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« La censure est le dernier recours des régimes désespérés et impopulaires. Elle apparaît comme par magie pour faire disparaître une crise. Elle réconforte les puissants avec le récit qu’ils veulent entendre, un récit qui leur est renvoyé par les courtisans des médias, des agences gouvernementales, des groupes de réflexion et des universités. » — Chris Hedges
MOUNTAIN VIEW, CALIFORNIE — Google a envoyé un coup de semonce à travers le monde en informant de façon menaçante les médias, les blogueurs et les créateurs de contenu qu’il ne tolérera plus certaines opinions concernant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Au début du mois, Google AdSense a envoyé un message à une myriade d’éditeurs, dont MintPress News, pour nous informer que, « en raison de la guerre en Ukraine, nous allons interrompre la monétisation du contenu qui exploite, rejette ou tolère la guerre ». Ce contenu, poursuit-il, « comprend, sans s’y limiter, des affirmations qui impliquent que les victimes sont responsables de leur propre tragédie ou des cas similaires de blâme des victimes, comme des affirmations selon lesquelles l’Ukraine commet un génocide ou attaque délibérément ses propres citoyens ».
Cette décision s’appuie sur un message similaire que YouTube, la filiale de Google, a publié le mois dernier : « Nos règles communautaires interdisent les contenus niant, minimisant ou banalisant des événements violents bien documentés. Nous supprimons désormais les contenus relatifs à l’invasion de la Russie en Ukraine qui enfreignent ces règles. » YouTube a poursuivi en disant qu’il avait déjà banni définitivement plus d’un millier de chaînes et 15 000 vidéos pour ces motifs.
La journaliste et réalisatrice Abby Martin a été profondément troublée par la nouvelle. « Il est vraiment inquiétant que ce soit la tendance que nous suivons », a-t-elle déclaré à MintPress, ajoutant :
« C’est une déclaration absurde si l’on considère que la victime est celle que nous dit notre establishment de politique étrangère. C’est vraiment scandaleux de se faire dire par ces géants de la technologie que prendre le mauvais côté d’un conflit qui est assez compliqué va désormais nuire à vos opinions, vous dévaloriser sur les médias sociaux ou limiter votre capacité à financer votre travail. Il faut donc se plier aux règles pour survivre en tant que journaliste dans les médias alternatifs, aujourd’hui. »
Les principales victimes de la récente vague d’interdictions ont été les médias d’État russes tels que RT America, dont le catalogue entier a été bloqué dans la plupart des pays du monde. RT America a également été bloqué aux États-Unis, ce qui a entraîné la fermeture soudaine du réseau.
La défense de la liberté et de la démocratie requiert une quantité impressionnante de censure
Par Caitlin Johnstone
« La censure est le dernier recours des régimes désespérés et impopulaires. Elle apparaît comme par magie pour faire disparaître une crise. Elle conforte les puissants dans le récit qu’ils veulent entendre, celui que leur renvoient les courtisans des médias, des agences gouvernementales, des think tanks [groupes de réflexion (NdT)] et du monde universitaire », a écrit le journaliste Chris Hedges, ajoutant :
« YouTube a fait disparaître six années de mon émission sur RT, “On Contact”, alors qu’aucun épisode ne traitait de la Russie. La raison de la disparition de mon émission n’est pas un secret. Elle donnait une voix aux écrivains et aux dissidents, notamment Noam Chomsky et Cornel West, ainsi qu’aux militants d’Extinction Rebellion, de Black Lives Matter, de partis tiers et du mouvement abolitionniste des prisons. »
Des créateurs plus petits et indépendants ont également été purgés. « Mon stream d’hier soir sur RBN a été censuré sur YouTube après avoir débunké (démystifié) le récit du massacre de Boutcha […] Une censure irréelle est en cours », a écrit Nick du Revolutionary Black Network. « Ma vidéo “Boutcha : encore plus de mensonges” a été supprimée par les censeurs de YouTube. La narration officielle est maintenant : “Boutcha était une atrocité russe ! Aucune dissidence n’est autorisée !” », a ajouté le journaliste américano-chilien Gonzalo Lira.
D’autres plateformes de réseaux sociaux ont mené des politiques similaires. Twitter a suspendu définitivement le compte de l’ancien inspecteur en désarmement Scott Ritter pour ses commentaires sur Boutcha et celui du journaliste Pepe Escobar pour son soutien à l’invasion russe.
Ces points de vue sont certainement minoritaires à l’heure actuelle, avec les témoignages des habitants pointant du doigt les forces russes qui ont commis des actes similaires durant des conflits plus anciens. Pourtant, même le Pentagone a refusé de conclure catégoriquement à la culpabilité russe sans une enquête complète.
Au-delà de Boutcha, la frontière en matière de discours accepté reste vague, ce qui entraîne la confusion et la consternation parmi les médias indépendants et les créateurs de contenu. « Cela va limiter les reportages sur la crise ukrainienne parce que les gens vont avoir peur », a déclaré Martin. « Les gens [dans les médias alternatifs] vont choisir de ne pas publier ou de ne pas rendre compte de quelque chose par peur des représailles. Et une fois que vous commencez à être démonétisé, la prochaine crainte est que toutes vos vidéos soient interdites de manière globale », a-t-elle ajouté.
Alors que le soutien à la Russie a été essentiellement interdit, la glorification des éléments les moins recommandables de la société ukrainienne sur les médias sociaux est maintenant quasiment encouragée. En février, Facebook a annoncé qu’il ne se contenterait pas de revenir sur l’interdiction de parler du bataillon Azov, des paramilitaires nazis désormais officiellement intégrés à la Garde nationale ukrainienne, mais qu’il autoriserait également les contenus faisant l’éloge et la promotion du groupe — pour autant qu’il s’agisse de tuer des Russes.
Facebook et Instagram ont également institué un changement de politique qui permet aux utilisateurs d’appeler à nuire, voire à tuer, des soldats et des hommes politiques russes et biélorusses. Cette rare autorisation a également été accordée en 2021 à ceux qui appelaient à la mort des dirigeants iraniens. Il va sans dire que les contenus violents visant des gouvernements amis des États-Unis, comme l’Ukraine, restent strictement interdits.
La campagne pour une censure plus intense a été menée par les médias d’entreprise eux-mêmes. Le Financial Times a réussi à faire pression sur Twitch, la plateforme de streaming appartenant à Amazon, pour qu’il supprime un certain nombre de streamers prorusses. Le Daily Beast s’en est pris à Gonzalo Lira, allant jusqu’à contacter le gouvernement ukrainien pour le mettre au courant du travail de Lira. Lira a confirmé qu’après l’article du Daily Beast, il a été arrêté par la police secrète ukrainienne.
Pendant ce temps, le New York Times a publié un article à charge sur le journaliste antiguerre Ben Norton, l’accusant de diffuser une « théorie du complot » selon laquelle les États-Unis étaient impliqués dans un coup d’État en Ukraine en 2014, tout en affirmant qu’il aidait à promulguer la désinformation russe. Ceci, en dépit du fait que le Times lui-même a fait un reportage sur le coup d’État de 2014 à l’époque d’une façon pas trop dissemblable, incriminant ainsi son propre reportage antérieur comme étant de la propagande russe. Si la référence aux reportages antérieurs du New York Times devient un motif de suppression, alors tout débat en ligne qui a du sens est menacé. Comme l’a écrit le journaliste Matt Taibbi la semaine dernière, l’Occident risque d’établir une « zone d’exclusion intellectuelle »,1 où toute déviation de l’orthodoxie ne sera plus tolérée.
L’attaque ridicule du New York Times contre moi révèle ses tactiques fallacieuses de propagande
Par Ben Norton
L’invasion de l’Ukraine a également soulevé un certain nombre de questions troublantes pour les personnalités antiguerre occidentales : comment s’opposer à l’agression russe sans donner plus de munitions politiques aux gouvernements de l’OTAN pour intensifier le conflit ? Et comment critiquer et souligner le rôle de nos propres gouvernements dans la création de la crise sans sembler justifier les actions du Kremlin ? Plus encore, ce nouvel environnement médiatique périlleux soulève un autre dilemme : comment exprimer ses opinions en ligne sans être censuré ?
Les nouvelles règles actualisées de Google sont formulées de manière vague et ouvertes à l’interprétation. Qu’est-ce qui constitue une « exploitation » ou une « apologie » de la guerre ? Discuter de l’expansion de l’OTAN vers l’est ou de la campagne agressive de l’Ukraine contre les minorités russophones, est-ce blâmer les victimes ? Et le fait de faire référence à la guerre civile qui dure depuis sept ans dans la région de Donbass, où les Nations unies estiment que plus de 14 000 personnes ont été tuées, est-il désormais illégal en vertu de la politique de Google qui interdit tout contenu concernant l’Ukraine qui attaque ses propres citoyens ?
Pour certains, la réponse à au moins une partie de ces questions devrait être un « oui » catégorique. Jeudi, le journaliste Hubert Smeets a attaqué Noam Chomsky, militant de longue date contre la guerre, en l’accusant explicitement de rendre le président Zelensky et l’Ukraine responsables de leur sort. Chomsky a déjà décrit les actions russes comme étant incontestablement « un crime de guerre majeur, au même titre que l’invasion de l’Irak par les États-Unis et l’invasion de la Pologne par Hitler et Staline en septembre 1939 ». Pourtant, depuis des années, il a également averti que les actions de l’OTAN dans la région étaient susceptibles de provoquer une réponse russe. Si Google et d’autres monopoles de la big tech décident que la voix d’un géant intellectuel comme de Chomsky doit être supprimée, cela marquera officiellement une nouvelle ère de censure jamais vue depuis le déclin du maccarthysme.
Les États-Unis étaient alliés à l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, lorsque la guerre froide s’est installée, les attaques contre les voix dissidentes se sont multipliées. La poussée anticommuniste d’après-guerre a commencé pour de bon en 1947, après que le président Harry S. Truman a imposé un serment de loyauté à tous les employés fédéraux. En conséquence, les convictions politiques de deux millions de personnes ont fait l’objet d’une enquête, les autorités cherchant à déterminer si elles appartenaient à des organisations politiques « subversives ».
Les personnes en position d’influence ont fait l’objet d’un contrôle plus agressif, ce qui a entraîné des purges parmi les universitaires, les éducateurs et les journalistes. Nombre de personnes parmi les plus célèbres du monde du spectacle — dont l’acteur Charlie Chaplin, le chanteur Paul Robeson et l’écrivain Orson Welles — ont vu leur carrière détruite en raison de leurs convictions politiques. « Le socialisme a été annulé,2 la dissidence a été annulée après la Seconde Guerre mondiale », a déclaré récemment Brian Becker, animateur de Breakthrough News, avertissant que cette nouvelle guerre froide avec la Russie et la Chine pourrait inaugurer une nouvelle ère maccarthyste.
L’ancienne guerre froide contre la Russie a pris fin en 1991. Cependant, la nouvelle guerre froide a sans doute commencé 25 ans plus tard avec la victoire électorale de Donald Trump. Le 8 novembre 2016, la campagne Clinton a allégué que le Kremlin avait utilisé les réseaux sociaux pour diffuser des fake news et des informations trompeuses, ce qui a conduit à la victoire de Trump. Malgré l’absence de preuves tangibles, les médias d’entreprise ont immédiatement repris le message de Clinton. Deux semaines seulement après l’élection, le Washington Post a publié un article affirmant que des centaines de sites de fake news avaient poussé Trump à franchir la ligne et qu’un groupe crédible de chercheurs experts non partisans avait créé une organisation appelée « PropOrNot » pour suivre cette activité.
À l’aide de ce qu’il appelle des « outils analytiques Internet » sophistiqués, PropOrNot a publié une liste de plus de 200 sites Web qui, selon lui, sont des « colporteurs habituels de propagande russe ». La liste comprend l’éditeur WikiLeaks, des sites Web soutenant Trump comme le Drudge Report, des entreprises libertaires comme le Ron Paul Institute et Antiwar.com, ainsi qu’un grand nombre de sites Web de gauche comme Truthout, Truthdig et Black Agenda Report. MintPress News figurait également sur la liste. Bien que certains sites de fake news aient été inclus, l’orientation politique de la liste était évidente pour tous : il s’agissait d’un catalogue de sites — de droite et de gauche — qui critiquaient systématiquement l’establishment centriste de Washington.
Selon PropOrNot, un signe infaillible qui montre que vous lisez de la propagande russe est que la source critique Obama, Clinton, l’OTAN, les « médias mainstream » ou s’inquiète d’une guerre nucléaire avec la Russie. Selon PropOrNot, « la propagande russe ne suggère jamais qu’un conflit avec la Russie se solderait par une deuxième guerre froide et une défaite pacifique de la Russie, comme la dernière fois ».
Malgré cette liste de piètre qualité, qui inclut même les sites de journalistes lauréats du prix Pulitzer, l’article du Washington Post est devenu viral, étant partagé des millions de fois. La liste de PropOrNot a ensuite été relayée par des centaines d’autres médias. Et bien que PropOrNot ait demandé une enquête maccarthyste et la suppression de centaines de médias, il a catégoriquement refusé de révéler qui ils étaient, comment ils étaient financés ou quelque méthodologie que ce soit.
Il est désormais quasiment certain qu’il ne s’agissait pas d’une organisation indépendante, neutre et bien intentionnée, mais d’une création de Michael Weiss, membre senior non résident du think tank de l’OTAN, l’Atlantic Council. Un examen du site Web de PropOrNot a montré qu’il était contrôlé par The Interpreter, un magazine dont Weiss est le rédacteur en chef. En outre, un enquêteur a trouvé des dizaines d’exemples de comptes Twitter de PropOrNot et de Weiss utilisant une tournure de phrase identique et très inhabituelle, ce qui suggère fortement qu’il s’agit d’une seule et même personne. Ainsi, les allégations d’une énorme campagne de propagande d’État [étrangère] étaient elles-mêmes de la propagande d’État.
La réaction à cette grossière campagne de « propagande sur la propagande » a été à la fois rapide et de grande ampleur. Début 2017, Google a lancé le projet Owl, une refonte massive de son algorithme. Il a prétendu qu’il s’agissait d’une mesure purement destinée à empêcher les fake news étrangères de prendre le contrôle d’Internet. Le principal résultat, cependant, a été un effondrement catastrophique, du jour au lendemain, du trafic de la recherche vers les médias alternatifs de haute qualité — des chutes dont ils ne se sont jamais remis. MintPress News a perdu près de 90 % de son trafic de la recherche organique sur Google et Truthout 25 %. Les sites Web qui ne figuraient pas sur la liste de PropOrNot ont également subi des pertes dévastatrices. AlterNet a subi une baisse de 63 %, Common Dreams de 37 % et Democracy Now! de 36 %. Même les sources libérales qui ne critiquent que modérément le statu quo, comme The Nation et Mother Jones, ont été pénalisées par l’algorithme. Le trafic de la recherche Google vers les médias alternatifs ne s’est jamais rétabli et a, dans de nombreux cas, empiré.
Le World Socialist Web Site a obtenu de SEMrush des données statistiques estimant la baisse du trafic généré par les recherches Google pour 13 sites ayant un lectorat important. Les résultats sont les suivants :
- wsws.org a chuté de 67 %
- alternet.org a chuté de 63 %
- globalresearch.ca a chuté de 62 %
- consortiumnews.com a chuté de 47 %
- socialistworker.org a chuté de 47 %
- mediamatters.org a chuté de 42 %
- commondreams.org a chuté de 37 %
- internationalviewpoint.org a chuté de 36 %
- democracynow.org a chuté de 36 %
- wikileaks.org a chuté de 30 %
- truth-out.org a chuté de 25 %
- counterpunch.org a chuté de 21 %
- theintercept.com a chuté de 19 %
Pour Martin, c’est un signe de la relation de plus en plus étroite entre la Silicon Valley et l’État de sécurité nationale. « Google a volontairement modifié son algorithme pour mettre à l’index tous les médias alternatifs sans même qu’une loi les y oblige », a-t-elle déclaré. D’autres mastodontes des réseaux sociaux, comme Facebook et YouTube, ont procédé à des changements similaires. Tous pénalisaient les médias alternatifs et poussaient les gens à se tourner vers les sources établies comme le Washington Post, CNN et Fox News.
La conséquence de tout cela a été de resserrer l’emprise de l’élite sur les moyens de communication, emprise qui s’était relâchée en raison de la montée en puissance d’Internet comme modèle alternatif.
Depuis 2016, un certain nombre d’autres mesures ont été prises pour mettre les médias sociaux sous la coupe de l’État de sécurité nationale. Cette évolution avait été prévue par les dirigeants de Google, Eric Schmidt et Jared Cohen, qui écrivaient en 2013 : « Ce que Lockheed Martin a été au XXe siècle, les entreprises de technologie et de cybersécurité le seront au XXIe siècle. » Depuis lors, Google, Microsoft, Amazon et IBM sont devenus des parties intégrantes de l’appareil d’État, signant des contrats de plusieurs milliards de dollars avec la CIA et d’autres organisations pour leur fournir des services de renseignement, de logistique et d’informatique. Schmidt lui-même a été président de la National Security Commission on Artificial Intelligence (Commission de sécurité nationale sur l’intelligence artificielle) et du Defense Innovation Advisory Board (Conseil consultatif sur l’innovation en matière de défense), des organismes créés pour aider la Silicon Valley à assister l’armée des États-Unis dans le domaine des cyberarmes, brouillant encore davantage les frontières entre big tech et big government.
L’actuel responsable mondial de la politique des produits pour les développeurs de Google, Ben Renda, entretient des relations encore plus étroites avec l’État de sécurité nationale. Après avoir été planificateur stratégique et responsable de la gestion de l’information pour l’OTAN, il est passé chez Google en 2008. En 2013, il a commencé à travailler pour le Cybercommand US et en 2015 pour la Defense Innovation Unit (deux divisions du ministère de la Défense). Dans le même temps, il est devenu un cadre de YouTube, accédant au rang de directeur des opérations.
D’autres plateformes entretiennent des relations similaires avec Washington. En 2018, Facebook a annoncé qu’il avait conclu un partenariat avec l’Atlantic Council, en vertu duquel ce dernier aiderait à organiser les fils d’actualité de milliards d’utilisateurs dans le monde, en décidant ce qui était une information crédible et digne de confiance, et ce qui était une fake news. Comme indiqué précédemment, l’Atlantic Council est le think tank de l’OTAN, et il est directement financé par l’alliance militaire. L’année dernière, Facebook a aussi embauché Ben Nimmo, membre senior de l’Atlantic Council et ancien porte-parole de l’OTAN, en tant que responsable du renseignement, donnant ainsi un contrôle énorme sur son empire à des fonctionnaires actuels et anciens de l’État de sécurité nationale.
L’Atlantic Council a également fait son chemin dans la direction de Reddit. Jessica Ashooh est passée directement du poste de directrice adjointe de la stratégie pour le Moyen-Orient à l’Atlantic Council à celui de directrice de la politique du populaire service d’agrégation de nouvelles — un changement de carrière surprenant qui a suscité peu de remarques à l’époque.
De même, le fait d’avoir démasqué un cadre supérieur de Twitter en tant qu’officier en service actif de la 77e brigade de l’armée britannique, une unité spécialisée dans la guerre en ligne et les opérations psychologiques, n’a suscité que peu de commentaires. Depuis, Twitter s’est associé au gouvernement des États-Unis et au think tank ASPI, parrainé par des fabricants d’armes, pour aider à contrôler sa plateforme. Sur ordre de l’ASPI, le réseau social a supprimé des centaines de milliers de comptes basés en Chine, en Russie et dans d’autres pays qui suscitent l’ire de Washington.
L’année dernière, Twitter a annoncé également qu’il avait supprimé des centaines de comptes d’utilisateurs pour avoir « sapé la confiance dans l’alliance de l’OTAN et sa stabilité » — une déclaration qui a suscité l’incrédulité générale de ceux qui ne suivaient pas de près la progression de l’entreprise, qui est passée d’une société qui défendait la liberté de débattre à une société étroitement contrôlée par le gouvernement.
Ceux qui sont dans les allées du pouvoir comprennent bien à quel point la big tech est une arme importante dans une guerre mondiale de l’information. C’est ce qui ressort d’une lettre publiée lundi dernier et rédigée par un grand nombre de responsables de l’État de sécurité nationale, dont l’ancien directeur du renseignement national James Clapper, les anciens directeurs de la CIA Michael Morell et Leon Panetta, et l’ancien directeur de la NSA l’amiral Michael Rogers.
Ensemble, ils avertissent que la réglementation ou le démantèlement des monopoles des big tech « entraverait par mégarde la capacité des plateformes technologiques US à […] repousser le Kremlin. » « Les États-Unis devront s’appuyer sur la puissance de leur secteur technologique pour s’assurer » que « le récit des événements » à l’échelle mondiale est façonné par les États-Unis et « non par des adversaires étrangers », expliquent-ils, concluant que Google, Facebook, Twitter font « de plus en plus partie intégrante des efforts diplomatiques et de sécurité nationale des États-Unis ».
Commentant la lettre, le journaliste Glenn Greenwald a écrit :
« [E]n maintenant tout le pouvoir entre les mains de la petite coterie de monopoles technologiques qui contrôlent l’Internet et qui ont depuis longtemps prouvé leur loyauté envers l’État de sécurité US, la capacité de l’État de sécurité nationale des États-Unis à maintenir un système de propagande fermé autour des questions de guerre et de militarisme est garantie. »
Les États-Unis se sont souvent appuyés sur les médias sociaux pour contrôler le message et promouvoir un changement de régime dans les pays cibles. Quelques jours seulement avant l’élection présidentielle nicaraguayenne de novembre, Facebook a supprimé les comptes de centaines de grands médias, de journalistes et de militants du pays, qui soutenaient tous le gouvernement sandiniste de gauche.
Lorsque ces personnalités ont afflué sur Twitter pour protester contre l’interdiction, en enregistrant des vidéos d’elles-mêmes pour prouver qu’elles n’étaient pas des bots ou des comptes « inauthentiques », comme l’avait prétendu le chef des services de renseignement de Facebook, Nimmo, leurs comptes Twitter ont également été systématiquement suspendus, dans ce que les observateurs ont appelé une « frappe coup double ».
À la rencontre des Nicaraguayens que Facebook a faussement qualifiés de bots et censurés à quelques jours des élections
Par Ben Norton
En 2009, Twitter a accédé à une demande des États-Unis de retarder la maintenance programmée de son application (ce qui aurait nécessité de la mettre hors ligne) parce que des activistes pro-USA en Iran utilisaient la plateforme pour fomenter des manifestations antigouvernementales.
Plus de 10 ans plus tard, Facebook a annoncé qu’il supprimerait tous les éloges du général iranien Qassem Soleimani de ses nombreuses plateformes, notamment Instagram et WhatsApp. Soleimani — la figure politique la plus populaire en Iran — avait récemment été assassiné dans une attaque de drone par les États-Unis. L’événement a suscité un tollé et des protestations massives dans toute la région. Pourtant, comme l’administration Trump avait déclaré que Soleimani et son groupe militaire étaient des terroristes, Facebook a expliqué : « Nous fonctionnons sous le régime des lois étatsuniennes pour les sanctions, y compris celles liées à la désignation, par le gouvernement étatsunien, du Corps des gardiens de la révolution iranienne et de ses dirigeants. » Cela signifie que les Iraniens ne pouvaient pas partager un point de vue majoritaire à l’intérieur de leur propre pays — même dans leur propre langue — à cause d’une décision prise à Washington par un gouvernement hostile.
Dans cette optique, le message de Google aux créateurs concernant le fait de blâmer des victimes en Ukraine ou la banalisation et l’apologie de la violence est une menace : respectez la ligne ou faites face aux conséquences. Si nous continuons à considérer les monopoles technologiques tels que Google, Twitter et Facebook comme des entreprises privées, leur taille écrasante et leur proximité croissante avec l’État de sécurité nationale signifient malgré tout que leurs actions équivalent à une censure d’État.
Alors que les fake news — y compris celles émanant de la Russie — continuent à être un véritable problème, ces nouvelles actions ont bien moins à voir avec la lutte contre la désinformation ou la négation des crimes de guerre qu’avec le rétablissement du contrôle des élites sur le domaine de la communication. Ces nouvelles règles ne seront pas appliquées aux médias d’entreprise qui minimisent ou justifient l’agression des États-Unis à l’étranger, qui nient les crimes de guerre américains ou qui rendent les peuples opprimés — comme les Palestiniens ou les Yéménites — responsables de leur propre condition, mais elles serviront plutôt d’excuses pour dévaloriser, rétrograder, radier ou même supprimer les voix qui critiquent la guerre et l’impérialisme. À la guerre, dit-on, la vérité est toujours la première victime.
Sources :
Source de l’illustration d’en-tête : MintPress News
https://www.mintpressnews.com/online-censorship-ukraine-russa-google-facebook-twitter/280304/
L’expression utilisée dans le texte original, en anglais, est « intellectual no-fly zone », littéralement, « zone d’exclusion aérienne intellectuelle » ; no-fly zone fait ainsi référence au concept militaire. (NdT) ↩
Le terme canceled est utilisé dans le texte original en anglais, en référence à la cancel culture. (NdT) ↩
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