Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais |
Trois ans après l’affaire explosive Julian Assange - Paul Manafort, nous nous demandons si le Guardian a honoré son engagement déclaré en faveur de la vérité.
MANCHESTER, ANGLETERRE — En 1921, le rédacteur en chef du Manchester Guardian, Charles Prestwich Scott, a marqué le centenaire du journal avec un essai intitulé « A Hundred Years » (« Cent ans »). Dans celui-ci, Scott déclarait que « la fonction première d’un journal est la collecte de nouvelles. […] Les commentaires sont libres, mais les faits sont sacrés ».
Cent ans après le célèbre essai de Scott, et à l’occasion du troisième anniversaire de l’affaire Julian Assange - Paul Manafort, nous nous demandons si la couverture de Julian Assange par le Guardian a respecté l’engagement déclaré du journal envers la vérité.
Sur la base de communications privées entre un correspondant du Guardian et sa source au sein d’une société de sécurité de l’ambassade d’Équateur à Londres, ainsi que de deux interviews exclusives, nous retraçons les événements à l’origine de deux des articles les plus explosifs du Guardian au cours de la décennie.
Le 21 septembre 2018, le Guardian a publié un article explosif intitulé « Révélation : Le plan secret de la Russie pour aider Julian Assange à s’échapper du Royaume-Uni ». L’histoire détaillait une conspiration présumée entre des diplomates russes et WikiLeaks pour faire sortir illicitement Assange de l’ambassade d’Équateur à Londres.
Au cours des mois précédant la publication, la correspondante du Guardian, Stephanie Kirchgaessner, semblait désireuse de relier Assange à un complot russe visant à le faire s’échapper de l’ambassade.
Le 12 juillet 2018, Kirchgaessner a écrit à une source chez UC Global, la société de sécurité privée engagée par le gouvernement équatorien pour protéger Assange et son ambassade à Londres : « Nous avons entendu dire que les Russes voulaient aider Assange et peut-être lui obtenir un visa diplomatique. C’était l’année dernière. Mais le plan a été rejeté. Par les Russes ou par Assange ? Pourquoi ? Pouvez-vous l’aider ? Le savez-vous ? »
Le 30 août 2018, trois semaines avant la publication, Kirchgaessner a écrit à nouveau : « Bonjour. Je fais à nouveau appel à vous. Je veux écrire une histoire sur les discussions de l’année dernière pour faire sortir JA de l’ambassade. Les discussions qui ont eu lieu avec les Russes. Je peux vous envoyer des questions ? »
Lorsque l’article a finalement été publié, les auteurs — Kirchgaessner, Dan Collyns et Luke Harding — ont affirmé que « des diplomates russes ont tenu des discussions secrètes à Londres […] avec des proches de Julian Assange pour évaluer s’ils pouvaient l’aider à fuir le Royaume-Uni » à la fin de 2017.
Bien qu’il ait été reconnu que « les détails du plan d’évasion d’Assange sont sommaires », les auteurs ont utilisé deux sources anonymes pour affirmer que Fidel Narváez, l’ancien consul à l’ambassade d’Équateur, « a servi de contact avec Moscou ».
L’histoire semblait ajouter du poids au récit du « Russiagate » — la croyance selon laquelle il y avait collusion avec la Russie, lors de la campagne de Donald Trump, pour subvertir l’élection présidentielle des États-Unis de 2016, avec l’aide de WikiLeaks. Les auteurs ont noté que le plan d’évasion présumé « soulève de nouvelles questions sur les liens d’Assange avec le Kremlin ».
Deux personnes ayant une connaissance directe des événements rejettent cependant l’histoire du Guardian et fournissent des détails sur ce qui s’est réellement passé fin 2017, lorsqu’Assange a tenté de quitter l’ambassade.
Dans une interview exclusive, Aitor Martinez, un avocat qui a supervisé les efforts de l’Équateur pour accorder à Assange une protection diplomatique, explique que des plans ont été élaborés pour nommer Assange en tant que diplomate équatorien et le transporter dans un pays tiers. De cette façon, Assange pourrait quitter légalement l’ambassade d’Équateur à Londres, où il était soumis à une détention arbitraire et où sa santé déclinait.
Martinez a dressé une liste de pays que l’Équateur devrait approcher : la Chine, la Serbie, la Grèce, la Bolivie, le Venezuela ou Cuba ; en notant :
« Bien sûr, ce sont les pays qui n’ont pas de bonnes relations avec les États-Unis et qui pourraient accepter la nomination. La Russie n’a jamais, jamais figuré sur cette liste. Il y a eu une énorme théorie du complot aux États-Unis avec le Russiagate ; cela n’avait aucun sens. Ce sont donc ces pays-là qui ont été retenus. »
Martinez poursuit :
« Cela a pris deux ou trois semaines et nous n’avons obtenu aucune réponse du ministère des Affaires étrangères. Et soudain, le ministère a dit qu’ils l’avaient nommé en Russie. »
Le cousin de la ministre des Affaires étrangères, María Fernanda Espinosa, travaillait à l’ambassade d’Équateur à Moscou ; par l’intermédiaire de ce membre de la famille, Espinosa a concocté un plan pour nommer Assange dans le seul pays qui faisait l’objet d’une hystérie médiatique.
« Julian et nous tous, dans l’équipe juridique, avons refusé cette nomination », a expliqué Martinez. « Nous avons dit : “c’est fou, de quoi parlez-vous ?” Nous avons refusé. »
Après le refus de l’équipe juridique d’Assange, un deuxième passeport a été délivré pour remplacer le passeport diplomatique désigné pour la Russie, et Martinez a personnellement apporté le deuxième à Assange, à l’ambassade.
Le 21 décembre, Rommy Vallejo — le chef de l’agence de renseignement équatorienne Senain — a rendu visite à Assange à l’ambassade pour discuter de la logistique de son transfert vers un pays tiers. Martinez a déclaré :
« Dès que Vallejo est arrivé, il a laissé son téléphone portable à l’entrée. Et UC Global a ouvert le portable et a pris le code IMEI et aussi la carte sim, comme d’habitude. Il faut tenir compte du fait que Senain était l’entité qui avait engagé UC Global et que c’était le chef de Senain, et qu’ils l’ont espionné. »
Martinez a poursuivi en se référant à des documents juridiques publics :
« Selon le chat de UC Global, ils écoutaient à travers la porte et tout. Ils savaient tout de l’opération et nous ne savions pas qu’ils nous espionnaient, et qu’ils rapportaient tout aux Américains, selon les déclarations des témoins devant le tribunal espagnol. »
Martinez peut révéler comment, au cours des jours suivants, les États-Unis ont appris que Assange prévoyait de quitter l’ambassade. La ministre des Affaires étrangères a appelé Martinez et a demandé :
« Que s’est-il passé ? C’est fou, ce plan d’opération était secret, n’était géré que par cinq ou six personnes, et soudain l’ambassadeur des États-Unis à Quito est venu à mon bureau et m’a dit : “Nous savons que Julian Assange est sur le point de quitter l’ambassade en utilisant un passeport diplomatique, et nous ne le permettrons jamais.” »
Martinez a expliqué qu’à l’époque, l’équipe juridique d’Assange ne parvenait pas à comprendre comment les Américains avaient eu connaissance de cette opération. « Maintenant, nous pouvons supposer que c’est parce que UC Global a envoyé des informations sur le plan. Alors, elle [la ministre des Affaires étrangères] a dit que nous devions tout arrêter parce que les Américains sont au courant », a-t-il déclaré.
À cette époque, les agences de renseignement des États-Unis faisaient pression sur UC Global pour qu’elle relie Assange à la Russie. Martinez a déclaré :
« UC Global a rédigé des rapports exagérés et truqués pour les Américains. Le témoin protégé [de UC Global] a affirmé devant un tribunal qu’ils avaient rédigé des rapports exagérés juste pour alimenter les Américains en informations et montrer que UC Global est très important pour eux à l’ambassade. Si vous vérifiez les rapports de UC Global, c’est très drôle ; ils inventent tout. »
Un article récent de Yahoo! News suggère que ces rapports ont été pris au sérieux.
En plus d’écouter à travers le mur, le personnel de UC Global a secrètement enregistré des séquences vidéo et audio de la réunion d’Assange et de Vallejo. « Ils ont même créé un lien Dropbox pour les envoyer — ils ont pris les données, coupé la conversation et l’ont envoyée à Morales », a déclaré Martinez. Ces images ont ensuite vraisemblablement été envoyées aux responsables de Morales aux États-Unis.
Le 12 novembre 2018, Kirchgaessner a contacté une source au sein de UC Global pour demander l’accès à la transcription de la réunion d’Assange avec Vallejo.
Kirchgaessner a écrit : « Hola. La transcription ? »
Sa source a répondu : « En ce moment, c’est difficile, mais je pense que demain je pourrai. »
Kirchgaessner était reconnaissante : « Vraiment ? Ce serait génial. Vous savez de laquelle je parle ? »
Kirchgaessner n’a jamais reçu la transcription. Néanmoins, il est intéressant de noter que le Guardian savait qu’une entreprise de sécurité engagée pour protéger Assange compilait en fait des transcriptions. Le lendemain, Kirchgaessner a envoyé un autre message : « Bonjour. Je veux dire celui avec Rommy Vallejo. » Ses rencontres privées, bien avant cela, sont devenues publiques, et on n’en a pas parlé. Le Guardian a plutôt fait la promotion d’un récit selon lequel l’équipe d’Assange conspirait avec la Russie pour fuir l’ambassade de façon illicite.
Au contraire, Martinez a souligné que l’Équateur avait tenté d’aider Assange à quitter l’ambassade par les voies diplomatiques légales, avant que les États-Unis n’aient vent du projet par l’intermédiaire d’une société de sécurité corrompue qui espionnait clandestinement Assange.
Fidel Narváez, ancien consul à l’ambassade d’Équateur à Londres, dément catégoriquement avoir eu des discussions secrètes avec des diplomates russes. Narváez a déclaré :
« J’ai interpellé le Guardian et j’ai dit que c’était une fausse information — il n’y avait pas de plan d’évasion russe. Pour commencer, il n’y avait pas de plan d’évasion — évasion, qui signifie quelque chose de clandestin, d’illicite, de non légal. Cela, il n’y en a jamais eu. Encore moins quelque chose de conçu ou d’orchestré par un pays tiers. »
Narváez a déposé une plainte officielle contre le Guardian, attestant que « le Guardian n’a pas, et ne peut pas, étayer par des preuves solides ses […] fausses affirmations » selon lesquelles « des diplomates russes ont tenu des discussions secrètes à Londres l’année dernière » et « un plan provisoire a été élaboré qui aurait permis au fondateur de WikiLeaks de quitter clandestinement l’ambassade d’Équateur à Londres ».
Sur les conseils de son régulateur interne, le Guardian a modifié l’article pour souligner que « le plan relatif à la capacité de M. Assange à quitter l’ambassade d’Équateur n’a pas été conçu ou instigué par la Russie » et que « le “plan” tel que décrit dans l’article n’avait rien d’illicite ».
Le fait que le Guardian revienne sur ses affirmations initiales suggère une perte de confiance dans les informations fournies par ses sources anonymes. En effet, Kirchgaessner a été averti par une source au sein de UC Global que le Guardian était alimenté en fausses informations provenant de sources douteuses des mois avant la publication de l’article.
Le 16 mai 2018, à la suite du reportage du Guardian sur l’opération Hotel (l’opération de plusieurs millions de dollars de l’Équateur pour soutenir le séjour d’Assange à l’ambassade), Kirchgaessner a été informé par une source de UC Global :
« J’ai lu une partie de votre article et du plan V [de l’agence de presse équatorienne] ; il y a beaucoup d’erreurs et de choses qui sont confuses ou mélangées ; il y a des gens qui ont fourni ces informations et vous ne savez pas pourquoi ils ont donné cela […] »
Peut-être plus inquiétant encore, Kirchgaessner semblait connaître la relation entre les activités de UC Global à l’ambassade d’Équateur à Londres et la proximité de la société de sécurité avec le mégadonneur de Trump, Sheldon Adelson, près d’un an avant qu’elle ne soit connue du public.
La loyauté de UC Global avait changé en 2016, lorsque son PDG David Morales a participé à un salon de la sécurité à Las Vegas et a remporté un contrat pour garder le Queen Miri, un yacht de plusieurs millions de dollars appartenant à Adelson. « Étant donné qu’Adelson disposait déjà d’une équipe de sécurité substantielle affectée à sa garde et à celle de sa famille à tout moment », écrit Max Blumenthal, « le contrat entre UC Global et le Las Vegas Sands d’Adelson était clairement la couverture d’une campagne d’espionnage retorse apparemment supervisée par la CIA ». Blumenthal poursuit :
« Tout au long de la campagne d’opérations clandestines, les services de renseignement des États-Unis semblent avoir travaillé par l’intermédiaire du Las Vegas Sands d’Adelson, une société qui avait déjà servi de couverture à une opération de chantage de la CIA plusieurs années auparavant. Les opérations ont officiellement commencé une fois que le candidat présidentiel trié sur le volet par Adelson, Donald Trump, est entré à la Maison-Blanche en janvier 2017. »
La relation entre Adelson et les opérations de UC Global à l’ambassade d’Équateur a été signalée pour la première fois dans El País en septembre 2019. Pourtant, le 12 octobre 2018, Kirchgaessner a envoyé un courriel à sa source au sein de UC Global : « Aussi le [Las Vegas] Sands et Sheldon Adelson — a-t-il payé pour que l’ambassade entre en action ? »
Si Kirchgaessner était au courant de la relation entre Adelson et les activités de UC Global à l’ambassade d’Équateur, pourquoi cela n’a-t-il pas été signalé à l’époque ? En effet, la preuve d’une opération d’espionnage élaborée sur Assange, avec des liens avec le Parti républicain et l’administration Trump, semblerait perturber le récit d’un complot secret Assange-Trump-Russie pour subvertir la politique américaine — un récit que le Guardian n’abandonnerait pas facilement.
Le 27 novembre 2018, alors que la plainte officielle de Narváez auprès du Guardian concernant sa couverture d’Assange était toujours en cours de traitement, le journal a publié une autre histoire sensationnelle affirmant que Paul Manafort, directeur de campagne de Donald Trump et soutien clé pendant l’élection présidentielle des États-Unis de 2016, avait « eu des entretiens secrets avec Julian Assange à l’intérieur de l’ambassade d’Équateur à Londres » en 2013, en 2015 et au printemps 2016.
L’histoire a été immédiatement reprise par les plus grands médias du monde, notamment CNN, MSNBC, le Daily Mail et le Los Angeles Times. « Si c’est vrai », a commenté un journaliste étatsunien spécialisé dans la sécurité nationale, « cela pourrait être la plus grosse révélation de cette année ».
En effet, l’article semblait fournir des preuves supplémentaires de la « collusion » entre WikiLeaks, Trump et la Russie à l’approche de l’élection des États-Unis de 2016, période pendant laquelle WikiLeaks a publié des milliers de courriels du Comité national démocrate.
Comme l’affirment les auteurs de l’article, Luke Harding et Dan Collyns, la dernière rencontre présumée entre Assange et Manafort au printemps 2016 « est susceptible d’être examinée de près et pourrait intéresser Robert Mueller, le procureur spécial qui enquête sur la collusion présumée entre la campagne Trump et la Russie ».
Le scoop du Guardian sur Manafort a commencé à s’effilocher presque aussitôt qu’il a été publié.
Le compte Twitter de WikiLeaks a répondu : « Souvenez-vous de ce jour où le Guardian a permis à un affabulateur en série de détruire totalement la réputation du journal. @WikiLeaks est prêt à parier avec le Guardian un million de dollars et la tête de son rédacteur en chef que Manafort n’a jamais rencontré Assange. » Manafort et Assange ont tous deux nié que ces visites aient eu lieu.
En fait, même le Guardian ne semblait pas en être sûr.
Bien que les sources du Guardian aient été en mesure d’offrir des détails précis sur l’apparence de Manafort (« habillé de manière décontractée lorsqu’il est sorti de l’ambassade, portant des chinos couleur sable, un cardigan et une chemise de couleur claire ») ainsi que sur la durée de la réunion (elle « a duré environ 40 minutes »), les auteurs n’ont pas pu établir exactement quand Manafort s’est prétendument rendu sur place.
Dans le cadre d’une demande de commentaires envoyée à WikiLeaks peu avant la publication de l’article, Harding n’a même pas été en mesure de préciser au cours de quel mois la visite de Manafort en 2016 aurait eu lieu. La rencontre « a eu lieu », écrit, Harding, « en mars 2016 ou aux alentours, à peu près au moment où Manafort a rejoint la campagne présidentielle de Donald Trump », un détail qui est resté vague dans l’article publié.
Depuis, le Guardian semble avoir perdu encore plus confiance dans son propre article.
Quelques heures après la publication, le Guardian a modifié son titre pour ajouter « des sources disent » à l’affirmation initiale selon laquelle « Manafort a eu des entretiens secrets avec Assange dans l’ambassade d’Équateur ». L’édition imprimée, publiée un jour après la publication en ligne, a ajouté des guillemets : « Manafort “a eu des entretiens secrets avec Assange” ».
Le corps principal de l’article a également été modifié. Alors que l’original affirmait que « la raison pour laquelle Manafort voulait voir Assange et ce dont il a discuté n’est pas claire », la version mise à jour indique que « la raison pour laquelle Manafort aurait voulu voir Assange et ce dont il a discuté n’est pas claire. »
Le livre de Harding de 2020, Shadow State : Murder, Mayhem, and Russia’s Remaking of the West (État de l’ombre : meurtre, mutilation et transformation de l’Occident par la Russie), ne mentionne pas les rencontres présumées de Manafort avec Assange, même si le sujet est clairement axé sur l’implication malveillante de la Russie dans la politique occidentale. Mueller n’a pas mentionné la rencontre présumée dans son rapport sur l’ingérence russe dans l’élection de 2016.
Bien qu’il ait édulcoré les principales affirmations de l’article, le Guardian n’a pas encore ajouté de notes de correction ni fourni de rétractation.
Au paragraphe 14 du récit du Guardian sur Manafort, les auteurs notent que : « Les visiteurs s’enregistrent normalement auprès des agents de sécurité de l’ambassade et montrent leur passeport. Des sources en Équateur, cependant, disent que Manafort n’a pas été enregistré. »
Il est curieux que le Guardian soit passé à côté de ce point crucial. Narváez, qui était chargé du fonctionnement quotidien de l’ambassade, a affirmé que personne ne pouvait entrer dans le bâtiment sans être enregistré. Les visiteurs devaient obtenir une autorisation écrite de l’ambassadeur, avant d’enregistrer leur visite auprès du personnel de sécurité et de laisser une copie de leur pièce d’identité, qui serait ajoutée au registre des visiteurs.
Les discussions privées de UC Global soulèvent encore plus de questions.
Le 22 novembre 2018, cinq jours avant que le Guardian ne publie son histoire sur Manafort, un courriel a été envoyé par le PDG de UC Global, David Morales, demandant : « Avons-nous un dossier indiquant que Paul Manafort, au cours des années 2013, 2015 et 2016, a visité l’ambassade ? » Le personnel de UC Global a discuté de la question :
Personnel A : Bonjour… envoyez-moi le nom à rechercher
Personnel B : Paul Manafort
Personnel A : OK, je vais chercher et je vous tiens au courant
Une date ?
Je ne trouve rienPersonnel B : Alors il n’y a rien ?
Personnel A : Je ne trouve que deux Paul… Stafford et Nigel
Il semble que la demande d’informations du Guardian sur les visites à l’ambassade ait été transmise par les services de renseignements équatoriens à UC Global et soit revenue négative. Pourquoi le Guardian a-t-il passé sous silence des preuves cruciales qui contredisaient sa principale affirmation, sans tenter d’expliquer pourquoi Manafort ne figurait pas dans le registre des visiteurs ?
En effet, le Guardian s’était appuyé sur le registre des visiteurs pour une autre histoire, et y avait eu un accès privilégié.
Le 6 mai 2018, Kirchgaessner a contacté une source au sein de UC Global, déclarant :
« Je m’intéresse à Nigel Farage parce qu’il est allé voir [Assange] une fois en 2017 et a dit que c’était la seule fois où il est allé le voir. Mais d’autres personnes pensent qu’il y est allé plus souvent et je suis intéressé de savoir si c’est vrai. Farage a poussé au Brexit et il était également proche de la campagne de Trump. »
Le 18 mai 2018, Kirchgaessner a envoyé un nouvel e-mail : « Avez-vous vu ce que nous avons publié cette semaine dans le Guardian ? Nous n’avons pas inclus le nom de l’entreprise [UC Global]. […] Pourriez-vous m’envoyer la liste des visiteurs de la première semaine [sic] de 2016 (janvier - juin 2016) ? »
Il est également curieux qu’aucune preuve vidéo ni photo de la prétendue visite de Manafort n’ait été fournie, d’autant plus que le Guardian avait des lignes pour accéder aux enregistrements de vidéosurveillance de l’ambassade.
Le 14 mai 2018, Kirchgaessner a envoyé un courriel à une source de UC Global, demandant : « Pouvez-vous apporter à nouveau la vidéo de lui [Assange] à l’extérieur lorsque vous viendrez [à une réunion] demain ? » Quatre jours plus tard, Kirchgaessner a envoyé un autre courriel : « Nous sommes très intéressés par la vidéo de JA [Julian Assange] à l’extérieur. Pensez-vous pouvoir obtenir le film d’ici quelques semaines ? »
Si le Guardian pouvait accéder aux images de vidéosurveillance de l’ambassade, pourquoi n’a-t-il pas été en mesure de fournir des preuves matérielles de la prétendue visite de Manafort ? Le Guardian a-t-il seulement demandé ?
À ce jour, la version en ligne de l’article du Guardian sur Manafort ne présente que deux auteurs : Luke Harding et Dan Collyns.
Début décembre 2018, cependant, WikiLeaks a écrit que le Guardian avait « mystérieusement cach[é le] troisième auteur de l’histoire fabriquée en première page » — le militant politique et journaliste équatorien Fernando Villavicencio.
En 2014, le gouvernement équatorien a pointé du doigt Villavicencio pour avoir fourni au Guardian des documents prétendument falsifiés relatifs à un « accord secret d’un milliard de dollars avec une banque chinoise pour forer du pétrole sous le parc national de Yasuni en Amazonie ».
Avant même la publication de l’article du Guardian sur Manafort, Villavicencio avait défendu des affirmations douteuses sur les visiteurs d’Assange à l’ambassade d’Équateur. Le 16 mai 2018, Villavicencio et Cristina Solórzano ont correctement écrit dans La Fuente que « [Nigel] Farage a rendu visite à Assange en mars de l’année dernière, est resté environ 40 minutes et, lorsqu’on lui a demandé la raison de sa visite, a répondu “Je ne me souviens pas”. »
Cependant, ils ont ajouté que, selon leur source, « Farage est retourné à l’ambassade le mois suivant, entrant le 28 avril 2018 à 17 h 10 et partant à 19 h 40 ».
L’allégation était presque certainement fausse. Fin mars 2018, les autorités équatoriennes avaient supprimé l’accès d’Assange au monde extérieur, et avaient notamment interdit les visiteurs. Ces droits n’ont été que partiellement rétablis en octobre 2018, ce qui signifie que Farage avait prétendument fait une visite alors qu’Assange ne pouvait pas accepter de visiteurs.
Un certain nombre de questions cruciales restent sans réponse de la part du Guardian :
- Que savait Kirchgaessner de la relation entre UC Global, Sheldon Adelson et l’opération de sécurité de l’ambassade d’Équateur en 2018, avant que cela ne soit de notoriété publique ? Pourquoi cela n’a-t-il pas été signalé à l’époque ?
- Pourquoi le Guardian n’a-t-il pas signalé le fait que les conversations privées d’Assange étaient transcrites par une société de sécurité censée le protéger ?
- Le Guardian a-t-il continué à utiliser des sources au sein du service de renseignement de l’Équateur après avoir été averti qu’elles diffusaient de la désinformation ?
- Étant donné que le Guardian disposait de lignes d’accès aux images de vidéosurveillance de l’ambassade d’Équateur, a-t-il essayé d’obtenir des preuves matérielles de la visite présumée de Manafort ? Si non, pourquoi ?
- Pourquoi le Guardian n’a-t-il pas ajouté de notes de correction ou fourni une rétractation à son article sur Manafort ?
- Pourquoi le troisième auteur de l’article sur Manafort, Fernando Villavicencio, ne figure-t-il toujours pas sur le site Internet du Guardian ? Pourquoi a-t-il été considéré comme un journaliste de bonne réputation pour couvrir Assange ?
Tant qu’il n’aura pas répondu à ces questions, le journal ne pourra pas se défendre de manière crédible contre l’accusation d’avoir commis une grave faute journalistique dans sa couverture de Julian Assange.
Le Guardian n’a pas répondu à une demande de commentaire au moment de la publication.
Sources :
Sources de l’illustration d’en-tête :
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