Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Est-ce une coïncidence que la plus grande organisation terroriste du monde soit ravivée au moment même où les États-Unis subissent un assaut sur plusieurs fronts contre leur hégémonie en Asie de l’Ouest ? Plus curieusement, les cibles d’ISIS et celles de Washington sont exactement les mêmes.
Des sources de la sécurité irakienne mettent en garde contre une résurgence d’ISIS1 dans le pays, qui coïncide trop bien avec le pic des opérations de la résistance irakienne contre les bases US en Irak et en Syrie, et avec l’instabilité régionale croissante causée par l’assaut militaire d’Israël sur Gaza.
Plus de six ans après avoir déclaré la victoire sur l’organisation terroriste, les rapports des services de renseignement irakiens indiquent maintenant que des milliers de combattants d’ISIS émergent indemnes, sous la protection des forces US dans deux régions de l’ouest de l’Irak.
Selon les rapports des services de renseignement examinés par The Cradle, ISIS comptait à son apogée plus de 35 000 combattants en Irak : 25 000 d’entre eux ont été tués, tandis que plus de 10 000 ont tout simplement « disparu ».
Comme le raconte à The Cradle un officier d’une agence de renseignement irakienne :
« Des centaines de combattants d’ISIS ont fui vers la Turquie et la Syrie à la fin de l’année 2017. Après la nomination d’Abdullah Qardash à la tête d’ISIS en 2019, à la suite du décès d’Abou Bakr al-Baghdadi, le nouveau calife a commencé à restructurer l’organisation et a ordonné à ses partisans de retourner en Irak. L’organisation a exploité la frontière très étendue avec la Syrie, les troubles de la sécurité et la diversité des forces des deux côtés de la frontière pour s’infiltrer à nouveau sur le territoire irakien. »
Les responsables d’ISIS emprisonnés admettent que l’infiltration de cette frontière n’est pas une tâche facile, en raison du contrôle strict imposé par les gardes-frontières irakiens et de l’utilisation de technologies modernes, telles que les caméras thermiques.
Il est donc devenu nécessaire pour le groupe terroriste d’identifier des intermédiaires capables de percer ou de contourner ces fortifications pour transporter ses combattants à travers les frontières.
Une source de la sécurité irakienne, qui a tenu à garder l’anonymat, explique à The Cradle que les États-Unis jouent un rôle essentiel dans la facilitation de ces violations des frontières :
« [Il y a] plusieurs incidents qui confirment l’aide américaine dans la sécurisation des voies de passage pour les membres d’ISIS — principalement en bombardant les unités irakiennes à la frontière, en particulier les Unités de mobilisation populaire (UMP), pour créer des brèches qui permettent aux combattants d’ISIS de franchir la frontière. »
La source ajoute que des rapports confirmés font état d’hélicoptères Chinook des États-Unis transportant des combattants de l’est de la Syrie vers le désert de l’Anbar, dans l’ouest de l’Irak, et vers le Jebel Hamreen, dans l’est du pays.
Munir Adib, chercheur spécialisé dans les mouvements islamistes, les organisations extrémistes et le terrorisme international, confirme la possibilité d’un retour d’ISIS après les « dizaines d’attaques menées par l’organisation en Syrie et en Irak au cours des dernières semaines », qui ont entraîné la mort de dizaines de civils et de soldats.
Selon Adib, « la préoccupation de la communauté internationale par rapport aux guerres de Gaza et de Russie-Ukraine a donné à ISIS l’occasion de réorganiser ses rangs, tout en continuant à recevoir un soutien logistique interne et externe. »
La vallée de l’Houran est la plus grande du genre en Irak. Elle s’étend sur 369 kilomètres, à partir de la frontière irako-saoudienne jusqu’à l’Euphrate, près de la ville de Haditha, dans le gouvernorat de l’Anbar. Sa topographie est marquée par des falaises vertigineuses d’une hauteur de 150 à 200 mètres, et comprend les collines qui entourent la vallée et les sous-vallées qui s’étendent dans ses environs.
La vallée était et est toujours l’un des environnements les plus dangereux de l’État en matière de sécurité. Les groupes terroristes l’utilisent comme refuge en raison de son terrain désertique et de son éloignement des zones urbaines encombrées. La vallée et ses environs ont été le théâtre de nombreux incidents, notamment en décembre 2013, lorsqu’ISIS a tué le commandant de la septième division de l’armée irakienne, son assistant, le directeur du renseignement du gouvernorat d’Anbar, huit officiers et treize soldats.
Le député irakien Hassan Salem a appelé au lancement d’une opération militaire pour nettoyer la vallée de Houran des combattants terroristes. Il a confirmé à The Cradle qu’« il y a des milliers de membres d’ISIS dans la vallée qui reçoivent un entraînement dans des camps privés, sous protection américaine », tout en notant que les forces US ont « transféré dans cette région des centaines de membres d’ISIS de différentes nationalités ».
La politique étrangère des États-Unis est, bien sûr, truffée de preuves historiques de la création de milices armées par procuration (ou proxys2) en Asie de l’Ouest et en Amérique latine ; ces organisations sont souvent utilisées pour renverser les gouvernements des pays ciblés. Nous savons que Washington n’a aucune réticence à s’allier avec des extrémistes islamistes, en grande partie en raison de son implication directe dans l’armement et le financement des moudjahidines afghans, dont sont issus les talibans et Al-Qaïda.
Un lien ancien existe très clairement entre les États-Unis et ISIS : les dirigeants fondateurs et ceux de second rang du groupe terroriste figuraient parmi les détenus de la prison de Camp Bucca, dans le sud de l’Irak, un centre d’internement géré par l’armée US. La liste des terroristes de grande importance capturés, puis libérés par les Américains, est tout à fait extraordinaire : Abou Bakr al-Baghdadi, chef d’ISIS, son successeur Abou Ibrahim al-Hashimi al-Qurashi, Abou Mohammed al-Adnani, Abou Muslim al-Turkmani, Haji Bakr, Abou Abdulrahman al-Bilawi et Abou Ayman al-Iraqi… parmi d’autres.
Camp Bucca, connu pour les abus commis à l’encontre de ses détenus, a rassemblé des éléments extrémistes, a laissé mijoter cette formule brûlante pendant six ans (2003-2009), puis a relâché ces fanatiques, désormais libres et bien organisés en réseau.
Les responsables religieux d’ISIS affirment même qu’ils ont profité de leur séjour à la prison pour obtenir des détenus qu’ils jurent de rejoindre le groupe terroriste après leur libération.
Les services de renseignement des États-Unis ont également protégé l’organisation terroriste de manière indirecte, en permettant aux convois d’ISIS de se déplacer entre les villes qui étaient sous contrôle américain. D’autres formes de protection, selon des experts irakiens en matière de sécurité, incluent le refus d’appliquer les condamnations à mort prononcées par les tribunaux irakiens à l’encontre des membres d’ISIS détenus, et l’établissement de refuges pour ces derniers dans l’ouest et l’est de l’Irak.
Dans un discours prononcé le 5 janvier, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a averti que les États-Unis soutenaient une renaissance d’ISIS dans la région.
The Cradle a obtenu des informations de nature sécuritaire concernant les nouvelles activités des extrémistes au Liban, les communications entre ces éléments et leurs homologues en Irak et en Syrie, et les activités suspectes de transfert d’argent entre eux.
Les services de renseignement de l’armée du Liban ont également arrêté récemment un groupe de Libanais et de Syriens qui se préparaient à mener des opérations contre la sécurité.
Il est important de noter que cette recrudescence des activités terroristes intervient à un moment où la résistance libanaise est engagée dans une bataille sécuritaire et militaire avec Israël, qui peut à tout moment se transformer en guerre ouverte. Il est également remarquable que le regain d’activité d’ISIS se concentre au Liban, en Syrie, en Irak et en Iran, c’est-à-dire dans les pays qui soutiennent la résistance palestinienne politiquement, militairement et logistiquement.
Le 4 janvier, ISIS a officiellement revendiqué la responsabilité de deux attentats à la bombe dans la ville iranienne de Kerman, qui visaient des processions commémoratives à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat du commandant de la Force Al-Qods, Qassem Soleimani, par les forces US. Les deux explosions ont tué environ 90 personnes et en ont blessé des dizaines d’autres, dans un attentat sans précédent visant le plus grand adversaire israélo-américain en Asie de l’Ouest, un jour seulement après que Tel-Aviv a tué le principal dirigeant du Hamas, Saleh al-Arouri, à Beyrouth.
Avant cela, le 5 octobre 2023, ISIS a attaqué par drone une cérémonie de remise de diplômes d’officiers à l’école militaire de la ville syrienne de Homs, tuant une centaine de personnes. Ces attentats, ainsi que d’autres en Irak, en Syrie, en Iran, au Pakistan, en Afghanistan et en Afrique, indiquent que du sang frais, de l’argent et des armes sont à nouveau injectés dans les artères de l’organisation terroriste.
Un officier de haut rang des UMP, qui a demandé à rester anonyme, déclare à The Cradle que les forces US empêchent celles d’Irak d’approcher la vallée de Houran en attaquant toutes les forces de sécurité qui s’approchent de la zone. « Cela s’est produit lorsque des avions américains ont ciblé des unités UMP qui attaquaient ISIS dans la région », révèle-t-il, citant des rapports de renseignement confirmant la présence de dizaines de membres d’ISIS et d’autres organisations extrémistes dans la vallée, où ils reçoivent un entraînement et du matériel de la part des forces US.
Des sources de nature sécuritaire au sein du commandement des opérations de l’Anbar confirment cette information en déclarant à The Cradle :
« Une activité notable de l’organisation a été enregistrée il y a quelques semaines dans l’ouest du pays. Près du désert de Rutba, des combattants d’ISIS ont été repérés en train de creuser des cachettes souterraines. Les informations indiquent que l’organisation est en train de mener des opérations terroristes dans de nombreux endroits. »
Parallèlement, ISIS étend ses opérations à l’est de l’Irak, dans le triangle géographique qui comprend l’est du gouvernorat de Salah al-Din, le nord-est de Diyala et le sud de Kirkouk, en particulier dans les régions géographiquement ardues de Makhoul, Hamrin, Ghurra, Wadi al-Shay et Zaghitoun.
Il convient de noter que les forces des États-Unis sont déployées en Irak sous l’égide de la coalition internationale de lutte contre ISIS. La semaine dernière, quatre ans après le premier vote du Parlement irakien en faveur de l’expulsion des forces étrangères, le Premier ministre irakien Mohammad Shia al-Sudani s’est exprimé sur l’impact « déstabilisant » des troupes US et a exigé un départ « rapide et ordonné » de ces unités de combat.
Washington a non seulement répliqué en affirmant qu’il n’avait « aucun projet » de se retirer d’Irak, mais il a également annoncé le 14 janvier qu’il enverrait 1 500 soldats supplémentaires en Irak et en Syrie, illégalement et sans le consentement des deux pays.
L’ironie de la situation est qu’ISIS semble reprendre du poil de la bête chaque fois que Bagdad soulève la question du retrait de l’armée US d’Irak.
On ne peut plus considérer comme une coïncidence le fait que le groupe terroriste rassemble à nouveau ses forces pour cibler l’Axe de la Résistance — c’est-à-dire, les ennemis régionaux les plus efficaces de Washington et de Tel-Aviv — au moment même où les États-Unis et Israël s’efforcent de faire face à un assaut sur plusieurs fronts de cet Axe dans l’ensemble de la région.
Les synergies extraordinaires entre les Américains et le premier groupe terroriste au monde ne peuvent plus être ignorées : leurs cibles sont les mêmes, et ISIS n’entre que maintenant dans la mêlée, au moment même où Washington commence à perdre son emprise sur l’Asie de l’Ouest.
Sources :
Source de l’illustration d’en-tête : The Cradle
https://new.thecradle.co/articles/reviving-isis-a-us-weapon-against-the-resistance-axis
ISIS : Islamic State of Iraq and Sham (État islamique en Irak et dans le Cham) (NdT) ↩
Un proxy (terme anglais) est un intermédiaire utilisé dans une guerre par procuration. Une guerre par procuration (en anglais, war by proxy) est une guerre dans laquelle deux puissances ne s’affrontent qu’indirectement en soutenant financièrement ou matériellement d’autres puissances ou groupes militaires (des proxies, ou proxys) qui, eux, se battent directement sur le terrain. (NdT) ↩
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