Incarcération de combattants ukrainiens en France : la menace terroriste néonazie s’accroît

Incarcération
de combattants ukrainiens
en France :
la menace terroriste
néonazie s’accroît

Par Kit Klarenberg

Une publication The Grayzone


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Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


L’arrestation de deux néonazis français lourdement armés revenant d’Ukraine met en lumière un problème imminent pour les pays de l’OTAN qui soutiennent la guerre par procuration ; elle met également en évidence la conspiration du silence de ces États sur la nature de la menace.

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Le 24 avril 2023, deux néonazis français ont été condamnés à 15 mois de prison, dont neuf avec sursis, pour possession de munitions de fusil d’assaut. Les deux hommes étaient rentrés à Paris depuis l’Ukraine deux jours plus tôt et avaient été arrêtés à la douane.

Ils étaient tous deux dans le collimateur de la DGSI (Direction générale de la Sécurité intérieure), l’agence française d’espionnage intérieur, qui détenait des dossiers sur eux pour atteinte à la sûreté de l’État. Selon le média français Mediapart, l’un d’eux est un ancien combattant des chasseurs alpins, la force d’élite française d’infanterie de montagne. Il a été renvoyé de l’armée après que ses sympathies néonazies ont été révélées sur Internet. L’autre est un militant local d’extrême droite bien connu.

Comme dans de nombreux autres pays occidentaux, des centaines de citoyens français se sont rendus à Kiev pour prendre les armes contre la Russie depuis que celle-ci a envahi l’Ukraine en février 2022. Selon la DGSI, au moins 30 des combattants étrangers français sont des fascistes notoires.

Cet exode troublant n’a toutefois pas suscité l’intérêt des médias anglophones, sauf en mars 2022, lorsque le militant d’extrême droite Loïk Le Priol a été expulsé de Hongrie, en direction de l’Ukraine, pour répondre des accusations concernant le meurtre à Paris du joueur de rugby argentin Federico Martín Aramburú.

Il était inévitable que certains des néonazis français qui ont réussi à se rendre à Kiev aient des liens antérieurs avec le bataillon Azov, la tristement célèbre force paramilitaire néonazie d’Ukraine. En janvier 2022, Paris a interdit le groupe suprématiste blanc des Zouaves. Le mois précédent, ses membres avaient violemment attaqué des manifestants antiracistes qui perturbaient un rassemblement en faveur du candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle, Éric Zemmour. Le chef du mouvement, Marc de Cacqueray-Valmenier, s’est rendu en Ukraine en décembre 2019 pour rencontrer des représentants d’Azov et assister à leurs camps d’entraînement.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Ouest Casual, un canal Telegram encore existant et lié aux Zouaves, a publié un flux constant d’hommages aux soldats ukrainiens, dénonçant à plusieurs reprises les « contingents asiatiques de l’impérialisme soviétique qui déferlent à nouveau sur l’Europe » et les « chiens islamistes de Poutine », en référence aux combattants tchétchènes. Bordeaux nationaliste, un groupe néonazi violent et étroitement lié aux Zouaves, a régulièrement organisé des collectes de matériel pour le combat.

Washington crée un baril de poudre à Kiev

Les deux néonazis récemment incarcérés auraient été « interrogés toute la journée » par la police après leur arrestation sur les raisons pour lesquelles ils transportaient dans le pays du matériel militaire, dont la possession est absolument illégale en vertu de la loi française. La réponse évidente est que les deux hommes avaient l’intention de ramener chez eux la terreur des champs de bataille ukrainiens.

En novembre, Alex Rubinstein a rapporté pour The Grayzone que la police italienne avait arrêté cinq membres du groupe néonazi local, l’Ordre de Hagal, qui entretient des liens opérationnels avec le bataillon Azov. Ces personnes stockaient des armes, notamment des munitions, des équipements tactiques et un lance-grenades, et planifiaient des attaques terroristes. Un sixième membre, qui combattait alors aux côtés d’Azov en Ukraine, était toujours recherché.

Les néonazis faisaient l’objet d’une surveillance intensive de la part des autorités italiennes depuis 2019. L’un d’entre eux — signalé comme étant « dangereusement proche des groupes nationalistes ukrainiens d’extrême droite » — planifiait une attaque contre un poste de police à Naples, tandis que le combattant Azov en fuite avait dans sa ligne de mire un centre commercial dans la même ville.

Dans une conversation interceptée en janvier 2021, le premier s’est vanté de « faire un massacre comme celui de la Nouvelle-Zélande », en référence au tireur de Christchurch qui avait assassiné 51 musulmans deux ans plus tôt. Ce dernier avait orné son gilet pare-balles et la couverture de son manifeste, qui mentionnait l’Ukraine, du logo omniprésent du « soleil noir » d’Azov.

Comme l’a révélé une enquête menée en 2020 par le Centre de lutte contre le terrorisme (Combating Terrorism Center / CTC) de l’académie militaire de West Point, ce manifeste a été largement diffusé en ligne parmi les groupes paramilitaires ukrainiens, et a même été traduit en ukrainien et vendu sous forme de livre par un jeune homme de 22 ans vivant à Kiev. Le Centre a noté que l’Ukraine « exerce un attrait particulier sur les suprémacistes blancs, qu’ils soient idéologues, militants ou aventuriers », notamment en raison de l’émergence d’Azov et d’autres éléments fascistes soutenus par l’État.

C’était la première fois depuis la défaite des nazis qu’une « milice nationaliste blanche d’extrême droite », où que ce soit dans le monde, était « célébrée publiquement, s’organisait ouvertement et avait des amis haut placés ». Le soutien du gouvernement de Petro Porochenko et des services de sécurité ukrainiens — « malgré des rapports bien documentés sur les violations des droits de l’homme » — a été « galvanisant pour les individus et les groupes d’extrême droite en Europe, aux États-Unis et plus loin encore », a noté l’enquête. Les fascistes ont donc afflué en masse à Kiev pour rejoindre Azov et/ou recevoir une formation.

Les États-Unis et leurs vassaux internationaux ont eu à cœur d’encourager et de faciliter la prolifération du néonazisme en Ukraine. Tout au long de la guerre froide, la CIA et le MI6 ont adopté une politique secrète visant à encourager les éléments ultranationalistes en Ukraine pour saper le régime communiste. Dans les années qui ont suivi le coup d’État de Maïdan soutenu par les États-Unis en 2014, de nombreuses milices d’extrême droite ont reçu une formation militaire de haut niveau de la part de Washington, Londres et Ottawa. Le soutien de l’Occident n’a fait qu’augmenter depuis l’invasion de la Russie.

Centuria et Secteur droit sont deux groupes qui ont bénéficié d’un soutien pratique et matériel important de la part des États membres de l’OTAN ces dernières années. Selon les médias locaux, les membres inculpés de l’Ordre de Hagal en Italie auraient entretenu des contacts « directs et fréquents » avec ces deux entités, ainsi qu’avec Azov, en vue d’un « éventuel recrutement dans les rangs de ces groupes de combat ».

Le contrecoup bien réel des opérations secrètes des États-Unis en Europe

Depuis que l’Occident a lancé son programme secret de soutien aux extrémistes violents afin d’affaiblir et de déstabiliser ses ennemis géopolitiques, le contrecoup s’est manifesté sous diverses formes.

Tout au long de la guerre de Bosnie dans les années 1990, les États-Unis ont soutenu les combattants moudjahidines. Ceux-ci arrivaient par des « black flights » de la CIA en provenance du monde entier, en particulier d’Afghanistan, et recevaient un flux apparemment ininterrompu d’armes, en violation d’un embargo des Nations unies.

Ayant rapidement acquis une réputation pour leur brutalité excessive à l’égard des soldats ennemis et des civils, et pour les attaques sous fausse bannière menées contre leurs propres positions et les lieux publics afin de précipiter l’intervention occidentale, ils ont joué un rôle central dans l’effort de guerre des musulmans bosniaques. Le négociateur des États-Unis pour les Balkans, Richard Holbrooke, a déclaré que les musulmans bosniaques « n’auraient pas survécu » sans l’aide des moudjahidines.

Selon les termes de l’accord de Dayton de 1995, les moudjahidines devaient quitter la Bosnie. Immédiatement après la signature de l’accord, les forces croates combattant aux côtés de mercenaires britanniques et étatsuniens dans le pays ont commencé à assassiner les dirigeants du groupe pour disperser les islamistes. Certains ont fui vers l’Albanie avec leurs armes fournies par les États-Unis, où ils ont rejoint l’Armée de libération naissante du Kosovo, une autre entité soutenue par l’Occident et composée de djihadistes purs et durs.

D’autres ont été interceptés avec l’aide de la CIA et expulsés vers leur pays d’origine en vue d’y être jugés pour de graves délits de terrorisme. Cette mesure a été perçue comme une trahison flagrante par les hauts responsables des moudjahidines à l’étranger, dont Oussama Ben Laden.

En août 1998, deux ambassades des États-Unis en Afrique de l’Est ont fait l’objet d’un attentat suicide simultané. Un jour plus tôt, le Djihad islamique, lié à Ben Laden, avait publié une menace faisant explicitement référence à l’implication des États-Unis dans l’extradition des « frères » du groupe en provenance d’Albanie. Il avertissait qu’une « réponse » appropriée était imminente :

« Nous souhaitons dire brièvement aux Américains que leur message a été reçu et que la réponse, que nous espérons qu’ils liront attentivement, est en cours [de préparation], car nous l’écrirons — avec l’aide de Dieu — dans la langue qu’ils comprennent. »

Les attentats contre les ambassades ont marqué le début du djihad de Ben Laden contre les États-Unis, qui a abouti, d’une manière ou d’une autre, au 11 septembre 2001. Deux des pirates de l’air présumés, Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar, étaient des vétérans de la guerre de Bosnie. Comme l’a récemment rapporté The Grayzone, tous deux pourraient avoir travaillé, sciemment ou non, pour la CIA le jour des attentats.

Aujourd’hui, une trahison encore plus flagrante est presque inévitablement imminente, à savoir la fin du soutien des États-Unis à l’effort de guerre de Kiev. Dans tout l’Occident, les stocks d’armes sont presque épuisés, les pressions politiques et publiques en faveur d’un retrait augmentent chaque jour, et les responsables expriment ouvertement de sérieux doutes quant à la capacité de l’Ukraine à organiser une contre-offensive réussie, sans parler de la reconquête, dans le processus, des territoires perdus.

Le 24 avril, Politico a rapporté que si la contre-offensive tant attendue échouait, l’administration Biden cesserait purement et simplement son soutien et obligerait Kiev à entamer des négociations avec Moscou, adoucissant cette pilule amère en la « présentant aux Ukrainiens comme un “cessez-le-feu” et non comme des pourparlers pour une paix permanente ». Bien entendu, comme les opérations de l’armée ukrainienne dépendent entièrement de ce soutien, même une cessation temporaire entraînerait un effondrement total, laissant les forces russes traverser le territoire ukrainien sans rencontrer d’opposition.

La conspiration du silence sur les combattants étrangers en Ukraine

Le nombre total de combattants fascistes nationaux et étrangers en Ukraine n’est pas connu, mais il est probablement très élevé. Lorsque les États-Unis se retireront de la guerre par procuration, ces combattants auront toutes les raisons de fuir. Ils apporteront leur expérience du champ de bataille et, dans de nombreux cas, une formation militaire occidentale d’élite. Des armes et des munitions haut de gamme seront disponibles en abondance sur le marché noir, en raison des livraisons massives d’armes à Kiev au cours du conflit.

En juillet 2022, Europol a averti que « la prolifération des armes à feu et des explosifs en Ukraine pourrait conduire à une augmentation du trafic d’armes à feu et de munitions vers l’UE au travers des itinéraires de contrebande bien établis ou des plateformes en ligne », et que « cette menace pourrait même être plus élevée une fois que le conflit aura pris fin ».

Le même mois, un rapport de la Commission du renseignement et de la sécurité (Intelligence and Security Committee) du Parlement britannique contenait une brève section sur le risque que des Britanniques ayant voyagé à l’étranger à des fins de « terrorisme d’extrême droite » aient été « davantage radicalisés » par cette expérience et aient « établi des liens avec d’autres personnes » partageant leur idéologie violente.

Bien que le pays dans lequel ils se sont rendu — et qui ou quoi ils « ont pu combattre » — ait été masqué par des astérisques, il ne fait aucun doute que cette section faisait référence aux combattants revenant d’Ukraine. La commission a averti de manière inquiétante qu’il n’y avait « aucune procédure en place » pour surveiller ces individus à leur arrivée.

Max Blumenthal : « Une section entière du rapport parlementaire britannique de juillet 2022 sur le terrorisme d’extrême droite est expurgée. Elle concerne les combattants étrangers qui reviennent au Royaume-Uni en provenance d’une certaine nation et précède la section sur la Russie.
Je me demande quelle est la nation qui ne doit pas être mentionnée. »

Il est difficile d’imaginer que les services de renseignement occidentaux ne sont pas conscients que la poudrière qu’ils ont créée à Kiev pourrait exploser sur leur propre sol. Cependant, il semble également évident qu’ils ont fait vœu d’omerta sur la question, caviardant même des sections de leurs propres rapports publics sur le fléau du retour des combattants étrangers. Dans le même temps, ils font campagne avec zèle contre la menace de l’extrémisme de droite d’origine intérieure.

Depuis son entrée en fonction, l’administration Biden a mis en garde à plusieurs reprises contre l’imminence d’attaques terroristes « à motivation raciale ou ethnique » perpétrées par des citoyens des États-Unis. Elle a même publié une stratégie de sécurité nationale visant à relever le « défi ».

Pourtant, l’inculpation de deux néonazis étatsuniens en février dernier n’a suscité pratiquement aucun intérêt de la part des médias et est passée largement inaperçue auprès des autorités du pays. Les deux hommes, dirigeants de l’Atomwaffen — également connu sous le nom de Front de résistance national-socialiste — avaient prévu de détruire des sous-stations électriques desservant la ville de Baltimore (Maryland), majoritairement noire, dans le but de priver les habitants de chauffage et de lumière pendant l’hiver.

Ce silence inquiétant peut s’expliquer, du moins en partie, par les relations d’Atomwaffen avec le bataillon Azov qui a accueilli des membres du groupe à Kiev. Une des figures d’Atomwaffen, Caleb Kole, a été condamnée en janvier 2022 par le ministère de la Justice des États-Unis pour avoir comploté avec des complices en vue d’intimider des juifs et des journalistes. Il s’est avéré que Cole s’était déjà rendu en Ukraine pour assister au festival annuel de black metal néonazi connu sous le nom d’Asgardsrei, qui se tient dans une salle appartenant à l’État et où des activistes influents d’Azov se produisent sur scène.

Alors que les experts occidentaux dissimulent le programme ouvertement fasciste d’Azov afin de justifier l’aide militaire à l’Ukraine, ils occultent également la menace que représentent les combattants étrangers qui rentrent chez eux en masse après avoir passé des mois dans les tranchées avec le groupe.

Sources :


Source de la photographie d’en-tête :
Capture d’écran d’une ancienne vidéo de propagande d’Atomwaffen

 

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