L’arsenal du génocide : les armes des États-Unis qui détruisent Gaza

L’arsenal du génocide :
les armes des États‑Unis
qui détruisent Gaza

Par Medea Benjamin et Nicolas J. S. Davies

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Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Le 8 mai 2024, alors qu’Israël intensifiait son assaut brutal sur Rafah, le président Biden a annoncé qu’il avait « mis en pause » la livraison de 1 700 bombes de 200 kg et de 1 800 bombes de 900 kg, et a menacé de suspendre d’autres livraisons si Israël poursuivait son invasion à grande échelle de Rafah.

Cette initiative a suscité un tollé chez les responsables israéliens (le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a tweeté : « Le Hamas aime Biden »), ainsi qu’aux États-Unis chez les républicains, les démocrates farouchement anti-palestiniens et les donateurs pro-israéliens. Les républicains ont immédiatement préparé un projet de loi intitulé « Israel Security Assistance Support Act » afin d’interdire à l’administration de suspendre l’aide militaire à Israël.

Cela fait sept mois que de nombreuses personnes demandent aux États-Unis de cesser de livrer des armes à Israël ; et, bien sûr, la décision de Biden arrive trop tard pour les 35 000 Palestiniens qui ont été tués à Gaza, principalement par des armes américaines.

Au cas où l’on penserait que l’administration change vraiment de position, deux jours après l’annonce de la pause, le département d’État a publié un rapport alambiqué disant que, bien qu’il soit raisonnable d’« estimer » que les armes des États-Unis ont été utilisées par les forces israéliennes à Gaza d’une manière « incompatible » avec le droit humanitaire international, et bien qu’Israël ait effectivement retardé ou ait eu un effet négatif sur l’acheminement de l’aide à Gaza (ce qui est illégal en vertu du droit des États-Unis), les garanties données par Israël en matière d’aide humanitaire et de respect du droit humanitaire international sont « crédibles et fiables ».

Par cette conclusion absurde, l’administration Biden s’est donné le feu vert pour continuer à envoyer des armes à Israël et pour continuer à commettre des crimes de guerre avec ces armes.

Quoi qu’il en soit, comme l’a déclaré à la BBC le colonel Joe Bicino, officier d’artillerie US à la retraite, Israël peut « raser » Rafah avec les armes dont il dispose déjà. La livraison suspendue est « quelque peu sans conséquence », « c’est un peu un jeu politique pour les gens aux États-Unis qui sont […] préoccupés par cette question ». Un officiel a confirmé au Washington Post qu’Israël disposait déjà de suffisamment d’armes fournies par les États-Unis et d’autres alliés pour poursuivre l’opération de Rafah s’il décidait d’ignorer les scrupules des États-Unis.

La livraison suspendue doit être replacée dans le contexte de l’arsenal dont les États-Unis ont équipé leur proxy1 au Moyen-Orient, au cours des dernières décennies.

Un déluge de bombes made in USA

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se qualifiaient fièrement « l’arsenal de la démocratie », car leurs usines de munitions et leurs chantiers navals produisaient une quantité inépuisable d’armes pour lutter contre le gouvernement génocidaire de l’Allemagne. Aujourd’hui, les États-Unis sont au contraire, et honteusement, l’arsenal du génocide fournissant 70 % des armes importées qu’Israël utilise pour anéantir Gaza et massacrer sa population.

Alors qu’Israël prend d’assaut Rafah, où vivent 1,4 million de personnes déplacées, dont au moins 600 000 enfants, la plupart des avions de guerre qui les bombardent sont des F-16, conçus et fabriqués à l’origine par General Dynamics, mais aujourd’hui par Lockheed Martin à Greenville, en Caroline du Sud. Les 224 F-16 d’Israël sont depuis longtemps son arme de prédilection pour bombarder les militants et les civils à Gaza, au Liban et en Syrie.

Israël possède également 86 Boeing F-15, qui peuvent larguer des bombes plus lourdes, et 39 des chasseurs-bombardiers les plus récents et les plus inutilement coûteux jamais créés, les F-35 à capacité nucléaire de Lockheed Martin, avec 36 autres en commande. Le F-35 est construit à Fort Worth, au Texas, mais ses composants sont fabriqués partout aux États-Unis et dans des pays alliés, dont Israël. Israël a été le premier pays à attaquer d’autres pays avec des F-35, en violation des lois étatsuniennes sur le contrôle des exportations d’armes, et les aurait utilisés pour bombarder la Syrie, l’Égypte et le Soudan.

Lorsque ces flottes d’avions de guerre made in USA ont commencé à bombarder Gaza en octobre 2023, leur cinquième assaut majeur depuis 2008, les États-Unis ont commencé à se précipiter sur de nouvelles armes. Au 1er décembre 2023, ils avaient livré 15 000 bombes et 57 000 obus d’artillerie.

Les États-Unis fournissent à Israël des bombes de toutes tailles et de tous types, y compris des bombes planantes de petit diamètre GBU-39 de 100 kg, des Mk 82 de 200 kg, des Mk 84 de 900 kg et des bunker busters BLU-109 — et même des bunker busters massifs GBU-28 de plus de 2 000 kg qu’Israël aurait utilisés à Gaza en 2009.

General Dynamics est le plus grand fabricant de bombes aux États-Unis. Il produit tous ces modèles, dont la plupart peuvent être utilisés comme bombes guidées de « précision » en y associant le système de guidage laser Paveway de Raytheon et Lockheed Martin ou le système de ciblage GPS JDAM (Joint Direct Attack Munitions) de Boeing.

Un peu plus de la moitié seulement des bombes qu’Israël a larguées sur Gaza étaient de « précision », car, comme l’ont expliqué les responsables du ciblage au magazine +972, leur système d’intelligence artificielle Lavender génère des milliers de cibles qui ne sont que des militants de base présumés, et non des commandants de haut rang. Israël ne juge pas utile de « gaspiller » des munitions de précision coûteuses pour tuer ces personnes, et n’utilise donc que des bombes « muettes » pour les tuer chez eux, en anéantissant leurs familles et leurs voisins.

Pour menacer et bombarder ses voisins plus éloignés, comme l’Iran, Israël dépend de ses sept Lockheed Martin KC-130H et de ses sept Boeing 707 ravitailleurs en vol, quatre nouveaux ravitailleurs Boeing KC46A ultramodernes devant être livrés à la fin de l’année 2025 pour plus de 220 millions de dollars chacun.

Les armes des forces terrestres

Les autres armes de prédilection pour tuer les Palestiniens sont les 48 hélicoptères d’attaque Boeing Apache AH64 d’Israël, armés des fameux missiles Hellfire de Lockheed Martin, des roquettes Hydra 70 de General Dynamics et des mitrailleuses de 30 mm de Northrop Grumman. Israël a également utilisé ses Apaches pour tuer et réduire en cendres un nombre encore inconnu d’Israéliens le 7 octobre 2023 — un jour tragique qu’Israël et les États-Unis continuent d’exploiter comme un prétexte pour leurs propres violations du droit international humanitaire (DIIH) et de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (CPRCG).

Les principales armes d’artillerie d’Israël sont ses 600 obusiers automoteurs Paladin M109A5 de 155 mm, fabriqués par BAE Systems à Chambersburg, en Pennsylvanie. Pour le profane, un obusier automoteur ressemble à un char d’assaut, mais il est équipé d’un canon de 155 mm plus gros qui lui permet de tirer à plus longue distance.

Israël assemble ses obus d’artillerie de 155 mm à partir de composants fabriqués aux États-Unis. L’une des deux premières livraisons d’armes dont l’administration a informé le Congrès après le 7 octobre visait à réapprovisionner Israël en composants d’obus d’artillerie pour une valeur de 147,5 millions de dollars.

Israël possède également 48 lance-roquettes multiples M270. Il s’agit d’une version chenillée des lance-roquettes HIMARS fabriqués par Lockheed Martin, que les États-Unis ont envoyés en Ukraine, et qui tirent les mêmes roquettes. Les marines ont utilisé ces roquettes en coordination avec les frappes aériennes pour dévaster Mossoul, la deuxième plus grande ville d’Irak, en 2017. Les lanceurs M270 ne sont plus produits, mais BEA Systems dispose toujours des installations nécessaires à leur fabrication.

Israël fabrique ses propres chars Merkava qui tirent des obus de tanks fabriqués aux États-Unis ; et le département d’État a annoncé le 9 décembre 2023 qu’il avait notifié au Congrès une livraison « d’urgence » à Israël de 14 000 obus de 120 mm d’une valeur de 106 millions de dollars.

Les livraisons d’obus d’artillerie et de chars d’assaut, ainsi que des dizaines de livraisons moins importantes qui n’ont pas été déclarées au Congrès (parce que chaque livraison était soigneusement calibrée pour rester en dessous de la limite statutaire de 100 millions de dollars), ont été payées sur les 3,8 milliards de dollars d’aide militaire que les États-Unis accordent à Israël chaque année.

En avril, le Congrès a adopté un nouveau projet de loi sur le financement de la guerre qui comprend environ 14 milliards de dollars pour des armes supplémentaires. Israël pourrait se permettre de payer ces armes lui-même, mais il pourrait alors faire jouer la concurrence, ce qui risquerait d’éroder le monopole des États-Unis sur la fourniture d’une grande partie de sa machine de guerre. Ce monopole lucratif bénéficiant aux marchands de mort des États-Unis est manifestement plus important pour les membres du Congrès que le financement intégral de Head Start ou d’autres programmes nationaux de lutte contre la pauvreté, qu’ils sous-financent régulièrement pour payer les armes et les guerres.

Israël possède 500 véhicules blindés de transport de troupes M113 construits par FMC et plus de 2 000 Humvees, fabriqués par AM General à Mishawaka, dans l’Indiana. Ses forces terrestres sont armées de plusieurs types de lance-grenades, de mitrailleuses Browning, de fusils d’assaut AR-15 et de fusils de sniper SR-25 et M24 SWS, tous fabriqués aux États-Unis, tout comme leurs munitions.

Pendant de nombreuses années, les trois corvettes Sa’ar 5 ont été les plus grands navires de guerre d’Israël, de la taille d’une frégate. Elles ont été construites dans les années 1990 par Ingalls Shipbuilding à Pascagoula, dans le Mississippi, mais Israël a récemment pris livraison de quatre corvettes Sa’ar 6 plus grandes et plus lourdement armées, construites en Allemagne et dotées de canons principaux de 76 mm et de nouveaux missiles sol-sol.

Les campements pour Gaza s’attaquent aux marchands de mort

Les États-Unis ont un long et terrible bilan en matière de fourniture d’armes à des régimes répressifs qui les utilisent pour tuer leur propre peuple ou attaquer leurs voisins. Martin Luther King a qualifié le gouvernement des États-Unis de « plus grand pourvoyeur de violence au monde », et cela n’a pas changé depuis qu’il l’a dit en 1967, un an jour pour jour avant son assassinat.

Bon nombre des grandes usines qui produisent toutes ces armes sont les plus gros employeurs de leur région, voire de leur État. Comme l’a rappelé le président Eisenhower dans son discours d’adieu en 1960, « cette conjonction d’un immense établissement militaire et d’une vaste industrie de l’armement » a conduit à « l’acquisition d’une influence injustifiée, recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel ».

Ainsi, en plus d’exiger un cessez-le-feu, la fin de l’aide militaire et des ventes d’armes par les États-Unis à Israël, et le rétablissement de l’aide humanitaire à Gaza, les étudiants qui occupent les campus universitaires à travers notre pays ont raison d’appeler leurs institutions à se désinvestir de ces marchands de mort, ainsi que des entreprises israéliennes.

Les grands médias ont adopté le point de vue selon lequel le désinvestissement serait trop compliqué et trop coûteux pour les universités. Mais, lorsque des étudiants ont installé un campement au Trinity College de Dublin, en Irlande, et lui ont demandé de se désinvestir des entreprises israéliennes, l’établissement a rapidement accédé à leurs requêtes. Le problème a été résolu, sans violence policière ni tentative de museler la liberté d’expression. Les étudiants ont également obtenu l’engagement d’envisager le désinvestissement dans des établissements aux États-Unis, notamment à Brown, Northwestern, Evergreen State, Rutgers et dans les universités du Minnesota et du Wisconsin.

Alors que des décennies de guerres étatsuniennes encore plus meurtrières dans le Grand Moyen-Orient n’ont pas réussi à provoquer un mouvement de protestation de masse durable, le génocide à Gaza a ouvert les yeux de plusieurs milliers de jeunes sur la nécessité de s’élever contre cette machine de guerre.

L’expulsion et l’émigration progressives des Palestiniens de leur patrie ont créé une vaste diaspora de jeunes Palestiniens qui ont joué un rôle de premier plan dans l’organisation de campagnes de solidarité sur les campus universitaires par l’intermédiaire de groupes tels que Students for Justice in Palestine (SJP). Les liens étroits qu’ils entretiennent avec leur famille en Palestine leur ont permis de comprendre de manière viscérale le rôle des États-Unis dans ce génocide et de faire entendre une voix authentique, persuasive et inspirante pour d’autres jeunes Américains.

Il appartient maintenant aux Américains de tous âges de suivre nos jeunes leaders et d’exiger non seulement la fin du génocide en Palestine, mais aussi de sortir de la folie militaire de notre pays et des griffes de son complexe MICIMATT2 profondément enraciné et qui a infligé tant de morts, de douleurs et de désolation à tant de nos voisins depuis si longtemps, de la Palestine à l’Irak et à l’Afghanistan, en passant par le Vietnam et l’Amérique latine.

Lire aussi :

Voici les pays occidentaux qui contribuent au génocide perpétré par Israël à Gaza
(Par Jessica Buxbaum, MintPress News, novembre 2023)

Sources :


Sources de l’illustration d’en-tête :


  1. Un proxy (terme anglais) est un intermédiaire utilisé dans une guerre par procuration. Une guerre par procuration (en anglais, war by proxy) est une guerre dans laquelle deux puissances ne s’affrontent qu’indirectement en soutenant financièrement ou matériellement d’autres puissances ou groupes militaires (des proxies, ou proxys) qui, eux, se battent directement sur le terrain. (NdT) 

  2. Le complexe MICIMATT est une extension du concept MIC (« militaro-industrial complexe » / « complexe militaro-industriel ») : « military-industrial-congressional-intelligence-media-academia-think-tank » complex / complexe « militaire, industriel, congressionnel, du renseignement, médiatique, académique, des groupes de réflexion ». (NdT) 

 

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