Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Dans toute l’Europe, le populisme d’extrême droite est en plein essor. Des partis de droite aux racines néofascistes font partie de coalitions gouvernementales ou augmentent leur nombre de sièges parlementaires. Pourtant, les craintes d’une montée de l’antisémitisme en Europe n’ont pas empêché Israël de s’engager auprès des extrémistes européens — une politique de l’État avant même sa création.
En août, l’ambassadeur d’Israël en Roumanie, Reuven Azar, a rencontré le chef du parti d’extrême droite Alliance pour l’unité des Roumains (Alianța pentru Unirea Românilor / AUR), George Simion, ce qui a suscité l’indignation en Israël et dans la diaspora juive. Le gouvernement israélien boycottait depuis longtemps ce parti en raison de son antisémitisme et de sa rhétorique négationniste, mais la rencontre de l’ambassadeur a semblé inverser cette politique.
Le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, a chargé Azar et le leader des colons, Yossi Dagan, de rencontrer le chef du parti AUR. Le ministère israélien des Affaires étrangères n’a pas répondu aux demandes de commentaires de MintPress News sur cet événement. Outre cette réunion controversée, Cohen a rencontré en juillet le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères de l’Italie, Antonio Tajani, et a insisté sur le renforcement des relations entre les deux États. Cette évolution intervient alors que Giorgia Meloni, chef du parti néofasciste des Frères d’Italie (Fratelli d’Italia / FdI), a prêté serment en tant que Première ministre en 2022. La nouvelle coalition est considérée comme la plus à droite de l’Italie depuis la Seconde Guerre mondiale.
Médias et commentateurs politiques dénoncent le ministère israélien des Affaires étrangères pour ce qui semble être un changement de politique, mais il faut savoir qu’Israël a une longue histoire de soutien aux régimes fascistes et aux hommes politiques de droite à l’étranger.
Les relations qu’Israël entretient avec l’extrême droite datent d’avant la création de l’État. Des groupes activistes sionistes comme l’Irgoun, le Betar et le Lehi (qui ont tous influencé le parti du Likoud du Premier ministre Benyamin Netanyahou) ont été impliqués dans des mouvements fascistes. Le Lehi a tenté de s’allier au Troisième Reich en 1941, tandis que le Betar et l’Irgoun ont reçu le soutien du dictateur italien Benito Mussolini.
Lors d’une conversation privée en novembre 1934 avec Nahum Goldman, fondateur du Congrès juif mondial, Mussolini a exprimé son admiration pour Ze'ev Jabotinsky, fondateur du Betar et de l’Irgoun, en déclarant :
« Pour que le sionisme réussisse, il vous faut un État juif, avec un drapeau juif et une langue juive. La personne qui comprend vraiment cela, c’est votre fasciste, Jabotinsky. »
L’admiration est réciproque avec d’autres dirigeants sionistes, comme Itamar Ben-Avi louant les actions de Mussolini.
En outre, Jabotinsky, reconnu comme le fondateur du sionisme révisionniste, a créé la Betar Naval Academy en Italie sous le règne du duce, où de nombreux futurs commandants de la marine israélienne ont été formés. Plusieurs des cadets étaient connus pour leur soutien à la politique de Mussolini.
« Israël est en fait ancré dans le fascisme », a déclaré le journaliste palestino-américain Ramzy Baroud à MintPress News. « Israël donne l’illusion de représenter le peuple juif alors qu’en réalité, c’est le sionisme qui définit les actions d’Israël. »
Ce qui n’était au départ qu’une appréciation mutuelle s’est rapidement transformé en une coopération gouvernementale officielle. Selon de nombreux documents déclassifiés des archives d’État, les ministères israéliens se sont associés à des dictateurs pendant des décennies.
Par exemple, le ministre israélien des Affaires étrangères, Yigal Allon, a rencontré son homologue et dictateur roumain Nicolae Ceaușescu en 1975 pour discuter d’accords bilatéraux. Le ministre roumain du Tourisme s’est rendu en Israël en 1984 pour discuter de futurs partenariats entre les deux pays.
Plusieurs Premiers ministres israéliens, dont Golda Meir et Menachem Begin, ont effectué des visites officielles en Roumanie dans les années 1970 et 1980, sous le règne de Ceaușescu. Ces rencontres se sont poursuivies bien qu’Israël ait eu connaissance du régime oppressif de Ceaușescu et de ses convictions antisémites.
En plus d’entretenir des relations chaleureuses avec les tyrans européens, les gouvernements israéliens ont contribué aux efforts de nettoyage ethnique pendant la guerre de Bosnie et aux crimes azerbaïdjanais en cours contre les Arméniens dans la région du Haut-Karabakh par le biais d’exportations d’armes. Bien qu’il ait été parfaitement informé de l’existence de camps de concentration serbes pour les musulmans bosniaques, le gouvernement du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin a continué d’exporter des armes vers la Serbie dans les années 1990.
Aujourd’hui, Israël est lié au bataillon Azov d’Ukraine, une milice néonazie. Le groupe a été formé après l’occupation russe de la Crimée en 2014 et a finalement été absorbé par les forces armées ukrainiennes. Il est accusé de crimes de guerre par les Nations unies, et son bras paramilitaire, le Corps national, est associé à des attaques contre les Roms locaux et la communauté LGBTQ. Malgré les affirmations contraires, le bataillon Azov utilise toujours le symbole du Wolfsangel dans son uniforme, un logo largement utilisé dans l’Allemagne nazie et qui reste populaire auprès des néonazis aujourd’hui. Selon de nombreux rapports, le bataillon Azov a utilisé des armes fabriquées par de grandes entreprises d’armement israéliennes telles que Rafael et Israel Weapon Industries.
Dans une tentative de blanchir l’image de la brigade, un officier du bataillon Azov, Illia Samoilenko, s’est rendu en Israël dans le cadre d’une tournée publicitaire organisée en décembre par le groupe activiste local « Israel Friends of Ukraine » (« Les Amis d’Israël en Ukraine »). Au cours de son voyage, Samoilenko a rencontré Naama Lazimi, membre du Parti travailliste au parlement israélien.
Au-delà de l’Europe, Israël a soutenu des régimes autoritaires en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Ces relations impliquaient souvent des contrats d’armement, comme la vente d’armes et la fourniture d’une formation militaire au Chili pendant le règne du dictateur Augusto Pinochet, de 1973 à 1991. Israël a également vendu des armes aux régimes militaires de la Bolivie et du Guatemala dans les années 1970 et 1980. À cette époque, le Guatemala a commis un génocide à l’encontre d’environ 200 000 personnes issues de la population indigène majoritaire. Des armes israéliennes ont également été utilisées dans le génocide rwandais et continuent d’être utilisées dans le génocide en cours au Myanmar contre le peuple des Rohingyas.
L’AUR de Roumanie n’est pas le premier parti politique européen d’extrême droite à nouer des liens avec les représentants du gouvernement israélien. Gianfranco Fini, ancien leader du défunt Mouvement social italien (Movimento sociale italiano / MSI) néofasciste, rebaptisé Alliance nationale (Alleanza nazionale / AN), s’est rendu en Israël en 2003. Son parti était issu du Parti national fasciste (Partito nazionale fascista / PNF) antisémite de Mussolini. Au cours de son voyage, Fini a rencontré le président israélien de l’époque, Moshe Katsav, le Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Silvan Shalom, et l’ex-Premier ministre, Shimon Peres.
Avec la récente montée en puissance politique du parti d’extrême droite allemand Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland / AfD), les dirigeants de ce dernier ont cherché à établir des liens avec Israël afin de renforcer leur légitimité. En 2003, des législateurs de l’AfD ont visité Yad Vashem, le musée commémoratif de l’Holocauste en Israël, et les archives de l’Holocauste à Jérusalem. Et en 2019, une délégation de l’AfD a visité des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée et a rencontré Daniella Weiss, une activiste favorable aux colons.
Rafi Eitan, ancien membre du cabinet israélien et ancien agent du Mossad, a fait l’éloge de l’AfD en 2018, déclarant dans un message vidéo adressé au groupe sur Facebook : « Nous tous en Israël apprécions votre attitude à l’égard du judaïsme. Je suis certain qu’avec un travail acharné et, plus important encore, avec du réalisme, vous pourriez représenter non pas “une alternative pour l’Allemagne”, mais une alternative pour toute l’Europe. » Il a par la suite exprimé des regrets pour ses remarques.
Bien qu’antisémites, ces partis considèrent Israël, l’autoproclamé « État juif », comme un partenaire stratégique dans la poursuite de leurs politiques racistes. Comme l’a expliqué Eitay Mack, avocat israélien spécialiste des droits de l’homme, à MintPress News :
« D’un côté, ils ont des convictions antisémites, mais, de l’autre, ils considèrent que l’État israélien partage des valeurs dans la lutte contre l’islam radical et les immigrants venus d’Afrique et d’ailleurs. »
Et ce processus de réflexion va dans les deux sens. Bien que les détails de la réunion entre l’ambassadeur Reuven, Dagan et Simion n’aient pas été révélés, les analystes supposent que son objectif était d’encourager la Roumanie à déplacer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem et d’obtenir un soutien pour les activités de colonisation israélienne en Cisjordanie occupée. Cette démarche s’inscrit dans la lignée des intérêts israéliens passés lorsqu’il s’agit de s’engager avec des régimes autoritaires. Par exemple, les archives nationales israéliennes des années 1980 décrivent les efforts de lobbying déployés par le ministère des Affaires étrangères au Salvador pour inciter le pays à transférer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem. Dans les télégrammes de 1982 des ambassadeurs israéliens au Salvador, les fonctionnaires racontent comment ils ont rencontré Roberto D’Aubuisson, fondateur et dirigeant du parti d’extrême droite ARENA (Alianza Republicana Nacionalista) lié à la violence généralisée des escadrons de la mort dans le pays. À la suite de ces rencontres, le Salvador a transféré son ambassade à Jérusalem en 1983.
Le militant israélo-américain Miko Peled a expliqué que, si la rencontre avec le parti antisémite AUR nuit temporairement à l’image internationale d’Israël, l’État donnera la priorité à son programme à long terme avant toute autre chose ; Peled a ainsi déclaré à MintPress News :
« Si Israël pense que cela va servir ses intérêts, et si Israël pense que ce politicien en particulier va se hisser au pouvoir un jour, et qu’il sera dans l’intérêt d’Israël d’avoir de bonnes relations avec lui, alors ils [Israël] ignoreront l’antisémitisme. »
Les liens entre les régimes extrémistes européens et Israël sont souvent passés inaperçus, mais Mack explique que ces relations sont de plus en plus mises en lumière aujourd’hui, étant donné que l’extrême droite européenne se normalise sur la scène mondiale en rejoignant des coalitions gouvernementales ou en obtenant davantage de sièges parlementaires.
« Dans le passé, ces relations se déroulaient derrière des rideaux fermés, mais, dans le dernier gouvernement de Netanyahou, ces relations sont devenues plus publiques, plus cérémonielles », a déclaré Mack.
Ces dernières années, Netanyahou a noué des alliances avec les dirigeants conservateurs européens, en particulier au sein du groupe de Visegrad qui comprend la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie. Parmi ses amis d’extrême droite figurent Janez Jansa, l’ancien Premier ministre populiste de droite de la Slovénie, et Matteo Salvini, l’ancien ministre de l’Intérieur italien xénophobe.
Les experts considèrent que ces liens sont un moyen pour Netanyahou de faire pression sur l’Union européenne qui est devenue de plus en plus critique à l’égard des violations des droits de l’homme commises par Israël à l’encontre des Palestiniens. Netanyahou a même implicitement déclaré cette intention en 2018, avant de s’envoler pour un sommet en Lituanie :
« Je souhaite également équilibrer l’attitude pas toujours amicale de l’Union européenne à l’égard d’Israël afin que nous recevions un traitement plus juste et plus sincère. Je le fais par le biais de contacts avec des blocs de pays au sein de l’Union européenne, des pays d’Europe de l’Est, [et] maintenant avec les pays baltes, ainsi que, bien sûr, avec d’autres pays. »
Bien qu’Israël soit insidieusement lié à des establishments d’extrême droite dans le monde entier depuis des décennies, Mack affirme que ce n’est pas à cela qu’il faut prêter attention en déclarant à MintPress News :
« On se concentre trop sur les relations avec l’extrême droite et pas avec le centre, les partis de gauche et les partis conservateurs en Europe, parce qu’ils critiquent les colonies ; mais, ils n’ont pas une politique différente de celle des partis d’extrême droite en ce qui concerne les colonies. »
Mack a souligné que, pas plus tard que ce mois-ci, le ministre israélien des Affaires étrangères, Cohen, a rencontré son homologue norvégien, Anniken Heitfeldt, membre du Parti travailliste de la Norvège, qui fait actuellement partie de la coalition gouvernementale du pays.
Selon sa dernière déclaration à la Securities and Exchange Commission, le fonds souverain norvégien, propriété de l’État, détient des parts dans 70 entreprises israéliennes pour une valeur de plusieurs milliards d’euros. Les dix plus gros investissements du fonds dans des entreprises israéliennes valent 1,8 milliard de dollars. Plusieurs d’entre elles opèrent dans des colonies israéliennes.
Bien que la loi norvégienne interdise la vente d’armes norvégiennes à des pays en guerre ou menacés de guerre (comme Israël), des armes de fabrication norvégienne sont utilisées par Israël. Cela s’explique par le fait que la loi ne s’applique qu’aux armes à feu fabriquées en Norvège, alors que les entreprises d’armement norvégiennes basées dans d’autres pays sont exemptées de cette règle.
Le gouvernement norvégien a également pris des mesures pro-israéliennes dans le passé, notamment en choisissant d’ignorer la base de données des Nations unies sur les compagnies complices des activités de colonisation israélienne, ceci afin qu’une société de tourisme puisse continuer à opérer dans le pays, et en réduisant l’aide à la Palestine en raison de la prétendue provocation figurant dans les manuels scolaires de l’Autorité palestinienne.
« Ces syndicats sont beaucoup plus radicalisés que les partis politiques eux-mêmes », a déclaré Mack à propos des relations entre la Norvège et Israël, expliquant à MintPress News que :
« L’extrême droite européenne soutiendra les colonies et peut-être le transfert de l’ambassade à Jérusalem. Mais, ce sont les partis traditionnels et de centre gauche qui empêchent l’adoption de sanctions à l’encontre d’Israël. Ils sont les principaux complices de l’apartheid israélien. »
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