Traduit du néerlandais par EDB () • Langue originale : néerlandais |
Lorsqu’il s’agit de l’Afghanistan, les grands médias cachent les faits les plus gênants pour l’Occident. Une fois que vous prenez ces éléments en compte, vous obtenez une histoire bien différente.
L’histoire débute en 1979. L’Afghanistan a un gouvernement de gauche, qui, évidemment, n’est pas du goût des États-Unis. Brzezinski, conseiller du président Carter, conçoit le plan visant à armer et à entraîner les djihadistes — encore appelés moudjahidines à l’époque — en Afghanistan. L’objectif est de provoquer une invasion soviétique, afin d’imposer à Moscou un scénario de type Vietnam.
Carter suit son conseil et apporte aux moudjahidines l’aide nécessaire. Le plan fonctionne. Le gouvernement de Kaboul rencontre des difficultés et demande l’aide du Kremlin. Le bourbier afghan contraint l’Union soviétique à rester dans ce pays d’Asie centrale pendant dix ans.
Pendant cette période, la CIA injecte 2 milliards de dollars d’aide, d’armes et de soutien logistique aux moudjahidines. On leur fournit même les tristement célèbres missiles Stinger avec lesquels ils peuvent abattre des avions et des hélicoptères soviétiques. Rambo III, de Silvester Stallone, sera une version hollywoodienne de cette collaboration.
Tant que les troupes soviétiques restent dans le pays, le gouvernement de Kaboul peut tenir bon. Mais, en 1989, Gorbatchev décide de mettre fin à l’aide militaire. Une fois que les troupes soviétiques quittent le pays, la guerre civile éclate. Le groupe le mieux organisé et le plus brutal, les talibans, finit par l’emporter et prend le pouvoir en 1996.
La figure la plus marquante de cette période est Oussama Ben Laden. En 1988, il fonde Al-Qaïda, un groupe terroriste fondamentaliste et impitoyable. À travers le Pakistan, il peut compter sur un soutien important de la part des États-Unis. En échange de cette aide, Al-Qaïda offre un certain nombre de services aux États-Unis et à ses alliés occidentaux.
Pendant la guerre civile en Yougoslavie (1992-1995), le Pentagone envoie par avion des milliers de combattants d’Al-Qaïda en Bosnie pour soutenir les musulmans de ce pays. Pendant la guerre contre la Yougoslavie en 1999, Al-Qaïda combat aux côtés des terroristes de l’UCK (qui luttent pour la séparation du Kosovo de la Yougoslavie et pour une Grande Albanie) en bénéficiant d’une couverture aérienne de l’OTAN. Des combattants d’Al-Qaïda se retrouvent également en Tchétchénie, au Xinjiang (les Ouïgours), en Macédoine et dans de nombreux autres pays de la région et bien au-delà.1
La collaboration entre l’administration Bush et Oussama Ben Laden sera révélée de manière déconcertante dans le documentaire Fahrenheit 9/11 de Michael Moore.
Il existe de prometteuses réserves de pétrole et de gaz autour de la mer Caspienne. Mais pour transporter cette source d’énergie vers l’Occident, il n’y a que trois possibilités : par la Russie, par l’Iran ou par l’Afghanistan.
Les États-Unis ne peuvent, évidemment, pas envisager le choix de la Russie et, depuis la chute du shah en 1979, Washington a perdu son influence en Iran. Il ne reste donc qu’une seule possibilité : l’Afghanistan. Dès la fin de l’année 1994, en pleine guerre civile, les États-Unis misent sur les talibans : ils disposent alors des meilleurs atouts pour « stabiliser » le pays. C’est une nécessité pour la construction de l’oléoduc. Pour la CIA, les talibans sont considérés comme « un instrument possible dans le “Grand Jeu” : la course aux ressources énergétiques en Asie centrale ».
Peu importe que les talibans soient à l’époque les plus virulents responsables de violations des droits de l’homme dans le monde, les États-Unis sont devenus le principal sponsor de ce nouveau régime voyou. Selon un diplomate étatsunien, les talibans « évolueront comme les Saoudiens. Il y a Aramco, des pipelines, un émir, pas de parlement et beaucoup de charia. On peut vivre avec ça ».
Au départ, les talibans remportent un succès militaire après l’autre, mais ne parviennent pas à conquérir l’ensemble du pays. La stabilisation espérée — nécessaire pour le pipeline — ne se concrétise pas. Les États-Unis changent alors de stratégie et cherchent à réconcilier toutes les parties belligérantes.
Washington exige que les talibans entament des pourparlers avec l’Alliance du Nord afin de former un gouvernement de coalition. Les pourparlers, qui durent jusqu’à la fin du mois de juillet 2001, échouent. Les États-Unis préviennent qu’ils ne s’arrêteront pas là : « Soit vous acceptez notre offre d’un tapis d’or, soit nous vous enterrerons sous un tapis de bombes », tel est le message des représentants étatsuniens aux talibans à la fin du mois de juillet.
Les talibans ne cèdent pas. En octobre, les bombardements commencent. Un peu plus tard, il est révélé que les plans de cette opération sont sur le bureau du président Bush depuis deux jours avant le 11 septembre. Dans le Washington Post du 19 décembre 2000, le professeur Starr écrit que les États-Unis « ont discrètement commencé à former un front avec ceux qui, au sein du gouvernement russe, appellent à une action militaire contre l’Afghanistan et caressent l’idée d’un nouveau raid pour éliminer Ben Laden ».
Fin juin 2001, plus de deux mois avant les attentats contre les tours jumelles et le Pentagone, le magazine Indiareacts.com rapporte que « l’Inde et l’Iran fourniront des facilités aux plans étatsuniens et russes pour une “action militaire limitée” contre les talibans ».
Les attentats du 11 septembre sont en tout cas l’excuse parfaite pour Washington d’envahir l’Afghanistan et de chasser les talibans du pouvoir. De cette façon, les plans pour le pipeline pourront encore se réaliser.
« La conquête de l’Afghanistan n’a rien à voir avec Oussama Ben Laden. Il s’agissait simplement d’un prétexte pour remplacer les talibans par un gouvernement relativement stable. Un tel gouvernement devait permettre à la compagnie californienne Union Oil d’installer son oléoduc au profit de la junte Cheney-Bush, entre autres », a déclaré Gore Vidal, un grand chroniqueur étatsunien.
Les faits sur le terrain le prouvent, une fois les traînées de poudre dissipées. Le 22 décembre, Hamed Karzai devient le nouveau Premier ministre afghan. C’est une personnalité de confiance de la CIA et il a travaillé comme conseiller chez Unocal. Il s’agit d’une très grande compagnie pétrolière étatunienne qui a depuis longtemps des projets de pipeline à travers l’Afghanistan.
Neuf jours plus tard, un autre conseiller de cette société, Zalmay Khalilzad, est nommé par Bush en tant qu’envoyé spécial en Afghanistan. Dans le passé, Khalilzad a participé à des discussions avec des responsables talibans sur la possibilité de construire des gazoducs et des oléoducs. Il a exhorté l’administration Clinton à adopter une ligne plus douce à l’égard des talibans.
Les deux hommes remplissent leur mission efficacement. Le 30 mai 2002, la BBC rapporte que Karzai a conclu un accord avec ses homologues pakistanais et turkmènes pour la construction d’un pipeline reliant le Turkménistan à un port au Pakistan, en traversant l’Afghanistan.
Quelques semaines auparavant, Business Week a commenté l’évolution de la région en ces termes : « Les soldats étatsuniens, les pétroliers et les diplomates ont appris à connaître très rapidement ce coin reculé du monde. Il s’agit des entrailles de l’Union soviétique et d’une région pratiquement inexplorée par les armées occidentales depuis Alexandre le Grand. Le jeu auquel les Américains se livrent là-bas présente des enjeux parmi les plus élevés. Ce qu’ils tentent de réaliser n’est rien de moins que la plus grande conquête d’une nouvelle sphère d’influence depuis que les États-Unis se sont engagés au Moyen-Orient il y a cinquante ans ».
Cela n’aboutit pas. Les talibans sont vaincus, mais pas éliminés. Leur moral est également bien meilleur que celui de l’armée gouvernementale, qui ne peut tenir que grâce à la couverture aérienne et au soutien logistique de l’OTAN. Lorsque Biden décide de retirer ce soutien il y a quelques semaines, il s’effondre comme un château de cartes.
Selon le New York Times, la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis a coûté plus de 2 000 milliards de dollars. Cela représente 100 milliards de dollars par an, soit près de 20 fois plus que le budget total du gouvernement afghan.
Malgré les montants considérables de l’aide, les résultats sont désastreux. Près de la moitié de la population vit aujourd’hui dans la pauvreté. La mortalité infantile est parmi les plus élevées du monde et l’espérance de vie parmi les plus faibles.
Dans la période précédant la guerre, la culture de l’opium a été presque entièrement éradiquée. Aujourd’hui, l’Afghanistan fournit 80 % de l’héroïne mondiale. La guerre a fait 5,5 millions de réfugiés. Ce chiffre risque maintenant d’augmenter fortement.
Le coût en vies humaines est élevé. Au cours des vingt dernières années, 47 000 civils ont perdu la vie. Sur le plan militaire, on compte 66 000 soldats et policiers afghans, 51 000 talibans et autres rebelles. Du côté occidental, près de 4 000 soldats étatsuniens et 1 100 soldats d’autres pays de l’OTAN sont morts.
Après vingt ans d’occupation, nous sommes de retour à la case départ. Le journaliste radio Rudi Vranckx décrit cette guerre comme « une catastrophe, un échec du modèle occidental pour tenter de changer un pays comme l’Afghanistan ».
Sources :
Source de la photographie d’en-tête : ResoluteSupportMedia
120528-N-TR360-003 [taken on May 28, 2012]
GHŌR, Afghanistan (May 28, 2012) – Former Taliban fighters line up to handover their Rifles to the Government of the Islamic Republic of Afghanistan during a reintegration ceremony at the provincial governor’s compound. The re-integrees formally announced their agreement to join the Afghanistan Peace and Reintegration Program during the ceremony. (Department of Defense photograph by Lt. j. g. Joe Painter/RELEASED)
https://www.flickr.com/photos/29456680@N06/7293433774
[ Creative Commons — CC BY 2.0 ]
Chossudovsky M., War and Globalisation. The Truth Behind September 11, Ontario 2002 ;
Howard S., « The Afghan Connection : Islamic Extremism in Central Asia » in National Security Studies Quarterly, Volume VI, nr. 3 (Summer 2000) ;
Rashid A., L’ombre des Taliban, Paris 2001. ↩
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