La dialectique éristique

La dialectique éristique

La dialectique éristique1 est l’art de la controverse, celle que l’on utilise pour avoir raison, c’est-à-dire per fas et nefas2. On peut en toute objectivité avoir raison, et pourtant aux yeux des spectateurs, et parfois pour soi-même, avoir tort. En effet, si un adversaire réfute une preuve, et par là donne l’impression de réfuter une assertion, il peut pourtant exister d’autres preuves. Les rôles ont donc été inversés : l’adversaire a raison alors qu’il a objectivement tort. Ainsi, la véracité objective d’une phrase et sa validité pour le débatteur et l’auditeur sont deux choses différentes (c’est sur ce dernier que repose la dialectique).

D’où vient ce comportement ? De la base même de la nature humaine. Sans celle-ci, l’homme serait foncièrement honorable et ne débattrait sans autre but que la recherche de la vérité, et nous serions indifférents, ou du moins n’accorderions qu’une importance secondaire quant au fait que cette vérité desserve les opinions par lesquelles nous avions commencé à discourir ou serve l’opinion de l’adversaire. Cependant, c’est ce dernier point qui nous est primordial. La vanité innée, particulièrement sensible à la puissance de l’intellect, ne souffre pas que notre position soit fausse et celle de l’adversaire correcte. Pour s’extraire de ce comportement, il suffit de formuler un jugement correct : cela revient à dire qu’il faut réfléchir avant de parler. Mais la vanité innée est souvent accompagnée par la loquacité et une mauvaise foi innée. Ils parlent avant de réfléchir, et même lorsqu’ils se rendent compte plus tard que leur position est fausse, ils essaieront de faire en sorte de paraître que ce n’est pas le cas. L’intérêt dans la vérité qu’on aurait pu croire leur seul motif lorsqu’ils déclarèrent leur proposition vraie, doit céder le pas à l’intérêt de la vanité : la vérité est fausse et ce qui est faux paraît vrai.

Il est pourtant quelque chose qui peut être dit sur cette mauvaise foi, sur ce fait de persister à soutenir une thèse qui paraît fausse, même pour nous-mêmes : nous sommes souvent initialement convaincus de la validité de notre propos, mais les arguments de notre adversaire semblent les réfuter. Si nous abandonnons immédiatement notre position, nous pourrions nous rendre compte par la suite que finalement nous avions raison et que c’était la preuve adversaire qui était fausse. L’argument qui nous aurait sauvés ne nous est pas venu sur le moment. C’est donc de là que découle cette maxime que d’attaquer un contre-argument quand bien même celui-ci nous paraît criant de vérité, en espérant que celle-ci n’est que superficielle et qu’au cours du débat un autre argument nous viendra qui pourra endommager la thèse adverse ou confirmer la validité de la notre : nous sommes ainsi comme presque forcés à être de mauvaise foi, ou du moins fortement enclins à l’être. La faiblesse de l’intellect et la perversion de la volonté se soutiennent mutuellement. De là, ces joutes n’ont pas pour objectif la vérité, mais une thèse, comme s’il s’agissait d’une bataille pro aris et focis poursuivie per fas et nefas. Comme expliqué plus haut, il ne peut en être autrement.

Ainsi, de manière générale, chacun persistera à défendre ses propres positions, même si sur le moment il la considère lui-même comme fausse ou douteuse3. Tout le monde est armé jusqu’à un certain point contre ce genre de procédé par sa propre astuce et son manque de scrupules : chacun apprend dans la vie de tous les jours cette dialectique naturelle de même que chacun possède sa logique naturelle. Cependant, celle-ci n’est pas fiable sur le long terme. Il n’est pas aisé pour quelqu’un de réfléchir à l’encontre des lois de la logique : si les faux jugements sont fréquents, les fausses conclusions sont rares. Ainsi, les hommes sont rarement exempts de logique naturelle, mais ils peuvent cependant être exempts de dialectique naturelle : c’est un don distribué en mesures pour le moins inégales (elle est l’équivalent du jugement, qui est inégalement réparti parmi les hommes tandis que la raison reste la même). Il arrive souvent que quelqu’un soit dans le vrai, mais que son argumentation ait été confondue par des arguments superficiels. S’il émerge vainqueur de la controverse, il devra souvent sa victoire non seulement à la justesse de son jugement, mais surtout à l’intelligence et l’adresse dont il a fait preuve pour la défendre.

Ici, comme dans tous les cas, les dons sont innés4, cependant la pratique et la réflexion quant aux tactiques par lesquelles quelqu’un peut vaincre un adversaire, ou quant à celles que l’adversaire utilise, comptent pour beaucoup dans la maîtrise de cet art. Ainsi, même si la logique n’a pas grande utilité pratique, la dialectique peut l’être. Aristote lui-même me semble avoir établi sa logique propre (analytique) en tant que fondation pour la préparation de sa dialectique et en a fait son cheval de bataille. La logique s’occupe simplement de la forme des propositions tandis que la dialectique porte sur le fond du sujet, la substance. Ainsi, il convient de considérer la forme générale de toutes les propositions avant de continuer avec les cas particuliers.

Aristote ne définit pas l’objet de la dialectique d’une façon aussi précise que moi : s’il lui donne bien pour principal objet la controverse, c’est en tant qu’outil pour rechercher la vérité (Topica, I, 2). Plus loin dans son œuvre, il dit également que d’un point de vue philosophique les propositions sont traitées en accord avec la vérité, et d’un point de vue dialectique, en fonction de leur plausibilité, c’est-à-dire de la mesure par lesquelles elles gagneront l’approbation des autres opinions (δοξα – Topica, I, 12). Il est conscient qu’il faut savoir distinguer la vérité objective d’une proposition et la séparer de la façon dont elle est présentée et de l’approbation qu’elle suscite. Cependant, il ne fait pas une distinction suffisamment précise entre ces deux aspects et n’utilise la dialectique que pour le second cas5. Les règles par lesquelles il définit la dialectique sont parfois mélangées avec celles définissant la logique. Il m’apparaît donc qu’il n’a pas réussi à trouver une solution claire à ce problème6.

Dans son Topica, Aristote a, avec son esprit scientifique, entrepris de détailler la dialectique de façon méthodique et systématique, ce qui est tout à fait admirable, mais son but, évidemment ici pratique, n’a pas été atteint. Dans ses Analytiques, après avoir examiné les concepts, jugements et conclusions dans leur pure forme, il se tourne vers le contenu, lequel se rattache aux concepts : c’est en eux que se tient le contenu7. [...]

Afin de bien mettre en œuvre la dialectique, il ne faut pas s’attarder sur la vérité objective (qui est l’affaire de la logique), mais simplement la regarder comme étant l’art d’avoir raison, ce qui est, comme nous l’avons vu, d’autant plus aisé que lorsque l’on est d’emblée dans le vrai. Cependant la dialectique en soi ne fait qu’apprendre comment se défendre de tout type d’attaque, et de même, comment il peut attaquer une thèse adverse sans se contredire. La découverte de la vérité objective doit être séparée de l’art de faire des phrases gagnant l’approbation. : la première est une πραγματεια complètement différente qui est l’affaire du jugement, de la réflexion et de l’expérience pour laquelle il n’est pas d’art particulier tandis que la seconde est le but de la dialectique. Certains l’ont définie comme étant la logique des apparences, mais cette définition est fausse, sans quoi elle servirait qu’à réfuter des propositions fausses. Or, même quand quelqu’un a raison, il a besoin de la dialectique pour défendre et maintenir sa position. Il lui faut connaître les stratagèmes malhonnêtes afin de savoir comment leur faire face, voire même en faire usage lui-même afin de frapper son adversaire avec ses propres armes. Ainsi, dans la dialectique doit-on écarter la vérité objective, ou plutôt, ne la regarder que comme circonstance accidentelle, et ne chercher qu’à défendre sa position et réfuter celle de son adversaire. En suivant les règles à ces fins, aucun intérêt ne doit être accordé à la vérité, car généralement on ne sait pas où est la vérité8. Il n’est pas rare que l’on ne sache pas si l’on est dans le vrai ou le faux : tantôt on se croit à tort dans le vrai, tantôt les deux partis se croient dans le vrai. : veritas est in puteo (selon Démocrite : εν βνϑω η αληϑεια). Au début d’un débat, en règle générale, chacun est persuadé d’avoir raison et tandis que celui-ci se poursuit, les deux partis doutent de leurs propres thèses et la vérité n’est déterminée ou confirmée qu’à la fin. Ainsi, la dialectique n’a rien à voir avec la vérité tant que le maître d’escrime considère qui est dans le vrai quand le débat tourne en duel : il ne reste que l’estoc et la parade et c’est ainsi que l’on peut on voir la dialectique : comme l’art de l’escrime mental, et ce n’est qu’en la considérant ainsi que l’on peut en faire une discipline à part entière. En effet, en nous contentant de viser la vérité objective, nous en sommes réduits à la simple logique tandis que si nous établissions des prépositions fausses, ce ne serait que de la simple sophistique. Or chacun de ces deux cas implique que le vrai et le faux nous sont connus à l’avance, mais c’est rarement le cas. La véritable conception de la dialectique est donc comme suit : l’art de l’escrime intellectuel dans le but d’avoir raison dans une controverse. Bien qu’éristique serait un nom correct pour cette discipline, le terme dialectique éristique l’est encore plus. Celle-ci est très utile, mais plus d’un l’a négligée à tort.

En ce sens, la dialectique n’a pour autre but que de résumer les arts qu’emploient les hommes lorsque ceux-ci se rendent compte dans un débat que la vérité n’est pas de leur côté, mais tentent quand même de paraître avoir raison. Ainsi, il serait inapproprié dans la science de la dialectique de s’attarder sur la vérité objective et son développement puisque la dialectique naturelle et innée ne s’en soucie pas : seul avoir raison compte. La science de la dialectique, en un sens du terme, a pour principal but d’établir et analyser les stratagèmes malhonnêtes afin qu’ils puissent être immédiatement identifiés dans un débat réel, et écartés. C’est pourquoi la dialectique doit faire de la victoire son véritable but, et pas la vérité.

J’ignore si quoi que ce soit a déjà été fait dans ce domaine, bien que j’aie fait d’amples recherches9. Nous sommes sur un champ toujours en friche. Pour réaliser notre objectif, il nous faut donc nous baser sur notre expérience en observant comment tel ou tel stratagème est employé par un camp ou l’autre au cours des débats qui surviennent souvent dans notre entourage. En identifiant les éléments communs aux stratagèmes répétés sous différentes formes, nous pourrons présenter un certain nombre de stratagèmes généraux qui peuvent se montrer avantageux aussi bien pour soutenir nos points de vue que pour défaire ceux de l’adversaire.

Ce qui suit est à considérer comme une première tentative dans ce domaine.


  1. Les Anciens utilisaient les termes logique et dialectique comme synonymes, ce qui est d’ailleurs toujours le cas avec le sens moderne de ces mots. 

  2. Éristique n’est qu’un terme plus dur signifiant la même chose. Aristote (selon Diogène Laërce, V. 28) aurait placé sur un pied d’égalité rhétorique et dialectique, visant à convaincre, το πιϑανον, tandis qu’analytique et philosophie visent à chercher la vérité. Διαλεκτικη δε εστι τεκνη λογων, δί ης ανασκευαζομεν τι η κατασκευαζομεν, εξ ερωτη σεως και αποκρισεως τωυ προσδιαλεγομενων, Diogène Laërce, Vita Platonis, III, 48. Aristote fait la différence entre

    1. la logique ou analytique, la théorie ou méthode menant aux véritables conclusions, l’apodictique ;
    2. la dialectique, ou la méthode menant aux conclusions passant pour véritables — ενδοξα, probabilia (Topica, I, 1 et 12) — autrement dit les conclusions qui ne passent pas pour fausses et qui ne passent pas pour vraies (en elles-mêmes). Qu’est-ce sinon l’art d’avoir raison, que l’on ait raison ou pas ? C’est-à-dire l’art d’attendre l’apparence de la vérité, comme je le disais plus haut. Aristote divise toutes les conclusions entre logique et dialectique de la manière que je viens de décrire, puis en éristique ;
    3. l’éristique, la méthode par laquelle la forme de la conclusion est correcte, mais dont les phrases, le sujet, ne sont pas vraies, mais paraissent vraies, et enfin :
    4. la sophistique, la méthode où la forme de la conclusion est fausse alors qu’elle paraît correcte.

    Ces trois derniers appartiennent à l’art de la dialectique éristique, car elles n’ont pas pour objectif de parvenir à la vérité, mais seulement de se parer de son apparence, c’est-à-dire d’avoir raison. Les conclusions sophistiques d’Aristote, dernier livre de sa dialectique, furent éditées ultérieurement. 

  3. Machiavel conseille à son Prince de profiter de tout moment de faiblesse de son voisin pour l’attaquer, car ce dernier risque d’agir de même. Si l’honneur et la fidélité régnaient en ce monde, ce serait une autre histoire, mais comme on n’est pas en droit d’espérer trouver ces qualités chez son prochain, on ne doit pas les pratiquer soi-même sous peine de voir cette pratique se retourner contre soi. Ainsi en est-il dans un débat : si je laisse mon adversaire avoir raison dès que j’ai l’impression qu’il a raison, il y a peu de chances qu’il fasse de même lorsque la situation s’inversera, et s’il procède per nefas, je dois faire de même. Il est facile de dire que l’on doit se rallier à la vérité sans se soucier de ses propres préjugés, mais il ne faut pas s’attendre à ce que son adversaire fasse de même, et il faut donc agir ainsi soi-même. En outre, si je devais abandonner la position que je défendais auparavant dès que je me rends compte que mon adversaire a raison, il demeure possible que cette impression ne soit que passagère et que je risque d’abandonner la vérité pour accepter une erreur. 

  4. Doctrina sed vim promovet insitam

  5. D’un autre côté, dans son livre Les Réfutations sophistiques, il fait trop d’efforts pour distinguer la dialectique de la sophistique et de l’éristique alors que la différence ne réside que dans le fait que les conclusions de la dialectique sont vraies dans la forme tandis que les conclusions de la sophistique et de l’éristique sont fausses (entre l’éristique et la sophistique, seule diffère l’intention : l’éristique vise à avoir raison tandis que la sophistique vise la réputation et le gain pécuniaire).

    Qu’une proposition soit vraie par rapport à son contenu est un sujet bien trop incertain pour établir la fondation de cette distinction, et il s’agit d’un sujet sur lequel le débatteur est le dernier à être certain, et qui n’est pas non plus révélé sous une forme très sûre, même par le résultat de la controverse. Ainsi, lorsqu’Aristote parle de dialectique, il faut y inclure la sophistique, l’éristique et la peirastique, définie comme « l’art d’avoir raison dans une discussion » pour laquelle le plan le plus sûr est sans aucun doute d’avoir raison dès le début, mais qui en soi ne suffit pas étant donné la nature humaine et n’est pas non plus nécessaire étant donné la faiblesse et de l’intellect humain. Il faut donc avoir recours à d’autres procédés, qui, justement par le fait qu’ils ne sont pas nécessaires à l’atteinte de la vérité, peuvent également être utilisés lorsque quelqu’un est objectivement dans son tort, et que ce soit le cas ou pas, la certitude est rarement au rendez-vous.

    Mon avis est qu’il faut donc faire une distinction entre dialectique et logique plus claire que celle faite par Aristote, qu’à la logique il faut assigner la vérité objective avec pour limite sa formalité, et que l’on confine la dialectique à l’art d’avoir raison, et par opposition, ne pas distinguer la sophistique et l’éristique de la dialectique comme le fait Aristote puisque la différence qu’il pointe repose sur la vérité objective et matérielle. Or la certitude n’est pas discernable avant la discussion et nous sommes contraints de dire, comme Ponce Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? » Car veritas est in puteo : εν βνϑω η αληϑεια selon Démocrite (Diogène Laërce, IX, 72). Il est facile de dire que lorsque l’on débat il ne faut avoir pour seul objectif que la recherche de la vérité, mais avant le débat, personne ne connaît la vérité et à travers ses propres arguments et ceux de son adversaire, on peut s’égarer. D’ailleurs, re intellecta, in verbis simus faciles : comme beaucoup ont tendance à comprendre le terme dialectique dans le sens de logique, nous voulons appeler cette discipline dialectica eristica, ou dialectique éristiche

  6. Il faut toujours bien distinguer les sujets des disciplines les unes des autres. 

  7. Cependant, les concepts peuvent être pris sous certaines classes, comme le genre et l’espèce, la cause et l’effet, une qualité et son contraire, posséder et être dans le dénuement, etc., et à ces classes s’appliquent certaines règles générales : les loci et les τοποι. Un locus d’une cause et d’un effet serait par exemple « la cause de la cause est une cause de l’effet » [Christian Wolff, Ontologia, § 928], ce qui s’applique ainsi : « la cause de mon bonheur est ma fortune et donc ce qui m’a donné ma fortune m’a donné mon bonheur ». Des loci de contraste peuvent :

    1. s’exclure mutuellement, par exemple, droit et tordu ;
    2. être présents dans le même sujet : par exemple, le siège de l’amour est dans la volonté (επιϑυμητικον) et celui de la haine également. — Cependant si elle est dans le siège du sentiment (ϑυμοειδες), il en va de même pour l’amour. — L’âme ne peut être ni blanche, ni noire ;
    3. dans le cas où le degré inférieur manque, le degré supérieur manque également : si un homme n’est pas juste, ni ne sera pas non plus bienveillant.

    De là on en déduit que les loci sont des vérités générales qui se rapportent à d’entières classes de concepts que l’on peut utiliser dans les cas particuliers pour en tirer des arguments et les montrer à tous comme évidents. Pourtant, la plupart sont très trompeurs et il y a de nombreuses exceptions : par exemple, selon un locus : les opposés ont des rapports opposés, par exemple : la vertu est belle, le vice est laid — l’amitié est bienveillante, l’hostilité est malveillante. — Mais : le gaspillage est un vice donc l’avarice est une vertu ou les fous disent la vérité et donc les sages mentent sont des raisonnements qui ne marchent pas. La mort est une disparition et donc la vie une naissance : faux. Un exemple du caractère trompeur de ces topi : Scot Erigène dans son livre De prædestinatione, chap. 3, veut réfuter les hérétiques qui voyaient en Dieu deux prædestinationes (l’une au salut des élus, l’autre à la damnation des damnés) et utilise ce topus (Dieu sait où il a été le chercher) : « Omnium, quæ sunt inter se contraria, necesse est eorum causas inter se esse contrarias ; unam enim eandemque causam diversa, inter se contraria efficere ratio prohibet. » Pourquoi pas ! Mais on sait experientia docet que la chaleur durcit l’argile, mais ramollit la cire, et cent autres choses du même acabit. Pourtant ce topus semble plausible. Il monte cependant toute sa démonstration sur ce topus, mais cela ne nous concerne plus. On peut trouver une entière collection de locis avec leurs réfutations dans l’ouvrage qu’a publié Francis Bacon sous le titre Colores boni et mali. — Vous pouvez y tirer des exemples. Il les appelle sophismata. On peut considérer comme locus l’argument opposé par Socrate à Agathon dans le Symposium, où ce dernier avait attaché toutes les bonnes qualités comme la beauté, la bonté, etc. à l’amour, mais où Socrate prouve le contraire : « On cherche ce qu’on n’a pas : or l’amour cherche le beau et le bon et ne les a donc pas. » Il semblerait qu’il y ait des vérités générales qui soient applicables à toutes choses, si différentes soient-elles, sans dépendre de leurs particularités. (La loi de compensation est un bon locus.) Or il n’en est rien, parce que les concepts naissent de l’abstraction des particularités et englobent toutes sortes de réalités lesquelles peuvent ressortir lorsque les concepts de choses individuelles les plus diverses sont rapprochés, et ne sont jugées qu’en se basant sur les autres concepts. Il est même dans la nature humaine lors d’un débat de se réfugier derrière un topus général lorsque pris en défaut. On compte également parmi les loci la lex parsimoniæ naturæ ou encore la natura nihil facit frustra. Oui, tous les proverbes sont les loci relatifs à une application pratique. 

  8. Il arrive souvent que deux personnes débattent férocement, puis en rentrant chez eux, aient pris la position de l’adversaire, échangeant ainsi leurs opinions. 

  9. Selon Diogène Laërce, parmi les nombreux écrits de rhétorique de Théophraste — lesquels ont tous été perdus — il en était un intitulé ’Αγωνιστικον της περι τους εριστικους λογους ϑεωριας qui aurait pu être précisément ce que nous cherchions. 

 Avant-propos : logique et dialectique

La base de toute dialectique

 

 

 
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