Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Les graines de ce conflit n’ont pas été plantées en 2014, ni même en 1991. Elles ont plutôt été semées dès le 22 juin 1941, lorsque les troupes nazies ont traversé la frontière pour la première fois dans le cadre de l’opération Barbarossa de Franz Halder.
« L’histoire n’est pas ce qui s’est passé, mais les récits de ce qui s’est passé et les leçons que ces récits comportent. Le choix même des histoires à enseigner dans une société façonne notre vision de la manière dont ce qui est est arrivé et, par conséquent, ce que nous considérons comme possible. Ce choix de l’histoire à enseigner ne peut jamais être “neutre” ou “objectif”. Ceux qui choisissent, soit en suivant un programme établi, soit en étant guidés par des préjugés cachés, servent leurs intérêts. Leurs intérêts peuvent être de poursuivre ce monde tel qu’il existe actuellement ou de créer un nouveau monde. »
(Howard Zinn)
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, nombre des architectes responsables des pires atrocités de l’histoire ont été secourus et protégés par les services de renseignement américains. Le rôle manifeste de scientifiques nazis, tels que Wernher von Braun (qui a personnellement supervisé la torture et le meurtre d’esclaves) dans le programme spatial des États-Unis et l’industrie ouest-allemande, est connu de tous depuis des décennies.
Ces dernières années, la fin de la guerre froide a permis de révéler que les « gladiateurs » de la CIA, tels que Yaroslav Stetsko et Licio Gelli, influençaient par tous les moyens nécessaires l’évolution politique du monde. De l’Allemagne et de l’Italie au Japon et à la Corée du Sud, il existe désormais un vaste ensemble de preuves de l’existence de grands réseaux, bien financés, de terroristes fascistes qui n’ont pas hésité à recourir à la violence pour obtenir la conformité de la part des peuples « libres » du monde.
Ce que l’on sait moins, c’est que des milliers d’universitaires fascistes et anticommunistes ont également été secourus et entretenus par les États-Unis pour mener une guerre idéologique contre le communisme. Ces historiens révisionnistes ont passé des décennies à travailler dans l’ombre de la presse universitaire jusqu’à ce que la chute de l’Union soviétique leur permette de rentrer chez eux et de réécrire enfin l’histoire à leur goût. Après des décennies d’efforts, nous pouvons maintenant voir le résultat de leur travail : les graines plantées il y a 70 ans ont finalement engendré leurs fruits empoisonnés.
« Cette lutte exige une action impitoyable et énergique contre les agitateurs bolcheviques, les guérilleros, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination totale de toute résistance active ou passive. »
(Franz Halder, Directives pour la conduite des troupes en Russie)
L’un des premiers et des plus importants de ces historiens n’était pas du tout un historien.
Franz Halder était un officier d’état-major de carrière, ayant débuté dans la Reichswehr1 pendant la Première Guerre mondiale. Il a rejoint le parti nazi en 1933 et son amitié personnelle et étroite avec Hitler lui a permis de gravir très rapidement les échelons. En 1938, il a été nommé chef d’état-major général de l’Oberkommando des Heeres2 (OKH), ce qui faisait de lui le chef de la planification de l’ensemble de l’armée allemande et le deuxième commandant après le führer lui-même. Aucun ordre ne pouvait quitter le quartier général de l’OKH sans l’approbation et la signature de Franz Halder. Cela signifie que Halder était non seulement intimement conscient des crimes du régime, mais qu’il en avait planifié la plupart.
Dès l’invasion de la Pologne en 1939, il a personnellement autorisé la liquidation des « indésirables » tels que les Juifs, les Polonais et les communistes. Son bureau était responsable du tristement célèbre Kommissarbefehl (Ordre des commissaires) et du décret Barbarossa qui permettaient aux soldats nazis d’exécuter des civils à volonté et sans répercussion. Ces ordres ont conduit à la mort de millions de personnes en Union soviétique, à la fois par déportation dans des camps et par des campagnes de représailles brutales dans les territoires occupés.
« Des mesures collectives drastiques seront prises immédiatement contre les communautés d’où sont lancées des attaques perfides ou insidieuses contre la Wehrmacht, sur ordre d’un officier ayant au moins le grade de chef de bataillon et plus, si les circonstances ne permettent pas d’appréhender rapidement les coupables individuels. »
(Décret sur la juridiction de la loi martiale et sur les mesures spéciales des troupes [alias le décret Barbarossa], 13 mai 1941)
Sous l’euphémisme de « guerre de sécurité », les nazis ont anéanti des villes et des villages entiers dans les territoires occupés. Selon l’époque et le lieu, les méthodes employées allaient du tir par armes à feu et du lance-flamme à la torture, au viol et au pillage. Le résultat était toujours le même. Toute colonie où se trouvaient des partisans présumés était complètement dépeuplée de tous les hommes, femmes et enfants.
Au total, un minimum de 20 millions de civils soviétiques a été tué par les nazis, mais certains spécialistes russes estiment que le véritable chiffre est au moins le double.
Halder était un professionnel accompli ; il se penchait sur les documents pendant des semaines, les écrivant et les réécrivant pour s’assurer que le langage était aussi précis que possible, sans ambiguïté. Il a réussi, car ses ordres ont été largement utilisés comme preuves contre le régime nazi lors du procès de Nuremberg et, aujourd’hui encore, ils sont spécifiquement cités comme le type d’ordre criminel que les soldats doivent refuser.
Les Alliés ont considéré les ordres de Halder comme si répréhensibles que des nazis tels que Hermann Hoth et Wilhelm von Leeb ont été condamnés pour crimes contre l’humanité simplement pour les avoir transmis à leurs subordonnés. De nombreux nazis de rang inférieur ont été pendus pour avoir suivi les ordres de Halder en Union soviétique. Malgré tout cela, Halder n’a subi aucune conséquence pour les avoir émis.
Après que Halder s’est rendu à l’armée des États-Unis, ces derniers ont refusé de le juger à Nuremberg. Au lieu de cela, il n’a fait face qu’à un procès mineur pour « aide au régime nazi » devant un tribunal allemand. Il a nié toute connaissance des crimes qui portaient pourtant sa signature comme preuve littérale et a été déclaré non coupable. Après la guerre, il a mené une vie confortable en tant qu’auteur, commentateur et « consultant historique » pour le Centre d’histoire militaire de l’armée des États-Unis (Army Center of Military History / CMH ou ACMH).
Le vieux fasciste a été sauvé de la potence pour servir de planificateur principal d’une autre guerre. Il ne planifiait plus de vastes batailles ni l’extermination des races, mais il restait à la pointe de la guerre contre ce qu’il appelait le « judéo-bolchevisme », un terme qu’il a appris de son Führer bien-aimé.
Le travail de Halder consistait à réhabiliter le nazisme au profit de ses nouveaux mécènes américains. Si les nazis pouvaient être idéologiquement séparés du peuple allemand et de l’armée allemande, l’Amérique pourrait utiliser les soldats d’Hitler les plus utiles dans sa guerre contre l’Union soviétique sans éveiller les soupçons. Halder a supervisé une équipe de 700 anciens officiers de l’armée du Troisième Reich et a intentionnellement entrepris de réécrire l’histoire pour présenter l’image d’une Wehrmacht propre et d’un peuple allemand ignorant de la brutalité nazie. Son adjoint était l’agent de la CIA Adolf Heusinger, un criminel de guerre nazi qui était en grande partie responsable de la planification des massacres sans fin de la « guerre de sécurité », et qui a ensuite été commandant de l’armée allemande et de l’OTAN.
Par la manipulation, la fabrication et la censure généralisée, Halder et Heusinger ont créé un récit complet d’eux-mêmes et de la Wehrmacht comme des victimes brillantes, nobles et honorables du fou Hitler plutôt que comme des monstres qui ont massacré un continent.
Ils ont publié des tonnes de mensonges fantaisistes avec le CMH, affirmant que la Wehrmacht n’avait commis aucun crime sur le front oriental. Selon eux, les nazis ont créé des marchés et des centres culturels pour acheter de la nourriture aux agriculteurs locaux et organiser des danses et des événements sociaux pour les personnes reconnaissantes. Halder et Heusinger ne mentionnent que brièvement les problèmes à l’Est, affirmant qu’ils étaient le fait d’infiltrés « judéo-bolcheviques » du NKVD et non de la noble Wehrmacht.
Rien de tout cela n’aurait pu être aussi éloigné de la vérité. Sous les ordres sans équivoque de l’OKH, la Wehrmacht était directement responsable de la soumission et de l’extermination d’un continent entier dans le cadre du Generalplan Ost.3 Chaque parcelle de l’Europe de l’Est devait être nettoyée par et au profit de la Wehrmacht, et les soldats ont bien rempli leur tâche.
L’arme principale était la famine. La Wehrmacht se nourrissait des terres conquises, puisant dans les ressources et la main-d’œuvre en quantités massives. Des programmes brutaux de réquisition de céréales et de viande ont tué des millions de personnes, tandis que les autres travaillaient dur pour nourrir leurs suzerains nazis avec une ration quotidienne de 420 calories. Lors de la phase de planification de l’opération Barbarossa, les nazis ont conclu que la guerre ne pouvait être gagnée que si l’ensemble de la Wehrmacht était alimentée par les terres soviétiques dès la troisième année. En 1944, ils ont réquisitionné plus de 5 millions de tonnes de céréales et 10,6 millions de tonnes d’autres denrées alimentaires dans les territoires occupés, dont 80 % ont été consommés par la Wehrmacht.
Les nazis n’avaient pas seulement besoin de nourriture pour conquérir le monde. Ils avaient également besoin d’armes et d’équipements. Pour cela, l’Allemagne a mobilisé sa puissance industrielle de réputation mondiale. Les tristement célèbres camps de concentration contenaient d’énormes usines et complexes de travail où des millions d’esclaves travaillaient jusqu’à la mort pour fabriquer les armes et les équipements que la Wehrmacht utilisait pour les soumettre. Compte tenu de l’ampleur des contrats, très peu de sociétés allemandes ont gardé les mains propres, et même les plus sales ont conservé après la guerre tout leur argent issu du sang.
Les deux éléments entretenaient une relation symbiotique presque parfaite. Le capital allemand servait les intérêts de l’armée, et l’armée servait les intérêts du capital. À mesure que les nazis avançaient dans leur conquête, ils prenaient des esclaves pour construire davantage d’armes, qui étaient ensuite utilisées pour conquérir et prendre davantage d’esclaves. Le monstre à deux têtes exploitait les terres conquises avec une efficacité si sauvage que les généraux et les planificateurs économiques nazis craignaient de manquer de main-d’œuvre.
« Lorsque nous tuons les Juifs, laissons mourir les prisonniers de guerre, exposons une partie considérable de la population urbaine à la famine et, au cours de l’année à venir, perdons également une partie de la population rurale à cause de la faim, il reste à répondre à la question suivante : qui est censé produire de la valeur économique ? »
(Général de division Hans Leykauf)
Malgré l’énormité de ses crimes, le blanchiment de Halder a eu un succès fou ; ce n’est qu’après la chute de l’URSS qu’un historien occidental a remis en question ses mensonges.
Même les chercheurs bien intentionnés se sont laissés prendre à son piège. Halder jouissait d’un statut spécial, ne divulguant des informations qu’aux journalistes et historiens les plus privilégiés. Grâce à la légitimité que lui conféraient son titre, son accès aux informations et le soutien du gouvernement des États-Unis, le CMH de Halder était considéré comme une source de référence pour les historiens universitaires. Halder s’en servait pour contrôler soigneusement à qui il communiquait ses informations très convoitées, s’assurant ainsi d’obtenir un impact maximal.
De 1955 à 1991, ses travaux ont été cités au moins 700 fois dans des publications universitaires, notamment par des professeurs et des chercheurs des académies militaires occidentales. Comme les historiens occidentaux ont été contraints de boire au puits de Halder, ils ont transmis le poison à leurs étudiants, et de là, les mensonges ont fait leur chemin dans la conscience publique. Finalement, la propagande nazie a été érigée en « vérité » par la simple répétition et le contrôle minutieux des sources.
Bien que l’accès aux archives soviétiques ait conduit à une résistance croissante à cette propagande, certains historiens, comme Timothy Snyder de l’université de Yale, s’appuient toujours fortement sur les idées de Halder, ou les recyclent, pour soutenir ce que l’on appelle la théorie du « double génocide ». Créée par des néonazis baltes pour dissimuler leur participation à l’Holocauste et leur collaboration généralisée avec le régime nazi, cette théorie a langui dans l’obscurité jusqu’à ce que Snyder la mette au goût du jour avec son livre Bloodlands. Même 70 ans après sa publication, le poison de Halder reste un élément clé dans les tentatives de dépeindre l’Armée rouge comme rien de plus que des sauvages, et ainsi de faire paraître les nazis plus… modérés.
L’armée savait que Halder ne publiait rien d’autre que des justifications, mais c’était le but. Halder est resté dans l’armée pendant des décennies et a été fréquemment récompensé pour son travail bien fait. Il a même reçu une médaille pour Service civil méritoire en 1961, en l’honneur de son travail inlassable dans la cause de la négation du génocide.
« Il est nécessaire d’éliminer les sous-hommes rouges, ainsi que leurs dictateurs du Kremlin. Le peuple allemand devra accomplir la plus grande tâche de son histoire, et le monde entendra que cette tâche sera accomplie jusqu’au bout. »
(Messages de la Wehrmacht pour les troupes, nº 112, juin 1941)
« À l’Est, j’ai l’intention de piller et de saccager efficacement. Tout ce qui peut convenir aux Allemands à l’Est doit être extrait et ramené en Allemagne immédiatement. »
(Hermann Goering)
Après des décennies de lutte dans l’obscurité, la chute de l’Union soviétique a créé une opportunité en or pour les universitaires fascistes. Alors que les professeurs ex-soviétiques partaient, prenaient leur retraite ou étaient licenciés pendant les tumultueuses années 1990, une génération entière d’universitaires fascistes élevés à l’Ouest était prête à les remplacer.
Des écoles privées richement financées ont vu le jour dans tout l’ancien Pacte de Varsovie, avec un personnel composé de professeurs fascistes venus du Canada, d’Australie et des États-Unis qui avaient passé des décennies à réhabiliter leurs prédécesseurs collaborationnistes nazis.
Grâce au soutien financier quasi illimité de l’OTAN et à un éventail vertigineux d’ONG affiliées, les fascistes pouvaient désormais réécrire l’histoire à leur goût et former toute une génération de nouveaux soldats dans leur guerre idéologique.
À titre d’exemple, nous pouvons nous concentrer sur la vie et l’époque du correspondant de guerre du Kyiv Independent, Illia Ponomarenko. À travers lui, nous pouvons voir certains des engrenages de la machine.
Ponomarenko est né dans la ville de Volnovakha, dans l’oblast de Donetsk, en Russie. Cette ville d’environ 20 000 habitants, qui faisait alors partie de l’Ukraine, se trouve à environ 64 kilomètres au nord de Marioupol et de la mer d’Azov.
Fondée en 1881 en tant que station pour ce qui était connu sous le nom de « Chemin de fer de Catherine », un grand projet ferroviaire nommé à titre posthume en l’honneur de l’impératrice régnante, la ville a été peu remarquable depuis. Ponomarenko a finalement déménagé dans le sud pour aller étudier à Marioupol, la ville portuaire industrielle qui constituait l’épine dorsale de l’économie de la région.
Marioupol et ses environs ont souvent été mêlés à l’histoire tumultueuse de l’Ukraine. La région a été l’un des principaux points chauds de la guerre civile russe et a changé de mains à plusieurs reprises au cours des combats entre l’Armée rouge, les forces tsaristes, les bandits de Makhno et les empires centraux, avant d’être reprise par les forces soviétiques en 1920.
Au cours des décennies suivantes, la région a connu une explosion du développement économique en raison de sa position stratégique sur la mer d’Azov, à quelques encablures seulement des mines de fer les plus riches d’URSS. La construction de la désormais célèbre aciérie d’Azovstal, joyau du premier plan quinquennal de Staline, est l’une des plus remarquables. Les fondations de l’usine ont été posées en 1930 et, en 1933, Azovstal a produit son premier lingot de fonte. La production augmente rapidement et, en 1939, l’usine établit un record mondial en produisant 1 614 tonnes de fonte brute en une seule journée.
Lorsque les nazis sont venus asservir l’Ukraine, Marioupol et Azovstal ont fait preuve de détermination. L’usine a produit des blindages pour les chars T-34 jusqu’au bout, les derniers ouvriers étant évacués le jour même de la prise de la ville par les nazis. En partant, les ouvriers ont détruit les hauts fourneaux et les centrales électriques pour en priver l’ennemi. Azovstal est passé sous le contrôle de Krupp, mais les sabotages répétés des partisans soviétiques ont maintenu l’usine hors service jusqu’en 1945.
Plus de 6 000 ouvriers d’Azovstal ont combattu les nazis en tant que partisans ou soldats de l’Armée rouge. Plusieurs centaines d’entre eux ont été décorés pour leur courage, dont huit ont été nommés Héros de l’Union soviétique, la plus haute distinction possible pour un soldat de l’Armée rouge. Malheureusement, des centaines d’entre eux ont payé le prix ultime dans la guerre contre le fascisme. Un monument a été érigé en leur honneur à l’extérieur de l’usine, mais le régime de Maïdan, sans doute honteux de ce qu’il représente, l’a laissé s’effondrer.
Même cette grande et coûteuse victoire n’a apporté qu’un sursis à Marioupol. Les habitants de la ville ont vécu pendant des décennies dans la paix et la prospérité, sans se douter de ce qui les attendait. En 1991, moins de 50 ans après la victoire de 1945, les monstres sont revenus pour ravager une fois de plus l’Ukraine et son peuple.
En 1990, après une décennie de sabotage économique et au bord de l’effondrement, l’indice de développement humain de l’URSS était le 25e plus élevé au monde, à 0,920. Après l’effondrement un an plus tard, il ne sera plus jamais aussi haut.
En 2019, la dernière année où des données ont été publiées avant la guerre, la Russie était classée 52e. Loin de la prospérité que leur promettait l’Occident, quatre années de régime de Maïdan ont encore aggravé la situation de l’Ukraine, qui est passée de la 83e place en 2014 à la 88e, en dessous du Sri Lanka, du Mexique et de l’Albanie. L’Iran et Cuba, écrasés sous la guerre du siège que l’Amérique appelle par euphémisme des sanctions, offrent encore un meilleur niveau de vie à leur population.
En 2022, aucune des anciennes républiques soviétiques n’a retrouvé son niveau de 1990. Même lorsque l’URSS était à quelques mois de sa dissolution, les citoyens soviétiques jouissaient d’une plus grande prospérité que depuis leur « libération ». Leur richesse et leur sécurité ne se sont pas évanouies dans l’éther ; elles ont plutôt été volées par les mêmes capitalistes occidentaux qui ont pillé le pays une fois auparavant.
Il est facile de considérer ces chiffres comme de simples abstractions, des mesures d’une machine économique vaste et presque incompréhensible, mais, tout comme dans les années 1940, cette campagne de pillage systématique a été mortelle. Des études évaluées par des pairs ont conclu à un minimum de cinq millions de décès excédentaires dus à la famine, au manque de soins médicaux, à la toxicomanie et aux privations dans la seule Russie entre 1991 et 2001. Si l’on ajoute le reste des anciennes républiques soviétiques, la facture du boucher dépasse facilement celle de l’Holocauste.
Si cela s’était produit ailleurs, ou si cela avait été perpétré par quelqu’un d’autre, on l’aurait qualifié pour ce qu’il est : un génocide. Le fait d’avoir grandi au milieu de la dévastation causée par la brutalité effrénée de l’« ordre international fondé sur des règles » rend la future collaboration de Ponomarenko encore plus choquante.
Pour suivre des cours à l’université d’État de Marioupol (Mariupol State University / MSU), Ponomarenko s’est installé dans la ville en 2010. Malgré son nom inoffensif, cet établissement a été fondé en 1991 grâce à des subventions de l’USAID4 et de George Soros ; il reçoit aujourd’hui encore des fonds considérables de la part des États-Unis et de l’UE. La ligne de l’université est ouvertement pro-OTAN, ses professeurs visitent le siège de l’OTAN et l’établissement affiche fièrement ses liens avec des think tanks (groupes de réflexion) atlantistes basés à Washington.
La MSU n’est pas unique. Des universités comme celle-ci ont vu le jour dans tout le bloc de l’Est, grâce à l’argent des gouvernements occidentaux et de leurs think tanks. L’Open Society Foundation, soutenue par Soros, était un canal particulièrement important à cet égard. Non seulement Soros a créé des dizaines de nouvelles universités dans tout le bloc de l’Est, mais il est allé jusqu’à produire de nouveaux manuels scolaires pour les écoles primaires et secondaires de la région. Ses écoles comptent parmi leurs anciens élèves des présidents, des membres du parlement et d’innombrables bureaucrates de moindre importance.
Tout cela est au service de sa guerre contre le communisme, qu’il mène depuis au moins les années 70 avec le soutien officiel et officieux du gouvernement. Il est particulièrement ironique que la droite traite le féroce anticommuniste George Soros de communiste, d’autant plus que celui-ci a personnellement tiré un énorme profit du pillage de l’ancienne Union soviétique.
Ponomarenko a obtenu son diplôme en 2014, juste à temps pour être entraîné par la prochaine tempête qui allait frapper l’Ukraine.
« Il semblerait qu’une bizarrerie de la nature humaine permette aux actes les plus inqualifiables de devenir banals en l’espace de quelques minutes, à condition qu’ils se produisent suffisamment loin pour ne pas représenter une menace personnelle. »
(Iris Chang)
Le récit que l’on nous vend concernant le coup d’État de Maïdan en 2014 est simple. On nous dit que les manifestants se sont levés avec un soutien quasi universel pour se libérer du joug du Parti des régions de Viktor Ianoukovytch, illégitime et honni, et ainsi du contrôle russe. Après cela, ajoutent-ils, la transition a été propre et ordonnée, les problèmes à l’Est ne sont apparus qu’à cause de l’infiltration russe et tous les vrais Ukrainiens se sont rangés derrière le nouveau régime. Aujourd’hui encore, le régime de Maïdan maintient avec véhémence que le conflit en Ukraine n’est pas une guerre civile, mais plutôt une invasion étrangère qui dure depuis huit ans.
Si vous écoutez bien, vous pouvez presque entendre les échos de Franz Halder et d’Adolf Heusinger dans le récit approuvé de Maïdan, et je ne crois pas que ce soit accidentel. Tout comme à l’époque, le fantasme créé par la propagande de l’OTAN ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Le Maïdan n’a jamais bénéficié d’un soutien universel, et le processus de mise au pas du pays a été long et sanglant.
Malgré l’insistance du gouvernement ukrainien pour dire le contraire, le conflit est une guerre civile selon toute définition raisonnable, les séparatistes étaient des citoyens ukrainiens presque sans exception et ils ont commencé à se battre pour défendre un gouvernement ukrainien légitimement élu. La plupart des soutiens étrangers ont soutenu fermement le Maïdan, et non Ianoukovytch et les séparatistes. Dès le début de Maïdan, des groupes, comme la Légion géorgienne de Mamuka Mamulashvili soutenue par les États-Unis, ont envoyé des mercenaires sur le terrain pour transformer une manifestation pacifique en un coup d’État sanglant.
Nombre de ces miliciens étaient des membres de l’armée ukrainienne qui ont fait défection lorsqu’on leur a ordonné de tirer sur leur famille, leurs amis et leurs compatriotes ukrainiens dans le Donbass. Les analystes de l’OTAN estiment que 70 % des membres de l’armée ukrainienne ont déserté ou fait défection plutôt que de tuer pour le régime de Maïdan et qu’ils ont emporté leurs armes avec eux, un fait qui plombe encore un peu plus le récit de Maïdan sur les infiltrés étrangers.
Le récit d’une invasion étrangère, plutôt que d’une guerre civile, est particulièrement important pour le régime de Maïdan. Parce que si nous admettons qu’il s’agit d’une guerre civile, nous devons alors nous demander pourquoi ce gouvernement soi-disant « nationaliste » tue tant d’Ukrainiens dans le Donbass en bombardant quotidiennement des zones résidentielles, des écoles, des hôpitaux et d’autres cibles civiles. Il serait impossible de justifier le fait de les qualifier de nationalistes, et encore moins de libérateurs, avec le sang de tant d’Ukrainiens sur les mains.
La solution à cette contradiction est donc simple. Si vous dépouillez les habitants du Donbass de leur identité et de leur histoire en tant qu’Ukrainiens, il devient beaucoup plus facile de concilier leur anéantissement. Dans l’idéologie fondatrice de l’extrême droite ukrainienne, celle des « héros de l’Ukraine » Yaroslav Stetsko et Stepan Bandera, seul un Galicien est un véritable Ukrainien. La majeure partie des habitants de la nation sont des « Moskals » et des « Asiatiques » indignes de vivre dans le Reich galicien.
Le fait que la Galicie ait fait partie de la Pologne ou de l’Autriche, et non de l’Ukraine, pendant plus d’un millénaire, est tout simplement ignoré au profit de leur imagination débridée sur la façon dont eux, et eux seuls, sont de vrais Ukrainiens en vertu d’un sang viking ancien.
Hier comme aujourd’hui, cette idéologie permet aux fascistes galiciens de justifier facilement le meurtre d’Ukrainiens par milliers.
Lorsque les manifestations de Maïdan ont commencé en 2014, des contre-manifestations ont émergé dans tout le pays, des milliers d’Ukrainiens étant descendus dans la rue pour soutenir le gouvernement démocratiquement élu de Viktor Ianoukovytch et du Parti des régions. Alors que le Maïdan devenait de plus en plus violent sous l’influence de l’extrême droite, les manifestants anti-Maïdan ont refusé d’être intimidés et ont riposté. Ils ont fini par se regrouper en milices issues de la grande diversité des militants anti-Maïdan et la résistance est devenue beaucoup plus organisée.
Craignant une contre-révolution, le gouvernement non élu d’Arseniy Yatsenyuk, trié sur le volet par les Américains, a créé la Patrouille des tâches spéciales (Special Tasks Patrol / STP), une police presque entièrement composée de néonazis infestant l’Ukraine et dotée de pouvoirs étendus pour détenir et tuer des Ukrainiens.
Le bataillon Azov est le plus célèbre. Bien avant son rebranding cynique à la suite de l’invasion russe en 2022, le bataillon Azov de 2014 était une milice ouvertement néonazie. Les soldats qu’Illia Ponomarenko compte comme compagnons d’armes défilaient sous le même drapeau que celui de leurs ancêtres dans les années 1940.
Les échos de l’histoire sont faciles à percevoir chez Azov. Appelée à l’origine « Patriotes d’Ukraine », l’organisation a été fondée en 2005 par Andrei Belitsky en tant que coalition de plusieurs groupes néonazis de Kharkiv, tels que Tryzub (le bras armé du Congrès des nationalistes ukrainiens de Slava Stetsko, agent de la CIA et collaborateur des nazis) et l’UNA-UNSO (dirigée par Roman Shukhevych, le fils du commando de la CIA et criminel de l’Holocauste) ; le groupe était également composé de soldats issus des grandes bandes de hooligans ukrainiens d’extrême droite.
Au cours de leurs années de formation, les Patriotes d’Ukraine ont travaillé comme hommes de main pour le caïd de la mafia Arsen Avakov, qui a été élevé au rang de ministre de l’Intérieur après le Maïdan. Avakov a tiré les ficelles pour faire sortir de prison le lieutenant Belitsky, qui avait battu à mort un gangster rival, et le jeune nazi talentueux a été chargé de mettre au pas les séparatistes.
À Marioupol, la boucle a finalement été bouclée par cette saga, et le monde a pu voir de ses propres yeux ce que Halder et Heusinger ont mis tant de temps à préparer.
Après des mois de manifestations, les combats à Marioupol ont commencé en mai 2014. Selon la version ukrainienne des événements, le 3 mai, des infiltrés russes se sont approchés d’un poste de contrôle de la ville avec de la nourriture mélangée à des somnifères destinée aux gardes, puis ont pris les soldats et leurs armes après les avoir neutralisés. Ce fantasme cache probablement la vérité suivante : les soldats se sont simplement rendus. Les séparatistes ont érigé des barricades dans le centre-ville et ont commencé à occuper les bâtiments administratifs de la ville. La situation a rapidement échappé au contrôle du régime de Maïdan.
Azov a été l’une des premières unités envoyées par le régime pour reprendre Marioupol. Entré dans la ville le 7 mai, il a commencé à tuer presque immédiatement. Il a démantelé les barricades par la force, en tirant sur une foule de manifestants non armés qui s’y opposaient. Il a terminé son travail dans la nuit du 8 mai, et, le jour de la Victoire, le 9 mai, il a commencé la phase suivante de sa mission. Alors que la majeure partie de l’Ukraine commémorait le sacrifice de huit millions d’Ukrainiens dans la lutte contre les ancêtres d’Azov, les héritiers de Stetsko et Bandera ont marqué l’occasion à leur manière traditionnelle : en tuant des Ukrainiens. La police locale a fait défection après avoir reçu l’ordre de tirer sur la foule. Azov, par contre, n’a pas hésité. Le jour de la Victoire s’est transformé en un bain de sang lorsque ses terroristes ont ouvert le feu sur la foule.
Des manifestants locaux et des transfuges de la police ont occupé le quartier général de la police régionale et ont fait prisonnier le chef de la police. Les militants d’Azov ont tenté de briser le siège, mais, face à la résistance armée, les « cyborgs » ont été battus à plates coutures. Ils se sont repliés après avoir subi des pertes et ont été contraints de négocier la libération des prisonniers. Comme auparavant, les bravades et les prouesses des voyous fascistes se sont évaporées dès que leurs victimes ont riposté.
Azov a été vaincu ce jour-là, mais il n’a pas été détruit. Avec le soutien de l’État ukrainien et des gangsters qui prenaient de plus en plus le pouvoir, Azov est revenu en juin, ses forces étant renforcées par des mercenaires étrangers et une colonne de véhicules blindés. Après avoir été attaqués par des drones, les séparatistes ont été contraints de se retirer et les forces de la RPD ont été chassées de Marioupol, faisant 5 morts et 30 prisonniers. Aucun d’entre eux n’est revenu vivant.
Parmi les assaillants, ce jour-là, se trouvaient des hommes portant l’insigne de la 1re brigade d’aviation de l’armée des États-Unis, une unité chargée de former les soldats de l’armée aux opérations interarmes. On comprend ainsi beaucoup mieux l’origine de la soudaine compétence d’Azov en matière de drones.
Azov ne s’est pas reposé sur ses lauriers. Avec le reste des unités de la STP, il est rapidement retourné à ses racines : ses membres, connus autrefois par les habitants de la région sous le nom de « punisseurs », faisaient respecter l’ordre par tous les moyens nécessaires. On ne sait pas exactement combien de personnes ont souffert dans les cachots de la STP et du SBU (les services de renseignements ukrainiens), mais leur action était si étendue que même le régime de Maïdan a jugé des dizaines d’entre eux coupables de crimes tels que des viols collectifs (dont au moins un cas où 8 à 10 membres d’Azov ont violé un handicapé mental jusqu’à ce que celui-ci frôle la mort), des pillages, des tortures, des meurtres, de la contrebande et des extorsions. Ses membres avaient beau porter l’insigne d’une unité militaire, Azov n’avait guère changé depuis l’époque où ils étaient des tueurs de la mafia.
Pendant tout ce temps, Azov était soutenu par les États-Unis et ses alliés de l’OTAN. Des preuves de l’entraînement de la CIA sont apparues au moins à partir de 2015, si ce n’est plus tôt. Les marchands de canons se sont ouvertement vantés d’avoir transféré des armes antichars et, en 2017, Azov posait pour des photos avec des conseillers militaires de l’OTAN.
Alors même que des hommes défilant sous une croix gammée ont une fois de plus ravagé sa maison, Illia Ponomarenko a été l’un de leurs plus fervents supporters dès le début. Après que le Covid l’a forcé à annuler un stage prévu aux États-Unis, Ponomarenko est allé travailler pour des journaux financés par l’OTAN, comme le Kyiv Post, puis le Kyiv Independent.
Son éducation dans les écoles financées par l’OTAN lui a bien servi, et, en réhabilitant une fois de plus les tueurs fascistes qui massacrent les Ukrainiens, il a été exemplaire pour poursuivre le travail commencé par Franz Halder et Adolf Heusinger il y a tant d’années. Il compte aujourd’hui des millions d’adeptes sur Twitter et fait régulièrement des apparitions dans les grands médias occidentaux, tels que la BBC, CNN et Fox News. Ses années passées à apporter de l’eau au moulin de ses amis nazis ont finalement porté leurs fruits. Ponomarenko, qui était simplement au bon endroit au bon moment, est devenu un élément à part entière de la machine.
Ce que nous voyons aujourd’hui en Ukraine n’est pas un accident : c’est un plan préparé depuis sept décennies. Depuis le tout début, les États-Unis et l’OTAN s’emploient à réhabiliter l’héritage du fascisme afin de pouvoir l’utiliser comme une arme. Ces réseaux ne sont pas seulement en Ukraine ; ils ont des branches partout dans le monde. Des militants d’Azov ont même été repérés lors de manifestations à Hong Kong, le dernier front en date de la guerre secrète menée par les États-Unis. Heureusement, les autorités chinoises ont empêché la ville de subir le même sort que Marioupol.
Les graines de ce conflit n’ont pas été plantées en 2014 ni en 1991. Elles ont plutôt été semées le 22 juin 1941, lorsque les troupes nazies ont traversé la frontière pour la première fois dans le cadre de l’opération Barbarossa de Franz Halder. Après quatre longues années et des dizaines de millions de morts, les États-Unis ont absorbé les « meilleurs et les plus brillants » du Troisième Reich et, pendant 70 ans, ils ont soigneusement entretenu les jeunes pousses de Halder et Heusinger, attendant l’occasion de prendre racine.
En 2014, nous avons finalement vu les mauvaises herbes nocives du fascisme revenir sur la terre qu’elles avaient souillée il y a si longtemps, en l’arrosant une fois de plus avec des rivières de sang ukrainien.
Le fascisme ukrainien et les États-Unis
par Evan Reif
Sources :
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« Défense du Reich », armée de la république de Weimar, de 1919 à 1935 (NdT) ↩
« Commandement suprême de l’armée de terre » de la Wehrmacht (NdT) ↩
« Schéma directeur pour l’Est », projet nazi d’aménagement territorial en Europe centrale et orientale selon des critères raciaux (NdT) ↩
United States Agency for International Development (Agence des États-Unis pour le développement international) (NdT) ↩
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