Compte-rendu du procès Assange, 2ème jour

Compte‑rendu du procès Assange, 2ème jour

Par Craig Murray


Julian Assange Démocratie Répression Dissidence Médias Propagande Politique
États-Unis Royaume-Uni
Rapport Témoignage

Traduit de l’anglais par Viktor Dedaj () • Langue originale : anglais


2ème jour : 25 février 2020

Cet après-midi, l’avocat espagnol de Julian, Baltasar Garzon, a quitté le tribunal pour retourner à Madrid. En sortant, il s’est naturellement arrêté pour serrer la main de son client, en faisant passer ses doigts par l’étroite fente de la cage de verre pare-balles. Assange, à moitié debout, a pris la main de son avocat. Les deux gardes de sécurité dans la cage avec Assange se sont immédiatement levés, mettant la main sur Julian et le forçant à s’asseoir, empêchant la poignée de main.

Ce n’était pas le pire aujourd’hui, loin de là, mais c’est une image frappante de la force brute insensée utilisée continuellement contre un homme accusé de publier des documents. Le fait qu’un homme ne puisse même pas serrer la main de son avocat est contraire à l’esprit dans lequel les membres du système juridique aiment à faire semblant de pratiquer le droit. Je vous offre ce moment étonnant comme un résumé des événements d’hier au tribunal.

Le deuxième jour, la procédure avait commencé par une déclaration d’Edward Fitzgerald, avocat d’Assange, qui nous a brutalement secoués. Il a déclaré qu’hier, le premier jour du procès, Julian avait été déshabillé et fouillé à deux reprises, menotté à onze reprises et enfermé cinq fois dans différentes cellules de détention. De plus, tous les documents judiciaires lui ont été retirés par les autorités de la prison, y compris les communications privilégiées entre ses avocats et lui-même, et il n’a pas pu se préparer à participer au procès d’aujourd’hui.

La magistrate Baraitser a regardé Fitzgerald et a déclaré, d’une voix empreinte de dédain, qu’il avait déjà soulevé de telles questions auparavant et qu’elle lui avait toujours répondu qu’elle n’avait aucune compétence sur le domaine de la prison. Il devrait en parler avec les autorités de la prison. Fitzgerald resta sur ses positions, ce qui lui valut un air très renfrogné de la part de Baraitser, et lui répondit qu’il allait bien sûr recommencer, mais que ce comportement répété des autorités pénitentiaires menaçait la capacité de la défense à se préparer. Il a ajouté que, quelle que soit la juridiction, il était d’usage, selon son expérience, que les magistrats et les juges transmettent leurs commentaires et leurs demandes à l’administration pénitentiaire lorsque le déroulement du procès en était affecté, et que normalement les prisons prêtaient une oreille sympathique.

Baraitser a nié catégoriquement toute connaissance d’une telle pratique et a déclaré que Fitzgerald devrait lui présenter des arguments écrits exposant la jurisprudence en matière de compétence sur les conditions de détention. C’en était trop même pour l’avocat de l’accusation James Lewis, qui s’est levé pour dire que l’accusation voudrait aussi qu’Assange ait une audience équitable, et qu’il pouvait confirmer que ce que la défense suggérait était une pratique normale. Même alors, Baraitser refusait toujours d’intervenir auprès de la prison. Elle a déclaré que si les conditions carcérales étaient si mauvaises qu’elles rendaient impossible un procès équitable, la défense devrait présenter une motion de rejet des accusations pour ce motif. Dans le cas contraire, elle devrait laisser tomber.

L’accusation et la défense ont toutes deux semblé surprises par l’affirmation de Baraitser selon laquelle elle n’avait pas entendu parler de ce qu’elles qualifiaient toutes deux de pratique courante. Lewis a peut-être été sincèrement préoccupé par la description choquante du traitement de la prison d’Assange hier ; ou il a peut-être juste eu des alarmes qui se sont déclenchées dans sa tête en criant « annulation du procès ». Mais le résultat net est que Baraitser ne fera rien pour empêcher les abus physiques et mentaux de Julian en prison, ni pour essayer de lui donner la possibilité de participer à sa défense. La seule explication réaliste qui me vienne à l’esprit est que Baraitser a été prévenue, car ce mauvais traitement continu et la confiscation de documents relèvent de la haute autorité du gouvernement.

Un dernier petit incident à relater : après avoir fait la queue à nouveau dès les premières heures, j’étais dans la dernière file d’attente avant l’entrée de la galerie publique, lorsque le nom de Kristin Hrnafsson, rédacteur en chef de Wikileaks, avec qui j’étais en train de parler, a été prononcé. Kristin s’est identifié, et le fonctionnaire du tribunal lui a dit qu’il lui était interdit d’entrer dans la galerie publique.

J’étais avec Kristin pendant toute la procédure la veille, et il n’avait rien fait de mal — c’est un homme plutôt calme. Lorsqu’il a été appelé, c’était par son nom et par son titre professionnel — ils interdisaient spécifiquement le rédacteur en chef de Wikileaks de participer au procès. Kristin a demandé pourquoi et on lui a répondu que c’était une décision de la Cour.

À ce stade, John Shipton, le père de Julian, a annoncé que dans ce cas, les membres de la famille allaient tous partir aussi, et ils l’ont fait, en sortant du bâtiment. Ils ont alors commencé, avec d’autres, à tweeter la nouvelle du départ de la famille. Cela a semblé causer une certaine consternation parmi les fonctionnaires du tribunal, et quinze minutes plus tard, Kristin a été réadmis. Nous ne savons toujours pas ce qui se cache derrière tout cela. Plus tard dans la journée, les journalistes ont été informés par les fonctionnaires que c’était simplement pour avoir resquillé (dans la file d’attente), mais cela semble improbable, car il a été renvoyé par le personnel qui l’a appelé par son nom et son titre, plutôt que de l’avoir repéré comme un resquilleur.

Aucune de ces informations ne concerne l’affaire officielle. Tout ce qui précède vous en dit plus sur la nature draconienne du simulacre de procès politique qui se déroule que sur la mascarade qui se déroule dans la salle du tribunal. Il y a eu des moments aujourd’hui où j’ai été happé par l’argumentaire judiciaire et suspendu aux lèvres comme on peut l’être au théâtre, et j’ai commencé à penser « Wow, cette affaire se passe bien pour Assange ». Puis un événement tel que ceux relatés ci-dessus se produit, une froideur s’empare de votre cœur, et vous vous souvenez qu’il n’y a pas de jury à convaincre. Je crois que rien de ce qui sera dit ou prouvé dans la salle d’audience n’aura un impact sur le verdict final de ce tribunal.

Passons donc à la procédure proprement dite.

Pour la défense, Mark Summers a déclaré que les accusations des États-Unis dépendaient entièrement de trois accusations factuelles de comportement d’Assange :

1) Assange a aidé Manning à décoder une clé de cryptage pour accéder à du matériel classifié.
Summers a déclaré qu’il s’agissait d’une allégation fausse prouvée lors de la cour martiale de Manning.

2) Assange a sollicité le matériel auprès de Manning.
M. Summers a déclaré que les informations publiques prouvaient que cela était faux.

3) Assange a sciemment mis des vies en danger.
M. Summers a déclaré qu’il était prouvé que cela était faux, tant à partir d’informations accessibles au public qu’en raison de l’implication spécifique du gouvernement étatsunien.

En résumé, M. Summers a déclaré que le gouvernement étatsunien savait que les allégations formulées étaient fausses quant aux faits et qu’il était prouvé qu’elles avaient été formulées de mauvaise foi. Il s’agit donc d’un abus de procédure qui devrait conduire au rejet de la demande d’extradition. Il a décrit les trois chefs d’accusation ci-dessus comme « de la foutaise, de la foutaise et de la foutaise ».

Summers a ensuite passé en revue les faits. Il a déclaré que les accusations des États-Unis divisent en trois catégories les documents divulgués par Manning à Wikileaks :

a) Câbles diplomatiques

b) Les notes d’évaluation des détenus de Guantanamo

c) Règles d’engagement pour la guerre en Irak

d) Journaux de guerre afghans et irakiens

Summers a ensuite méthodiquement passé en revue les points a), b), c) et d) en les reliant chacun à leur tour aux comportements allégués 1), 2) et 3), en douze explications et démonstrations en tout. Ce compte rendu exhaustif a pris environ quatre heures et je ne tenterai pas de le reproduire ici. Je vais plutôt en donner les grandes lignes, mais je me référerai occasionnellement au numéro du comportement allégué et/ou à la lettre de l’allégation. J’espère que vous suivrez cette méthode — il m’a fallu un certain temps pour le faire !

Pour 1) Summers a démontré de façon concluante que Manning avait accès à chaque matériel a) b) c) d) fourni à Wikileaks sans avoir besoin d’un code d’Assange, et qu’elle avait cet accès avant même de contacter Assange. Manning n’avait pas non plus besoin d’un code pour dissimuler son identité comme l’alléguait l’accusation — la base de données des analystes du renseignement à laquelle Manning pouvait accéder — comme des milliers d’autres — ne nécessitait pas de nom d’utilisateur ou de mot de passe pour y accéder à partir d’un ordinateur militaire professionnel. Summers a cité le témoignage de plusieurs officiers de la cour martiale de Manning pour le confirmer. Le fait de casser le code d’administration du système ne donnerait pas non plus à Manning l’accès à d’autres bases de données classifiées. Summers a cité le témoignage de la cour martiale de Manning, où cela avait été accepté, selon lequel la raison pour laquelle Manning voulait accéder à l’administration des systèmes était de permettre aux soldats de mettre leurs jeux vidéo et leurs films sur les ordinateurs portables du gouvernement, ce qui en fait se produisait fréquemment.

Le magistrat Baraitser a procédé à deux reprises à des interruptions importantes. Elle a fait remarquer que si Chelsea Manning ne savait pas qu’elle ne pouvait pas être tracée comme l’utilisateur qui avait téléchargé les bases de données, elle aurait pu par ignorance demander l’aide d’Assange pour cracker un code afin de dissimuler son identité ; même si elle n’avait pas besoin de le faire, l’aide d’Assange constituerait une infraction.

Summers a souligné que Mme Manning savait qu’elle n’avait pas besoin de nom d’utilisateur et de mot de passe, car elle avait en fait accédé à tous les documents sans en avoir. Baraitser a répondu que cela ne constituait pas une preuve qu’elle savait qu’elle ne pouvait pas être pistée. Summers a déclaré qu’il n’était pas logique de soutenir qu’elle cherchait un code pour dissimuler son nom d’utilisateur et son mot de passe, alors qu’il n’y avait pas de nom d’utilisateur et de mot de passe. Baraitser a répondu à nouveau qu’il ne pouvait pas le prouver. C’est à ce moment que Summers est devenu quelque peu irritable avec Baraitser, et a énuméré de nouveau les preuves présentées à la cour martiale.

Baraitser a également fait remarquer que même si Assange aidait Manning à craquer un code d’administrateur, même si cela ne lui permettait pas d’accéder à d’autres bases de données, il s’agissait toujours d’une utilisation non autorisée et cela constituerait le crime de complicité d’utilisation abusive d’un ordinateur, même si c’est dans un but innocent.

Après une brève pause, Baraitser est revenue avec quelques bien bonnes. Elle a dit à Summers qu’il avait présenté les conclusions de la cour martiale étatsunienne de Chelsea Manning comme des faits. Mais elle n’était pas d’accord avec le fait que son tribunal devait considérer les preuves présentées devant une cour martiale étatsunienne, même les preuves agréées ou non contestées ou les preuves de l’accusation, comme des faits. Summers a répondu que les preuves convenues ou les preuves à charge devant la cour martiale étatsunienne étaient clairement considérées comme des faits par le gouvernement étatsunien, et que la question était de savoir si le gouvernement étatsunien lançait de fausses accusations en toute connaissance de cause. Baraitser a déclaré qu’elle reviendrait sur ce point une fois les témoins entendus.

Baraitser ne cherchait pas à dissimuler son hostilité envers l’argument de la défense, et semblait irritée qu’ils aient eu la témérité de le formuler. Cela parut évident lors de la discussion sur le point c), les règles d’engagement de la guerre en Irak. Summers a fait valoir que celles-ci n’avaient pas été sollicitées auprès de Manning, mais qu’elles avaient plutôt été fournies par Manning dans un dossier d’accompagnement avec la vidéo Collateral Murder qui montrait le meurtre d’enfants et de journalistes de Reuters. L’objectif de Manning, comme elle l’a déclaré lors de sa cour martiale, était de montrer que les actions visibles dans Collateral Murder violaient les règles d’engagement, même si le ministère de la Défense affirmait le contraire. Summers a déclaré qu’en n’incluant pas ce contexte, la demande d’extradition étatsunienne tentait délibérément de tromper, car elle ne mentionnait même pas du tout la vidéo Collateral Murder.

À ce stade, Baraitser ne pouvait pas dissimuler son mépris. Essayez d'imaginer Lady Bracknell disant « Un sac à main » ou « la ligne de Brighton », ou si votre éducation ne s‘est pas déroulée de cette façon, essayez d'imaginer Pritti Patel apercevant un immigrant handicapé. Ceci est une citation littérale :

« Suggérez-vous, M. Summers, que les autorités, le gouvernement, devraient fournir le contexte de leurs accusations ? »

Un Summers infatigable a répondu par l’affirmative et a ensuite montré où la Cour suprême l’avait dit dans d’autres affaires d’extradition. Baraitser semblait totalement perdue devant l’idée qu’on pouvait prétendre faire une distinction entre le gouvernement et Dieu.

L’essentiel de l’argumentation de Summers consistait à réfuter le comportement 3), la mise en danger de vies. Cela n’a été revendiqué qu’en relation avec les éléments a) et d). Summers a longuement décrit les efforts déployés par Wikileaks avec ses partenaires médiatiques pendant plus d’un an pour mettre en place une campagne de rédaction massive sur les câbles. Il a expliqué que les câbles non expurgés n’ont été disponibles qu’après que Luke Harding et David Leigh du Guardian aient publié le mot de passe de l’archive en tête du chapitre XI de leur livre sur Wikileaks, publié en février 2011.

Personne n’avait fait le rapprochement avec le mot de passe jusqu’à ce que la publication allemande Die Freitag le fasse et annonce en août 2011 qu’elle avait tous les câbles non expurgés. Summers a ensuite présenté les arguments les plus percutants de la journée.

Le gouvernement étatsunien avait participé activement à l’exercice de rédaction des câbles. Ils savaient donc que les allégations de publication imprudente étaient fausses.

Une fois que Die Freitag a annoncé qu’ils avaient les documents non expurgés, Julian Assange et Sara Harrison ont immédiatement téléphoné à la Maison Blanche, au département d’État et à l’Ambassade des États-Unis pour les avertir que les sources nommées pouvaient être mises en danger. Summers a lu les transcriptions des conversations téléphoniques alors qu’Assange et Harrison tentaient de convaincre les responsables étatsuniens de l’urgence d’activer les procédures de protection des sources — et ont exprimé leur perplexité face à l’obstruction des responsables. Ces preuves ont complètement miné le dossier du gouvernement étatsunien et ont prouvé la mauvaise foi en omettant des faits extrêmement pertinents. Ce fut un moment très frappant.

En ce qui concerne le même comportement 3) sur les documents d), Summers a montré que la cour martiale de Manning avait admis que ces documents ne contiennent pas de noms de sources en danger, mais a montré que Wikileaks avait de toute façon activé un exercice de rédaction pour une approche « ceinture et bretelles ». La défense a dit bien plus.

Pour l’accusation, James Lewis a indiqué qu’il répondrait de manière approfondie plus tard dans la procédure, mais a souhaité déclarer que l’accusation n’accepte pas les preuves de la cour martiale comme des faits, et en particulier n’accepte aucun des témoignages « intéressés » de Chelsea Manning, qu’il a dépeinte comme une criminelle condamnée se prévalant à tort de nobles motifs. L’accusation a généralement rejeté toute idée selon laquelle cette cour devrait examiner la vérité ou les faits, car ceux-ci ne pouvaient être décidés que lors d’un procès aux États-Unis.

Ensuite, pour conclure la procédure, Baraitser a lancé une bombe. Elle a déclaré que bien que l’article 4.1 du traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni interdise les extraditions politiques, cela ne figure que dans le traité. Cette exemption n’apparaît pas dans la loi britannique sur l’extradition. À première vue, l’extradition politique n’est donc pas illégale au Royaume-Uni, car le traité n’a pas de force juridique devant la Cour. Elle a invité la défense à aborder cet argument dans la matinée.

Il est maintenant 6h35 et je suis en retard pour commencer à faire la queue…

Avec nos remerciements à ceux qui ont fait des dons ou qui se sont inscrits pour rendre ce reportage possible.

Cet article est entièrement libre de reproduction et de publication, y compris en traduction, et j’espère vivement que les gens le feront activement. La vérité nous rendra libres.

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