Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Les tortures et les mauvais traitements infligés par Israël aux Palestiniens peuvent être comparés aux tactiques employées par les États-Unis pendant l’occupation de l’Irak ; un examen plus approfondi révèle leurs origines distinctes, enracinées dans l’entité sioniste.
Cinq jours seulement après le début de la guerre contre Gaza, des soldats et des colons israéliens ont arrêté trois Palestiniens dans le village de Wadi al-Seeq, en Cisjordanie occupée. Déshabillés jusqu’à leurs sous-vêtements, les prisonniers ont eu les yeux bandés, ont été sauvagement battus avec un tuyau de fer, ont été photographiés dans leur humiliation et ont subi l’indignité ultime de se faire uriner dessus.
L’une des victimes, Mohammad Matar, racontant son calvaire au journal israélien Haaretz, a comparé cette barbarie au tristement célèbre scandale d’Abou Ghraib en Irak. « C’est exactement ce qui s’est passé là-bas », a-t-il déclaré. « Abou Ghraib avec l’armée [israélienne]. »
Les humiliations sexuelles et les tortures infligées aux Palestiniens se sont poursuivies — et amplifiées — après l’invasion terrestre de Gaza par Israël, deux semaines plus tard. Rapidement, les soldats de Tsahal ont détenu et humilié de grands groupes d’hommes et de femmes palestiniens, les soumettant à des abus sexuels dans divers centres de détention.
Le 21 février, Khaled al-Shawish est devenu le neuvième Palestinien à mourir dans les prisons israéliennes depuis le 7 octobre, probablement sous la torture.
Les similitudes entre les actes de torture perpétrés contre les Palestiniens aujourd’hui et contre les Irakiens 20 ans plus tôt en Irak ne sont toutefois pas surprenantes. Israël et les techniques de torture mises au point par ses services de renseignement au cours des décennies d’occupation ont joué un rôle important, mais largement ignoré, dans le scandale de la prison d’Abou Ghraib en 2004, notamment en recourant à l’humiliation sexuelle et au viol.
Au lendemain chaotique de l’invasion illégale de l’Irak par les États-Unis en 2003, la générale de brigade Janis Karpinski, qui n’avait aucune expérience de la gestion des prisons, s’est retrouvée à la tête d’Abou Ghraib et d’autres centres de détention — 15 au total, dans le sud et le centre de l’Irak. Bien que la police militaire sous son commandement ne soit pas bien équipée pour les interrogatoires, le major général Geoffrey Miller, tristement célèbre pour son mandat au camp X-Ray de Guantanamo Bay, a plaidé en faveur de sa participation aux processus.
Karpinski a déclaré qu’après la visite de Miller, un grand nombre de contractants civils ont commencé à arriver à Abou Ghraib pour mener des interrogatoires. Ces civils ont ensuite donné des ordres aux policiers militaires réservistes et bas dans la hiérarchie, lesquels ont pratiqué les actes de torture représentés dans les images qui ont ensuite été divulguées au monde dans les médias.
Karpinski note en outre que les policiers militaires que l’on voit torturer et humilier des Irakiens ont été déployés à Abou Ghraib juste avant que les premières photographies ne soient prises. Cela signifie qu’ils ont commencé à torturer les prisonniers irakiens de manière sophistiquée dès leur arrivée à la prison :
« Ils ont remplacé l’unité de la garde nationale qui servait là parce qu’ils étaient déployés depuis un an. Les soldats ne décident pas un matin d’aller maltraiter des prisonniers […] Certaines photographies sont datées de la fin octobre ou du mois de novembre. Que s’est-il donc passé ? »
Parmi les contractants qui interrogeaient les prisonniers se trouvaient des employés de la société de sécurité privée CACI. L’un d’entre eux, Eric Fair, était en poste à la prison d’Abou Ghraib et dans la ville agitée de Fallujah en 2004. Il a déclaré que les interrogateurs en Irak apprenaient, au cours d’un exercice commun de formation, à utiliser un instrument de torture connu par les militaires israéliens sous le nom de « chaise palestinienne ».
En janvier de la même année, le président de CACI, Jack London, s’est rendu en Israël dans le cadre d’une délégation de haut niveau composée de membres du Congrès des États-Unis, de contractants du secteur de la défense et de lobbyistes pro-israéliens.
Au cours de ce séjour, lors d’un dîner de gala, le ministre israélien de la Défense de l’époque, Shaul Mofaz, a remis à London un prix pour ses « réalisations dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale ».
Le voyage comprenait une visite à Beit Horon, « le camp d’entraînement central pour les forces antiterroristes de la police israélienne et de la police des frontières », en Cisjordanie occupée.
La générale de brigade Karpinski a également noté la présence d’interrogateurs israéliens en Irak. Elle a expliqué que dans un centre de renseignement de Bagdad, « j’ai vu un individu que je n’avais jamais eu l’occasion de rencontrer auparavant, et je lui ai demandé ce qu’il faisait là-bas ». Il m’a répondu : « Eh bien, je fais une partie des interrogatoires ici. Je parle arabe, mais je ne suis pas arabe ; je viens d’Israël. »
En novembre, à peu près au moment où les premières photographies montrant des actes de torture à Abou Ghraib ont été prises, le lieutenant-général américain Ricardo Sanchez, commandant en chef en Irak, a signé un ordre visant à transférer le commandement de la prison, de Karpinski au colonel Thomas Pappas, commandant de la 205e brigade de renseignement militaire.
À l’époque, le renseignement militaire des États-Unis était placé sous le contrôle du sous-secrétaire à la Défense chargé du renseignement, Stephen Cambone. Le poste a été créé pour lui en mars 2003, au moment où l’invasion de l’Irak était en cours.
Le journaliste Jason Vest a rapporté pour The Nation que le poste de Cambone avait été conçu à l’origine par le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld comme une « mesure centralisatrice », un moyen de lui donner « un chien à botter » plutôt que « tout un chenil » d’agences de renseignement de la défense, civiles ou en uniforme.
Bien que Cambone n’ait aucune expérience dans le domaine du renseignement, Rumsfeld le considérait comme un protégé et un partisan loyal. Sous le patronage de Rumsfeld, Cambone a été promu à partir de son poste d’adjoint principal au sous-secrétaire Doug Feith, un autre architecte de la guerre en Irak.
Jason Vest a ajouté qu’un mémo du sous-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz, le supérieur immédiat de Cambone, indiquait que ce dernier avait le pouvoir de superviser et d’orienter les activités de renseignement dans toutes les organisations du département de la Défense des États-Unis.
En d’autres termes, Cambone contrôlait le renseignement militaire des États-Unis, qui contrôlait Abou Ghraib en novembre 2003, date à laquelle les premières photographies d’actes de torture ont été prises.
Comme Feith, Rumsfeld et Wolfowitz, Cambone était un néoconservateur pro-israélien qui a travaillé pour le Project for the New American Century (PNAC / Projet pour le nouveau siècle américain), un think tank (groupe de réflexion) étatsunien qui accueillait des néoconservateurs républicains en dehors du gouvernement, pendant la présidence de Clinton dans les années 1990.
En 1998, le PNAC s’est fait connaître en prônant une politique étrangère américaine plus ferme, incluant le renversement de Saddam Hussein, qui n’interviendrait qu’à la suite d’un « événement catastrophique et catalyseur, comme un nouveau Pearl Harbor ».
Un rapport publié en novembre 2003 dans le Los Angeles Times a décrit les relations étroites entre les services de renseignements militaires israéliens et étatsuniens sous la direction de Cambone.
Ce dernier est cité comme ayant dit : « Ceux qui sont confrontés à des problèmes similaires ont tendance à partager les informations du mieux qu’ils peuvent. » Un haut responsable de l’armée des États-Unis a également déclaré au journal :
« [Les Israéliens] ont assurément une grande expérience, d’un point de vue militaire, en matière de terrorisme intérieur, de terrorisme urbain, d’opérations militaires en milieu urbain, et il y a actuellement un grand partage de renseignements et de connaissances, ce qui est tout à fait logique […] Nous puisons assurément dans leur base de connaissances pour savoir ce qu’il faut faire dans ce genre de situation. »
La torture des Irakiens à Abou Ghraib a été révélée deux mois plus tard, en janvier 2004, après qu’un policier militaire de la prison, Joseph Darby, a transmis à la division des enquêtes criminelles (Criminal Investigations Division / CID) de l’armée un disque compact contenant des photos représentant des actes de torture.
Les tactiques utilisées pour torturer les détenus ont été résumées dans un courriel qui a circulé au sein du département de la Défense. Le message indique que 10 soldats ont été montrés impliqués dans des actes tels que :
« Faire poser des détenus masculins nus pendant que des gardiennes mettent en évidence leurs organes génitaux ; faire en sorte que des détenues de sexe féminin s’exposent aux gardiens ; faire en sorte que des détenus se livrent à des actes indécents les uns avec les autres ; et que des gardiens agressent physiquement des détenus en les battant et en les traînant avec des colliers étrangleurs. »
Ces tactiques ont été décrites plus en détail par le major général Antonio Taguba, chargé d’enquêter sur les événements survenus à Abou Ghraib.
En mai 2004, Taguba a été convoqué à une réunion avec Rumsfeld, Wolfowitz, Cambone et d’autres responsables du département de la Défense, qui ont tous avoué ignorer ce qui s’était passé à Abou Ghraib.
Taguba a dit : « J’ai décrit un détenu nu allongé sur le sol mouillé, menotté, avec un interrogateur qui lui enfonçait des objets dans le rectum, et j’ai dit : “Ce n’est pas de la maltraitance. C’est de la torture.” Le silence s’est fait. »
Taguba a dit ailleurs qu’il avait vu « une vidéo d’un soldat américain en uniforme sodomisant une détenue » ainsi que « des photographies d’hommes arabes portant des culottes de femmes ». Comme il l’a expliqué :
« D’après ce que je savais, les troupes ne prennent pas l’initiative de faire ce qu’elles ont fait sans que la hiérarchie en soit informée. »
Mais, Taguba n’a été autorisé à enquêter que sur la police militaire, et non sur la brigade de renseignement militaire qui a pris le contrôle de la prison après novembre, ni sur les hauts responsables chargés de superviser le renseignement militaire, comme Cambone, ni sur d’autres hauts responsables du département de la Défense ayant des liens étroits avec Israël, comme Rumsfeld et Wolfowitz.
« Ces troupes de la police militaire n’étaient pas très créatives […] Quelqu’un leur donnait des conseils, mais la loi m’empêchait d’enquêter plus avant auprès de l’autorité supérieure. J’étais limité à un box. »
La plus célèbre des photographies de torture montre un Irakien, Saad, debout sur un caisson, vêtu d’une couverture noire et d’une cagoule, avec des fils électriques attachés aux mains, aux pieds et au pénis.
Mais, les techniques de torture « créatives » axées sur l’humiliation sexuelle et le viol ont une origine claire.
Les interrogateurs israéliens enseignaient aux contractants et à la police militaire US des techniques de torture qu’Israël utilise depuis longtemps contre les Palestiniens et d’autres Arabes.
En novembre 2003, alors que Cambone louait Israël pour son aide en Irak, le Guardian a publié un rapport détaillant les tortures auxquelles Israël soumettait les détenus dans une prison secrète connue sous le nom de « Camp 1391 ».
« J’étais pieds nus et en pyjama lorsqu’ils m’ont arrêté, et il faisait très froid », raconte Sameer Jadala, chauffeur de bus scolaire palestinien. « Lorsque je suis arrivé à cet endroit, ils m’ont demandé de me déshabiller et m’ont donné un uniforme bleu. Puis ils m’ont donné un sac noir » pour la tête.
D’autres anciens prisonniers du Camp 1391 ont décrit comment ils ont été déshabillés pour être interrogés, ont eu les yeux bandés, ont été menottés et ont été menacés de viol.
L’article du Guardian explique en détail comment la torture a été pratiquée dans ce centre pendant des décennies. Les premiers prisonniers étaient des Libanais enlevés par les forces israéliennes, au cours de l’occupation du Sud-Liban qui a duré 18 ans à partir de 1982.
Le cheikh Abdel Karim Obeid, chef spirituel du groupe de résistance libanais, le Hezbollah, a été enlevé en 1989 et emmené au Camp 1391. Obeid avait participé à des opérations de guérilla visant à expulser les forces israéliennes qui occupaient le pays. Il a été enlevé à son domicile dans le village de Jibchit, dans le sud du Liban, par des commandos israéliens arrivés par hélicoptère.
Au cours du raid visant à s’emparer d’Obeid, les forces israéliennes ont également enlevé un jeune homme, Hashem Fahaf, qui rendait visite au cheikh pour obtenir des conseils religieux. Fahaf n’a jamais été accusé d’un crime, mais il a été détenu dans des prisons israéliennes, y compris dans le Camp 1391, pendant les 11 années qui ont suivi.
Israël a retenu Fahaf et 18 autres Libanais comme otages, ou comme monnaie d’échange, pour obtenir le retour du pilote israélien Ron Arad, dont l’avion a dû se poser en catastrophe au Liban alors qu’il bombardait des cibles de l’OLP.
Haaretz rapporte qu’un colonel de réserve, de l’Unité 504 et connu sous le nom de « Het », a raconté comment un interrogateur du Camp 1391 « a déshabillé un suspect et l’a forcé à boire du thé ou du café dans un cendrier rempli de cendres de cigarettes, puis lui a entré de force de la crème à raser ou du dentifrice dans la bouche ».
Het se souvient d’un autre cas où l’interrogateur, connu sous le nom de « Major George », a introduit « une matraque dans le rectum d’un suspect et lui a demandé de s’asseoir dessus à moins que le suspect ne veuille parler ».
Plutôt que de poursuivre Major George, les autorités israéliennes ont ouvert une procédure pénale contre Het pour avoir révélé les tortures pratiquées dans le Camp 1391.
La colère suscitée par les révélations d’Abou Ghraib est largement considérée comme ayant alimenté l’insurrection irakienne qui cherche à expulser les forces US. L’insurrection elle-même a commencé après que les mêmes conservateurs pro-israéliens de l’administration Bush ont pris la décision fatidique de dissoudre l’armée irakienne.
Cette bévue a laissé sans emploi des centaines de milliers de militaires qualifiés, dont beaucoup ont ensuite rejoint les rangs de l’insurrection. Grâce à leur connaissance intime des armes et des tactiques de l’armée irakienne, ces anciens soldats sont devenus de redoutables adversaires dans la campagne contre les forces d’occupation US.
La violence a rapidement échappé à tout contrôle et s’est transformée en une guerre civile sectaire, divisant les populations sunnites, chiites et kurdes. Des centaines de milliers d’Irakiens ont été tués alors que le pays était presque entièrement déchiré.
Wired a noté des années plus tard que, bien qu’un consensus ait fini par se dégager au sein de l’establishment de la défense des États-Unis sur le fait que « le choix d’envahir l’Irak était irréfléchi et que le plan initial pour stabiliser le pays était encore pire », Stephen Cambone avait un autre point de vue.
Pour l’ancien chef des services de renseignement de Donald Rumsfeld, la guerre en Irak et le chaos qu’elle a engendré constituent « l’une des grandes décisions stratégiques de la première moitié du XXIe siècle, si ce n’est la plus grande ».
Aux yeux des néocons sionistes, le coût des pertes et des souffrances humaines était un sacrifice nécessaire pour atteindre leurs objectifs de longue date en Asie occidentale. Les architectes de la guerre en Irak, notamment Cambone, Rumsfeld, Feith et Wolfowitz, considéraient la dévastation qu’ils ont provoquée comme un moyen d’arriver à leurs fins : neutraliser les menaces potentielles pour Israël.
Pourtant, il est clair, à la lumière des actions entreprises par la Résistance islamique en Irak, que leurs grands desseins ont finalement échoué.
Sources :
Source de l’illustration d’en-tête : The Cradle
https://thecradle.co/articles-id/23750
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