Les États-Unis inscrivent la Biélorussie dans leur scénario bien connu de changement de régime

Les États‑Unis inscrivent la Biélorussie
dans leur scénario bien connu
de changement de régime

Par Alan MacLeod

Une publication MintPress News


Démocratie Ingérence Impérialisme Propagande
Biélorussie États-Unis Ukraine Venezuela Union européenne
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Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


La principale raison pour laquelle le gouvernement des États-Unis s’oppose à l’administration Loukachenko n’est pas son autoritarisme, aussi réel soit-il. Les principales objections de Washington sont plutôt le refus obstiné de Loukachenko de privatiser les biens de l’État, d’adhérer à l’OTAN ou d’ouvrir le pays à l’exploitation étrangère.

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MINSK, BIÉLORUSSIE — Discrètement, l’État de sécurité nationale des États-Unis fait monter la pression sur la Biélorussie, espérant que l’ancien pays soviétique de 9 millions d’habitants sera la prochaine victime de son programme de changement de régime. Ce sentiment est apparu clairement dans le récent discours du président Joe Biden à l’Assemblée générale des Nations unies. Biden a annoncé que les États-Unis poursuivraient une « diplomatie implacable » en trouvant « de nouvelles façons de relever les gens dans le monde, de renouveler et de défendre la démocratie ». Le 46e président a été explicite sur ce qu’il entendait par là : « Le monde démocratique est partout. Il vit dans les militants anticorruption, les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes, les manifestants pacifistes qui sont en première ligne de cette lutte en Biélorussie, en Birmanie, en Syrie, à Cuba [et] au Venezuela », a-t-il déclaré, plaçant la Biélorussie en tête de la liste des États qui ont désespérément besoin d’un changement de gouvernement.

Cette déclaration s’inscrit dans le prolongement des déclarations précédentes de l’administration. En juin, une annonce conjointe des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni et de l’Union européenne a essentiellement prononcé la peine de mort à l’encontre du gouvernement de Loukachenko, au pouvoir depuis 1994. « Nous sommes déterminés à soutenir les aspirations démocratiques longtemps réprimées du peuple de la Biélorussie et nous faisons front commun pour imposer des coûts au régime pour son mépris flagrant des engagements internationaux », ont-ils écrit en annonçant de nouvelles sanctions.

Une « contribution modeste, mais significative »

En secret, Washington mène une action de bien plus grande envergure. La National Endowment for Democracy1 (NED) dépense chaque année des millions de dollars en Biélorussie et a 40 projets actifs à l’intérieur de l’État, tous avec le même objectif de renverser Alexandre Loukachenko et de le remplacer par un président plus favorable aux États-Unis. Bien qu’aucune personne ou organisation ne soit nommée, il ressort clairement des rares informations publiques qu’elle révèle que Washington se concentre sur trois domaines : la formation des militants et des organisations de la société civile aux tactiques non violentes de changement de régime, le financement des médias antigouvernementaux et le financement des groupes de surveillance des élections.

Au début de l’année, lors d’une réunion Zoom infiltrée par des militants et rendue publique, la responsable du programme Europe de la NED, Nina Ognianova, s’est vantée que les groupes qui ont mené les manifestations nationales contre Lukashenko l’année dernière — des actions qui ont fait les gros titres dans le monde entier — ont été formés par son organisation. « Nous ne pensons pas que ce mouvement si impressionnant et si inspirant soit sorti de nulle part — qu’il se soit produit du jour au lendemain », a-t-elle déclaré, notant que la NED avait apporté une « contribution modeste, mais significative » aux manifestations.

Lors du même appel, le président de la NED, Carl Gershman, a ajouté que « nous soutenons de très nombreux groupes et nous avons un programme très, très actif dans tout le pays, et beaucoup de ces groupes ont évidemment leurs partenaires en exil ». Gershman s’est également vanté de l’impuissance du gouvernement biélorusse à intervenir et à les arrêter : « Nous ne sommes pas comme Freedom House ou le NDI [National Democratic Institute] et l’IRI [International Republican Institute] ; nous n’avons pas de bureaux. Donc si nous ne sommes pas là, ils ne peuvent pas nous mettre dehors. »

La NED a été créée par l’administration Reagan comme un groupe de façade pour la CIA, afin de poursuivre le travail de déstabilisation de l’agence dans d’autres pays. « Il serait terrible pour les groupes démocratiques du monde entier d’être perçus comme subventionnés par la CIA », a déclaré Gershman pour expliquer sa création. Un autre fondateur de la NED, Allen Weinstein, a peut-être été encore plus direct : « Une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui a été faite secrètement il y a 25 ans par la CIA », a-t-il déclaré au Washington Post.

Les Biélorusses ignorent largement que tout cela se passe sous la surface. Un sondage réalisé par l’USAID, l’organisation sœur de la NED, a révélé qu’environ deux tiers de la population ignorait les actions de toute ONG à l’intérieur de leur pays, sans parler de l’origine de leur financement.

L’élue

Les États-Unis et l’Europe ont non seulement décidé que Loukachenko devait partir, mais ils se sont même mis d’accord sur son remplaçant. Sviatlana Tsikhanouskaya, ancienne institutrice de 39 ans et épouse du militant antigouvernemental Sergueï Tikhanovsky, est la candidate de choix de l’establishment de Washington. Décrite presque universellement dans les médias corporatifs comme une militante prodémocratie, Tsikhanouskaya est sortie de l’ombre l’année dernière après que son mari se soit vu interdire de se présenter aux élections de 2020. Sergueï est actuellement jugé pour son rôle dans l’organisation des manifestations nationales de l’année dernière, un événement que le gouvernement considère comme une tentative de coup d’État.

Le gouvernement aurait détenu des dizaines de milliers de personnes, et c’est cette réponse musclée qui a jeté de l’huile sur le feu des protestations, les transformant en une manifestation contre la répression politique.

S’il est reconnu coupable, Tikhanovsky risque jusqu’à 15 ans de prison. Sviatlana s’est présentée à sa place, remportant officiellement 10 % des voix au niveau national (bien qu’elle maintienne avoir en fait remporté une victoire écrasante et que le processus était truqué). Ces derniers mois, elle a fait le tour de l’Occident, rencontrant des dirigeants étrangers pour tenter de les convaincre de la soutenir. En juillet, elle s’est rendue à Washington pour rencontrer le secrétaire d’État Anthony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, qui lui ont fait part du « respect » des États-Unis « pour le courage et la détermination de l’opposition » de la Biélorussie.

Plus tard dans le mois, Tsikhanouskaya a reçu ce qu’elle cherchait : un soutien du président des États-Unis. Après un entretien approfondi avec Joe Biden, celui-ci l’a présentée comme la véritable dirigeante de son pays. « Les États-Unis sont aux côtés du peuple de la Biélorussie dans sa quête de démocratie et de droits de l’homme universels », a-t-il déclaré dans un communiqué. Elle a également reçu la bénédiction de l’OTAN, rencontrant à plusieurs reprises des personnalités de haut niveau du groupe de réflexion associé, l’Atlantic Council.

Lors d’un récent événement organisé par le Council on Foreign Relations, Tsikhanouskaya a clairement indiqué qu’elle dépendait du soutien étranger pour poursuivre sa campagne. « Nous n’avons pas beaucoup d’espace à l’intérieur du pays. C’est pourquoi nous sommes tellement [reconnaissants pour une] aide de [grande] ampleur venant de l’extérieur », a-t-elle déclaré, ajoutant à l’audience composée de personnalités du monde des affaires, de fonctionnaires et de personnalités des médias qu’elle et eux « partag[ent] des valeurs communes ». Les rumeurs concernant l’attribution d’un prix Nobel de la paix constituent peut-être l’indication la plus claire qu’elle a gagné les faveurs de l’establishment occidental. Au moment de son attribution, elle était troisième ex æquo avec les favoris, mais a finalement perdu face aux journalistes Dmitry Muratov et Maria Ressa.

President Biden : « J’ai été honoré de rencontrer @Tsihanouskaya à la Maison-Blanche ce matin. Les États-Unis sont aux côtés du peuple biélorusse dans sa quête de démocratie et de droits de l’homme universels. »

Malgré les appuis officiels, tout porte à croire que Tsikhanouskaya bénéficie d’un faible soutien public en Biélorussie et que sa position est largement soutenue par l’étranger. Une étude menée par Chatham House et le Royal United Services Institute (RUSI) a révélé que seuls 10 % des Biélorusses pensaient qu’elle serait un bon président (contre 25 % pour Loukachenko). Chatham House et le RUSI sont tous deux directement financés par l’OTAN et ses États membres comme les États-Unis, et tous deux ont déjà plaidé en faveur d’un changement de régime en Biélorussie.

Plus inquiétant encore, Tsikhanouskaya semble être l’une des personnes les moins fiables et les moins appréciées de tout le pays, le sondage ayant révélé que même parmi les personnes qui ont soutenu les manifestations de 2020, son indice de confiance est négatif.

En outre, le sondage a été réalisé par une organisation qui, tout au long du rapport, indique clairement qu’elle souhaite le renversement de Loukachenko ; il a été mené en grande partie en ligne, parmi des Biélorusses jeunes et à l’aise avec la technologie, dans les grandes villes — tous des groupes qui ont tendance à être fortement promanifestation et anti-Loukachenko. En tant que telle, l’enquête aurait difficilement pu être conçue de manière plus favorable pour Tsikhanouskaya. Le fait que, même dans ces circonstances, sa popularité soit si faible est révélateur. De plus, le sondage a été réalisé avant qu’elle n’entame une tournée en Occident pour demander des sanctions économiques plus sévères contre son propre pays.

La femme de Washington

Pourquoi, dans ce cas, l’Occident a-t-il décidé de la défendre, mais pas d’autres leaders de l’opposition, dont beaucoup ont une base de soutien bien plus importante selon le sondage ? L’une des explications est que l’administration Loukachenko les a déjà emprisonnés. Viktar Babaryka, par exemple, a été condamné à 14 ans de détention dans une colonie pénitentiaire pour une série de délits financiers. Amnesty et d’autres organisations occidentales ont qualifié ce jugement de « politiquement motivé ». D’autres figures de l’opposition, telles que Maksim Znak et Maria Kalesnikava, ont également été emprisonnées.

Une autre raison pourrait être la volonté absolue et manifeste de Tsikhanouskaya d’être une représentante du gouvernement des États-Unis en Biélorussie. Son conseiller principal, Franak Viačorka, par exemple, est un consultant de l’Agence des États-Unis pour les médias mondiaux ; le directeur créatif de Radio Free Europe/Radio Liberty, une organisation décrite par le New York Times comme un « réseau mondial de propagande construit par la CIA ». Il est également membre non-résident de l’Atlantic Council, une organisation liée à l’OTAN qui compte pas moins de sept anciens directeurs de la CIA dans son conseil d’administration. Lors d’un événement organisé par l’Atlantic Council en juillet, Tsikhanouskaya a appelé l’Occident à faire davantage pour renverser son adversaire, déclarant : « Je pense qu’il est grand temps que les pays démocratiques s’unissent et montrent les dents. » Selon Gershman de la NED, les États-Unis continuent de travailler « très, très étroitement » avec elle.

L’ascension de Tsikhanouskaya, de l’obscurité à la célébrité politique, reflète celle de l’homme politique vénézuélien Juan Guaidó, que les États-Unis considèrent comme le président légitime du pays. Selon l’intellectuel cubain Raul Capote, que la CIA a recruté pour devenir président du pays après ce qu’elle espérait être une tentative réussie de changement de régime, les États-Unis préfèrent travailler avec des personnalités inconnues en raison de leur absence de bagage politique et de la capacité de Washington à les façonner de la manière qui lui convient. Tsikhanouskaya se voit apparemment dans le même moule que Guaidó, qu’elle décrit comme « inspirant ». Pendant ce temps, on peut voir des manifestants antigouvernementaux vénézuéliens arborer le drapeau de l’opposition biélorusse lors de rassemblements.

• Juan Guaidó : « Sviatlana @Tsihanouskaya leader de l’alternative démocratique en Biélorussie, est un exemple de résistance et de dignité pour ceux d’entre nous qui luttent pour la liberté et la démocratie. Les deux sont des causes mondiales. La lutte d’un seul, indépendamment des frontières, est la lutte de tous. #TIME100NEXT » [traduit de l’espagnol (NdT)]
• TIME : « “Svetlana Tikhanovskaya est un exemple de résistance et de dignité pour nous tous qui luttons pour la démocratie dans le monde”, déclare Juan Guaidó #TIME100Next https://ti.me/2Nz7pcf »
• Sviatlana Tsikhanouskaya : « Merci, M. Guaido ! C’est un honneur pour moi de faire partie de la liste. Votre participation est assez inspirante ✌️✊❤️ »

Tsikhanouskaya se présente simplement comme une « présidente de transition » qui ne se représenterait pas aux élections après la chute de Loukachenko. Cela ressemble étrangement à la façon dont Jeanine Añez, la dirigeante bolivienne soutenue par les États-Unis et arrivée au pouvoir après un coup d’État contre Evo Morales en 2019, s’est décrite. Comme Tsikhanouskaya, Añez était également une figure politique obscure présentée par les États-Unis comme la sauveuse de la démocratie. Bien qu’elle se décrive comme la « présidente par intérim », elle a immédiatement commencé à transformer radicalement l’économie et les relations extérieures du pays, privatisant les actifs de l’État et rapprochant la Bolivie des États-Unis. Elle a également suspendu les élections à trois reprises avant d’être forcée de céder après qu’une grève générale nationale ait paralysé le pays.

Pendant son séjour aux États-Unis, Tsikhanouskaya a tenu à rencontrer publiquement la sous-secrétaire d’État aux affaires politiques, Victoria Nuland. Pour les initiés, il s’agissait d’un autre message clair. Nuland était le cerveau de l’insurrection de Maïdan en Ukraine, soutenue par les États-Unis, qui a renversé le gouvernement de Viktor Ianoukovytch et mis en place une administration d’extrême droite pro-occidentale. Nuland s’est rendue à Kiev pour participer elle-même aux manifestations, allant jusqu’à distribuer des biscuits sur la place de l’Indépendance, dans le centre de la ville.

Au Council on Foreign Relations, Tsikhanouskaya a déclaré qu’elle voyait « beaucoup de parallèles » entre sa situation et celle de Maïdan, ajoutant que « le peuple biélorusse se battra jusqu’à notre victoire ».

Journaliste ou enfant-vedette des paramilitaires néonazis ?

L’arrestation de l’opposant Roman Protasevich constitue un deuxième lien avec l’Ukraine. En mai, le gouvernement biélorusse a forcé un vol Ryanair entre la Grèce et la Lituanie, sur lequel se trouvait Protasevich, à atterrir en Biélorussie afin de pouvoir l’arrêter. En guise d’excuse pour cette violation flagrante du droit international, le gouvernement a affirmé avoir reçu une alerte à la bombe crédible.

Dean O’Brien - BA (Hons) : « Des images vidéo ont été tournées sur le soi-disant “journaliste biélorusse” Roman Protasevich, qui semble avoir fait partie du bataillon néonazi “Azov” et a combattu dans la région du #Donbass en Ukraine orientale. »

Les nations occidentales ont fermement condamné cette action, imposant des sanctions à la Biélorussie en représailles. Les médias occidentaux n’ont cependant pas rendu compte des liens de Protasevich avec la révolution de Maïdan et les gouvernements occidentaux. Universellement décrit comme un journaliste courageux, Protasevich était en fait membre du tristement célèbre bataillon Azov, un groupe paramilitaire néonazi qui a fait une grande partie du travail pour renverser Ianoukovytch. Il était littéralement la tête d’affiche du groupe, apparaissant sur la couverture de son magazine Black Sun en treillis complet et tenant un fusil. Le bataillon Azov a depuis été absorbé par les forces armées ukrainiennes.

Après avoir quitté le bataillon Azov, Protasevich a reçu la bourse de journalisme Vaclav Havel à Prague et a travaillé pour Radio Free Europe/Radio Liberty.

Oleksiy Kuzmenko : « Fil de discussion. Re Protasevich et Azov. Voici ce qu’il y a à analyser par rapport à d’autres preuves, commentaires : 1re photo c’est Protasevich, 2e photo c’est la couverture de la publication “Soleil noir” d’Azov juillet 2015 numéro 15. 3e photo c’est ce que @azure dit : “0,70 de confiance” (c’est plutôt élevé). »

Protasevich s’était rendu en Grèce pour assister à une réunion avec Tsikhanouskaya, la présidente de la Grèce et l’ambassadeur des États-Unis Geoffrey Pyatt. Officiellement, il était là en tant que photographe. Cependant, ces connexions suggèrent certainement que cette histoire pourrait être plus complexe qu’il n’y paraît et que les autorités biélorusses ont peut-être soupçonné quelque chose à propos de la réunion, prenant une décision calculée pour le détenir à tout prix. Ce qu’elles ont découvert ou les informations dont Protasevich était porteur ne seront probablement jamais rendus publics.

Roman Protasevich : « J’ai eu la chance de filmer @Tsihanouskaya lors de sa visite à Athènes.
C’était vraiment cool de vivre une telle expérience ! Plus de photos sur les comptes officiels de Svetlana Georgievna. » [traduit du russe (NdT)]

Les États-Unis soutiennent de nombreux tyrans, mais pas ceux qui ne veulent pas jouer le jeu

La principale raison pour laquelle le gouvernement des États-Unis s’oppose à l’administration Lukashenko n’est pas son autoritarisme, aussi réel soit-il. Même selon leurs propres définitions, les États-Unis soutiennent activement environ trois quarts des dictatures du monde. Les principales objections de Washington sont plutôt le refus obstiné de Loukachenko de privatiser les actifs de l’État, d’adhérer à l’OTAN ou d’ouvrir le pays à l’exploitation étrangère. Loukachenko contrôle directement le pays depuis 1994 et, contrairement aux autres anciennes républiques de l’URSS, il a conservé le contrôle de l’industrie et de l’ensemble de l’État-providence mis en place au cours des décennies précédentes.

En conséquence, il n’y a pratiquement pas d’extrême pauvreté en Biélorussie ; selon un rapport de la Banque mondiale et de l’Union européenne, seulement 0,4 % de la population vit avec moins de 5,50 dollars par jour, et personne ne vit avec moins de 3,20 dollars. On ne peut pas en dire autant de ses voisins ; le nombre de personnes par habitant vivant avec moins de 5,50 dollars par jour est 10 fois plus élevé en Lituanie et 18 fois plus élevé en Russie. Dans d’autres pays ex-soviétiques qui ont pris des chemins différents, comme l’Arménie et la Géorgie, la grande majorité vit dans la pauvreté, moins de 10 % gagnant 10 dollars ou plus par jour.

Une grande partie de cette réduction de la pauvreté a eu lieu dans les années 2000. Alors que la plupart des pays entraient dans une récession prolongée après la crise financière de 2008, la Biélorussie allait de mieux en mieux. Entre 2003 et 2014, le nombre de personnes ne pouvant pas dépenser plus de 5,50 dollars par jour est passé de 38,3 % à 0,4 %, tandis que les personnes disposant d’un revenu de classe moyenne (défini par la Banque mondiale comme pouvant dépenser plus de 10 dollars par jour) sont passées de moins de 20 % à plus de 90 % sur la même période, un exploit que la Banque mondiale — qui n’apprécie ni la Biélorussie ni l’URSS — a qualifié d’« impressionnant ».

Le gouvernement a continué à fournir des soins de santé universels et des logements socialisés tout en développant de nouvelles industries telles que le secteur des technologies. Pendant cette période, les inégalités économiques ont effectivement diminué, la Biélorussie devenant aussi égalitaire que les pays scandinaves tant vantés pour leurs sociétés progressistes.

Depuis 2015, cependant, l’économie est en difficulté. Les conseils de la Banque mondiale à la Biélorussie étaient prévisibles : privatiser, réduire les prestations (notamment les allocations de chauffage) et laisser les entreprises faire leur travail. L’administration Loukachenko s’est en fait partiellement engagée dans cette direction, une décision que la Banque mondiale a qualifiée d’« encourageante ». Pour la première fois, l’État emploie directement moins de la moitié de la main-d’œuvre. Toutefois, cela a entraîné une augmentation de la pauvreté et une diminution du soutien à Loukachenko, qui semblait autrefois intouchable. Néanmoins, une enquête menée par la Pologne, pays voisin hostile, a révélé que l’ancien patron de l’agriculture d’État, âgé de 67 ans, bénéficiait d’un taux d’approbation de 41 % et d’un taux de désapprobation de 46 % (ce qui n’est pas très différent de celui de Trump et de Biden).

Les sanctions étatsuniennes et européennes qui ont visé le pays n’ont guère aidé. Bien qu’elles soient présentées comme un effort pour « sévir » contre le « régime » de Loukachenko, les sanctions, comme le notent les Nations unies, « affectent de manière disproportionnée les pauvres et les plus vulnérables ».

En août de cette année, les États-Unis ont annoncé une nouvelle série de sanctions, visant spécifiquement les entreprises publiques dans le but de les rendre moins rentables. L’Union européenne a fait de même, promettant également de sortir la Biélorussie de sa crise s’il renverse Loukachenko. « Une fois que la Biélorussie aura entamé une transition démocratique, l’UE s’engage à l’aider à stabiliser son économie, à réformer ses institutions afin de les rendre plus résistantes et plus démocratiques, à créer de nouveaux emplois et à améliorer le niveau de vie de la population », ont-ils annoncé, ajoutant : « L’UE continuera à soutenir une Biélorussie démocratique, indépendante, souveraine, prospère et stable. Les voix et la volonté du peuple biélorusse ne seront pas réduites au silence. »

Le gouvernement restreint fortement les sondages, de sorte que toute évaluation de l’humeur du public en Biélorussie est loin d’être précise. Toutefois, à en juger par l’enquête Chatham House / RUSI, il est clair qu’une grande partie du pays soutient Loukachenko, tandis qu’une autre partie importante s’oppose à lui, sans compter les personnes qui ne sont pas sûres. Cependant, s’opposer à Loukachenko ne signifie pas nécessairement soutenir Tsikhanouskaya. La Russie est de loin le pays le plus populaire parmi les Biélorusses, dont 32 % souhaitent une unification officielle avec leur grand voisin. Seuls 9 % souhaitent rejoindre l’UE et 7 % l’OTAN. Les États-Unis sont le pays dont on se méfie le plus, même parmi les jeunes citadins férus de technologie interrogés par Chatham House et RUSI. Ainsi, alors que Tsikhanouskaya prétend constamment être la voix authentique de la Biélorussie, il semble que son principal électorat se trouve à Washington et à Bruxelles.

Les États-Unis sont peut-être en mesure de nuire à l’économie biélorusse par le biais d’une guerre économique, mais ils sont incapables de faire accepter à la population le candidat choisi par Washington. Vivant sous un système autoritaire, les Biélorusses rêvent à juste titre d’un avenir plus démocratique. Toutefois, ils doivent faire très attention à qui ils s’allient : la vision de la démocratie et de la prospérité des États-Unis, de l’OTAN et de la Banque mondiale pourrait ne pas correspondre à ce qu’ils avaient naïvement en tête.

Sources :


Source de la photographie d’en-tête :


  1. Fondation nationale pour la démocratie (NdT) 

 

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