Les Israéliens sont-ils des Juifs ? Retour à la vie de la minorité juive

Les Israéliens sont‑ils des Juifs ?
Retour à la vie
de la minorité juive

Par Yarden Katz

Une publication Mondoweiss


Sionisme Racisme Colonialisme Impérialisme Répression Terrorisme Propagande Religions Droits de l’homme Contre-histoire Histoire
Palestine Israël États-Unis Occident
Article

Traduit de l’anglais par EDB () • Langue originale : anglais


Israël a effacé le peuple juif et détruit les possibilités pour les Juifs de vivre en Palestine en tant que non-colonisateurs. L’identité « israélienne » est une identité coloniale à laquelle nous devrions renoncer, car elle nuit à la fois aux Palestiniens et aux Juifs.

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Il est difficile de trouver des mots pour décrire les horreurs qui se déroulent actuellement en Palestine. Je suis hanté par les images de décombres et d’hôpitaux bondés remplis de blessés et de mutilés, et par tous les récits que nous rapportent les journalistes héroïques depuis Gaza. Je suis hanté par les vidéos de parents de Gaza tenant leurs enfants dans les bras, refusant de croire que ceux-ci sont morts. Un ami m’a dit que même en regardant cela de loin, on a l’impression que notre sang nage dans les cendres. C’est aussi ce que je ressens.

Israël commet un génocide à Gaza, agresse les Palestiniens en Cisjordanie, intensifie la torture des prisonniers palestiniens et renforce la surveillance et les brimades policières des Palestiniens à l’intérieur de la Palestine de 1948. Plus de 10 000 Palestiniens de Gaza ont été tués par les bombardements israéliens incessants depuis le 7 octobre 2023. Des familles entières ont été exterminées, des quartiers entiers anéantis, des hôpitaux, des infrastructures d’eau, des mosquées et des universités endommagés ou détruits, et environ 1,5 million de Gazaouis ont été déplacés de leurs maisons, devenant une fois de plus des réfugiés. Pendant ce temps, les dirigeants de l’« Occident » soutiennent Israël. Les États-Unis ont envoyé davantage d’armes. Le président Joe Biden s’est déclaré « sioniste », affirmant qu’il n’y aurait « aucune ligne rouge » pour Israël. Ce n’est que maintenant qu’il fait allusion au fait qu’Israël devrait peut-être envisager de se retirer.

Malheureusement, ce n’est rien comparé au soutien au génocide qui s’exprime au sein de la société israélienne. Quiconque souhaite comprendre comment l’Holocauste a été possible, comment des personnes qui peuvent être chaleureuses et gentilles dans leur vie personnelle soutiennent le meurtre d’une population entière considérée comme sous-humaine, devrait étudier la société israélienne. Les Israéliens appellent massivement à détruire Gaza, à la transformer en « parking » et à la ramener « à l’âge de pierre ». Le ministre israélien de la « Défense » Yoav Gallant, parlant tel un nazi, a déclaré qu’Israël « se bat contre des animaux humains ». Les médias israéliens ont hurlé qu’Israël ne devrait pas laisser entrer « ne serait-ce qu’une demi-cuillère d’eau » dans Gaza.

L’opération « Déluge d’Al-Aqsa », qui a débuté le 7 octobre, a été un réveil brutal. De nombreux Israéliens semblent n’avoir appris qu’à ce moment-là que les Palestiniens existent et qu’ils en ont assez d’être colonisés, dépossédés, assassinés et harcelés par la police. Les hommes politiques israéliens ont soudainement reconnu la Nakba de 1948 en appelant à sa répétition — après avoir d’abord criminalisé sa commémoration.

Capture d’écran de la chaîne Telegram populaire israélienne « Hadashot Bazman » (« Nouvelles en temps réel »), qui compte plus de 229 000 abonnés au 7 novembre 2023. Photo de femmes tenant un bébé tué par l’inhalation de gaz lacrymogène israélien à Gaza en 2018, avec la légende : « Nous venons de commencer / Nous venons pour vous massacrer, pour massacrer vos enfants ! Pour chaque enfant [le nôtre], nous massacrerons 1 000 des vôtres / L’enfer arrive sur Gaza, nous venons prendre vos vies / Profitez, ceci n’est qu’un iota de vos morts, que votre nom et votre mémoire soient effacés. » Les abonnés ont aimé l’image avec des emojis « cœur », « feu » et « pouce levé ».

Les Israéliens applaudissent les meurtres de Palestiniens partout et en tout lieu. Des photographies d’enfants palestiniens morts et de quartiers pulvérisés à Gaza circulent sur les réseaux sociaux israéliens, où elles sont accompagnées d’emojis « sourire » et « pouce levé ». La société israélienne souhaite la mort des Palestiniens. Pourtant, à la fin du mois d’octobre, les délégués israéliens aux Nations unies portaient des étoiles jaunes avec les mots « Plus jamais ça » — est-il surprenant qu’une grande partie du monde ne fasse pas preuve de compassion pour la souffrance israélienne, aujourd’hui ? Et le nombre infime d’Israéliens qui expriment un désaccord, même mineur, avec le plan meurtrier d’Israël sont malmenés, menacés de mort et parfois arrêtés.

Rien de tout cela n’est nouveau. L’existence d’Israël est fondée sur la violence génocidaire contre les Palestiniens, une violence que les Israéliens sont programmés à soutenir dès leur plus jeune âge.

Mais, en voyant la dernière catastrophe créée par Israël, je me suis à nouveau interrogé : les Israéliens sont-ils des Juifs ?

Je ne suis pas à l’origine de cette question. Elle a déjà été posée par d’autres personnes qui reconnaissent que le projet sioniste, dont Israël est l’aboutissement, est profondément contraire aux traditions juives et à l’existence historique des Juifs en tant que communautés minoritaires. La création d’Israël a supprimé ces traditions et ces modes de vie juifs, tout en en détournant certaines parties lorsque cela s’avérait opportun. En Palestine, en particulier, Israël a fondamentalement détruit la possibilité pour les Juifs de vivre en tant que non-colonisateurs sur une terre où les Juifs ont vécu en tant que minorité pendant des siècles.

Pour toutes ces raisons, le démantèlement d’Israël et la libération de la Palestine doivent également être une lutte juive — une lutte qui devrait aller bien au-delà de la solidarité des Juifs avec les Palestiniens ou du simple refus d’être des oppresseurs. L’identité « israélienne » est une identité coloniale à laquelle il faut renoncer, non seulement parce qu’elle nuit aux Palestiniens, mais aussi parce qu’elle est profondément antijuive. Et bien qu’à notre époque la vie juive ne puisse pas reposer sur l’antisionisme, être une institution juive devrait signifier être antisioniste. Pour le bien des Palestiniens, mais aussi pour le bien des Juifs.

« Il n’y a plus de juifs ici »

Les sionistes ont longtemps tenté d’enterrer les traditions juives antisionistes, comme celles de l’Union générale des travailleurs juifs (« le Bund »), un important mouvement socialiste juif qui a émergé en Europe de l’Est à la fin du XIXe siècle, en même temps que le mouvement sioniste.

Les bundistes considéraient généralement la colonisation de la Palestine comme une quête impérialiste, une trahison de la vie juive diasporique qui placerait les Juifs dans une alliance dangereuse avec les gouvernements impériaux européens. Bernard Goldstein, membre du Bund polonais qui a participé à l’organisation de la résistance du ghetto de Varsovie, a écrit que, pour les bundistes, rejeter le sionisme et lutter pour les communautés juives de Pologne était aussi « naturel » que pour les Noirs des États-Unis de s’engager dans la lutte « aux États-Unis plutôt que d’accepter l’émigration en Afrique comme solution au problème des inégalités raciales en Amérique ».

Après la Seconde Guerre mondiale, la vie juive en Europe de l’Est ayant été détruite — transformée en ce que Goldstein a appelé une « mer de désolation » (« sea of emptiness ») —, certains bundistes se sont retrouvés en Israël, dans une société qui était aux antipodes de tout ce pour quoi ils s’étaient battus. Ils se sont interrogés : ces gens avec qui nous vivons aujourd’hui, qui se disent « Israéliens », sont-ils vraiment juifs ? Car nous ne nous reconnaissons pas en eux.

Cette distinction est rendue dans le douloureux documentaire d’Eran Torbiner, Bunda’im, réalisé en 2012 sur le Bund en Palestine. Dans le film, un bundiste déclare, en hébreu et avec une grande tristesse, que :

« Le peuple juif est en train de disparaître. Ici [en Palestine] aussi. Il n’y a plus de peuple juif ici. Il y a un peuple israélien. Ce n’est pas le peuple juif que j’ai connu, que ma génération a connu. Ce n’est pas le même peuple. Ce n’est pas le même peuple […] Nous sommes un peuple complètement différent. Mon peuple est en train de disparaître. Que pouvez-vous faire ? C’est une tragédie. »

Un moment douloureux du documentaire Bunda’im (2012) d’Eran Torbiner

Les Israéliens ne sont pas des Juifs. Cette prise de conscience surprenante a permis aux bundistes de Palestine de voir Israël pour ce qu’il était. Dès les années 1950, les bundistes de Palestine écrivaient dans leur journal que la Nakba avait fait des Palestiniens des réfugiés, détruisant leur monde, comme l’Holocauste l’avait fait pour les Juifs.

Les bundistes pouvaient critiquer férocement le sionisme parce qu’ils en étaient les victimes. Pour rappeler l’évidence, les Palestiniens sont les premiers résistants et victimes du sionisme, mais les Juifs sont aussi des cibles. Israël a dû être construit sur les ruines de mondes dont les Juifs faisaient partie bien avant le sionisme, que ce soit en Europe, en Afrique du Nord ou dans le monde arabe. Les mondes juifs que les nazis ont détruits pendant la Seconde Guerre mondiale n’étaient pas non plus des mondes que les sionistes appréciaient beaucoup. La langue et la culture yiddish, par exemple, ont dû être écrasées dans le cadre du programme sioniste de « la négation de la diaspora ».

C’est pourquoi il n’existe pas de « culture israélienne », pas plus qu’il n’existe de « culture blanche » ; les gens perdent leur culture pour devenir blancs. « Israélien » est une identité coloniale, une relation de pouvoir contre le colonisé, tout comme le fait d’être « blanc » est une relation de pouvoir contre ceux qui sont racialisés comme non-Blancs et n’est pas une identité significative (à moins que vous ne soyez un nationaliste blanc). La « culture israélienne » est le fruit d’un fantasme sur ce que devrait être une colonie euro-américaine au Moyen-Orient. Dans la mesure où il existe une « culture israélienne », il s’agit d’un mélange de culture arabe locale appropriée (pensez aux endroits qui vous vendent des « falafels et houmous israéliens ») et de vestiges des cultures juives diasporiques que les sionistes ont conservées.

Tragiquement, les survivants des régimes racistes européens, ainsi que leurs descendants, ont adopté les idéologies racistes européennes lors de la création d’un faux État juif. La société coloniale qui en a résulté continue de nuire aux Juifs.

Israël déteste les Juifs

Le 1er novembre, la police israélienne a attaqué le quartier juif antisioniste de Mea Shearim à Jérusalem. Les policiers étaient apparemment venus pour enlever les drapeaux palestiniens installés par les résidents juifs, mais ils ont été accueillis par des pierres et des œufs.

Torah Judaism : « Aujourd’hui, lors d’un raid de la police pour enlever les drapeaux palestiniens dans le quartier juif antisioniste de Mea Shearim à Jérusalem, les policiers israéliens ont été enregistrés en train d’attaquer les résidents et de les faire tomber sur la route, de les frapper et de leur donner des coups de poing au visage.
Les violences policières contre les Juifs ultra-orthodoxes se poursuivent sans relâche, les sionistes attaquent constamment les Juifs, cela doit cesser.
Le seul crime de ces Juifs est d’être aux côtés du peuple palestinien et de s’opposer au sionisme. »

L’assaut de la police israélienne contre les Juifs de Mea Shearim ressemble à une scène de pogroms dans l’Europe de l’Est du XIXe siècle. Les policiers israéliens sont les cosaques qui frappent le Juif et jettent sa kippa par terre. Il ne manque plus au policier israélien qu’à enfoncer une saucisse de porc dans la gorge du Juif. Des images vidéo de cette journée montrent que certains Juifs se sont défendus, repoussant les cosaques israéliens.

Un policier israélien attaque un Juif à Mea Shearim, à Jérusalem, le 1er novembre 2023.

La société israélienne s’efforce d’être « laïque » au sens euro-américain du terme, ce qui explique qu’elle méprise les communautés juives traditionnelles. Israël parle de ces Juifs de la même manière qu’il parle des Palestiniens, c’est-à-dire de la même manière que les nazis allemands parlaient des Juifs. Israël considère ces communautés juives comme une menace démographique : il suit leur taux de natalité, s’inquiète qu’elles aient trop d’enfants et les considère comme des « parasites » qui ne contribuent pas à la productivité économique et, pire encore, ne servent pas dans les forces d’occupation israéliennes. Leurs hommes étudient la Torah toute la journée alors qu’ils pourraient tuer des Palestiniens.

Pourtant, Israël a également besoin de certains de ces éléments traditionnels pour maintenir le spectacle d’un « État juif ». Si tous les éléments juifs traditionnels étaient supprimés, le racisme d’Israël serait complètement mis à nu. Israël a également besoin des colons sionistes religieux, qui l’aident à acquérir des terres et à déplacer des Palestiniens sous le couvert d’une guerre sainte « juive ». Mais, le mépris fondamental d’Israël pour la vie juive traditionnelle demeure.

Nous voyons des manifestations de ce racisme antijuif dans tous les aspects du projet sioniste, notamment dans l’application de l’eugénisme et des hiérarchies raciales.

Le régime sioniste a toujours préféré les Juifs d’Europe. Les Juifs d’Europe occidentale étaient considérés comme supérieurs aux Juifs d’Europe orientale et, même au sein des groupes européens, il existait une hiérarchie. Les Juifs situés plus bas dans la hiérarchie sont utilisés comme boucliers humains, installés stratégiquement pour protéger le cœur de la colonie. Tel a été le sort de nombreux Juifs arabes et nord-africains ; Israël n’en voulait même pas à l’origine, mais la pénurie de Juifs européens susceptibles d’être installés en Palestine, après l’Holocauste, n’a guère laissé d’autre choix aux sionistes.

Ces Juifs, que les sionistes ont qualifiés de « Juifs orientaux », ont été humiliés et maltraités. Israël les a placés dans des villes de tentes dès leur arrivée, les aspergeant parfois de DDT, un pesticide, et les obligeant à se raser la tête pour se « désinfecter ». Ils ont été violés de la même manière que les sociétés coloniales canadiennes et américaines ont violé les peuples indigènes. Les Juifs yéménites se sont vu enlever leurs enfants pour les placer dans des familles d’accueil juives d’origine européenne. Dans un épisode qui rappelle les expériences du Dr Josef Mengele, des institutions médicales sionistes ont prélevé des échantillons sur des enfants juifs yéménites pour vérifier s’ils avaient du « sang nègre ». Au cours des dernières décennies, des femmes juives éthiopiennes ont été contraintes de subir des injections contraceptives de longue durée pour pouvoir être admises en Israël. Le sionisme est fondé sur la suprématie de la race blanche, une idéologie qui finira toujours par nuire aux Juifs.

Tout cela prend tout son sens lorsque l’on examine les racines du sionisme, qui remontent au christianisme impérial.

J’ai vu un jour à la télévision israélienne une séquence dans laquelle un homme se promenait dans un centre commercial et lisait des citations aux gens en leur demandant d’en deviner l’auteur. Presque tout le monde a répondu Adolf Hitler, mais toutes les citations étaient de Theodor Herzl, le « père fondateur » du sionisme.

Comme d’autres sionistes, Herzl voyait les Juifs comme une sorte de « race dégénérée ». Il pensait que les communautés juives « produisent une abondance d’esprits médiocres qui ne trouvent aucun débouché », des agitateurs juifs qui « deviennent rapidement socialistes » et créent des problèmes aux gouvernements. Avant d’adopter l’idée de coloniser la Palestine, Herzl pensait que le meilleur plan pour les Juifs serait une conversion massive au christianisme.

Plus tard, Herzl a justifié l’État « juif » en Palestine en affirmant qu’il servirait les intérêts impériaux chrétiens. L’État juif, écrivait-il, « formerait une partie d’un rempart de l’Europe contre l’Asie, un avant-poste de la civilisation opposé à la barbarie ». Cet État dépendrait de l’Europe pour « garantir notre existence » et, en échange, protégerait « les sanctuaires de la chrétienté ». Aujourd’hui, lorsque des militants affirment qu’Israël est une colonie satellite qui applique les intérêts occidentaux, ils sont souvent taxés d’« antisémitisme », mais c’est précisément ce que pensaient les dirigeants sionistes.

Herzl a également justifié le sionisme en affirmant que les régimes réactionnaires européens tireraient profit de l’expulsion des socialistes juifs gênants. C’est ce qu’il a promis au comte von Plehve, qui a approuvé les pogroms antijuifs et a brutalement réprimé les socialistes juifs (y compris les membres du Bund, qui ont plus tard tenté de l’assassiner). Von Plehve a répondu à Herzl que « les Juifs ont rejoint les partis révolutionnaires » et qu’il soutiendrait « votre mouvement sioniste aussi longtemps qu’il travaillera à l’émigration. Vous n’avez pas à justifier le mouvement auprès de moi. Vous prêchez un converti ».

Herzl et Chaim Weizmann, lequel allait devenir le premier président d’Israël, ont également promis au régime du tsar russe que le sionisme permettrait de se débarrasser des « Juifs anarcho-bolcheviques nuisibles et subversifs » de Russie. Ne s’agit-il pas d’un sentiment similaire à celui exprimé par Hitler dans un discours de janvier 1939, lorsqu’il a déclaré que le « mot d’ordre juif » était « Travailleurs du monde unissez-vous » — et que ces Juifs devaient être éliminés d’Europe avant qu’ils ne provoquent « la bolchevisation du monde » ?

Tous les deux ans, nous devons nous rappeler ce fondement antijuif du sionisme. Les Palestiniens ont vu très clairement le caractère antijuif du sionisme. Edward Said a expliqué que les lords britanniques qui ont soutenu le projet sioniste au XIXe et au début du XXe siècle l’ont fait en grande partie pour se débarrasser des Juifs, ce qui s’accompagnait parfois de l’idée que le « retour » des Juifs en Palestine était nécessaire pour la seconde venue de Jésus (à ce moment-là, les Juifs pourront soit accepter le Christ, soit brûler en enfer).

Aux États-Unis, ces sionistes chrétiens sont aujourd’hui plus nombreux que les sionistes juifs, et leur racisme antijuif est stupéfiant. Le pasteur John Hagee, fondateur du grand groupe sioniste Christians United for Israel, a déclaré que l’« Antéchrist » était « un homosexuel à moitié juif ». Il a également déclaré que l’Holocauste nazi était le moyen pour Dieu d’envoyer des Juifs en Israël et que le soutien à Israël était « la politique étrangère de Dieu ».

Que dit Israël ? Le Premier ministre Netanyahou a déclaré qu’« Israël n’a pas de meilleur ami » que le pasteur Hagee.

Je me pose donc à nouveau la question : les Israéliens sont-ils juifs ?

Cette question ne repose pas sur une quelconque notion de supériorité juive ou sur l’idée que les Juifs ne peuvent pas être des oppresseurs (souvenez-vous d’Henry Kissinger). Elle ne repose pas non plus sur l’hypothèse d’une « essence » unificatrice de la grande diversité des communautés et des traditions juives.

Mais, pour moi et tant d’autres, si être juif doit signifier quelque chose, cela doit inclure le fait que tous les hommes sont faits à la même image, et le principe selon lequel sauver une vie, c’est sauver le monde entier, et détruire une vie, c’est détruire le monde entier. La création d’Israël va à l’encontre de ces principes.

Israël est également contraire à l’existence historique des Juifs. Les Juifs ont vécu dans le monde entier en tant que communautés minoritaires anarchiques ; ils n’étaient pas à la tête de gouvernements impériaux. Les Pirkei Avot, un livre fondamental de la Torah orale datant du troisième siècle, disent : « Méfiez-vous du gouvernement : ils se lient d’amitié avec une personne pour répondre à leurs propres besoins, se montrant amicaux lorsque cela leur est profitable ; mais, ils ne soutiennent pas une personne lorsqu’elle est en détresse. » Le contraire de la sagesse des Pirkei Avot serait de diriger une colonie qui servirait les intérêts impériaux euro-américains, en soumettant les peuples indigènes.

Un retour à la vie de la minorité juive

Les racines de ma famille en Palestine remontent à la fin du dix-huitième siècle (et peut-être même avant), soit cent ans avant que le mouvement sioniste ne prenne son essor. Je ne me considère pas comme un « Juif palestinien » — l’étiquette me semble inauthentique dans mon cas —, mais, s’il n’y avait pas eu Israël, c’est ce que j’aurais été. Je me considère plutôt comme appartenant à une minorité juive dans deux sens. Premièrement, le succès dévastateur du sionisme a fait de nous, Juifs antisionistes, une minorité parmi les Juifs. Deuxièmement, et plus important encore, les Juifs vivent depuis longtemps comme une minorité en Palestine.

En 1918, l’année qui a suivi la déclaration Balfour, dans laquelle la Grande-Bretagne a approuvé la colonisation sioniste de la Palestine, les Juifs ne représentaient encore que 8 % de la population de la Palestine. Malheureusement, le projet sioniste a même fini par faire des Juifs qui se trouvaient déjà en Palestine avant le sionisme des « Israéliens », c’est-à-dire des colons.

Il est urgent de renouer avec une existence juive non coloniale en Palestine, antérieure au sionisme. Hélas, les Juifs savent très peu de choses sur les siècles de vie juive pré-coloniale et pré-européenne en Palestine, et les historiens nous induisent souvent en erreur en projetant l’idéologie sioniste (et des interprétations ridicules de la Bible hébraïque) en arrière dans le temps. À quoi ressemblait ce monde juif pré-sioniste ? Que pouvons-nous tirer de ses traditions et de ses modes de vie ?

Un Juif orthodoxe et un Palestinien se préparant à lancer des pierres sur la police israélienne

Les Juifs les plus proches de l’existence juive non coloniale en Palestine sont peut-être les Juifs orthodoxes antisionistes qui vivent aujourd’hui à Jérusalem — ceux qui se font tabasser par la police israélienne. Ces communautés juives ont une façon familière de vivre en tant que non-colonisateurs. Elles refusent Israël avec leur corps, simplement en continuant d’exister. Beaucoup n’ont aucun problème à jeter des pierres sur les forces israéliennes aux côtés de leurs camarades palestiniens.

À quoi pourrait ressembler la vie juive en Palestine après la décolonisation ?

La décolonisation nécessite la destruction des structures coloniales de peuplement, ce qui entraînera la création de conditions de vie entièrement différentes. Les terres et les richesses devront être restituées et redistribuées. Des efforts considérables devront être déployés pour réparer les dommages causés par plus d’un siècle de colonisation euro-américaine, notamment en permettant aux réfugiés, déplacés à l’intérieur du pays ou dans la diaspora, de rentrer chez eux. Les traumatismes et les deuils devront être traités et de nouvelles institutions devront être mises en place. Chaque parcelle de terre a sa propre histoire à raconter, celle de mondes et de cultures qui ont jadis prospéré, mais aussi celle de la misère et de la perte, de vies détruites par le colonialisme — un passé palestinien, mais aussi un passé de minorité juive. Comment réparer ces mondes et les ramener à la vie tout en faisant le deuil de ce qui a disparu à jamais ? La décolonisation demande tout cela et bien plus encore.

La décolonisation est un projet collectif monumental, et personne ne peut dire comment celui-ci se déroulera.

J’avais l’habitude de penser qu’il n’était pas urgent d’imaginer la décolonisation dans ses moindres détails. Il y a toujours une crise immédiate à gérer, une lutte contre la poursuite de la colonisation et de la dépossession sionistes. Pourquoi penser à ce que signifie la libération « de la rivière à la mer »,1 alors qu’elle semble si lointaine ?

Mais, aujourd’hui, je pense que ce genre de réflexion collective est nécessaire. J’aimerais que nous ayons dix mille plans, romans, nouvelles, films, cartes et réalisations sur la décolonisation de la Palestine, ou « Bilad al-Sham », ou quel que soit le nom le moins colonial pour ce lieu magique. Chaque goutte d’ingéniosité humaine sera nécessaire pour que la décolonisation réussisse.

Le projet de décolonisation de la Palestine doit également être un projet de libération juive. Les Juifs doivent participer à la lutte pour la décolonisation parce qu’ils ont toujours fait partie de la Palestine, en tant que communauté minoritaire — même si l’effort de libération de la terre est clairement et à juste titre mené par les Palestiniens.

La décolonisation signifie un retour à la vie de la minorité juive en Palestine. Pour moi, le retour à une vie de minorité n’est pas une question de nombre : même si tous les Juifs vivant actuellement en Palestine restent après que l’État israélien a été démantelé, ils sont toujours une minorité si l’on inclut les réfugiés palestiniens de la diaspora. Il s’agit plutôt de faire revivre une forme de relation non coloniale avec la terre et les autres, qui s’appuie sur les modes de vie pré-sionistes.

Cela ne nécessitera pas seulement des changements matériels dans la vie du pays, mais aussi des changements dans la culture et la langue. Il faudra désapprendre l’identité coloniale « israélienne », c’est-à-dire refuser « d’être un “Israélien”, de penser comme un Israélien, de s’identifier comme un Israélien ou d’être reconnu comme un Israélien », comme le demande Ariella Aïsha Azoulay, « parce qu’être un Israélien signifie avoir droit à des terres volées et à la propriété d’autrui ». Le rejet de l’identité israélienne devrait inclure la récupération de l’hébreu en tant que langue diasporique, en dépassant le mensonge selon lequel l’hébreu était une langue liturgique « morte » avant le mouvement sioniste. La fin de l’État israélien pourrait libérer les Juifs du monde entier et leur permettre de faire revivre la culture juive non sioniste.

Pourtant, étant donné les crimes innommables de l’État sioniste, il m’est de plus en plus difficile d’envisager une vie juive en Palestine. Soyons honnêtes. Si le régime israélien était démantelé, comment et pourquoi les Palestiniens voudraient-ils vivre avec une population qui a applaudi à leur mort et à leur expulsion ? Et comment pourrions-nous imaginer une vie juive non coloniale en Palestine, alors que presque toutes les institutions juives organisées sont actuellement sionistes sous une forme ou une autre ?

Une chaîne de tragédies, la résistance armée

À l’heure actuelle, Israël souhaite que le monde se concentre uniquement sur les souffrances israéliennes résultant de Déluge d’Al-Aqsa. Les sionistes déforment cette souffrance en semant insidieusement des mensonges sur ce qui s’est passé pendant l’opération, sachant que ces mensonges seront répétés par les médias grand public et serviront de prétexte aux attaques génocidaires d’Israël.

Néanmoins, la souffrance israélienne est réelle. Et dans chaque histoire de souffrance israélienne, nous pouvons voir la chaîne sans fin des tragédies créées par le projet sioniste.

Cette chaîne de tragédies m’a traversé l’esprit après avoir regardé une vidéo réalisée par l’un des combattants de la résistance pendant Déluge d’Al-Aqsa et qui montre une famille israélienne captive. La vidéo a été prise à « Nahal Oz », une colonie militarisée proche du mur israélien qui enferme Gaza. Le père semble avoir reçu une balle dans la jambe et la mère tente de protéger trois enfants terrifiés. L’un des enfants, âgé de 17 ans, a été conduit par un résistant à l’extérieur, apparemment pour faire sortir les autres habitants de leurs maisons.

Cette famille israélienne a vécu une partie de l’horreur que d’innombrables Palestiniens ont déjà connue. Alors que le soldat de la résistance emmène l’adolescent à l’extérieur, il lui demande : « D’où viens-tu ? D’où viens-tu ? Où es-tu né ? » « Ici, je suis d’ici », répond l’enfant. Ils se sont parlé en anglais parce que le projet sioniste a fait en sorte que pratiquement tous les colons, même s’ils sont des Juifs arabes, ne connaissent pas l’arabe. Il a été rapporté que les corps du fils adolescent et de ses parents ont été retrouvés (après que l’armée israélienne a repris la colonie) et que les deux jeunes filles sont maintenant retenues en otage à Gaza.

Il est tragique que le projet sioniste ait créé ce que l’on appelle l’« enveloppe de Gaza », des colonies et des avant-postes militaires qui utilisent des familles comme boucliers humains pour l’État israélien. Il est tragique qu’il y ait des générations d’Israéliens élevés pour être des transplantés étrangers sur cette terre. Il est également tragique que des jeunes soient enrôlés dans l’armée israélienne pour mourir au nom de la colonisation et de la terreur d’un autre peuple. La vie est fragile, bousculée par les vents cruels de l’histoire. Chaque jour, je me rappelle que j’ai eu la chance de ne pas servir dans les forces d’occupation d’Israël (FOI) — si on m’avait forcé à le faire, j’aurais peut-être été poussé au suicide — et je ressens la douleur de ceux qui voulaient s’en sortir, mais qui n’ont pas eu cette chance.

La résistance palestinienne sait que la plupart des colons ont été élevés dans la haine et la volonté de les tuer. La résistance armée est née de ces conditions et a été une composante de toutes les luttes anticoloniales. Et bien que les colonisateurs ne veuillent pas l’entendre, leur propre violence est bien plus grande que celle des colonisés. Comme l’a écrit C.L.R. James dans son récit de la révolution haïtienne, le soulèvement des Africains asservis qui ont chassé leurs esclavagistes européens : « Les cruautés de la propriété et des privilèges sont toujours plus féroces que les vengeances de la pauvreté et de l’oppression. »

Les groupes de résistance palestiniens, comme la Fosse aux Lions2 en Cisjordanie, luttent courageusement pour défendre leurs communautés malgré tous les obstacles. La Fosse aux Lions a réussi à faire échouer les incursions des FOI à Naplouse. La force de cette résistance est ancrée dans l’esprit inébranlable des Palestiniens.

Dans une déclaration de la Fosse aux Lions, j’ai lu ces lignes : « Que vos visages se dégradent, ô fils du judaïsme. Que votre sabbat et vos fêtes soient mauvais, ô descendants des singes et des porcs […] Notre message à vous, ô enfants de Sion, est qu’il n’y a pas de place pour vous sur notre terre, pas de temple, pas même un endroit pour enterrer vos morts. Retournez d’où vous venez, chacun dans sa patrie d’origine. »

Je sais que cela ne représente pas spécifiquement le mouvement de libération palestinien dans son ensemble, mais cela m’a fait mal de le lire. Je blâme le projet sioniste : pour avoir désespérément confondu les Juifs avec les sionistes, pour avoir créé des antagonismes entre les musulmans et les Juifs qui n’existaient pas auparavant, et pour avoir apposé l’étoile de David sur les armes et les uniformes de l’armée israélienne. Lorsque l’on fait avaler au monde entier depuis des décennies qu’Israël est juif, qu’il représente tous les Juifs et que tout ce qui est juif est nécessairement sioniste, comment s’en étonner ?

On l’a dit un million de fois, mais cela vaut la peine de le répéter : le sionisme est une menace majeure pour la vie juive.

La solidarité ne suffit pas

Ici, dans la grande colonie appelée États-Unis, il y a heureusement beaucoup de gens qui s’organisent contre le génocide à Gaza. Il y a aussi des gens qui cherchent à faire payer le prix à la machine de guerre américano-israélienne. Par exemple, le groupe Palestine Action travaille à la fermeture des entreprises d’armement israéliennes opérant aux États-Unis.

Mais, je m’inquiète du manque d’humilité et de respect pour la résistance palestinienne, parmi de nombreux autres groupes américains — en particulier ceux qui prétendent résister à Israël en tant que Juifs.

Il est si facile de s’asseoir dans des maisons et des bureaux qui ne sont pas soumis à des bombardements constants et à une dictature militaire, et de distribuer des notes à la résistance palestinienne. Il est si facile de jouer le jeu des activistes du complexe industriel à but non lucratif3 et de s’engager dans des campagnes performatives conçues pour pacifier et détourner les luttes de libération.

De nombreux groupes juifs semblent avoir été infectés par le programme de « non-violence » élaboré par les intellectuels américains de la guerre froide (American Cold Warrior intellectuals). De nombreux Juifs aux États-Unis reconnaissent que la résistance armée était nécessaire pour mettre fin à l’esclavage pendant la guerre civile américaine, par exemple, mais ils pensent apparemment que, dans le cas d’Israël, des pétitions, des manifestations et des veillées suffiront. Depuis le 7 octobre, certains groupes juifs engagés dans la désobéissance civile se sont empressés de se vanter de l’efficacité de leur propre « discipline non violente » — déclarant qu’ils « savent que la violence ne marchera pas » — en semblant ignorer qu’ils sont à la remorque de la résistance palestinienne. Certains groupes juifs qui se disent antisionistes déclarent explicitement qu’ils « ne peuvent promouvoir quoi que ce soit qui a trait à la résistance armée ».

Une grande partie de ce discours fait finalement écho à la position de neutralité impériale du gouvernement américain, qui refuse de prendre position sur la décolonisation et affirme au contraire que les « Israéliens » et les Palestiniens n’ont qu’à se débrouiller ensemble — comme si les deux étaient tout aussi légitimes, et comme si l’existence d’Israël était définitive. (Ces limites sont liées, je pense, au fait que de nombreux Juifs aux États-Unis continuent à se considérer comme « américains », une autre identité coloniale.)

Le problème sous-jacent est que le cadre de la solidarité que de nombreux Juifs ont adopté est insuffisant. Il y a une différence entre faire preuve de solidarité et se battre pour obtenir ce dont on a besoin pour être libre.

Les Juifs ne s’engageront pas dans une lutte radicale pour libérer la Palestine s’ils considèrent qu’ils mènent la guerre de quelqu’un d’autre. J’espère que nous pourrons passer du « pas en notre nom » et de l’affirmation faiblement réactive selon laquelle « l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme » à « nous devons démanteler Israël pour notre propre libération » et « le sionisme est antijuif ». Nous luttons avec les Palestiniens, mais cette lutte de libération devrait être la nôtre, aussi.

Sources :


Source de la photographie d’en-tête : Mamoun Wazwaz
Le 25 février 2022, près d’une porte menant à la rue principale Al-Shuhada de Hébron, des membres de Neturei Karta tiennent des pancartes lors de la manifestation annuelle en mémoire du massacre de la mosquée Ibrahimi en 1994.


  1. « De la rivière à la mer, la Palestine sera libre. »
    Du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée… (NdT) 

  2. عرين الأسود (Lions’ Den, en anglais) (NdT) 

  3. Le « complexe industriel à but non lucratif » désigne ici un système de relations conçu par les forces coloniales et capitalistes, ayant pour objectif de contrôler ou de neutraliser les véritables organisations radicales. (NdT) 

 

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