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L’implication de ressortissants étrangers dans les affaires intérieures de Cuba est à un niveau qui peut être difficilement concevable aux États-Unis.
LA HAVANE — Après avoir obtenu l’accès à leur groupe privé sur Facebook, MintPress peut révéler que les personnes qui ont déclenché les manifestations du 11 juillet à Cuba prévoient des actions similaires pour octobre et novembre.
Le groupe, La Villa del Humor, est largement considéré d’avoir provoqué l’étincelle initiale qui a déclenché les manifestations nationales sur l’île des Caraïbes au cours de l’été, les démonstrations publiques les plus importantes depuis les années 1990. Le 10 juillet, l’un des administrateurs du groupe a publié ce message :
« Fatigué de ne pas avoir d’électricité ? Marre parce qu’on ne vous a pas laissé dormir pendant 3 jours ? Fatigué de supporter l’impudence d’un gouvernement qui ne se soucie pas de vous ? Il est temps de sortir et de réclamer. Ne critiquons pas de chez nous, faisons-nous entendre. Si nous ne le faisons pas, mieux vaut fermer nos gueules et ne pas dire de conneries de chez nous qui ne résolvent rien. Avons-nous plus peur de sortir que de supporter tout ce culot ? Comment est-ce possible ? Nous exigeons que [les présidents Miguel Díaz-Canel et Raúl Castro] aient aussi des coupures de courant. Nous exigeons, puisque nous n’avons pas de nourriture, qu’ils nous laissent au moins dormir. Descendez dans la rue. À bas le gouvernement communiste opportuniste, dès maintenant. Ce dimanche à 11 heures, Parque de la Iglesia. On se retrouve là-bas. Si vous n’y allez pas, arrêtez de vous plaindre autant. »
Le modérateur a également fourni un itinéraire détaillé de la marche, comprenant des instructions sur les endroits où ils allaient se rendre et les articles à apporter.
Les nouvelles et les images de la manifestation ont été immédiatement relayées par des individus et des groupes aux États-Unis, y compris l’importante et bruyante communauté des expatriés cubains à Miami, des politiciens, des célébrités et même des représentants du gouvernement des États-Unis, au point que même le président Joe Biden a publié une déclaration officielle approuvant les événements. L’exposition massive et mondiale de cette manifestation en a fait une nouvelle internationale et a rallié les forces antigouvernementales soutenues par les États-Unis dans les rues de l’île. Cependant, le mouvement n’a pas réussi à s’imposer dans le courant dominant de la société cubaine et s’est rapidement effondré après qu’il soit devenu évident qu’il ne rassemblait pas les effectifs nécessaires pour atteindre la masse critique.
L’équipe d’administration de La Villa del Humor considère que l’action de juillet a été un succès retentissant, et le premier pas vers une révolution qui déposera le gouvernement communiste, au pouvoir depuis 1959. Fort de ce succès, le groupe participe à l’organisation de deux nouvelles actions : une grève générale prévue en octobre et une série plus importante de manifestations dans tout le pays en novembre.
Le dimanche 10 octobre est le jour de l’indépendance de Cuba et un jour férié national. Les organisateurs souhaitent qu’il marque le début d’une grève générale (paro nacional en espagnol) visant à paralyser ou à renverser le gouvernement. Une annonce partagée sur les médias sociaux (notamment sur La Villa del Humor) indique que des organisations à travers le pays se préparent à une grève la semaine prochaine, avec des hashtags comme #ParoNacionalCuba et #SOSCuba en tendance. « Nous appelons tous les Cubains dignes de ce nom, les amoureux de la liberté, leurs voisins, leurs amis et leurs familles, à une grève nationale le lundi 11 octobre », peut-on lire dans le communiqué.
Comme pour la plupart des activités antigouvernementales à Cuba, il y a très peu de transparence. Aucune personne ou organisation n’est nommée, les annonces ordonnant simplement à tous les Cubains de déposer leurs outils. Nombreux sont ceux qui, sur l’île, se demandent s’il ne s’agit pas d’une nouvelle opération du gouvernement des États-Unis, qui consacre chaque année des dizaines de millions de dollars aux efforts clandestins de changement de régime, créant ou soutenant des groupes antigouvernementaux dans ce seul but.
La Villa del Humor joue un rôle important dans la promotion de la grève générale. Le 23 septembre, l’administrateur en chef du groupe, Alex Perez Rodriguez, a enregistré un livestream pour les membres du groupe, les implorant d’agir comme un seul homme.
« Le 10 octobre, nous appelons tout Cuba, à l’occasion d’une nouvelle année d’indépendance par rapport aux conquistadors espagnols, à manifester à nouveau pour réclamer ses droits, pour exprimer son aspiration à la liberté et à la démocratie. Si Dieu le veut, toutes les villes de Cuba seront prêtes à, et voudront, protester une fois de plus et descendre dans la rue. »
« La dictature », a-t-il insisté, « est sur le point de s’effondrer… » « Je suis certain que le 11 juillet, Cuba a commencé à se diriger vers la démocratie », a-t-il ajouté, avant de partager une théorie de la conspiration sur les vaccins contre la COVID-19, produits dans le pays, en affirmant qu’ils ne font « absolument rien d’autre que de rendre les gens encore plus malades ».
Ce sont toutefois les actions annoncées pour le 20 novembre qui semblent susciter le plus d’enthousiasme dans la communauté. Des marches sont prévues dans toute l’île, notamment à Guantanamo, Holguin, Camaguey et La Havane, où les organisateurs espèrent commencer par l’emblématique Malecón de la Vieille Havane et finir devant le Capitole national, siège de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire.
Le mouvement est présenté comme une « marche pacifique en faveur des droits de l’homme et contre la violence » et compte déjà dans ses rangs des personnalités soutenues par les États-Unis, comme le groupe de rap du Mouvement San Isidro et le politicien Manuel Cuesta Morúa.
Pourtant, en interne, les objectifs de l’action semblent bien différents. En partageant une image sur laquelle on pouvait lire « descendez dans la rue jusqu’à ce qu’ils [le gouvernement] tombent », Perez Rodriguez a annoncé avec joie que « tout Cuba se prépare à cela » — un message bien différent des manifestations sages et respectueuses rapportées par des médias sympathiques expatriés en Floride. D’autres membres du groupe ont partagé des conseils sur la planification et l’obtention de permis. Les organisateurs espèrent rassembler des milliers de personnes à La Havane et dans d’autres villes pour ce qu’ils espèrent être le début d’une révolution.
Des blogs cubains conservateurs affirment que le gouvernement est déjà au courant des plans et a déjà pris des mesures contre les personnes dont les noms figuraient sur les permis de manifestation.
Bien que le groupe soit privé, il a suffi de changer mon nom par un autre à consonance moins anglaise et de prétendre que j’étais originaire de la ville d’origine du groupe pour que les modérateurs approuvent ma candidature. Le groupe lui-même a été créé en 2017, prétendument comme un forum et un marché en ligne local pour les habitants de San Antonio de los Baños, une ville d’environ 50 000 habitants située dans l’ouest de Cuba. Le nom « La Villa del Humor » fait référence à un festival de comédie bisannuel organisé dans la ville.
Pendant un certain temps, le site a fonctionné comme un service de ce type, puisque les habitants y déposaient des plaintes contre des voisins indélicats, faisaient de la publicité pour des objets d’occasion qu’ils souhaitaient vendre, ou alertaient les résidents sur des animaux domestiques perdus. Au cours de l’année écoulée, cependant, le site a pris un tournant radical, devenant un foyer d’organisation antigouvernementale au point qu’il n’y a plus guère de messages concernant les habitants. En effet, de nombreuses personnes qui partagent des messages sur le groupe ne sont même pas originaires de Cuba, leurs profils révélant qu’elles vivent en Floride. Un contributeur particulièrement actif indique même que son lieu de travail est le Miami Herald, le journal local de la ville. Pendant et après les manifestations de juillet, le nombre de membres du groupe a plus que doublé avant que les administrateurs ne le rendent privé, ce qui signifie que tous les nouveaux membres doivent faire l’objet d’une vérification préalable.
En tant que tel, le groupe est devenu une chambre d’écho conservatrice, les utilisateurs partageant principalement des mèmes ou des caricatures anticommunistes ou promouvant des actions contre le gouvernement cubain. En substance, La Villa del Humor est un endroit où des Américains vont cajoler les habitants d’une petite ville cubaine pour qu’ils renversent leur gouvernement.
Aucun membre de l’équipe d’administration, à l’exception de Perez Rodriguez, ne révèle son identité, se cachant derrière des pseudonymes, ce qui signifie que n’importe qui pourrait diriger le groupe. Perez Rodriguez lui-même ne vit pas à San Antonio de los Baños. En fait, il ne vit même pas à Cuba ; il a quitté l’île en 2010 et travaille aujourd’hui comme pasteur dans une Église adventiste du septième jour dans le sud de la Floride.
L’implication de ressortissants étrangers dans les affaires intérieures de Cuba est à un niveau qui peut être difficilement concevable aux États-Unis, et même les partisans les plus acharnés du RussiaGate ne prétendent pas que les Russes ont directement planifié les manifestations de George Floyd ou l’insurrection du 6 janvier.
Ce qui est également clair en interagissant avec le groupe et en lisant ses messages, c’est le désintérêt total pour la discussion ou l’amélioration de la vie et des droits des Afro-Cubains, malgré le fait que les grands médias aux États-Unis ont sans cesse présenté les manifestations de juillet comme ayant cet objectif, allant jusqu’à fustiger Black Lives Matter et d’autres groupes de libération noirs pour avoir refusé de soutenir les manifestations et s’être rangés du côté du gouvernement cubain. Au contraire, La Villa del Humor continue de regorger de contenus pro-Trump et de billets condamnant l’ancien président Barrack Obama comme un dangereux socialiste.
L’évolution de La Villa del Humor, qui est passée d’un service local utile à une opération de changement de régime sous contrôle étranger, reflète étroitement celle de Zunzuneo, une application de type Twitter lancée en 2010. Fournissant un service de messagerie fiable et offrant un prix inférieur à celui de la concurrence, Zunzuneo a rapidement gagné un large public à Cuba, attirant 55 000 personnes en 2012 — un chiffre énorme compte tenu de l’époque et du manque d’accès à Internet sur l’île.
Cependant, au sommet de sa popularité, il a brusquement fermé ses portes. Le gouvernement cubain et son public ignoraient que l’application avait en fait été commandée et payée par la National Endowment for Democracy1 (NED), le groupe de façade de Washington pour les changements de régime. Le plan du gouvernement des États-Unis consistait à s’emparer du marché cubain et à gagner la confiance de la population, puis à diffuser au compte-gouttes des messages anticommunistes aux utilisateurs, en faisant croire à une vague de mécontentement. Puis, un jour, les utilisateurs étaient avertis qu’une grande manifestation avait lieu et qu’ils devaient tous y assister.
La NED avait apparemment de plus en plus de mal à cacher qui était derrière Zunzuneo, au point même de rencontrer le PDG de Twitter, Jack Dorsey, pour tenter de lui faire acheter le service. Une enquête de l’Associated Press a révélé par la suite que la NED avait choisi de retirer l’ensemble du projet plutôt que de risquer d’être prise en flagrant délit.
S’il est encore possible de soutenir que La Villa del Humor est un forum quasi indépendant, Facebook ne l’est certainement pas, et s’est aligné étroitement sur le gouvernement américain. L’année dernière, après l’assassinat de Qassem Soleimani par l’administration Trump, le géant des médias sociaux a supprimé tout contenu faisant l’éloge du général iranien, alors que celui-cil était de loin la personnalité politique la plus populaire de son pays. Pour expliquer sa décision, Facebook a déclaré qu’il « opère dans le cadre des lois étatsuniennes sur les sanctions, y compris celles liées à la désignation par le gouvernement des États-Unis du Corps des gardiens de la révolution iranienne et de ses dirigeants ». En bref, si le gouvernement des États-Unis considère qu’un groupe ou un individu est un terroriste, les plateformes de médias sociaux sont tenues de supprimer le contenu qui remet en cause cette idée.
Facebook a également signé un accord avec le think tank de l’OTAN, l’Atlantic Council, en vertu duquel ce dernier participe à l’élaboration des fils d’actualité des 2,9 milliards d’utilisateurs de l’entreprise de la Silicon Valley dans le monde. Le conseil d’administration de l’Atlantic Council, c’est véritablement le gratin de l’establishment du pouvoir américain, comprenant des hommes d’État de haut rang comme Henry Kissinger, de nombreux généraux de l’armée et sept anciens chefs de la CIA. Il est également financé directement par les États-Unis et d’autres gouvernements de l’OTAN, ainsi que par des fabricants d’armes. Le fait que Facebook ait choisi de confier à ce groupe le contrôle partiel de la modération de son contenu nous donne une idée de la proximité qui existe désormais entre les grandes entreprises technologiques et les grands gouvernements. Facebook a également admis avoir censuré des voix palestiniennes à la demande du gouvernement des États-Unis et de son allié israélien.
Chaque année, les États-Unis dépensent des dizaines de millions de dollars pour tenter d’évincer le gouvernement cubain et d’en installer un qui réponde à leurs intérêts. Le plus récent budget de la Chambre des représentants, par exemple, alloue 20 millions de dollars à des « programmes de démocratie » à Cuba, contribuant à soutenir « la libre entreprise et les organisations commerciales privées ». En cas de confusion sur la signification de « démocratie », le budget insiste sur le fait qu’« aucun des fonds mis à disposition en vertu de ce paragraphe ne peut être utilisé pour aider le gouvernement de Cuba ». C’est loin d’être la seule source de financement des opérations de changement de régime. L’Agence des États-Unis pour les médias dans le monde, par exemple, consacre entre 20 et 25 millions de dollars à un objectif similaire.
La majeure partie de cet argent est utilisée à déverser un déluge d’informations visant à convaincre la population cubaine que son avenir se trouve auprès des États-Unis et loin du parti communiste. Les activités en ligne sont privilégiées, car il est beaucoup plus facile de rester anonyme et de cacher d’où vient l’argent des sites web et des publications. Les États-Unis financent des groupes qui produisent toutes les formes de contenu public en ligne, notamment des articles, des vidéos et des fichiers audio. Ils proposent également des cours de formation aux jeunes militants, en ligne et en personne, qui utilisent des tactiques rodées dans le monde entier pour produire des changements.
En outre, ils financent et soutiennent les artistes, intellectuels et musiciens cubains qui font passer des messages antigouvernementaux. Un exemple particulièrement marquant est celui du rappeur Yotuel et du Mouvement San Isidro, dont la chanson « Patria y Vida » est devenue un hymne au changement de régime. « Patria y Vida » (patrie et vie) est un jeu de mots sur le slogan de Fidel Castro « Patria o Muerte » (patrie ou mort). Yotuel a dirigé une manifestation de sympathie à Miami en juillet.
La CIA a également préparé le professeur cubain Raul Capote à devenir le nouveau président du pays. Cependant, à l’insu de l’agence, Capote était un agent double pendant tout ce temps et, lorsque le moment est venu pour lui de prendre la tête d’une manifestation, il a révélé publiquement le plan et la façon dont il avait trompé les autorités pour qu’elles lui fassent confiance.
Il n’y a aucun moyen de savoir avec certitude qui mène la barque à La Villa del Humor ; Perez Rodriguez nie tout lien avec le gouvernement des États-Unis. Cependant, la plupart des membres de la communauté cubaine de Floride ont des liens avec Washington, même s’ils n’en ont pas conscience. Les États-Unis ont dépensé plus d’un demi-milliard de dollars pour diffuser un réseau de télévision et de radio à Cuba, créant ainsi un grand nombre d’emplois. À cela s’ajoutent tous ceux qui travaillent pour des organisations « non gouvernementales » qui se consacrent à cataloguer les violations des droits de l’homme commises par le gouvernement cubain. Il y a aussi les prestataires payés pour réaliser des sites web, les traducteurs, le personnel payé pour travailler pendant des événements, etc. Et c’est sans compter les personnes directement impliquées dans les activités clandestines. Ainsi, l’ensemble de l’économie locale est largement soutenue par l’industrie — basée en Floride du Sud et à l’abri de la récession — du changement de régime qui vise Cuba, le Venezuela, le Nicaragua et d’autres pays d’Amérique latine.
Si La Villa del Humor a réussi à être le catalyseur d’une manifestation locale qui, à son tour, a déclenché un événement important dans la politique cubaine, l’étendue réelle de leur influence reste très discutable. Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est qu’ils prévoient et espèrent que leur coup d’éclat de juillet n’était que le début et que la fin est proche pour le parti communiste à Cuba. L’avenir nous dira s’ils parviennent à rassembler suffisamment de forces pour passer à l’étape suivante. S’ils y parviennent, l’histoire les absoudra. Dans le cas contraire, l’histoire les oubliera probablement.
SOS Cuba : ingérence made in USA
par Alan MacLeod
Sources :
Source de la photographie d’en-tête : Luis F. Rojas (VOA)
Con careteles llamando al auxilio por Cuba o pidiendo el fin "de la dictadura", exiliados de varias generaciones se manifestaron en la Calle 8 en Miami, Florida, en apoyo a las protestas sucedidas el domingo 11 de julio de 2021. Foto: Luis F. Rojas, VOA. [taken on 11 July 2021]
https://www.vozdeamerica.com/a/gallery_cubanos-exiliados-apoyan-manifestaciones-de-protesta-en-cuba/6062400.html
[ Public domain ]
Fondation nationale pour la démocratie (NdT) ↩
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