Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Dan Cohen, du média Behind The Headlines, explique le processus peu connu qui consistait à former les fondamentalistes islamiques afghans à la propagande, et comment cette initiative a servi de modèle aux Casques blancs en Syrie.
Tout le monde connaît désormais les Casques blancs, l’opération de propagande du département d’État visant à obtenir le consentement pour la sale guerre menée par les États-Unis en Syrie. Mais bien avant les Casques blancs, il y avait les moudjahidines afghans.
Petit rappel : Les Casques blancs étaient présentés comme des équipes de secours dignes d’éloges qui opéraient dans les territoires tenus par l’opposition en Syrie.
Ils se sont également intégrés à des groupes djihadistes comme Al-Nosra, la branche d’Al-Qaïda en Syrie. Et ils étaient financés par des organismes gouvernementaux étatsuniens comme l’USAID.
Cela a transformé la Syrie en une zone de conflit télévisé, en injectant du porno de guerre décontextualisé dans l'esprit des Américains par le biais des actualités du câble et des « documentaires » de Netflix.
Cette propagande a fait appel à la conscience des libéraux occidentaux pour les amener à soutenir les attaques militaires étatsuniennes contre la Syrie, comme le bombardement de Douma ou de Khan Sheikoun par Donald Trump. Ou encore, sous l’ère Obama, le Pentagone et la CIA armant des milices rivales et des seigneurs de guerre qui ont été absorbés par des groupes djihadistes déterminés à exterminer les minorités.
La Syrie était la version 2.0. L’original remonte à l’Afghanistan dans les années 1980. À l’époque, les États-Unis cherchaient à renverser le gouvernement socialiste afghan qui avait pris le pouvoir lors de la révolution de Saur. Il est bien connu que les États-Unis ont commencé à financer les moudjahidines, des guerriers saints fondamentalistes islamiques qui étaient unis à eux dans leur conviction que le communisme athée était le mal absolu. Bien sûr, nous savons tous comment cette alliance a tourné.
Mais à l’époque, l’opinion publique étatsunienne ne s’intéressait pas à l’Afghanistan — un pays situé à sept mille kilomètres de là, que le commun des mortels ne pouvait pas situer sur une carte —, et les journaux télévisés en parlaient à peine.
En 1982, le gouvernement des États-Unis a envoyé la star hollywoodienne Kirk Douglas à Peshawar, au Pakistan, pour tourner une émission spéciale de Thanksgiving dans laquelle il rencontre des chefs moudjahidines et montre les horreurs de l’intervention soviétique et la situation critique des réfugiés afghans.
Mais après l’échec de cette initiative, l’agence de propagande, aujourd’hui disparue, connue sous le nom de U.S. Information Agency (USIA), a tenté sa chance. Son directeur, Alvin Synder, a eu l’idée de former les moudjahidines au « journalisme » et de leur fournir des caméras vidéo. Les articles et les images qu’ils produiraient renforceraient le discours du gouvernement des États-Unis, qui présentait l’intervention soviétique comme une invasion par un empire impie et maléfique et les guerriers saints afghans comme des combattants de la liberté que l’Amérique se devait de soutenir.
Le Congrès a adopté une loi pour former les moudjahidines et a alloué un demi-million de dollars pour créer une école de journalisme à leur intention. Cela s’est fait en collaboration avec l’université de Boston. L’Afghan Media Resource Center est né. Son manuel de politique spécifiait que chaque employé devait être fidèle à la foi islamique et « devait se sacrifier honnêtement et généreusement pour le saint djihad et prendre une part active à la lutte pour l’indépendance de l’Afghanistan ».
Les stagiaires ont été envoyés sur le champ de bataille afghan, où ils ont filmé la réalité de la guerre : des soldats morts des deux côtés, des tragédies indescriptibles. Des chaînes d’information par câble comme CBS et CNN ont commencé à diffuser ces images, et les responsables étatsuniens ont reconnu que toutes ces actions avaient contribué au retrait final des Soviétiques.
Une arme dans une main et une caméra dans l’autre, les propagandistes moudjahidines interviewent des chefs de guerre comme Gulbuddin Hekmatyar, leader d’un groupe de guérilla connu sous le nom de Parti islamique et favori de la CIA, à qui Washington a versé plus d’un milliard de dollars alors qu’il devenait le plus grand baron de la drogue en Afghanistan. Hekmatyar avait la réputation de pulvériser de l’acide sur le visage des femmes qui osaient se montrer en public sans se couvrir la tête. Ses bombardements aveugles de Kaboul pendant la guerre contre le gouvernement soutenu par les Soviétiques ont fait 50 000 morts et lui ont valu le surnom de « Boucher de Kaboul ».
En 2003, après l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis, ces derniers ont désigné Hekmatyar comme un terroriste international alors que ses forces menaient une insurrection féroce contre l’occupation étatsunienne.
Il y a aussi Haji Zaman, un commandant moudjahid et baron de la drogue que les États-Unis ont accusé, des décennies plus tard, d’avoir aidé Oussama Ben Laden à s’échapper de Tora Bora.
L’ambassadeur étatsunien au Pakistan de l’époque, Peter Tomson, a décrit le chef des moudjahidines, Mullah Mulang, en des termes élogieux : « C’est un Afghan très patriote ; il a beaucoup contribué au djihad ; il a dit qu’il espérait contribuer davantage à l’avenir ».
Voici une photo de Jalaluddin Haqqani. Actif de la CIA pendant le djihad antisoviétique, il a fondé le réseau Haqqani, qui deviendra l’un des ennemis les plus farouches des États-Unis en Afghanistan.
Des décennies plus tard, cette formule de propagande sera appliquée à la Syrie, mais de manière beaucoup plus sophistiquée. Les États-Unis et l’Union européenne ont financé des instructeurs de communication médiatique et fourni des caméras aux propagandistes pour qu’ils s’intègrent aux groupes armés antigouvernementaux, parmi lesquels la branche syrienne d’Al-Qaïda, Al-Nosra. En Afghanistan, il y avait le Centre afghan de ressources médiatiques.
En Syrie, il existait de nombreuses antennes médiatiques. Le Centre des médias d’Alep, financé par l’Organisation des expatriés syriens basée à Washington, a publié des vidéos d’Omran Daqneesh, le petit garçon de quatre ans qui, contre la volonté de son père, est devenu un élément central de la propagande de guerre. La personne qui a pris la photo tristement célèbre de Daqneesh — qui est devenu connu dans les médias étatsuniens sous le nom du « garçon d’Alep » — était Mahmoud Raslan.
Raslan était également membre d’un groupe armé financé par les États-Unis, Nour al-Din al-Zenki, qui a décapité Abdallah Issa, un jeune Palestinien de 10 ans.
Il y avait Syria Direct — financé par le département d’État, ainsi que par les ambassades de France et d’Australie. Syria Direct a formé de nombreux journalistes dont les articles ont été fournis à des médias étatsuniens comme USA Today, CNN et Radio Free Europe.
La propagande a été un élément clé de toutes les guerres menées par les États-Unis, du Vietnam à la Grenade en passant par l'Afghanistan, l'Irak et la Syrie. Cette activité devient de plus en plus sophistiquée et insidieuse au fil du temps. Sans elle, l'État de guerre permanent des États-Unis ne pourrait tout simplement pas fonctionner.
Sources :
Source de la photographie d’en-tête : Erwin Franzen
Afghanistan, Kunar, August 1985: Mujahideen with Enfield rifles and RPG-7 on way up to Saohol Sar Pass [taken on June 13, 2014]
https://www.flickr.com/photos/erwinlux/899141890/
[ Creative Commons — CC BY-NC-SA 2.0 ]
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