La classe dirigeante tombe toujours du côté où elle penche

La classe dirigeante
tombe toujours
du côté où elle penche

Par Viktor Dedaj

Une publication Le Grand Soir


Démocratie Lobbying Répression Fascisme
France Palestine Israël Ukraine Occident
Article
• Langue originale : français


Cher lecteur, voici une mise en garde : je vais me lancer dans une généralisation et vous peindre, à grands coups de pinceau, un tableau qui, vu de près, paraîtra confus mais, vu de loin, se révélera être une composition très réaliste. C’est parti.

J’ai vu il y a quelque temps l’intervention de Sophia Aram à la cérémonie des Molière et les réactions du public. J’ai vu les images du dîner du CRIF et entendu le discours d’Attal.

Le fascisme n’arrive pas sous forme de hordes en chemises brunes. Il n’arrive pas par un coup frappé à la porte au petit matin. Ça, c’est son irruption, sa concrétisation, dans nos vies de tous les jours. Non, il s’annonce d’abord par un tonnerre d’applaudissements. Pour un ancien SS au parlement canadien ou un discours négationniste devant un parterre d’endimanchés. Et du négationnisme il glisse vers la justification. Puis de la justification au soutien.

Il arrivait déjà lorsqu’il a emprisonné, bâillonné et torturé le journaliste le plus primé du XXIe siècle dans l’indifférence quasi générale de la profession et de son soi-disant rôle de contre-pouvoir.

Il a voyagé depuis l’Ukraine en passant par Gaza. Il est arrivé pour sauver leur déclin et leur corruption morale totale.

Hier, il était à Paris, décomplexé et presque blessé d’être si incompris par la plèbe, mais tellement rassuré par cet entre-soi.

Bref, l’autre jour, le fascisme était de sortie et, d’après les commentateurs, tout d’élégance vêtu.

Les soutiens d’Israël sont tous issus des catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+). Israël est gouverné par un régime d’extrême droite. Les CSP+ soutiennent donc un régime d’extrême droite. Les CSP+ argumentent (lorsqu’ils argumentent) qu’ils défendent une « démocratie », et peu importe les actes commis par cette « démocratie » ou les rouages de son fonctionnement interne. Ils démontrent ainsi leur attachement, leur préférence ou leur penchant pour une version formelle d’une démocratie de façade. Et une auto-identification et solidarité sans faille pour une culture qu’ils perçoivent comme proche de la leur, ou qui se présente comme telle (ah, s’ils savaient…). Et le fait qu’elles (les CSP+) s’y reconnaissent et la défendent révèle l’idée qu’elles se font d’elles-mêmes et de la démocratie. Donc de nous. Jusqu’au génocide, s’il le faut.

La défense d’Israël n’est qu’une forme d’expression du mépris, sinon de la haine, de l’autre. C’est-à-dire de nous. Les CSP+ tentent de nous enfumer par des arguments de type sociétaux, tels que « il vaut mieux être gay à Tel-Aviv qu’à Gaza » ou « ce n’est pas à Gaza que vous verrez des bikinis ». Comme si l’absence d’une gay pride à Rafah ou de seins nus sur la plage était le fond du problème. Comme si ce n’était pas autre chose qu’une projection de leurs propres priorités, préoccupations et angoisses existentielles. Et pour rien au monde ils n’échangeraient un brunch en terrasse à Tel-Aviv contre une ration alimentaire pour un enfant à Gaza.

Ordures

Je l’avoue : les gay prides me font plutôt rigoler, je n’ai rien contre une jolie paire de fesses et j’adore les brunchs en terrasse. Et je suppose que « culturellement », je me sentirais plus à l’aise dans un café branché à Jaffa que dans un boui-boui improvisé à Rafah. Au moins pendant les dix premières minutes, c’est-à-dire jusqu’à ce que les bouches s’ouvrent. Jusqu’à réaliser à quel point je me sens plus proche d’une Palestinienne, avec ou sans voile, que d’une fasciste tiktokeuse génocidaire décérébrée.

Si certains croient pouvoir marchander « ma » zone de confort, « mes » codes de conduite en échange d’une solidarité avec leur barbarie, ils se trompent. Et lourdement. Parce qu’au-delà des codes de conduite, au-delà de l’idée que je me fais du confort, d’un mode de vie idéal, des signaux d’appartenance à un groupe, moi aussi je tombe toujours du côté où je penche.

 

« Avant les chemises brunes, il y a toujours les smokings. »
(Viktor Dedaj)

 

Source : article publié sur le site web Le Grand Soir
https://www.legrandsoir.info/la-classe-dirigeante-tombe-toujours-du-cote-ou-elle-penche.html


Sources de l’illustration d’en-tête :

 

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