique.

Une décision autoritaire, illégitime, antidémocratique et très dangereuse

La discrétion honteuse de l’actuel président français s’explique : fin 2008, François Hollande, alors premier secrétaire du Parti « socialiste », avait en effet défendu bec et ongles une motion de censure portée par le groupe socialiste contre le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN décidée par Sarkozy ! Mais il ne s’agissait que d’une opposition factice puisque François Hollande et les dirigeants du Parti « socialiste » ont approuvé les traités européens qui placent la « politique européenne de sécurité et de défense » sous la tutelle de l’OTAN (article 42 du TUE).

Totalement illégitime du point de vue démocratique, cette décision autoritaire de François Hollande parachève la destruction de l’héritage gaulliste ; elle consacre le renoncement à notre souveraineté nationale et l’abandon de notre indépendance militaire.

En se vautrant dans la soumission à Washington, François Hollande place en outre la France dans la situation très dangereuse d’où de Gaulle l’avait justement fait sortir : il entraîne la France et le peuple français — qui ne l’a pas voulu — dans des guerres qui ne sont pas les nôtres, voire dans « une conflagration mondiale » avec la Russie.

En 2017, les Français devront se mobiliser pour chasser du pouvoir cet homme qui trahit la France et pour empêcher un de ses clones « made in USA » de lui succéder.

Concernant la transcription de l’extrait de la conférence de presse
(Note de En dehors de la boite, juin 2023)

Ce verbatim est celui que l’on trouve sur internet et, en particulier, sur le site de l’Élysée. Il est issu des Discours et messages — Vers le terme (Janvier 1966 - Avril 1969) de Charles de Gaulle (Plon, 1970). Cette transcription diffère cependant du message prononcé et enregistré par l’ORTF sur deux points (cf. la vidéo mise à disposition par l’INA) :

  1. La transcription n’est pas littérale dans le sens où certaines tournures de phrases et certains mots ne sont pas ceux employés par Charles de Gaulle. Cela dit, le sens du message prononcé n’en est pas pour autant altéré.
  2. Le paragraphe suivant a été ajouté (la vidéo présente sur le site de l’INA ne semble pas présenter de coupure à ce niveau) : « Eh bien ! Si la France considère, qu’encore aujourd’hui, […] ».

Nous proposons donc ici une nouvelle transcription du message prononcé et correspondant à la vidéo en question :


« Alors, nous parlons de l’OTAN.

Rien ne peut faire qu’une loi s’impose sans amendement quand elle n’est plus d’accord avec les mœurs.

Rien ne peut faire qu’un traité soit valable intégralement quand son objet s’est modifié.

Et rien ne peut faire qu’une alliance reste telle quelle quand ont changé les conditions qui étaient celles dans lesquelles elle avait été conclue.

Dans ce cas-là, il faut adapter aux données nouvelles la loi, le traité, l’alliance ; si on ne le fait pas, alors les textes seront vidés de leur substance, et ce ne seront plus, le cas échéant, que de vains papiers d’archives, à moins que… il ne se produise une rupture brutale entre ces formes désuètes et les vivantes réalités.

Eh bien ! Je dis les conditions nouvelles.

En effet, en raison de l’évolution intérieure et extérieure des pays de l’Est, le fait est que l’Occident ne se trouve plus actuellement menacé comme il l’était quand le protectorat américain fut installé en Europe sous le couvert de l’OTAN.

Et, en même temps que s’éloignent ou que s’éloignaient ces alarmes, se réduisait la garantie de sécurité, autant vaut dire absolue, que donnaient à l’Ancien Continent la possession par l’Amérique, et par l’Amérique seule, de l’arme atomique — de l’armement atomique — et la conviction où l’on était, qu’en cas d’agression, elle emploierait cet armement sans restriction. Car, depuis lors, la Russie soviétique s’est dotée d’un armement nucléaire capable de frapper directement les États-Unis, ce qui a naturellement rendu, pour le moins, indéterminées les décisions des Américains quant à l’emploi éventuel de leurs bombes et ce qui a, du coup, privé de justification — je parle pour la France —, non pas certes l’alliance, mais certainement l’intégration.

D’autre part, tandis que se dissipent — tout au moins, dans une certaine mesure — la perspective d’une guerre mondiale éclatant à cause de l’Europe, voici que d’autres conflits où l’Amérique s’engage dans d’autres parties du monde — comme avant-hier en Corée, hier à Cuba, aujourd’hui au Vietnam —, ces conflits peuvent, en vertu de la fameuse escalade, prendre une extension telle qu’on aboutisse à une conflagration générale. Et dans ce cas, l’Europe — dont la stratégie est, dans l’OTAN, la stratégie de l’Amérique —, [elle] serait automatiquement impliqué[e] — impliquée dans la lutte même si elle ne l’avait pas voulu.

Et ce serait le cas de la France, si l’imbrication de son territoire, de ses communications, de certaines de ses forces, de plusieurs de ses bases aériennes, de tels et tels de ses ports, dans le système de commandement américain devait subsister plus longtemps.

Il faut ajouter que notre pays, devenant de son côté et par ses propres moyens une puissance atomique, est amené à assumer lui-même les responsabilités politiques et stratégiques que cela comporte — et responsabilités que leur nature et leurs dimensions rendent évidemment inaliénables.

Et enfin, la volonté de la France de disposer d’elle-même — ce qui est indispensable pour qu’elle croie à son propre rôle, et pour qu’elle puisse être utile aux autres —, cette volonté de la France est incompatible avec une organisation de défense dans laquelle elle est subordonnée.

Par conséquent, la France — sans revenir sur son adhésion à l’Alliance atlantique —, la France va — d’ici au terme fixé comme ultime aboutissement de ses obligations et qui est le 4 avril 1969 —, la France va d’ici là continuer à modifier les dispositions actuellement pratiquées, pour autant que ces dispositions la concernent.

Autrement dit, ce qu’elle a déjà fait dans certains domaines, hier, elle le fera demain dans d’autres en prenant, bien entendu, les dispositions voulues pour que les changements s’opèrent progressivement et pour que ses alliés ne s’en trouvent pas soudain, et de son fait, incommodés.

Et d’autre part, elle se tiendra prête — suivant ce qu’elle a déjà réalisé à différents points de vue —, elle se tiendra prête à régler avec tels et tels d’entre eux — je parle des Alliés — les rapports pratiques de coopération qui pourront paraître utiles de part et d’autre, soit dans l’immédiat, soit dans l’éventualité d’un conflit. Et cela vaut naturellement pour la coopération alliée en Allemagne.

Au total, il s’agit de rétablir une situation normale de souveraineté dans laquelle, ce qui est français — en fait de sol, de ciel, de mer, de forces — et tout élément étranger qui se trouverait en France ne relèveront plus que des autorités françaises. On voit qu’il s’agit là, non pas du tout d’une rupture, mais d’une nécessaire adaptation. »

(Charles de Gaulle, 21 février 1966)


  1. « LOI n° 2016-482 du 20 avril 2016 autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l’Atlantique Nord » [Dernière modification : 21 avril 2016] (NdEDB) 

 

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