Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
L’histoire de l’ancienne guérillera nicaraguayenne Dora María Téllez et de son parti anti-sandiniste MRS : comment ils se sont alliés à la droite et sont devenus des informateurs de l’ambassade des États-Unis soutenant le coup d’État
L’une des opposantes au gouvernement sandiniste du Nicaragua les plus en vue invoque sa jeunesse révolutionnaire pour justifier sa position. Et alors que les médias internationaux ne cessent de chanter ses louanges, ils ne mentionnent pas qu’elle a abandonné la politique révolutionnaire depuis longtemps et qu’elle est devenue un atout essentiel dans la campagne de guerre non conventionnelle du gouvernement des États-Unis contre le Nicaragua.
Alors qu’elle n’avait que 22 ans, Dora María Téllez a combattu comme guérillera dans la révolution sandiniste du Nicaragua, aux côtés de l’actuel président Daniel Ortega. Mais elle a rompu avec le sandinisme il y a plus de vingt ans et a régulièrement dérivé vers la droite soutenue par les États-Unis.
Téllez est une figure clé d’un groupe d’anciens révolutionnaires, dont beaucoup sont issus de l’élite et de la classe supérieure, qui se sont regroupés pour former une scission de l’aile droite du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) dans les années 1990. Ensemble, ils ont formé un parti politique centriste appelé le Mouvement de rénovation sandiniste (Movimiento Renovador Sandinista / MRS) en s’appuyant sur leur passé révolutionnaire pour promouvoir une contre-révolution néolibérale.
Sous la direction de Téllez et de ses collègues, le MRS a développé une relation étroite avec l’oligarchie de droite du Nicaragua. Il a également collaboré de manière intensive avec le gouvernement des États-Unis en travaillant avec des membres néoconservateurs du Congrès et avec le lobby du changement de régime de Miami, tout en recevant des fonds d’organisations interventionnistes étatsuniennes.
Des câbles classifiés du département d’État publiés par WikiLeaks et analysés par The Grayzone montrent que Téllez et les autres dirigeants de son parti, le MRS, ont fréquemment rencontré les gens de l’ambassade des États-Unis et leur ont servi d’informateurs pendant des années.
Lors de réunions régulières avec des fonctionnaires étatsuniens, Téllez, Sergio Ramírez, Hugo Torres Jiménez, Victor Hugo Tinoco et d’autres personnalités du MRS ont fourni aux États-Unis des renseignements sur le FSLN et la politique interne du Nicaragua, dans le but d’empêcher le retour des sandinistes au pouvoir. Ils ont ensuite aidé Washington dans sa tentative de déstabilisation du gouvernement du président Daniel Ortega après la victoire celui-ci aux élections de 2006.
L’ambassade a clairement indiqué que « la position de l’USG [le gouvernement des États-Unis] [est] que le MRS est une option viable et constructive, avec laquelle les États-Unis devraient entretenir de bonnes relations ».
L’ambassade a exprimé son approbation en ajoutant que « si le MRS peut détourner des votes du FSLN et recueillir une partie des votes indécis, il reste une option viable — et pourrait être la clé pour empêcher une victoire d’Ortega. »
Aujourd’hui, Téllez et son MRS sont ouvertement alliés à la droite, alors même qu’elle et ses partisans exploitent cyniquement ses anciens véritables révolutionnaires pour diviser le soutien de la gauche aux sandinistes et désorienter les observateurs progressistes à l’extérieur du pays.
Le MRS a joué un rôle clé dans une violente tentative de coup d’État au Nicaragua en 2018, au cours de laquelle des forces extrémistes soutenues par les États-Unis ont paralysé la nation en érigeant des barricades, appelées tranques, tandis qu’elles traquaient, torturaient et assassinaient des militants sandinistes.
Grâce à un financement important de la part d’agents de la CIA chargés de promouvoir un changement de régime, les dirigeants du MRS ont aidé à organiser et à diriger le putsch manqué. Et ils ont profité de leurs positions influentes dans les médias, les ONG et les universités pour mettre au point la manière dont cette opération violente a été présentée au reste du monde.
En termes de politique pan-latino-américaine, Dora María Téllez et le MRS sont devenus, de la même manière, un allié fiable de la droite dans la région.
Lorsque Washington et les oligarques fondamentalistes chrétiens ont parrainé un coup d’État militaire d’extrême droite en Bolivie en 2019, le gouvernement sandiniste d’Ortega s’est résolument opposé au complot et l’a condamné, soutenant fermement le président bolivien élu Evo Morales. Téllez, en revanche, a encouragé le putsch, salissant Morales en le qualifiant d’aspirant dictateur et affirmant que la Bolivie était « meilleure » avec son renversement.
Téllez a déclaré avec jubilation que le coup d’État en Bolivie avait « terrifié » le gouvernement sandiniste, et a exprimé l’espoir que les officiers militaires nicaraguayens seraient inspirés pour lancer leur propre putsch. Le leader du MRS a fait l’éloge de l’Organisation des États américains (OEA) dominée par les États-Unis et de son dirigeant hyperinterventionniste Luis Almagro, l’appelant à exclure le Nicaragua.
Téllez a déclaré à l’AFP que le coup d’État en Bolivie constituait un exemple positif susceptible d’effrayer le gouvernement sandiniste. Elle a ensuite accordé une interview au journal d’opposition Confidencial, financé par le gouvernement des États-Unis, sous le titre « Dora María Téllez : “La [famille] Ortega-Murillo est démoralisée par la sortie d’Evo Morales” ».
Après le coup d’État contre Morales, le Nicaragua est « démoralisé, désespéré, isolé, meurtri », a-t-elle jubilé. Et ce qui s’est passé en « Bolivie leur montre que ce modèle n’est pas viable ».
Téllez a exprimé l’espoir que le « syndrome bolivien » enverrait un message aux dirigeants de l’armée nicaraguayenne pour qu’ils lancent leur propre putsch, en affirmant qu’« il y a une partie très importante du corps des officiers qui » n’est pas si loyale envers le sandinisme.
Téllez et son MRS ont adopté une position encore plus dure à l’égard du Venezuela. Alors que l’administration du président Ortega a soutenu sans relâche le gouvernement de gauche chaviste contre les nombreuses tentatives de coup d’État des États-Unis, Téllez a diabolisé sans relâche le gouvernement élu du président Nicolás Maduro, le qualifiant de « dictature » et appelant à son renversement.
Téllez a même exprimé son soutien à la marionnette vénézuélienne de Washington, Juan Guaidó, et à l’oligarque d’opposition d’extrême droite Leopoldo López, en proclamant : « Nous marchons ensemble. »
En 2020, Téllez et son parti MRS ont tellement dérivé vers la droite qu’ils ont décidé d’abandonner toute prétention de fidélité au sandinisme, supprimant toute référence au mouvement sandiniste de leur plateforme et changeant le nom du Mouvement de rénovation sandiniste en Unión Democrática Renovadora (Union démocratique de rénovation / UNAMOS).
Pendant ce temps, Téllez et ses collègues de l’UNAMOS ont publiquement fait du lobbying auprès du gouvernement des États-Unis et de l’Union européenne pour obtenir des sanctions plus agressives à l’encontre de leur propre pays, sanctions qui ont déjà porté préjudice à l’économie nationale.
En 2021, le gouvernement nicaraguayen a arrêté une série de dirigeants du MRS, dont Téllez, Hugo Torres Jiménez et Victor Hugo Tinoco. Une enquête menée par The Grayzone montre que chacune de ces personnalités a été un informateur de l’ambassade des États-Unis pendant au moins 15 ans, selon des câbles du département d’État.
Le Nicaragua a également ordonné l’arrestation du président fondateur du MRS, Sergio Ramírez, qui a été pendant des décennies un informateur du gouvernement des États-Unis, un fait confirmé par les documents classifiés. (Ramírez vit au Costa Rica, il n’a donc pas été appréhendé.)
Les détenus ont été accusés d’« incitation à l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures, de demande d’interventions militaires, de complot avec le financement de puissances étrangères pour mener des actes de terrorisme et de déstabilisation » et de « demander, louer et applaudir l’imposition de sanctions à l’État du Nicaragua et à ses citoyens ».
Ces figures de l’opposition ont été arrêtées en vertu de la loi 1055 du Nicaragua, approuvée par l’Assemblée nationale démocratiquement élue du pays en décembre 2020. Intitulée « Défense des droits du peuple à l’indépendance, la souveraineté et l’autodétermination pour la paix », de nombreux gouvernements du monde ont une législation similaire à cette loi nicaraguayenne, interdisant aux citoyens de fomenter un coup d’État, de trahir et de conspirer avec des nations étrangères pour attaquer leur propre pays.
La détention de Téllez et des dirigeants du MRS a donné lieu à une vague de dénonciations de la part des gouvernements occidentaux, des médias d’entreprise et même de certains militants et intellectuels de gauche qui avaient soutenu la révolution sandiniste dans les années 1980, mais s’en sont ensuite détournés.
Les critiques ont exploité les arrestations pour élaborer un récit déformé, accusant le gouvernement sandiniste du président Daniel Ortega et de la vice-présidente Rosario Murillo d’avoir abandonné leurs racines de gauche en arrêtant des révolutionnaires historiques.
Mais la réalité est tout autre : les participants à la tentative ratée de coup d’État, comme Téllez et son parti MRS, ont rompu avec le sandinisme il y a des décennies et sont devenus depuis des alliés fidèles de la droite et des États-Unis.
Washington a réagi à l’arrestation au Nicaragua de deux douzaines de leaders de l’opposition — parrainés par le gouvernement des États-Unis et fomentant un coup d’État — en imposant une nouvelle série de sanctions à la nation d’Amérique centrale et en attaquant la légitimité de ses élections du 7 novembre. L’administration du président Joseph Biden a clairement indiqué qu’elle refuserait de reconnaître les résultats du vote.
Lors d’une session spéciale d’octobre de l’Organisation des États américains (OEA), convoquée dans le seul but de condamner le Nicaragua, le gouvernement sandiniste s’est défendu contre ces accusations en déclarant : « Dans notre pays, il n’y a pas un seul candidat détenu, pas un seul ; pas un seul innocent n’est poursuivi, pas un seul. Ceux qui font l’objet de procédures judiciaires sont des agents étrangers, clairement identifiés au sein de la masse salariale de gouvernements étrangers, qui, en utilisant les structures d’organisations privées, ont reçu des millions de dollars pour détruire, tuer, mettre en faillite l’économie et subvertir l’ordre constitutionnel. »
Alors que les gouvernements occidentaux et les médias d’entreprise ont condamné les déclarations de ce type en les qualifiant de propagande, les propos du Nicaragua sont exacts dans les faits. Il est de notoriété publique que les personnes détenues ont reçu des millions de dollars de financement des États-Unis et des États européens, et qu’elles ont ensuite utilisé cet argent pour organiser une tentative de coup d’État, violant ainsi de nombreuses lois sur les agents étrangers, le blanchiment d’argent et la trahison.
En outre, les accusations de la justice nicaraguayenne, qui soutient que les dirigeants du MRS arrêtés ont conspiré avec une puissance étrangère pour renverser leur gouvernement, sont confirmées par de nombreux câbles confidentiels du département d’État des États-Unis publiés par WikiLeaks.
Le parti du Mouvement de rénovation sandiniste, que Dora María Téllez a contribué à fonder, bénéficie du soutien du gouvernement des États-Unis depuis au moins 15 ans.
À l’approche des élections nationales de 2006 au Nicaragua, alors que Téllez était présidente du MRS, le parti a choisi l’ancien maire de la capitale Managua, Herty Lewites, comme candidat à la présidence. Lewites ne s’est guère engagé dans une idéologie politique cohérente, mais il était charismatique et disposait d’une base de soutien.
En février de cette année-là, Lewites a rencontré l’ambassadeur des États-Unis pour un petit-déjeuner. L’ancien sandiniste voulait rassurer Washington sur le fait que, si son parti remportait les élections de novembre prochain, il maintiendrait des relations étroites avec les États-Unis — le pays même qui avait soutenu les escadrons de la mort d’extrême droite, les Contras, et avait mené une guerre terroriste brutale contre le Nicaragua.
Lewites a fait partie du mouvement sandiniste, mais lorsque le FSLN a perdu le pouvoir en 1990, il a conclu une série d’alliances avec la droite et est devenu un homme d’affaires. Il a ensuite créé un parc aquatique et, n’ayant jamais fait preuve de modestie, lui a donné son nom : Hertylandia.
À l’approche de 2006, Lewites était un rival acharné du Front sandiniste et préférait explicitement le retour au pouvoir de la droite qui avait gagné contre Daniel Ortega.
Un câble du département d’État intitulé « Herty cherche des relations cordiales, constructives et coopératives avec les États-Unis » indique clairement que le candidat présidentiel du MRS était plus qu’heureux de s’allier avec Washington contre ses anciens camarades du FSLN.
« Lewites a exprimé avec enthousiasme son désir de maintenir des relations cordiales, constructives et coopératives avec les États-Unis », écrit l’ambassade avec satisfaction. Elle ajoute que, « s’il est élu, il demandera à une délégation étatsunienne de haut niveau d’assister à son investiture afin de démontrer que les deux gouvernements seront de solides alliés. »
Lewites a dit à Washington qu’il approuvait ses attaques contre Ortega, et a insisté sur le fait que « l’ambassadeur et les autres officiels [devaient] continuer à frapper fort contre Ortega. »
Le candidat du MRS ne cherchait pas seulement à nouer des liens étroits avec le pays qui avait envahi et occupé militairement le Nicaragua à plusieurs reprises ; il soutenait également les politiques économiques néolibérales. Le câble note avec bonheur que « Lewites a soutenu sans équivoque le CAFTA », l’accord de libre-échange d’Amérique centrale imposé à la région par l’administration de George W. Bush.
Lewites a rassuré l’ambassadeur en lui disant que sa vision idéale d’un gouvernement dirigé par le MRS au Nicaragua serait un manuel de néolibéralisme, dirigé par de « jeunes technocrates », avec des « coupes dans les dépenses publiques » et des politiques favorables aux entreprises pour attirer les « investissements étrangers ». Il a promis que son « gouvernement de consensus » serait un « équilibre » centriste entre la gauche et la droite.
Le câble de l’ambassade a révélé que la quasi-totalité du financement de la campagne présidentielle de Lewites provenait de l’extérieur du Nicaragua, principalement de riches oligarques et sociétés du Panama, du Costa Rica, du Guatemala et du Salvador.
Il a également noté que Lewites avait rencontré un autre candidat à la présidence, Eduardo Montealegre, un banquier multimillionnaire diplômé de Harvard, fanatiquement de droite et notoirement corrompu. Lewites et Montealegre espéraient s’unir dans une alliance anti-sandiniste pour empêcher Ortega de redevenir président.
Lewites avait d’ailleurs publiquement appelé à cette coopération avec la droite lors d’une interview en 2005 dans l’émission Esta Semana, financée par le gouvernement des États-Unis. Le candidat du MRS a admis avoir demandé à plusieurs reprises à Montealegre de passer un « accord public » avec lui afin qu’ils puissent faire passer des réformes constitutionnelles qui rendraient presque impossible le retour au pouvoir des sandinistes.
« Remarquant qu’il ne sera pas contrarié si Montealegre remporte les élections parce qu’il sait que Montealegre fera également avancer la nation, Lewites a fait valoir que les deux ont besoin l’un de l’autre », a écrit l’ambassade des États-Unis après sa rencontre de février 2006. « Il pense qu’à eux deux, ils peuvent obtenir les 56 sièges de l’Assemblée nationale requis aux réformes constitutionnelles indispensables. Lewites espère signer une sorte d’engagement préélectoral avec Montealegre, acceptant de travailler ensemble si l’un des deux remporte la présidence. »
L’appel de Lewites à un pacte avec Montealegre était hautement hypocrite, car le MRS n’avait cessé de critiquer — et de capitaliser sur — un accord à court terme que le Front sandiniste d’Ortega avait conclu avec l’ancien président libéral Arnoldo Aléman, connu comme le « pacto » (le « pacte »), afin de réécrire la loi électorale pour permettre aux candidats à la présidence de gagner au premier tour s’ils avaient plus de 35 % des voix.
Mais ce n’était que le premier exemple d’une longue série d’alliances ouvertes entre le parti du MRS et Montealegre, l’un des oligarques de droite les plus tristement célèbres du Nicaragua.
Lewites est mort subitement d’une crise cardiaque en juillet 2006. Son candidat à la vice-présidence, Edmundo Jarquín, est devenu le nouveau candidat présidentiel du MRS lors des élections de novembre, mais il n’a finalement obtenu que 6 % des voix.
À partir de ce moment-là, le MRS a continué à vaciller de plus en plus vers la droite. Et les dirigeants du parti collaborent de plus en plus étroitement avec les États-Unis.
Un câble du département d’État de septembre 2006, intitulé « MRS : “Nous voulons faire tomber Ortega” », est l’un des exemples les plus clairs du soutien du gouvernement des États-Unis au parti du Mouvement de rénovation sandiniste.
Le document révèle qu’après la mort de Herty Lewites, son neveu Israel Lewites, le porte-parole du parti MRS, a rencontré le polcouns (political counselor / conseiller politique) de l’ambassade et a réitéré sa demande de soutien de Washington.
« Le MRS est la seule option viable pour les élections de 2006 », a insisté Israel Lewites. Désespérant de conserver le soutien des États-Unis, « Lewites a mis l’accent sur le fait que le MRS ne reviendrait jamais à un FSLN contrôlé par Ortega ».
De son côté, le « Polcouns de l’ambassade a réitéré la position de l’USG [le gouvernement des États-Unis] selon laquelle le MRS est une option viable et constructive, avec laquelle les États-Unis maintiendront de bonnes relations ».
Israel Lewites « a tenu à mentionner à poloffs [le responsable politique] qu’il avait étudié aux États-Unis (à l’Université du Texas à Arlington), qu’il croyait au “rêve américain” et qu’il soutenait le capitalisme responsable — puisque cela lui profitait si clairement », écrit joyeusement l’ambassade.
Le porte-parole du MRS a toutefois reconnu que le candidat présidentiel du parti, Jarquín, avait du mal à s’imposer. (Le câble notait, par exemple, que « Jarquin a exprimé son soutien à la légalisation des avortements volontaires, une procédure à laquelle s’oppose une grande majorité de Nicaraguayens ».)
Mais Washington voyait toujours clairement le MRS comme étant utile dans sa croisade contre Ortega : « Bien que les sondages actuels montrent Jarquin en troisième position, si le MRS peut détourner des voix du FSLN et recueillir une partie du vote indécis, il reste une option viable — et pourrait être la clé pour empêcher une victoire d’Ortega », espérait l’ambassade.
Le document révèle également que l’International Republican Institute (IRI) du gouvernement des États-Unis, un organisme apparenté à la National Endowment for Democracy, une filiale de la CIA, a formé environ 30 % des observateurs du parti MRS pour les élections de 2006. (L’IRI a été utilisé pour financer des coups d’État et des opérations de changement de régime en Amérique latine et dans le monde, en ciblant des dirigeants élus de gauche comme le président haïtien Jean-Bertrand Aristide.)
Le département d’État a manifestement considéré que ce câble sur le MRS était très précieux, car il l’a transmis à la CIA, à la DIA, au Conseil de sécurité nationale, au secrétaire d’État et à l’ambassade des États-Unis au Venezuela.
Mais ce n’est qu’un câble parmi une douzaine d’autres qui montrent comment les États-Unis ont travaillé avec les dirigeants du parti du MRS du Nicaragua pour déstabiliser le gouvernement sandiniste du président Ortega.
En novembre 2006, Dora María Téllez a également rencontré des diplomates des États-Unis. C’était la veille des élections, et elle s’inquiétait de voir le Front sandiniste revenir au pouvoir.
Un câble confidentiel du département d’État, intitulé « Dora María Téllez s’inquiète de la fraude et d’un éventuel gouvernement FSLN », révèle que l’ancienne révolutionnaire conspirait avec l’ambassade des États-Unis au Nicaragua pour tenter d’empêcher le Front sandiniste de revenir au pouvoir lors des élections de ce mois-là.
À l’époque, Téllez était présidente du Mouvement de rénovation sandiniste et candidate pour être députée à l’Assemblée nationale.
Lors de son rendez-vous avec les « Polcouns et Poloff » de l’ambassade des États-Unis — respectivement conseiller politique et responsable politique — Téllez a été rejoint par Israel Lewites, le porte-parole du MRS.
« Tellez a souvent critiqué les politiques étatsuniennes, mais a montré une ouverture évidente à discuter des problèmes avec les emboffs et à poursuivre de futures rencontres », a écrit le département d’État après la rencontre, en utilisant une abréviation pour « agents d’ambassade ».
Il a ajouté que Téllez « a dit aux emboffs qu’elle serait intéressée à encourager le dialogue entre les membres du MRS et les États-Unis ».
« Tellez, qui dit avoir un cousin aux États-Unis et un neveu qui combat en Irak, a déclaré qu’elle n’avait pas de problème avec les États-Unis, mais qu’elle pensait que les Nicaraguayens manipulaient souvent les Américains pour qu’ils fassent “leur sale boulot” », mentionne le cable.
Au cours de la réunion, Téllez a fourni à l’ambassade des États-Unis des renseignements sur le fonctionnement interne des partis politiques nicaraguayens et a accusé le Front sandiniste de projeter de remporter les élections par le biais d’une supposée « fraude ».
Ce câble du département d’État a été classifié par l’ambassadeur de l’administration de George W. Bush au Nicaragua, Paul A. Trivelli, qui a contribué à diriger une opération d’ingérence à grande échelle dans le but de faire basculer les élections de 2006 contre Daniel Ortega.
Trivelli a menacé de déstabiliser le Nicaragua en cas de victoire d’Ortega. L’ambassade des États-Unis a utilisé des centaines de millions de dollars de l’USAID comme levier pour essentiellement soudoyer les gens afin qu’ils votent contre le FSLN, tout en exerçant une forte pression sur les partis anti-sandinistes pour qu’ils s’unissent contre Ortega.
Malgré la campagne d’intervention des États-Unis, Ortega et le Front sandiniste ont remporté les élections de 2006, tandis que le candidat présidentiel du MRS de Téllez, Edmundo Jarquín, a obtenu à peine 6 % des voix. (Lors des élections suivantes, la base de soutien du MRS s’est encore réduite davantage.)
Après la victoire d’Ortega, les documents publiés par WikiLeaks montrent comment Téllez a poursuivi son rôle d’informateur pour Washington, lui fournissant des informations sensibles dans le but de déstabiliser le nouveau gouvernement sandiniste.
Un autre câble du département d’État classifié par l’ambassadeur Trivelli en janvier 2007 montre que Téllez et les dirigeants du MRS ont rencontré l’ambassade pour un « cocktail » qui était « détendu et cordial ».
Intitulé « Le MRS perd son statut de caucus, mais reste le groupe d’opposition qui se fait le plus entendre », le document révèle que Téllez a été rejointe lors de la réunion avec les emboffs (embassy officers / agents de l’ambassade) étatsuniens par le candidat malheureux du MRS à la présidence, Jarquín, le membre de l’Assemblée nationale Enrique Saenz et le cofondateur du parti Luis Carrion.
Il est intéressant de noter que l’ambassade des États-Unis a choisi de rencontrer ces dirigeants du MRS lors d’un cocktail, soulignant ainsi leur appartenance commune à l’élite.
Carrion est le fils d’un riche banquier issu d’une famille puissante, et Saenz a longtemps évolué dans le secteur des ONG étrangères, travaillant pour l’Union européenne et les Nations unies.
Jarquín est marié à l’oligarque ultra-riche Claudia Chamorro Barrios (une fille de la présidente de droite Violeta Barrios de Chamorro, soutenue par les États-Unis). Il a travaillé pendant plus de dix ans à la Banque interaméricaine de développement (BID) néolibérale à Washington, DC, après la perte du pouvoir par les sandinistes en 1990.
L’origine élitiste de ces dirigeants du MRS reflétait clairement la base du parti, qui, à l’époque et encore aujourd’hui, était composée de Nicaraguayens de la classe moyenne supérieure et de la classe supérieure, très instruits, parlant couramment l’anglais, ayant la possibilité de voyager et d’occuper des emplois lucratifs (payés en dollars) dans le complexe industriel à but non lucratif, le monde universitaire et les médias.
Le Front sandiniste, en revanche, est toujours resté fermement associé aux Nicaraguayens pauvres et de la classe ouvrière, avec sa base dans les barrios (quartiers) déshérités où les résidents n’avaient même pas de routes pavées à l’époque néolibérale 1990-2007, et dans les zones rurales où les gens n’avaient ni électricité ni eau potable.
En fait, l’opposition anti-sandiniste est connue pour se moquer des partisans du FSLN avec des tropes classistes, prétendant que les militants de la Jeunesse sandiniste sont sans éducation et les rabaissant parce qu’ils ne sont pas capables de prononcer correctement les mots en anglais.
Lors d’un cocktail amical avec l’ambassade des États-Unis en 2007, les dirigeants du MRS ont fourni aux diplomates étrangers des informations sensibles sur les rouages de la politique nicaraguayenne.
Le document WikiLeaks montre que Téllez a fourni à Washington des renseignements sur le commissaire et le chef de la police du pays.
Pourtant, ces deux réunions n’ont pas été les seules occasions où des représentants du parti du MRS du Nicaragua ont rencontré et conspiré avec le gouvernement des États-Unis. La relation confortable s’est poursuivie bien au-delà.
Un câble du gouvernement des États-Unis datant d’avril 2007, intitulé « Le MRS se concentre sur le programme législatif, les élections municipales », révèle que les députés du parti à l’Assemblée nationale, Enrique Saenz et Hugo Torres, ainsi que le suppléant de Torres, Victor Hugo Tinoco, avaient rencontré en mars le responsable politique de l’ambassade, ainsi que des analystes du Bureau of Intelligence and Research (INR), l’agence de renseignement du département d’État des États-Unis.
Les dirigeants du MRS ont donné aux diplomates étrangers des informations sur le gouvernement sandiniste nouvellement élu et sur les plans du MRS pour le miner, qu’ils considéraient comme un « projet autoritaire ».
Torres a fourni aux représentants du gouvernement des États-Unis des renseignements sur l’armée nicaraguayenne, qu’il espérait pouvoir utiliser pour saper le président élu.
« Torres a déclaré qu’il avait de l’espoir pour l’avenir de l’armée », écrit l’ambassade. « Omar Halleslevens, chef de l’armée nicaraguayenne, et Torres étaient camarades de classe et Torres le respecte. Il croit qu’Halleslevens sera capable de tenir tête à Ortega. »
Saenz, l’autre législateur du MRS, a rassuré l’ambassade « que les Nicaraguayens reconnaissent l’importance de la relation avec les États-Unis. »
La collaboration de Torres avec le gouvernement des États-Unis s’est poursuivie pendant des années. Un autre câble du département d’État datant de juillet 2008 montre que Torres fournit à Washington une analyse détaillée du fonctionnement interne du gouvernement sandiniste.
En juin 2021, Torres et Tinoco ont été arrêtés pour avoir conspiré avec des puissances étrangères et avoir reçu des fonds de celles-ci pour déstabiliser le gouvernement, en violation de la loi 1055 sur la souveraineté.
Alors que Washington a affirmé que les accusations étaient sans fondement et politiquement motivées, ses propres câbles classifiés du département d’État, publiés par WikiLeaks, racontent une histoire totalement différente.
La collaboration de Washington avec les dirigeants du MRS remonte jusqu’au président fondateur du parti, Sergio Ramírez Mercado, qui a en fait servi d’informateur du gouvernement des États-Unis pendant des décennies.
Ramírez avait été un membre de l’élite de l’intelligentsia nicaraguayenne sous la dictature d’Anastasio Somoza appuyée par les États-Unis. Bien qu’il n’ait joué aucun rôle dans la lutte armée, il a soutenu la révolution sandiniste et, en guise de symbole de conciliation, a été choisi comme vice-président d’Ortega de 1985 jusqu’à la perte du pouvoir par les sandinistes en 1990.
Comme de nombreux autres Nicaraguayens fortunés qui avaient rejoint le Front sandiniste par opportunisme, Ramírez a pris un virage à droite dans les années 1990. Lui et Dora María Téllez, entre autres, ont créé le MRS, une faction de droite qui s’est séparée du FSLN en 1995.
Ramírez a dirigé le parti jusqu’à ce que Téllez prenne la relève, de 1998 à 2007. Il a été le premier candidat du MRS à l’élection présidentielle de 1996, mais n’a obtenu qu’environ 1 % des voix.
Bien qu’il n’ait été à la tête du MRS que pendant trois ans, le parti était si étroitement associé à Ramírez — et sa suffisance était si notoire — que les Nicaraguayens plaisantent en disant qu’il lui a donné son nom : MRS est l’inversion de ses initiales, SRM.
Pratiquement aucun Nicaraguayen moyen de la classe ouvrière ne soutenait Ramírez et son MRS. Cependant, il avait l’oreille du gouvernement des États-Unis — et les documents internes publiés par WikiLeaks montrent qu’il a servi d’informateur pour le compte du gouvernement des États-Unis depuis au moins 1978.
En janvier 2007, quelques jours à peine après le retour au pouvoir du président Ortega, Ramírez a rencontré l’ambassadeur des États-Unis, Trivelli, pour un tête-à-tête amical.
Un câble classifié du département d’État intitulé « L’ex-VP sandiniste Sergio Ramirez : Les actions récentes d’Ortega ne sont pas de bon augure pour le Nicaragua » montre que Ramírez a fourni à l’ambassadeur des États-Unis de précieux renseignements sur les choix du cabinet d’Ortega et sur les relations avec l’armée et la police du président nouvellement élu.
« Ramirez a fait l’éloge de l’approche de l’USG [le gouvernement des États-Unis] à l’égard du président Ortega », indiquait le document avec satisfaction.
Le rendez-vous du leader du MRS avec l’ambassadeur avait aussi apparemment pour but de générer une pression financière accrue de Washington sur Managua. Le rapport raconte que « Ramirez a noté le rôle important des donateurs internationaux, qui doivent demander des comptes à Ortega ». Il a souligné l’influence que l’aide économique de l’Union européenne au Nicaragua avait acquise au cours de la période néolibérale, et a déclaré que « l’UE et un certain nombre de pays membres devraient associer leur aide à » des revendications politiques.
Au cours de cette réunion, Ramírez a affiché ses couleurs de droite, attaquant le gouvernement démocratiquement élu du président vénézuélien Hugo Chávez et affirmant qu’il était un marionnettiste secret qui « mène la barque » au Nicaragua.
Dans la même veine, Ramírez a diabolisé la Chine, l’Iran et Cuba, montrant ainsi clairement qu’il était fermement du côté des États-Unis.
Le câble de l’ambassade ajoutait avec plaisir qu’avant les élections de 2006, Ramírez avait publiquement appelé les Nicaraguayens à voter pour le candidat néolibéral Eduardo Montealegre, le banquier multimillionnaire corrompu de droite. Ce n’était qu’un épisode de la longue relation entre le MRS et Montealegre.
En mai 2007, l’ambassadeur des États-Unis au Nicaragua a organisé un dîner visant à unifier l’opposition, dans le but de battre le Front sandiniste aux élections municipales de 2008. Trivelli a invité, entre autres, le banquier Montealegre, l’ancien candidat à la présidence du MRS, Edmundo Jarquín, et Sergio Ramírez.
Un câble anciennement classifié révèle les plans de Washington pour élaborer « La recette du succès de l’opposition : Une alliance Montealegre-Jarquin-Rizo ». Le document montre que, lors du « dîner organisé par l’ambassadeur le 3 mai, Montealegre et Jarquin ont discuté de l’unité de l’opposition avec cinq éminents analystes politiques nicaraguayens et des fonctionnaires de l’ambassade ».
Ramírez était l’un de ces cinq experts influents. Il a dîné aux côtés du PolCouns (conseiller politique) et du chef de mission adjoint (deputy chief of mission / DCM) de l’ambassade des États-Unis, ainsi que de personnalités des mouvements conservateur et libéral du Nicaragua.
Ensemble, les leaders de l’opposition anti-sandiniste ont conspiré de manière flagrante avec le gouvernement des États-Unis, complotant des moyens d’affaiblir et de renverser au bout du compte l’administration démocratiquement élue du président Ortega.
Lors du dîner, Jarquín, vétéran du MRS, s’est plaint aux diplomates étatsuniens qu’Ortega avait « une aversion viscérale pour les économies de marché et [une] aversion profondément ancrée pour les États-Unis ».
Un autre document de WikiLeaks datant de 2008 évoque un voyage que le directeur du bureau du département d’État des États-Unis pour les affaires d’Amérique centrale, John Feeley, a effectué au Nicaragua en mars de cette année-là. Feeley a rencontré Ramírez, qui a déclaré « soutenir la politique d’engagement général de l’USG [le gouvernement des États-Unis] au Nicaragua ». (Le câble déplore également que « les partenaires de l’USAID en matière de démocratie ont averti qu’une société civile divisée et affaiblie est incapable de monter une opposition organisée face à Ortega ».)
Ces rencontres en 2007 et 2008 étaient loin d’être la première fois où Sergio Ramírez servait d’informateur du gouvernement des États-Unis. En octobre 1978, à la veille de la révolution sandiniste, il fournissait déjà des informations privilégiées à Washington.
Un câble du département d’État de cette année-là montre que Ramírez avait rencontré l’ambassade des États-Unis et lui avait fourni des renseignements sur l’opposition anti-Somoza.
Ramírez était « ouvert et amical », se souvient l’ambassade qui soulignait qu’il était plus que disposé à faire des compromis avec « des éléments plus modérés. »
« Nous prévoyons de poursuivre nos contacts directs avec Ramirez », indique le câble.
Le rôle de Ramírez en tant qu’informateur du gouvernement des États-Unis s’est effectivement poursuivi à partir de là. En août 1979, un mois seulement après le triomphe de la révolution sandiniste, Ramírez retrouve l’ambassadeur des États-Unis, Lawrence Pezzullo, et lui fournit des renseignements sur le nouveau gouvernement révolutionnaire du Nicaragua, en mettant l’accent sur les débats internes de politique étrangère et la stratégie d’éducation.
En novembre de la même année, le prétendu révolutionnaire a rencontré le personnel de l’ambassade et Dante Fascell, membre du Congrès de Floride. Ramírez a rassuré Washington sur le fait que le gouvernement sandiniste ne menacerait pas le secteur privé, et a appelé à la relance des exportations vers les États-Unis.
Ramírez était également plus qu’heureux de renier le mouvement de Fidel Castro, insistant sur le fait que « le Nicaragua n’a pas l’intention de devenir un nouveau Cuba, et est, en effet, un peu irrité par cette fausse accusation », a rappelé l’ambassade.
Ces documents montrent clairement que Ramírez — le président fondateur du parti MRS — n’a jamais été véritablement attaché à l’idéologie socialiste et anti-impérialiste du Front sandiniste. Au lieu de cela, il a rejoint de manière opportuniste le mouvement lorsqu’il était en plein essor ; et quand celui-ci a perdu le pouvoir, Ramírez l’a rapidement abandonné.
En septembre 2021, le Nicaragua a ordonné l’arrestation de Ramírez, l’accusant de conspirer avec des gouvernements étrangers pour déstabiliser le pays. Le gouvernement des États-Unis, reconnaissant pour les renseignements qu’il lui avait fournis pendant si longtemps, a immédiatement manifesté son soutien à Ramírez, tout comme l’Espagne, l’ancien colonisateur du Nicaragua.
Ramírez n’a subi aucune conséquence pour ses décennies de collaboration avec l’ambassade des États-Unis, étant donné qu’il vit au Costa Rica, un atout majeur des États-Unis dans la guerre hybride contre le Nicaragua. Mais l’auteur fortuné nicaraguayen a profité des accusations portées contre lui pour devenir une figure régulière des médias occidentaux, apparaissant fréquemment sur des chaînes allant de CNN à la BBC pour diaboliser le gouvernement sandiniste du Nicaragua.
Bien que le Mouvement de rénovation sandiniste n’ait jamais réussi à obtenir plus de quelques pour cent des voix aux élections nationales, il exerce une influence considérable sur le secteur non lucratif, les universités et les médias, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Nicaragua.
Cela s’explique en grande partie par le fait que les dirigeants du MRS sont pour la plupart issus de milieux riches et privilégiés et que, s’ils ne peuvent pas entrer en contact avec les Nicaraguayens pauvres et de la classe ouvrière, ils sont plus à l’aise pour côtoyer les politiciens, les décideurs des groupes de réflexion (think tanks) et les experts des médias dans les pays du Nord (le Nord global).
De nombreux leaders du MRS dirigent des ONG et des médias financés par le gouvernement des États-Unis, via la National Endowment for Democracy (NED) et/ou l’USAID.
Une étude de cas de ces leaders du MRS qui sont formés par des institutions occidentales d’élite et transformés en fidèles fantassins néolibéraux est celle d’Ana Margarita Vijil Gurdian, qui a été présidente du MRS de 2012 à 2017.
Vijil, qui est la compagne de Dora María Téllez depuis longtemps, a mené une vie de luxe dans la jet-set, alors que la grande majorité des Nicaraguayens gagnent très peu d’argent et ne pourraient jamais se permettre de sortir du pays en avion.
Après avoir obtenu son diplôme de l’université privée la plus prestigieuse du Nicaragua, l’Universidad Centroamericana (UCA), Vijil s’est installée aux Pays-Bas, où elle a travaillé à La Haye, au sein de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), notoirement corrompue, dont de nombreux lanceurs d’alerte ont révélé qu’elle était essentiellement un outil utilisé par les gouvernements occidentaux pour attaquer des pays indépendants comme la Syrie.
Vijil a ensuite obtenu une bourse Fulbright du département d’État des États-Unis, qu’elle a utilisée pour obtenir une maîtrise en sciences politiques en Arizona.
Après avoir terminé, aux États-Unis, ses études financées par le gouvernement de Washington, Vijil est retournée au Nicaragua pour tenter d’entrer en politique en tant que militante antisandiniste convaincue. Elle a rapidement gravi les échelons pour devenir présidente du MRS — le poste autrefois occupé par son mentor et partenaire de vie Téllez.
En sa qualité de présidente du MRS, en 2016, Vigil est retournée aux États-Unis pour faire pression en faveur du soutien de Washington au changement de régime au Nicaragua. Là, Vigil a rencontré la députée néoconservatrice de Floride, Ileana Ros-Lehtinen, l’ancienne représentante des éléments de la droite dure anti-Cuba et anti-Venezuela à Miami.
Se joignant à Vigil lors de la réunion avec Ros-Lehtinen (debout à sa droite sur la photo), se trouvait la militante nicaraguayenne de droite Violeta Granera, conservatrice invétérée et ancienne fonctionnaire de la Banque mondiale, issue d’une famille puissante qui a fortement soutenu la dictature d’Anastasio Somoza.
Granera est une fervente partisane du chef de la droite dure de l’Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro, qui a supervisé, contre le gouvernement socialiste démocratiquement élu de Bolivie, le coup d’État militaire de 2019 dirigé par des extrémistes fascistes.
En juin 2021, le gouvernement nicaraguayen a placé en détention Téllez, Vigil et Granera, tous accusés de conspirer avec des gouvernements étrangers pour déstabiliser le pays.
Alors que les arrestations des dirigeants du MRS et d’autres éminents putschistes ont été condamnées avec véhémence par les gouvernements occidentaux et les grands médias étrangers, de nombreux Nicaraguayens qui ont survécu à la tentative de putsch sanglante de 2018 que ces dirigeants de l’opposition ont orchestrée ont en fait été soulagés.
Les membres des familles et les amis des victimes du coup d’État, dont les proches ont été pris pour cible, torturés, voire tués par les tranquistas soutenus par les États-Unis, ont tenu les détenus pour responsables.
Un agent de sécurité de la mairie de la ville du Masaya, Reynaldo Urbina Cuadra, a été enlevé et brutalement torturé par des extrémistes antisandinistes lors de la tentative de coup d’État de 2018 parrainée par les États-Unis. Il a été si gravement blessé qu’il a failli mourir, et a perdu son bras gauche.
Urbina a déposé une plainte officielle auprès de l’État, accusant le commentateur médiatique fanatique de droite Miguel Mora, de l’organe 100 % Noticias financé par le gouvernement des États-Unis, de porter la responsabilité de l’incitation à la violence contre lui et ses collègues au bureau du maire.
Mora a été placé en détention par le gouvernement nicaraguayen en juin 2021, un geste largement fustigé par les capitales occidentales.
Dans une interview accordée à The Grayzone, Urbina a félicité le gouvernement nicaraguayen pour l’arrestation de Mora. « C’est le début de la justice », a-t-il déclaré. « Mais rien ne peut ramener ce que ces terroristes m’ont pris. »
On a souvent entendu répéter, dans les communautés de la classe ouvrière du Nicaragua, les commentaires d’Urbina sur l’arrestation en 2021 par le gouvernement sandiniste d’environ deux douzaines de leaders de l’opposition, tous profondément impliqués dans la violente tentative de coup d’État.
Alors que les gouvernements des pays du Nord et les médias traditionnels ont exploité les arrestations pour dépeindre le président Ortega comme autoritaire, les détentions ont été très populaires dans les barrios déshérités et modestes, où les Nicaraguayens qui ont survécu à la terreur des tranques considèrent les leaders de l’opposition comme des criminels qui ont fomenté un coup d’État et qui auraient dû être derrière les barreaux bien avant 2021.
Le rôle clé du MRS dans la tentative de coup d’État sanglante de 2018 au Nicaragua a rendu l’alliance évidente du parti avec la droite nicaraguayenne complètement indéniable.
Mais si le MRS se présentait auparavant comme un parti social-démocrate de centre gauche, ses racines historiques ont toujours été dans la droite politique.
Les détracteurs, autoproclamés « de gauche », du Front sandiniste et du président Ortega — dont beaucoup vivent hors du Nicaragua et n’ont pas suivi de près sa politique interne depuis le début de l’ère néolibérale en 1990 — font souvent référence au passé révolutionnaire de certains anciens dirigeants du MRS pour tenter de dépeindre ce parti comme le véritable porte-flambeau du sandinisme.
Mais ce passé révolutionnaire a été directement contredit par des décennies d’activités ouvertement de droite.
À première vue, l’histoire de Dora María Téllez en particulier semble convaincante. En août 1978, alors qu’elle n’avait que 22 ans, Téllez a été le troisième commandant d’une opération majeure au cours de laquelle le Front sandiniste a pris le Palais national dans la capitale, Managua, ce qui lui a valu le nom de guerre de « Comandante Dos » (commandant Deux).
Mais la façon dont Téllez est passé du statut de jeune révolutionnaire à celui d’informatrice de l’ambassade des États-Unis alliée à la droite putschiste est un processus qui reflète les contradictions politiques présentes dans la révolution sandiniste depuis ses débuts.
En juillet 1979, après des années de lutte, les révolutionnaires sandinistes ont renversé la dictature du général Anastasio Somoza, soutenue par les États-Unis, dont la dynastie familiale avait dirigé le pays pendant des décennies.
Mais d’une certaine manière, il était plus facile de renverser Somoza que de gouverner. Lorsque le pays était dirigé d’une main de fer, il était facile d’unir les forces d’opposition contre Somoza, issues d’un large éventail d’intérêts de classe.
La révolution sandiniste a bénéficié d’un large soutien de plusieurs classes, et pas seulement des Nicaraguayens pauvres et ouvriers. D’importantes sections de la classe moyenne et même une partie de la classe supérieure avaient perdu confiance dans la dictature de Somoza.
Somoza avait mené des politiques économiques rétrogrades qui servaient les intérêts de classe des élites fortunées, mais son régime était de plus en plus décadent, corrompu et incompétent, et pensait que la solution à tous les problèmes était davantage de violence et de répression. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’une explosion sociale ne se produise.
La plupart des fondateurs et des dirigeants du MRS étaient issus de la confortable classe moyenne supérieure des Nicaraguayens qui s’opposaient à Somoza et soutenaient au départ la révolution.
Beaucoup étaient également très jeunes. Téllez était étudiante en médecine lorsqu’elle a rejoint le Front sandiniste en tant qu’activiste, et, au moment de la victoire de la révolution, elle n’avait que 23 ans.
Téllez a travaillé avec le Front sandiniste pendant seulement 15 ans, avant de devenir l’une de ses plus farouches opposantes, passant les 27 dernières années à s’organiser contre lui. Son temps en tant que militante sandiniste est donc largement dépassé par son temps en tant qu’informatrice de l’ambassade des États-Unis et alliée de la droite nicaraguayenne.
Renverser un dictateur impopulaire n’est pas aussi difficile que de gouverner un pays attaqué par la puissance hégémonique du monde. Et des contradictions politiques internes sont rapidement apparues dans les années 1980.
L’oligarque de droite Violeta Barrios de Chamorro, qui représentait les éléments de la classe supérieure qui s’étaient opposés à Somoza, s’est rapidement retourné contre la révolution sandiniste au début de l’année 1980.
Le gouvernement des États-Unis a alors lancé une guerre terroriste contre le Nicaragua, la CIA versant des millions de dollars pour armer et entraîner des escadrons de la mort d’extrême droite, connus sous le nom de Contras, qui ont massacré des civils, assassiné des dirigeants sandinistes, des juges, des policiers et des fonctionnaires, et brûlé des hôpitaux, des écoles et des bâtiments publics.
Washington a également imposé un blocus dévastateur — et internationalement illégal — qui a paralysé l’économie de la nation appauvrie d’Amérique centrale. L’objectif des États-Unis était de terroriser la population nicaraguayenne pour la soumettre, de renverser les sandinistes et d’installer un régime néolibéral docile.
Face à cet assaut incessant de l’empire le plus puissant de la planète, le gouvernement sandiniste du Nicaragua a perdu l’appui de la classe moyenne qui avait autrefois soutenu le soulèvement contre Somoza.
Washington a recruté les élites nicaraguayennes aisées et la classe moyenne désenchantée, et a finalement réussi à briser les sandinistes. Le FSLN remporte une victoire écrasante aux élections de 1984, mais à la fin de la décennie, de nombreux Nicaraguayens sont épuisés par la guerre menée par les États-Unis et la dépression économique.
En 1990, les sandinistes ont perdu les élections au profit de Violeta Chamorro, oligarque de droite issue de l’une des familles les plus puissantes du Nicaragua, dont la campagne présidentielle avait été créée, conseillée et financée à coups de millions de dollars par le gouvernement des États-Unis.
Ainsi, le Front sandiniste est passé du statut de parti de gouvernement à celui d’opposition politique. Et des fissures ont rapidement commencé à apparaître.
Dans les années 1990, les révolutionnaires ont assisté au renversement des mouvements de gauche dans le monde entier, avec des coups d’État dans l’ancienne Union soviétique et les « révolutions de couleur » néolibérales soutenues par les États-Unis dans ses anciennes républiques.
Compte tenu du contexte national et international de contre-révolution, le Front sandiniste était en proie à une série de graves débats internes.
Deux factions principales ont émergé au sein du FSLN : d’un côté, la faction de gauche fidèle à la révolution, appelée principistas, qui était davantage composée de militants de la classe ouvrière proches des syndicats, qui cherchaient une approche conflictuelle contre le gouvernement néolibéral du président Chamorro soutenu par les États-Unis et qui restaient attachés au socialisme et à l’anti-impérialisme, malgré la fin de la guerre froide. Les principistas étaient dirigés par Daniel Ortega.
De l’autre côté se trouvait la faction de droite, les renovadores. Ils recherchaient le dialogue avec les autres partis politiques néolibéraux et une stratégie plus conciliante avec Chamorro, et voulaient faire du Front sandiniste un parti social-démocrate modéré, sur le modèle du centre gauche européen.
Les renovadores étaient dirigés par Sergio Ramírez, avec d’autres membres de premier plan comme Dora María Téllez et Luis Carrión Cruz. Ils diabolisaient les principistas révolutionnaires dirigés par Ortega en les qualifiant de marxistes-léninistes « archaïques » et « obsolètes ».
Lors d’une réunion du « Congrès extraordinaire » en 1994, le FSLN a organisé un vote interne, et les renovadores ont été battus. Certains de leurs principaux partisans ont alors quitté le parti en signe de protestation, notamment le poète Ernesto Cardenal et l’écrivaine Gioconda Belli.
Ces membres de la faction de droite du front ont ensuite publié une lettre ouverte intitulée « Pour un sandinisme qui revient aux majorités » (« Por un Sandinismo que vuelva a las Mayorías »).
Cette lettre allait essentiellement devenir le document fondateur du MRS, et était signée par toutes les figures majeures de ce qui serait bientôt le nouveau parti, représentant un « Qui est qui » des leaders de l’opposition anti-sandiniste :
- Dora María Téllez
- Sergio Ramírez Mercado, un auteur fortuné
- Luis Carrión Cruz, un riche activiste issu d’une famille de banquiers oligarques
- Carlos Fernando Chamorro, magnat des médias issu de la dynastie la plus puissante du Nicaragua, qui dirige d’importants médias anti-sandinistes financés par le gouvernement des États-Unis
- Xavier Chamorro Cardenal, un autre oligarque des médias qui dirigeait le journal antisandiniste El Nuevo Diario
- Claudia Chamorro Barrios, un autre membre de la dynastie Chamorro
- Carlos Mejía Godoy, un musicien réputé
- Ernesto Cardenal, prêtre catholique et poète de renom
- Gioconda Belli, romancière issue d’une riche famille nicaraguayenne, qui a travaillé auparavant comme cadre chez Pepsi-Cola
- Oscar René Vargas, un universitaire qui a appelé à une invasion militaire par les États-Unis et à un coup d’État sanglant au Nicaragua
- Sofía Montenegro, une féministe libérale qui dirige des ONG financées par le gouvernement des États-Unis
Il convient de noter que presque toutes ces personnalités étaient issues de familles aisées, et que nombre d’entre elles avaient fait leurs études aux États-Unis et parlaient anglais.
Ils représentaient les factions de la classe supérieure, de la classe moyenne supérieure et de la bourgeoisie qui avaient soutenu le sandinisme dans les années 1980, et dont beaucoup avaient bénéficié de positions gouvernementales confortables en tant que ministres ou conseillers, mais qui se sont retournées contre le mouvement lorsqu’il a perdu le pouvoir dans les années 1990.
Ces élites nicaraguayennes avaient volontiers travaillé au sein du gouvernement lorsqu’elles avaient l’occasion de goûter au pouvoir, mais lorsque le FSLN est entré dans l’opposition et qu’elles ont dû faire le dur travail d’organisation avec la classe ouvrière, la plupart ont quitté le pays pour le Nord global, et elles ont rapidement dérivé vers la droite.
En 1995, d’autres figures de la faction renovadores ont démissionné du FSLN et ont officiellement formé un parti distinct : le Mouvement de rénovation sandiniste (Movimiento Renovador Sandinista / MRS).
À l’époque, il était évident que le MRS était une scission de l’aile droite du front. Cela se reflète clairement dans le document fondateur du parti, « Pour un sandinisme qui revient aux majorités ».
Dans la lettre ouverte, les dirigeants du MRS ont intentionnellement omis toute référence au socialisme ou à l’anti-impérialisme. Aucun de ces mots n’est mentionné. Au lieu de cela, le document exprime uniquement une opposition au « néolibéralisme ».
En outre, la lettre de fondation du MRS indique clairement que les dirigeants du nouveau parti souhaitent se réconcilier avec l’impérialisme des États-Unis, en déclarant explicitement : « Nos relations avec les États-Unis doivent être marquées par le respect mutuel. »
Pour comprendre les divisions idéologiques et l’histoire qui ont finalement conduit à la scission, The Grayzone a interviewé un dirigeant éminent du FSLN, Carlos Fonseca Terán, fils du fondateur du front et membre dirigeant de l’aile gauche révolutionnaire du parti.
Fonseca Terán a expliqué que les nombreux débats qui ont eu lieu au sein du Front sandiniste lorsque celui-ci est entré dans l’opposition dans les années 1990 se résumaient à quatre questions fondamentales :
- Le socialisme
- les renovadores, qui sont devenus le MRS, voulaient retirer le socialisme de la mission du FSLN
- les principistas, menés par Ortega, étaient attachés au socialisme
- La lutte populaire
- Les renovadores étaient opposés à toute forme de violence de la part de la classe ouvrière, y compris les paysans qui tentaient de défendre leurs terres contre les prises de contrôle violentes par les propriétaires terriens et les entreprises, ou les travailleurs qui menaient une lutte militante contre les entreprises
- les principistas ne veulent pas reprendre la lutte armée, mais soutiennent le droit des travailleurs nicaraguayens à se défendre
- L’anti-impérialisme
- Les renovadores voulaient abandonner l’anti-impérialisme et rechercher de bonnes relations avec les États-Unis
- les principistas sont fermement engagés dans l’anti-impérialisme avant tout
- Le caractère d’avant-garde
- Les renovadores considèrent que le modèle d’avant-garde est dépassé et veulent s’inspirer des partis sociaux-démocrates européens
- les principistas continuaient à considérer le FSLN comme le parti d’avant-garde qui dirigerait la classe ouvrière dans sa lutte contre le capitalisme et l’impérialisme
« Au fil du temps, le caractère droitier du MRS est devenu plus évident. On ne pouvait pas le nier », a réfléchi Fonseca Terán. « Mais dès le début, ils étaient de droite. »
« Ils ont toujours été réformistes », a-t-il ajouté. « Et ils ne se sont jamais souciés de l’anti-impérialisme. »
Fonseca Terán a déclaré que les critiques du MRS à l’égard des politiques économiques du gouvernement sandiniste sont particulièrement hypocrites, étant donné que le parti a montré à plusieurs reprises son soutien aux réformes néolibérales pendant de nombreuses années.
« La seule façon pour notre programme économique d’être plus à gauche serait de commencer à exproprier les propriétés », a argumenté Fonseca, faisant référence au gouvernement actuel dirigé par le FSLN.
La création du MRS en tant que rupture sociale-démocrate de droite avec le Front sandiniste reflète des scissions similaires qui se sont produites à l’époque au sein des partis socialistes révolutionnaires dans le monde.
Grâce à leur position d’élite et à leur connaissance de l’anglais, les dirigeants du MRS se sont rapidement infiltrés dans les médias, les ONG et les universités, prenant le contrôle de ces secteurs et les transformant en avant-postes anti-sandinistes. Ils ont également utilisé leurs amis à l’étranger pour tenter de retourner la gauche internationale contre le FSLN.
Pourtant, après sa scission du FSLN, le MRS a eu du mal à trouver un soutien populaire dans le pays. Lors de l’élection présidentielle de 1996, le candidat du parti, Sergio Ramírez, n’a obtenu que 1 % des voix (contre 38 % pour Ortega du FSLN).
Après avoir été complètement battu et humilié, le MRS a fait sa première et unique remise en question en décidant de former une brève alliance avec le Front sandiniste pour les élections de 2001. Mais lorsqu’il a perdu ce vote, le MRS s’est détourné du FSLN une fois pour toutes, et a entamé son long voyage vers la droite.
En 2006, le candidat présidentiel du MRS, Edmundo Jarquín, n’a obtenu que 6 % des voix, contre 38 % pour Ortega.
Cette année-là, l’alliance du MRS avec le célèbre oligarque nicaraguayen Eduardo Montealegre, du Parti libéral indépendant (PLI) de droite, a commencé.
Banquier multimillionnaire, Montealegre est tristement célèbre au Nicaragua pour sa corruption, étroitement liée à un énorme scandale de titres de créance.
« Le terme conservateur ne fonctionne plus au Nicaragua. Quiconque utilise ce mot perd son soutien. Alors tous les gens de droite se disent libéraux », explique Fonseca Terán dans son interview à The Grayzone. « Mais Montealegre n’est même pas un libéral ; c’est un conservateur, un allié du grand capital. »
Le câble du département d’État de 2006 relatant la réunion de l’ambassade des États-Unis avec Dora María Téllez notait qu’Edmundo Jarquín, alors candidat présidentiel du MRS, avait rencontré secrètement Montealegre en coulisses et avait « renouvelé leur accord préalable de ne pas s’attaquer mutuellement ». L’ambassade des États-Unis a noté que « les publicités du MRS critiquant Montealegre ont disparu ».
De son côté, Montealegre était également un informateur de l’ambassade des États-Unis. Un câble du département d’État de 2007 publié par WikiLeaks révèle qu’il a rencontré l’ambassadeur Trivelli de Washington en janvier de cette année-là pour lui fournir des informations sensibles.
Lorsque le MRS et le PLI de Montealegre ont perdu les élections de 2006 et que les sandinistes sont revenus au pouvoir, le MRS a commencé à collaborer ouvertement avec le banquier ploutocrate.
En 2008, Montealegre s’est présenté à la mairie de la capitale Managua, et le MRS a publiquement soutenu sa campagne de droite contre le candidat du FSLN Alexis Argüello, un boxeur nicaraguayen légendaire, qui a finalement remporté l’élection.
Téllez elle-même a appuyé Montealegre, tout en se pliant, de manière caractéristique, à un bretzel idéologique en affirmant qu’elle et son parti ne le soutenaient pas.
« Le MRS appelle à voter pour Eduardo Montealegre, bien que nous ne le soutenions pas sous la table », a insisté Téllez.
Pour justifier leur alliance indéniable avec la droite, Edmundo Jarquín, un autre dirigeant du MRS, a affirmé : « Ce n’est pas un conflit entre la droite et la gauche, mais entre la dictature et la démocratie. »
La dérive vers la droite est devenue une embardée à partir de là, et dans les années 2010, le MRS avait totalement abandonné son prétendu engagement à gauche pour devenir un parti de droite.
En 2015, le MRS a de nouveau signé un accord avec le Parti libéral indépendant (PLI) de droite, dans l’espoir de battre le FSLN aux élections de 2016 dans le cadre d’une éphémère Coalition nationale pour la démocratie (Coalición Nacional por la Democracia).
Lorsque le gouvernement nicaraguayen a approuvé les plans d’une entreprise chinoise pour la construction d’un canal interocéanique qui pourrait contester le monopole détenu par le canal de Panama dominé par les États-Unis, le MRS a aidé à organiser l’opposition au projet. Téllez et d’autres dirigeants du MRS ont exploité les arguments des écologistes libéraux pour faire avancer l’agenda géopolitique de Washington, qui a cherché désespérément, mais non sans succès, à empêcher la construction.
Un exemple flagrant du caractère droitier du MRS s’est produit en 2016, lorsque le parti a posté un mème sur sa page Facebook (où il n’a pratiquement pas d’adeptes) se réjouissant de la mort récente du leader révolutionnaire cubain Fidel Castro, ainsi que de la disparition en 2013 du président socialiste vénézuélien Hugo Chávez.
« L’heure arrive pour tous les porcs, le prochain est Daniel Ortega », écrit le MRS. « En enfer, il paiera tout ce qu’il doit au peuple. »
La présidente du MRS, Ana Margarita Vijil, la compagne de Téllez, a écrit une tribune en 2017, intitulée « Le MRS et l’entreprise privée », qui démontre la descente complète du parti dans le néolibéralisme.
Publiée dans le journal de droite La Prensa, financé par le gouvernement des États-Unis et appartenant à la dynastie oligarchique Chamorro, la rhétorique de Vigil dans l’article était totalement indissociable de celle d’un fonctionnaire de la Banque mondiale.
« Nous croyons au dialogue permanent et à l’alliance entre le secteur public et le secteur privé », écrit Vigil.
Accueillant les « grandes entreprises » au Nicaragua, tout en soutenant du bout des lèvres les « petites entreprises », Vigil a déclaré : « Nous accueillons les investissements étrangers », afin « d’injecter des flux de capitaux dans le pays ».
Lorsque la violente tentative de coup d’État soutenue par les États-Unis a démarré en 2018, le MRS a joué un rôle crucial. Le MRS a pris la tête de la direction de l’Unidad Nacional Azul y Blanco (Unité nationale bleue et blanche), une alliance d’opposition néolibérale qui a fortement soutenu le putsch, avec l’appui de Washington.
Mais lorsque le coup d’État a échoué, le MRS a été confronté à une crise et a décidé de se donner une nouvelle image.
Le MRS a autrefois prétendu de manière absurde être le véritable représentant du sandinisme, mais il a abandonné cette stratégie marketing cynique en 2020.
Cette année-là, le MRS a tenu un vote interne et a décidé de se rebaptiser Unión Democrática Renovadora (Union démocratique rénovatrice), ou UNAMOS en abrégé.
En changeant de nom, le MRS a fait tomber le masque du sandinisme une fois pour toutes. Dans une interview accordée à Nicaragua Investiga, un média de droite financé par le gouvernement des États-Unis, Dora María Téllez a admis que le MRS/UNAMOS, le parti qu’elle a contribué à fonder, était un énorme chapiteau sans véritable idéologie cohérente.
« Nous avons des gens qui viennent du libéralisme, du sandinisme, du conservatisme, des gens qui n’ont été dans aucun parti politique », a déclaré Téllez.
Alors que les partisans du MRS en dehors du Nicaragua ont passé des décennies à dépeindre le groupe comme une supposée alternative « de gauche » au Front sandiniste, Téllez et ses alliés ont admis qu’ils n’avaient aucune loyauté réelle envers le sandinisme, et ne prétendaient même plus être un parti de gauche.
Le MRS a longtemps utilisé des questions socialement libérales comme les droits des LGBT et le soutien à l’avortement pour attirer les gens de gauche vivant en dehors du Nicaragua, mais le parti n’a rien de socialiste.
En fait, pour les sponsors étrangers du MRS, la dérive vers la droite du groupe depuis des décennies était tout à fait prévisible. Les réformistes renovador centristes qui se sont séparés du FSLN en 1995 et ont formé le MRS n’ont jamais été très engagés idéologiquement au départ.
Un câble du gouvernement des États-Unis de 1978 publié par WikiLeaks montre comment l’ancien militant sandiniste Hugo Torres Jiménez, qui est ensuite devenu vice-président du MRS, n’a jamais adhéré à une idéologie de gauche cohérente.
Le document révèle également que le journaliste étatsunien Tad Szulc, qui était reporter pour le New York Times et le Washington Post, avait été un informateur du département d’État.
À la veille de la révolution, Szulc a rencontré les principaux dirigeants du Front sandiniste — le cofondateur Tómas Borge, Edén Pastora (Comandante Cero), Hugo Torres (Comandante Uno) et Dora María Téllez (Comandante Dos) — pour une longue interview. Szulc a ensuite raconté sa réunion dans les moindres détails au gouvernement des États-Unis, afin que celui-ci puisse utiliser ces renseignements pour saper le FSLN.
Szulc a déclaré à l’ambassade des États-Unis que Borge était « un marxiste idéologique militant » et qu’il était le plus engagé idéologiquement de tous les dirigeants. Il a noté que « Borge semblait avoir une idée plus claire de l’endroit où il allait et de la manière d’y parvenir que [les commandants] Zero [Pastora] ou Uno [Torres] ».
« Il y avait une nette scission entre les sauveteurs (menés par Zero [Pastora] et Uno [Torres]) et les secourus (menés par Borge) », a expliqué Szulc à l’ambassade des États-Unis. « Le groupe Borge serait intransigeant dans sa détermination à prendre le pouvoir au Nicaragua sans l’aide de la bourgeoisie, alors que Zero et Uno sont plus enclins à la flexibilité dans la tactique. »
Autrement dit, Torres faisait partie de la faction de droite moins idéologiquement socialiste et plus opportuniste avant même le triomphe de la révolution, et il était toujours prêt à pactiser avec les oligarques capitalistes du Nicaragua.
En revanche, Borge, l’un des premiers dirigeants du FSLN, qui est resté fidèle au parti et au président Ortega jusqu’à sa mort en 2012, a toujours été le plus engagé idéologiquement.
Lorsque Torres a été arrêté en juin 2021, sa détention a été citée par les critiques putatifs de « gauche » comme un signe qu’Ortega avait soi-disant trahi la révolution. Mais la réalité est que Torres et ses alliés du MRS ont toujours été prêts à faire des compromis avec les États-Unis et à former des alliances avec les élites oligarchiques conservatrices du Nicaragua.
La réalité est qu’il y a une longue histoire de « gauchistes » autoproclamés au Nicaragua s’alliant avec la droite et l’impérialisme des États-Unis contre le Front révolutionnaire sandiniste.
Lors des élections de 1990, remportées par l’oligarque dynastique Violeta Chamorro grâce à une campagne menée et financée par le gouvernement des États-Unis, la CIA l’a aidée à mettre en place une Union nationale de l’opposition (Unión Nacional Opositora / UNO) composée de plus d’une douzaine de petits partis politiques.
Deux des membres de cette alliance UNO anti-sandiniste créée par les États-Unis, travaillant aux côtés de partis de droite purs et durs, étaient le Parti communiste du Nicaragua et le Parti socialiste nicaraguayen.
Ces deux groupes étaient minuscules et fondamentalement sans intérêt, dirigés par d’obscurs universitaires et des intellectuels peu connus. Mais c’était un exemple précoce de la soi-disant « opposition de gauche » aux sandinistes qui formait des alliances avec Washington et les forces conservatrices et néolibérales les plus enragées du pays.
L’histoire du Nicaragua regorge d’exemples de soi-disant « gauchistes » qui ont sapé les sandinistes et se sont alliés avec le gouvernement des États-Unis et l’oligarchie de droite. Le MRS/UNAMOS et des dirigeants comme Dora María Téllez, Sergio Ramírez Mercado, Hugo Torres Jiménez et Victor Hugo Tinoco représentent peut-être les cas les plus connus, mais ils sont loin d’être les seuls.
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