Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Bellingcat, le site Internet soi-disant « indépendant », a engrangé de l’argent de la part d’entreprises de renseignement occidentales en proie à des scandales qui ont semé le chaos — et récolté d’énormes profits — en Syrie.
Depuis son lancement en juillet 2014, Bellingcat, qui se présente comme un site Web d’enquêtes de source ouverte, s’est imposé comme la coqueluche des médias occidentaux grand public ; avec ses plongées dans les supposées attaques à l’arme chimique du gouvernement syrien et opérations des services de renseignement russes, il a été couvert d’éloges, de papiers laudatifs et de prix prestigieux.
Bellingcat insiste avec véhémence sur le fait qu’il est indépendant de toute influence gouvernementale, tout en étant financé à la fois par la National Endowment for Democracy1 du gouvernement des États-Unis et par l’Union européenne. Des responsables de la CIA ont déclaré leur « amour » pour Bellingcat, et des signes clairs montrent que le média s’est associé étroitement avec Londres et Washington pour promouvoir les objectifs impériaux de ce duo.
Maintenant que le consortium médiatique a obtenu l’accès à des satellites de haute technologie capables de capturer de n’importe quel endroit sur Terre des images d’une résolution de 50 cm, il est temps de placer ces connexions sous le microscope.
Pour étudier la relation entre Bellingcat et les centres du pouvoir impérial, il suffit de se pencher sur les comptes financiers officiellement publiés de 2019 à 2020. Selon ces documents, Bellingcat a accepté des sommes énormes de la part de sous-traitants occidentaux du renseignement.
Ces entreprises, profiteurs de guerre, ont à leur tour apporté un soutien direct aux groupes djihadistes alliés d’Al-Qaïda en Syrie, les mêmes éléments qui ont fourni à Bellingcat des « preuves » pour condamner Damas par contumace sur toutes sortes d’accusations douteuses.
La liste des donateurs de Bellingcat liés aux services de renseignement occidentaux n’est que la dernière indication que son fondateur Eliot Higgins reçoit des informations privilégiées et biaisées de sources extrémistes en Syrie, et que les opérations médiatiques de son organisation ont été menées de concert avec ces éléments.
Les récents antécédents de Higgins en matière de promotion du principal propagandiste d’ISIS sur Twitter2 soulèvent de sérieuses questions quant à la dépendance de Bellingcat vis-à-vis des éléments salafistes et djihadistes en Syrie.
Le journaliste et universitaire Alan MacLeod a exposé en détail les liens profonds et cohérents de Bellingcat avec l’État de sécurité nationale occidental.3 L’opération, censée être de source ouverte, a employé un nombre stupéfiant d’anciens militaires et d’agents de renseignement, les déployant pour renforcer les récits impériaux tout en récoltant le parrainage d’une série de gouvernements et d’organismes quasi gouvernementaux.
Néanmoins, les journalistes mainstream ont continué à colporter la fiction selon laquelle Bellingcat est « indépendant » et ne reçoit aucun financement d’un quelconque État. Le Times de Londres, par exemple, a faussement affirmé que l’organisation « refuse avec sagesse l’argent des gouvernements ».
Pour sa part, le site Web de Bellingcat déclare qu’il ne « sollicite ni n’accepte de financement directement d’aucun gouvernement national », mais « peut solliciter ou accepter des contributions d’institutions internationales ou intergouvernementales » et « des financements distribués par une fondation privée qui accepte des fonds gouvernementaux ».
Étant donné ce tour de passe-passe douteux, les comptes les plus récents de Bellingcat constituent une lecture fascinante.
Ils indiquent que Higgins et sa société ont reçu 100 000 euros de Zandstorm BV, une société-écran néerlandaise créée par Joseph Peeraer, le magnat de l’énergie qui préside le conseil de surveillance de Bellingcat. Ironiquement, la biographie de Peeraer sur Twitter le décrit comme le « fondateur de quelques entreprises qui ont échoué ».
En outre, Bellingcat a reçu le soutien financier de plusieurs organisations fortement subventionnées par des gouvernements occidentaux, et qui leur servent de façades efficaces, soutenant les activités de Higgins au nom de leurs financeurs.
De 2019 à 2020, Bellingcat a reçu un peu plus de 5 000 € de l’entrepreneur Chemonics, basé à Washington. Comme l’a documenté The Grayzone, cette entreprise mène des opérations de renseignement et de déstabilisation financées par le gouvernement des États-Unis dans le monde entier.
En 1993, le fondateur de Chemonics a ouvertement admis qu’il avait créé l’entreprise pour « avoir [sa] propre CIA ». Le contractant était le canal par lequel les fonds et les équipements US parvenaient au faux groupe humanitaire Syria Civil Defense, lui fournissant les désormais célèbres — ou infâmes — casques blancs qui lui ont valu son surnom, ainsi que des équipements de communication et de vidéo beaucoup plus coûteux.
Plus important encore, Bellingcat s’est vu allouer 160 000 euros par Zinc Network, une officine de renseignement qui mène des opérations de guerre de l’information pour le compte de nombreux ministères britanniques, du département d’État US et de l’USAID, une façade du renseignement des États-Unis. Il semble que cette injection de fonds soit liée à l’Open Information Partnership,4 une « usine à trolls » financée par le Foreign Office5 et dirigée par Zinc, qui se consacre à « l’affaiblissement de l’influence de l’État russe » en Europe centrale et orientale.
Comme l’a révélé Max Blumenthal, rédacteur en chef de The Grayzone, Bellingcat a été envoyé sous les auspices de l’Open Information Partnership en Macédoine du Nord, à la demande expresse du Foreign Office britannique, pour « réagir » aux élections de 2019 dans le pays, qui ont opposé un candidat pro-OTAN et pro-UE à un candidat pro-Russie.
Une organisation médiatique locale a bénéficié d’une « formation à la cybersécurité, d’un encadrement en matière de criminalistique numérique, d’enquêtes de source ouverte et d’éthique des médias » de la part de Bellingcat et du DFR Lab de l’Atlantic Council, qu’Eliot Higgins a contribué à créer. Le candidat pro-OTAN l’a confortablement emporté au second tour, après que le premier ait donné lieu à une quasi-égalité, ce qui suggère que cette ingérence étatique a pu influencer le résultat.
Bellingcat a également reçu un peu plus de 65 000 dollars de la part d’Adam Smith International (ASI), qui a récolté des centaines de millions du gouvernement britannique pour mener toutes sortes d’activités douteuses à l’étranger. Le type d’activités couvertes par cette somme n’est pas clair.
Bellingcat n’a pas répondu à une demande de commentaire de notre journaliste. ASI, quant à elle, a d’abord répondu à une demande de détails sur le paiement à Bellingcat par l’intermédiaire de sa responsable des affaires juridiques, de l’éthique et de la conformité, Nimisha Agarwal, qui a promis de « suivre la question en interne ». Mais Agarwal a fini par disparaître du radar, sans jamais donner suite ni fournir d’autres informations.
Compte tenu de l’histoire sordide d’ASI et de son lien direct avec la prolifération du djihadisme en Syrie au cours de la crise macabre que traverse le pays depuis dix ans, sa relation financière avec Bellingcat ne fait qu’affaiblir la prétention déjà risible à l’indépendance de la part de l’organisation médiatique.
Adam Smith International se présente comme « une société de conseil mondiale qui travaille localement pour transformer des vies en rendant les économies plus fortes, les sociétés plus stables et les gouvernements plus efficaces ».
En réalité, les activités d’ASI à l’étranger l’ont souvent placée dans une collaboration extrêmement étroite avec certains des violateurs des droits de l’homme les plus brutaux de la planète, entraînant directement et indirectement la mort et la déstabilisation à grande échelle.
ASI a également un palmarès déplorable en matière de corruption et d’escroquerie. En février 2017, le département du Développement international du Royaume-Uni a gelé tous les futurs contrats avec l’entreprise, après qu’il a été constaté qu’elle avait commis de nombreuses violations graves de l’éthique. L’entreprise a notamment embauché un ancien employé du ministère qui lui a transmis des documents gouvernementaux internes sensibles, qu’elle a ensuite utilisés pour obtenir un avantage concurrentiel dans les offres de contrats.
ASI a ensuite tenté d’induire en erreur une enquête parlementaire sur des allégations de « profit excessif », en concoctant de faux témoignages élogieux de bénéficiaires. Un rapport de la commission du développement international de la Chambre des communes a condamné les actions « déplorables » et « totalement inappropriées » du contractant.
En réponse, quatre directeurs fondateurs ont démissionné sans indemnités de départ, et le contractant s’est engagé à entreprendre des réformes internes. Entre-temps, ASI a continué à gérer un vaste portefeuille de projets pour le Foreign Office. Il s’agit notamment du programme AJACS (Access to Justice and Community Security6), soutenu par les États membres de l’OTAN, qui a financé, formé et équipé la Police syrienne libre (FSP7), une force civile non armée mise en place dans les régions de la Syrie contrôlées par l’opposition, comme Alep, Daraa et Idlib.
Le partenaire étatsunien d’ASI sur ce projet était Creative Associates, une filiale de la CIA, qui a récolté des milliards en s’ingérant à l’étranger pour les intérêts de Washington. Comme l’a documenté Ben Norton de The Grayzone, Creative Associates a été l’un des contractants privilégiés de l’USAID pour organiser une nouvelle tentative d’orchestrer une insurrection contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua. L’entreprise a également joué un rôle direct dans les efforts des services de renseignement des États-Unis pour fomenter la déstabilisation de Cuba.
Le projet de la Police syrienne libre a initialement fait l’objet d’une couverture flatteuse dans les médias occidentaux. Un article de la BBC présentait le groupe comme une bande héroïque de volontaires engagés dans la non-violence, résolvant les conflits locaux par des moyens pacifiques, et travaillant « étroitement » avec les Casques blancs8 au lendemain des raids aériens pour combattre les incendies, sauver les gens des décombres et leur fournir une assistance médicale.
Le radiodiffuseur public britannique a néanmoins été contraint de reconnaître que la capacité de la FSP à traduire les acteurs armés en justice était « limitée ». De même, la force de police soutenue par le Royaume-Uni n’a pas été en mesure d’intervenir dans les conflits impliquant des éléments extrémistes, bien que les médias aient souligné à plusieurs reprises que la force ne collaborait pas avec les groupes djihadistes.
En décembre 2017, le documentaire Panorama de la BBC, « Jihadis You Pay For »,9 a fait voler en éclats cette notion farfelue. S’appuyant sur des lanceurs d’alerte d’ASI comme sources, il a exposé comment cette entreprise avait identifié des liens entre plusieurs postes de la FSP et des tribunaux de la charia dirigés par Al-Nosra qui procédaient à des exécutions sommaires de citoyens qui violaient ses codes juridiques médiévaux. Non seulement le fournisseur de renseignements n’a pas cessé de financer ces éléments extrémistes, mais il a permis à la Police syrienne libre de maintenir ces relations.
Dans un cas, des agents de la FSP recevant des fonds du FCO britannique délivrés par ASI étaient présents lorsque des femmes étaient lapidées à mort pour avoir violé les codes théocratiques d’Al-Nosra. Ils ont même fermé la route pour permettre ces exécutions brutales. Al-Nosra aurait en outre trié sur le volet les recrues de la FSP dans deux postes à Idlib.
Des dossiers internes d’ASI présentés dans le documentaire ont montré que des officiers d’Alep avaient remis de l’argent liquide à Nour al-Din al-Zinki, une milice soutenue par la CIA liée à des atrocités hideuses, notamment la décapitation filmée d’un adolescent palestinien en 2016. Un document datant de juillet de cette année-là avertissait que 20 % de tous les salaires des policiers étaient remis « pour payer le soutien militaire et sécuritaire que Zinki fournit aux cinq postes de la FSP situées dans les zones sous son contrôle », les agents de la FSP travaillant en outre avec un tribunal de Zinki, « rédigeant des mandats, délivrant des avis et livrant les criminels ».
Le financement britannique du projet a finalement été suspendu, mais il a repris moins d’un mois plus tard à la suite d’un examen interne confidentiel du gouvernement qui a conclu qu’il y avait un « contexte atténuant » à toutes les révélations troublantes de Panorama, et que l’émission « n’a pas fourni d’informations qui n’étaient pas déjà connues [du système de justice et de sécurité connu sous le nom de] AJACS ».
Les experts en matière d’aide ont été scandalisés par la reprise du programme. L’émission Panorama de la BBC, quant à elle, a affirmé qu’elle n’avait jamais été contactée au sujet de l’enquête et qu’aucune des sources qu’elle avait découvertes n’avait été inspectée par les autorités.
La fuite de documents du Foreign Office britannique relatifs à cet effort montre clairement que l’Access to Justice and Community Security program était bien conscient que de tels risques existaient.
Un document prévoyait un risque « moyen » de perte d’équipement et d’argent au profit d’acteurs armés, notant que des groupes djihadistes l’avaient déjà fait par le passé et que cette pratique était « susceptible de se reproduire ».
La collaboration de la Police syrienne libre avec des extrémistes ou des responsables de violations de droits humains a été considérée comme un risque moyen. En revanche, la probabilité que l’activité djihadiste produise un « espace opérationnel réduit » pour AJACS était considérée comme « élevée », car le projet était « connu pour attirer l’attention de groupes extrémistes », y compris des affiliés d’Al-Nosra et d’ISIS, qui pouvaient « entraver notre travail, remettre en question notre programme et menacer notre personnel et nos partenaires par le biais d’enlèvements, d’agressions et de vols d’équipements ».
Les méthodes proposées pour faire face à ces dangers se résument généralement à les tolérer. Adam Smith International a justifié le rôle central des groupes djihadistes dans son projet de maintien de l’ordre par le fait qu’ils « n’ont pas les moyens ou les leviers » pour empêcher leur participation, et qu’un tel effort n’aurait pas été « rentable ».
Le projet ne pouvait être « terminé », selon ASI, que s’il n’était pas possible de déplacer la responsabilité de tout danger ou abus vers « une partie qui a les moyens de le traiter ». Il semble qu’il s’agissait d’une référence au Foreign Office, qui était responsable en dernier ressort de la décision de tolérer ou de mettre fin à un risque.
En outre, ASI s’est carrément engagé, « dans la mesure du possible », à « présenter un défi » aux groupes extrémistes pour « le contrôle d’une communauté » et à « ne pas céder de terrain » à ces éléments « à moins d’y être contraint », préconisant l’acceptation d’un niveau de risque plus élevé afin de « contester l’influence et la légitimité » des acteurs armés. À ce titre, le Foreign Office britannique devait accepter « le potentiel de pertes d’équipement à un degré raisonnable ».
Il est clair que la perte d’armes, d’argent et de vies humaines était inscrite dans l’ADN de l’AJACS. Et étant donné les nombreux millions investis par le gouvernement britannique dans le projet, l’appétit officiel pour accepter ces calamités était aussi élevé que possible. En effet, Londres était prête à injecter des fonds publics dans ce projet dangereux parce qu’il ne constituait qu’un élément d’une tentative plus large de créer une série de quasi-États « modérés » à travers la Syrie et contrôlés par l’Occident.
Cet objectif est mentionné dans un autre document ayant fait l’objet d’une fuite, dans lequel ASI a promis de « renforcer » la coordination de l’AJACS avec d’autres programmes de « stabilisation et de transition » en Syrie. Il s’agit notamment de Tamkeen, un projet financé par le Royaume-Uni et l’UE visant à « renforcer les capacités de gouvernance des communautés locales », et de Mayday Rescue, la société mère des Casques blancs. En cas de succès, ASI a noté que cet effort pourrait conduire à « une expansion dans les territoires nouvellement libérés ».
Cet investissement a également permis d’assurer un flux constant d’histoires vécues mièvres et de propagande d’atrocités, produites par et mettant en scène la Police syrienne libre, les Casques blancs et d’autres acteurs de l’opposition créés et financés sur le terrain par l’Occident, afin que les médias grand public puissent s’en emparer.
Bellingcat est depuis longtemps l’un des principaux pourvoyeurs et défenseurs de ces groupes. Il existe en outre des signes évidents que le fondateur de Bellingcat, Higgins, a accès à des informations privilégiées provenant de sources locales, et que les opérations médiatiques de son organisation sont menées de concert avec elles.
Par exemple, immédiatement après la fameuse « attaque au gaz » de Douma en avril 2018, qui, selon les lanceurs d’alerte de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), était une mise en scène, Higgins a tweeté une photo exclusive de l’un des cylindres prétendument utilisés lors de l’attaque.
Le message de Higgins a été brusquement supprimé, peut-être parce que les Casques blancs ont ensuite partagé une photo du même site, dans laquelle le même cylindre était dans une position différente, preuve que la scène a été manipulée par ceux qui l’ont montée.
L’une des composantes de l’effort de Whitehall pour déstabiliser la Syrie était la formation de groupes et de combattants de l’opposition. En 2016, le Foreign Office a lancé un appel d’offres pour un programme baptisé MAO B-FOR (Moderate Armed Opposition Border Force10), visant à fournir « une formation, des équipements et d’autres formes de soutien » à la coalition du Front du Sud de l’Armée syrienne libre, afin de « favoriser une transition politique négociée » et de « soutenir les structures et groupes modérés dans les zones de la Syrie tenues par l’opposition ». Jusqu’à 600 combattants devaient être formés chaque année pendant trois ans, pour un coût de près de 21 millions de dollars.
Le Royaume-Uni fournira au soumissionnaire retenu un « site de formation dédié » en Jordanie « sans frais » pour les fournisseurs. Le site de 600 acres, situé à 45 minutes d’Amman, comprenait « des logements, des installations sanitaires, des salles à manger, des salles de classe, une piste de conduite, des zones d’environnement rural extérieur et un espace ouvert pour des solutions de stockage d’équipement ». Les militants devaient être formés à l’utilisation efficace des AK-47, des mitrailleuses et des pistolets, et 175 d’entre eux pouvaient être accueillis à la fois sur le site.
En réponse, le sponsor de Bellingcat, ASI, a soumis un argumentaire au Foreign Office, s’engageant à diriger un consortium de contractants, composé de GlenGulf, Kellogg Brown & Root (KBR, surnommé « Kill, Burn & Loot »), Oakas et Pilgrims Group.
Comme pour AJACS, ASI a prévu en privé qu’il serait hautement probable qu’Al-Nosra et ISIS interfèrent dans le programme. « En raison de la perception d’un “programme politique international” », écrit ASI, « les extrémistes peuvent chercher à empêcher les stagiaires de s’engager ou à les empêcher de remplir leurs fonctions une fois formés, par le biais d’enlèvements, d’agressions et de vols d’équipements. »
Il était considéré comme moyennement probable que les combattants formés dans le cadre du programme rejoignent d’autres groupes et/ou collaborent avec des acteurs extrémistes, et finissent par commettre des violations des droits de l’homme.
La solution d’ASI était simple : il « transférait » la responsabilité de « s’approprier et de gérer » les problèmes qui se posaient au Foreign Office, et la perte d’équipement devait être « tolérée » à « un degré raisonnable ». Il est frappant de constater qu’ASI a déclaré que son « expérience et ses connaissances » de la gestion de l’AJACS seraient « mises à profit » pour assurer une livraison optimale de B-FOR.
Dans une déclaration envoyée par courriel à notre journaliste, ASI a prétendu que la société n’avait pas mis en œuvre B-FOR et qu’elle « n’y avait participé à aucun stade au-delà de la soumission officielle d’une offre ». ASI a ajouté une menace voilée et vide de poursuites judiciaires si la société ou son personnel étaient associés publiquement au projet, afin de préserver ses « bonne image publique et réputation professionnelle ».
Cet avertissement confirme l’authenticité des documents, tout en violant apparemment l’accord de non-divulgation de la société avec le Foreign Office, obligeant ASI à adhérer aux exigences draconiennes de confidentialité de la Loi sur les secrets officiels.11
Si l’offre d’ASI n’a pas été acceptée, celle d’un autre contractant l’a presque certainement été. Il est confirmé qu’un site d’entraînement géré par le Royaume-Uni et les États-Unis en Jordanie a fonctionné dès les premiers jours de la crise syrienne. On ignore encore combien de combattants y ont été formés au fil des ans, combien ont rejoint les groupes djihadistes et combien d’équipements ont été « perdus » et utilisés pour massacrer des civils innocents. Le Foreign Office n’en a certainement aucune idée non plus.
Depuis lors, ASI a continué à mener des travaux de cape et d’épée12 pour Whitehall à l’étranger. En février 2018, l’entreprise a été autorisée à recommencer à postuler pour des contrats de Whitehall. Ses comptes les plus récents, pour 2019, indiquent que le chiffre d’affaires s’élevait à 54,5 millions de livres sterling. Sur le premier semestre 2020, ses recettes au Foreign Office ont atteint à elles seules 6 millions de livres.
Les fonds qu’elle a fournis à Bellingcat ont-ils été prélevés sur cette somme ?
Un nombre toujours plus important de groupes de défense des droits et d’organismes internationaux ont établi un « partenariat » avec Bellingcat. Le site Web de l’organisation se vante du fait que ses enquêtes de source ouverte ont alimenté les activités du Conseil consultatif de la technologie de la Cour pénale internationale,13 ainsi que le nouveau Mécanisme international indépendant et impartial sur la Syrie14 de l’ONU.
Bellingcat a également cité l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) comme « partenaire », avant de retirer brusquement cette mention. Higgins a prétendu de manière invraisemblable que cette entrée n’était qu’une erreur résultant d’un copier-coller négligent.
Alors que la National Endowment for Democracy, une émanation des services de renseignement des États-Unis, a largement contribué à Bellingcat, il est impossible de savoir dans quelle mesure le Foreign Office s’est associé à l’organisation médiatique.
Une requête de liberté d’information soumise au ministère en janvier 2019 demandait tous les documents internes liés à la recherche sur la crise syrienne mentionnant l’organisation, en particulier ceux relatifs à l’utilisation d’armes chimiques dans le pays, et « tout document faisant référence à la fiabilité de Bellingcat en tant que source lors de la rédaction d’évaluations de recherche ».
En réponse, le Foreign Office a déclaré qu’il ne pouvait « ni confirmer ni nier qu’il détenait des informations pertinentes pour [la] requête », pour des raisons de « sauvegarde de la sécurité nationale ».
Pourtant, une évaluation de Bellingcat, commandée par le Foreign Office et ayant fait l’objet d’une fuite, expose en termes accablants l’opinion du ministère sur la « fiabilité » de l’organisation. Bellingcat a été jugé « quelque peu discrédité, à la fois par la diffusion de la désinformation elle-même, et par sa volonté de produire des rapports pour quiconque est prêt à payer ».
Compte tenu de la relation intime de Bellingcat avec des acteurs aussi sournois dans la sale guerre contre la Syrie, on ne peut que considérer comme extrêmement préoccupant le fait qu’elle se targue de liens tout aussi intimes avec les mêmes organismes officiels chargés d’enquêter sur les crimes gouvernementaux présumés qui y sont commis.
Certains signes indiquent toutefois que Bellingcat est en train de perdre de sa superbe. Le 9 août, le European Press Prize15 a annoncé qu’il retirait le statut de lauréat accordé à Daniel Romein, désormais ancien collaborateur de Bellingcat, pour son travail de géolocalisation d’images liées à des abus sur des enfants en Europe de l’Est, en raison de nombreuses « plaintes fondées ».
Le jour viendra peut-être aussi où Eliot Higgins et compagnie ne seront plus utiles aux agences de renseignement occidentales.
Sources :
Source de l’illustration d’en-tête : The Grayzone
Eliot Higgins
https://thegrayzone.com/2021/10/09/bellingcat-intelligence-contractors-extremists-syria/
Fondation nationale pour la démocratie (NdT) ↩
ISIS : Islamic State of Iraq and Sham (État islamique en Irak et dans le Cham) (NdT) ↩
Western national security state (NdT) ↩
Partenariat pour l’information ouverte (NdT) ↩
Ministère des Affaires étrangères (NdT) ↩
Accès à la justice et à la sécurité communautaire (NdT) ↩
Free Syrian Police (NdT) ↩
White Helmets (NdT) ↩
« Les djihadistes pour lesquels vous payez » (NdT) ↩
Opposition armée modérée, force frontalière (NdT) ↩
Official Secrets Act (NdT) ↩
« cloak-and-dagger », en anglais, pour évoquer l’idée « d’espionnage », « de mystère »… (NdT) ↩
International Criminal Court's Technology Advisory Board (NdT) ↩
International Independent and Impartial Mechanism on Syria (NdT) ↩
Prix européen de la presse (NdT) ↩
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