Un génocide annoncé

Un génocide annoncé

Par Chris Hedges

Une publication ScheerPost


Colonialisme Terrorisme Guerre Droits de l’homme
Israël Palestine États-Unis Occident
Article

Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Le génocide à Gaza est l’étape finale d’un processus entamé par Israël il y a plusieurs décennies. Quiconque ne l’a pas vu venir s’est aveuglé sur le caractère et les objectifs ultimes de l’État d’apartheid.

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Il n’y a pas de surprise à Gaza. Chaque acte horrible du génocide israélien a été annoncé à l’avance. C’est le cas depuis des décennies. La dépossession des Palestiniens de leurs terres est le cœur battant du projet colonial israélien. Cette dépossession a connu des moments dramatiques dans l’histoire — 1948 et 1967 —, lorsque de vastes parties de la Palestine historique ont été saisies et que des centaines de milliers de Palestiniens ont fait l’objet d’un nettoyage ethnique. La dépossession s’est également produite par paliers : le vol lent de terres et le nettoyage ethnique constant en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.

L’incursion du Hamas et d’autres groupes de résistance en Israël le 7 octobre, qui a fait 1 154 morts parmi les Israéliens, les touristes et les travailleurs immigrés et qui a donné lieu à la prise en otage d’environ 240 personnes, a été pour Israël le prétexte pour réaliser ce dont il rêvait depuis longtemps : l’effacement total des Palestiniens.

Israël a rasé 77 % des établissements de santé de Gaza, 68 % des infrastructures de télécommunications, la quasi-totalité des bâtiments municipaux et gouvernementaux, des centres commerciaux, industriels et agricoles, près de la moitié des routes, plus de 60 % des 439 000 habitations de Gaza, 68 % des immeubles résidentiels — le bombardement de la tour Al-Taj dans la ville de Gaza, le 25 octobre, a tué 101 personnes, dont 44 enfants et 37 femmes, et fait des centaines de blessés — ; et il a anéanti les camps de réfugiés. L’attaque du camp de réfugiés de Jabalia, le 25 octobre, a tué au moins 126 civils, dont 69 enfants, et en a blessé 280. Israël a endommagé ou détruit les universités de Gaza, qui sont désormais toutes fermées, et 60 % des autres établissements d’enseignement, dont 13 bibliothèques. Il a également détruit au moins 195 sites patrimoniaux, dont 208 mosquées et églises, ainsi que les archives centrales de Gaza qui renfermaient 150 ans de registres et de documents historiques.

Les avions de guerre, les missiles, les drones, les chars, les obus d’artillerie et les canons de marine israéliens pulvérisent quotidiennement Gaza — qui ne fait que 32 km de long et 8 km de large — dans une campagne de terre brûlée sans précédent depuis la guerre du Vietnam. 25 000 tonnes d’explosifs — l’équivalent de deux bombes nucléaires — ont été larguées sur Gaza, où de nombreuses cibles ont été sélectionnées par l’intelligence artificielle. Des munitions non guidées (« dumb bombs ») et des bombes « bunker buster » de 900 kg ont été larguées sur des camps de réfugiés et des centres urbains densément peuplés, ainsi que sur les « zones de sécurité ». 42 % des Palestiniens tués l’ont été dans ces « zones de sécurité », où Israël leur avait demandé de fuir. Plus de 1,7 million de Palestiniens ont été déplacés de chez eux, contraints de trouver refuge dans des abris surpeuplés de l’UNRWA, dans les couloirs et les cours des hôpitaux, dans des écoles, sous des tentes ou en plein air dans le sud de Gaza, souvent à proximité de mares fétides d’eaux d’égout non traitées.

Israël a tué au moins 32 705 Palestiniens à Gaza, dont 13 000 enfants et 9 000 femmes. Cela signifie qu’Israël massacre jusqu’à 187 personnes par jour, dont 75 enfants. Il a tué 136 journalistes, dont beaucoup, sinon la plupart, ont été délibérément pris pour cible. Il a tué 340 médecins, infirmières et autres travailleurs de la santé, soit 4 % du personnel de santé de Gaza. Ces chiffres sont loin de refléter le nombre réel de victimes, puisque seuls les morts enregistrés dans les morgues et les hôpitaux, dont la plupart ne fonctionnent plus, sont comptabilisés. Le nombre de morts, si l’on tient compte des disparus, dépasse largement les 40 000.

Les médecins sont contraints d’amputer des membres sans anesthésie. Les personnes souffrant de pathologies graves — cancer, diabète, maladies cardiaques, maladies rénales — sont mortes faute de traitement ou mourront bientôt. Plus d’une centaine de femmes accouchent chaque jour, avec peu ou pas de soins médicaux. Le nombre de fausses couches a augmenté de 300 %. Plus de 90 % des Palestiniens de Gaza souffrent d’une grave insécurité alimentaire, la population se nourrissant d’aliments pour animaux et d’herbe. Les enfants meurent de faim. Des écrivains, des universitaires et des scientifiques palestiniens, ainsi que des membres de leur famille, ont été traqués et assassinés. Plus de 75 000 Palestiniens ont été blessés, et nombre d’entre eux resteront handicapés à vie.

« Soixante-dix pour cent des décès enregistrés ont toujours été des femmes et des enfants », écrit Francesca Albanese — rapporteure spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 — dans son rapport publié le 25 mars. « Israël n’a pas réussi à prouver que les 30 % restants, c’est-à-dire les hommes adultes, étaient des combattants actifs du Hamas — une condition nécessaire pour qu’ils soient légalement pris pour cible. Début décembre, les conseillers en sécurité d’Israël ont affirmé avoir tué “7 000 terroristes” à un stade de la campagne où moins de 5 000 hommes adultes au total avaient été identifiés parmi les victimes, laissant ainsi entendre que tous les hommes adultes tués étaient des “terroristes”. »

Israël joue d’artifices linguistiques pour refuser à quiconque à Gaza le statut de civil et à tout bâtiment — y compris les mosquées, les hôpitaux et les écoles — le statut de lieu protégé. Les Palestiniens sont tous considérés comme responsables de l’attaque du 7 octobre ou comme des boucliers humains pour le Hamas. Toutes les structures sont considérées comme des cibles légitimes par Israël parce qu’elles seraient des centres de commandement du Hamas ou qu’elles abriteraient des combattants du Hamas.

Ces accusations, écrit Albanese, sont un « prétexte » utilisé pour justifier « le meurtre de civils sous le couvert d’une prétendue légalité, dont la nature profonde n’induit rien d’autre que l’intention génocidaire ».

Nous n’avons jamais vu un assaut d’une telle ampleur contre les Palestiniens, mais toutes ces mesures — le meurtre de civils, la dépossession de terres, la détention arbitraire, la torture, les disparitions, les bouclages imposés aux villes et villages palestiniens, les démolitions de maisons, la révocation des permis de séjour, la déportation, la destruction de l’infrastructure qui maintient la société civile, l’occupation militaire, le langage déshumanisant, le vol des ressources naturelles, en particulier des aquifères — définissent depuis longtemps la campagne d’Israël visant à éradiquer les Palestiniens.

L’occupation et le génocide ne seraient pas possibles sans les États-Unis, qui accordent à Israël une aide militaire annuelle de 3,8 milliards de dollars et envoient actuellement à Israël 2,5 milliards de dollars supplémentaires en bombes, dont 1 800 bombes MK84 de 900 kg, 500 bombes MK82 de plus de 200 kg et des avions de chasse. C’est aussi notre génocide.

Le génocide à Gaza est l’aboutissement d’un processus. Ce n’est pas un simple acte. Le génocide est le dénouement prévisible du projet colonial israélien. Il est codé dans l’ADN de l’État d’apartheid israélien. C’est bien à cela qu’Israël était censé aboutir.

Les dirigeants sionistes ne cachent pas leurs objectifs.

Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a annoncé après le 7 octobre que Gaza ne recevrait « ni électricité, ni nourriture, ni eau, ni carburant ». Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a déclaré : « L’aide humanitaire à Gaza ? Aucun interrupteur électrique ne sera allumé, aucun robinet d’eau ne sera ouvert. » Avi Dichter, ministre de l’Agriculture, a qualifié l’assaut militaire israélien de « Nakba de Gaza », en référence à la Nakba, ou « catastrophe », qui, entre 1947 et 1949, a chassé 750 000 Palestiniens de leurs terres et a vu des milliers de personnes massacrées par les milices sionistes. Revital Gottlieb, membre du Likoud à la Knesset, a publié sur son compte de réseau social : « Abattez les bâtiments !!! Bombardez sans distinction ! […] Aplatissez Gaza. Sans pitié ! Cette fois, il n’y a pas de place pour la pitié ! » Pour ne pas être en reste, le ministre du Patrimoine, Amichai Eliyahu, a soutenu l’utilisation d’armes nucléaires contre Gaza comme « l’une des possibilités ».

Le message des dirigeants israéliens est sans équivoque. Anéantir les Palestiniens de la même manière que nous avons anéanti les Amérindiens, que les Australiens ont anéanti les peuples des Premières Nations, que les Allemands ont anéanti les Herero en Namibie, que les Turcs ont anéanti les Arméniens et que les nazis ont anéanti les Juifs.

Les détails sont différents. Le processus est le même.

Nous ne pouvons pas plaider l’ignorance. Nous savons ce qui est arrivé aux Palestiniens. Nous savons ce qui arrive aux Palestiniens. Nous savons ce qui arrivera aux Palestiniens.

Mais, il est plus facile de faire semblant. Prétendre qu’Israël autorisera l’aide humanitaire. Prétendre qu’il y aura un cessez-le-feu. Prétendre que les Palestiniens retourneront dans leurs maisons détruites à Gaza. Prétendre que Gaza sera reconstruite. Prétendre que l’Autorité palestinienne administrera Gaza. Prétendre qu’il y aura une solution à deux États. Prétendre qu’il n’y a pas de génocide.

Ce génocide, que les États-Unis financent et soutiennent par des livraisons d’armes, dit quelque chose non seulement sur Israël, mais aussi sur nous, sur la civilisation occidentale, sur ce que nous sommes en tant que peuple, d’où nous venons et ce qui nous définit. Il dit que notre moralité et notre respect des droits de l’homme, tels qu’ils sont vantés, ne sont que des mensonges. Il dit que les personnes de couleur, surtout lorsqu’elles sont pauvres et vulnérables, ne comptent pas. Il dit que leurs espoirs, leurs rêves, leur dignité et leurs aspirations à la liberté ne valent rien. Il dit que nous assurerons la domination mondiale par la violence raciale.

Ce mensonge — selon lequel la civilisation occidentale repose sur des « valeurs » telles que le respect des droits de l’homme et de l’État de droit —, les Palestiniens et tous les habitants des pays du Sud, ainsi que les Amérindiens et les Américains noirs et basanés, le connaissent depuis des siècles. Mais, avec le génocide de Gaza diffusé en direct, ce mensonge est impossible à maintenir.

Nous n’arrêtons pas le génocide israélien parce que nous sommes Israël, infecté par la suprématie blanche et enivré par notre domination des richesses du monde et le pouvoir d’anéantir les autres avec nos armes industrielles. Souvenez-vous de l’éditorialiste du New York Times, Thomas Friedman, qui déclarait à Charlie Rose, à la veille de la guerre en Irak, que les soldats américains devraient aller de maison en maison, de Bassorah à Bagdad, et dire aux Irakiens « suck on this ? ». Tel est le véritable credo de l’empire des États-Unis.

Le monde qui se trouve en dehors des forteresses industrialisées des pays du Nord est parfaitement conscient de son destin : c’est celui des Palestiniens. Alors que le changement climatique met en péril la survie, que les ressources se raréfient, que la migration devient un impératif pour des millions de personnes, que les rendements agricoles diminuent, que les zones côtières sont inondées, que les sécheresses et les incendies prolifèrent, que les États échouent, que des mouvements de résistance armés se lèvent pour combattre les oppresseurs et leurs proxys, le génocide ne sera pas une anomalie. Il sera la norme. Les vulnérables et les pauvres de la planète, ceux que Frantz Fanon appelait « les damnés de la terre », seront les prochains Palestiniens.

Sources :


Source de l’illustration d’en-tête : Mr. Fish
A Genocide Foretold
https://scheerpost.com/2024/03/31/chris-hedges-a-genocide-foretold/

 

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